TOM D. JONES
Narrateur du vivant
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Tom D. Jones
Photo portrait : Sylvia Jones
Une part de ses clichés capture la beauté des paysages solitaires et des contrées inhabitées. L’autre apprivoise au plus près le regard indompté des animaux sauvages. Mais toutes les œuvres du photographe d’art Tom D. Jones ont pour essence une envoûtante sérénité.
De la photographie ou de la nature, quel était votre premier amour ? Ma femme et moi sommes tous deux photographes et en 1999, nous avons lancé notre studio à Knokke. Celui-ci a rapidement rencontré le succès mais avec lui, le stress et les délais serrés. Je me suis retrouvé à passer la majorité de mon temps derrière un ordinateur plutôt qu’un appareil, trop occupé par la pré et postproduction. Mon échappatoire consistait alors à aller marcher sur la plage. Durant ces balades, j’ai commencé à capturer des images du littoral et de la mer. C’est comme cela que mon intérêt a évolué vers la photographie artistique. Ma fascination pour les animaux a, elle, débuté lors d’un voyage en Tanzanie en 2012. Je m’y suis découvert une véritablement connexion avec la savane et la quiétude incomparable des contrées reculées d’Afrique de l’Est.
Vos clichés de panoramas déserts côtoient ceux d’une vie sauvage bouillonnante. Demandent-ils une pratique différente de votre métier ? L’un comme l’autre sont de véritables challenges. Les paysages impliquent de choisir un cadre et d’y attendre que la lumière et l’horizon se modifient doucement. Immortaliser la faune nécessite une tout autre maîtrise, plus proche de la photographie de portraits. Quand on travaille sur du vivant, on ne peut rien contrôler et les animaux ne sont absolument pas coopératifs. Il s’agit de capturer l’instant parfait. Et c’était d’autant plus complexe, sachant que je me suis toujours refusé à photographier des animaux qui n’évolueraient pas en totale liberté. Malheureusement derrière de trop nombreuses photographies animalières se cachent des conditions de captivité horribles.
Vous ressentiez le besoin de révéler leur vérité plutôt que celle dictée par l’homme ? L’humain ne laisse pas de place aux autres espèces et à leur épanouissement. Si nous continuons, cette voie causera notre perte. Ce projet m’a amené à voyager dans de multiples pays, mais les seuls endroits où j’ai pu observer des animaux véritablement libres étaient au Kenya et en Tanzanie. Il existe en revanche tellement de réserves privées où les animaux sont traités comme des objets touristiques.
Lions, rhinocéros, ou encore éléphants. Comment parvient-on à des photographies d’une telle proximité et des échanges de regards d’une telle profondeur ? Par l’apprivoisement et la patience ? En commençant ce projet, je n’avais aucune connaissance de la faune et de ses habitudes, mais au fil des ans j’ai appris énormément au contact des animaux mais aussi des rangers et guides qui m’accompagnaient, c’est pourquoi je retournais continuellement dans les mêmes parcs nationaux du Kenya. Prendre de tels clichés nécessite d’abord de découvrir l’environnement idéal. C’est pour moi l’élément déterminant. Et, lorsqu’on arrive sur le territoire d’un animal, il y a toujours au départ une forme de tension, une extrême conscience de notre présence en tant qu’intrus. Il faut rester calme, silencieux jusqu’à ce que soudain, il recommence à agir normalement. Un rapprochement devient alors possible. Certaines espèces sont également curieuses, comme les éléphants ou les gorilles des montagnes, qui soudain étaient à côté de moi. C’était inouï. Tout cela demande une immense patience et de nombreux jours sans être productif, sans même prendre la moindre photo.
Après la publication en août du livre True Wildlife, dédiée à vos portraits animaliers, vous inaugurerez en septembre une exposition éponyme, à Knokke. Celle-ci comprendra plus de 50 clichés, saisit durant sept ans. Aviez-vous prévu de la documenter si longtemps ? Pas vraiment, mais c’était sans doute inévitable vu ma façon de travailler. Être photographe artistique implique de réaliser des images destinées à l’impression en grande taille. Le résultat ne laisse aucune place à l’erreur. Et surtout, il n’était pas question pour moi d’utiliser un téléobjectif, comme le fond beaucoup de photographes animaliers. Leurs clichés longue distance sont souvent incroyables, mais volent ces instants aux animaux. Je tenais privilégier l’intimité avec eux.
Retournez-vous prochainement au Kenya, pour débuter une nouvelle série ? Pour l’instant, je m’occupe des derniers détails de l’exposition et de la promotion du livre. Une fois achevé, je pense prendre le temps de voyager pour me reposer. Je prépare des projets au Groenland et je demeure toujours à la recherche de nouveaux challenges, mais j’ai besoin de respirer et de me laisser inspirer. C’est ainsi que ma créativité pourra à nouveau pleinement émerger.
TRUE WILDLIFE
Centre culturel Scharpoord de Knokke-Heist, du samedi 23 septembre au dimanche 12 novembre.
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