Stéphane De Groodt
« Il faut savoir rire de soi. Mettre son amour propre entre parenthèses. Le Belge a ce talent. »
Mots : Servane Calmant
Photos : Jon Verhoeft
Jongleur de mots délicieusement déroutant et compositeur d’aphorismes d’une loufoquerie toute assumée, notre compatriote Stéphane De Groodt a fait de l’Absurdie sa deuxième terre natale. « Un léger doute », sa première pièce de théâtre en tant qu’auteur, qui triomphe actuellement à Paris et s’installera en décembre au Cirque royal à Bruxelles, compte bien vous la jouer à l’envers ! Confidences autour d’un verre.
Pourquoi nous avoir fixé rendez-vous chez Tortue, ce bistrot à vins nature ucclois ? Je passe régulièrement une tête chez Tortue, pour voir si un copain s’y trouve. C’est devenu mon stamp café. Pour autant, je n’ai aucun discours autour du vin. Seul m’intéresse le plaisir de la dégustation.
Vous avez été un enfant dyslexique. L’artiste accompli que vous êtes devenu a-t-il l’impression d’avoir pris une revanche sur son passé ? Sincèrement, je ne ressens aucun sentiment de revanche. La dyslexie fait partie de mon parcours, j’ai grandi avec elle. On change rarement le cours du ruisseau, mais on peut l’apprivoiser… Avoir un raisonnement inversé, voir les mots à l’envers, les recoller, m’ont finalement permis d’assumer pleinement ma singularité.
Vous venez de réaliser un documentaire sur la dyslexie, qui sera diffusé sur Canal+Kids en septembre … J’explique à des enfants que ce trouble a bousculé ma scolarité, mais que j’ai appris à vivre avec, à l’assumer, que c’est devenu une force pour moi. Quand on se trouve face à un obstacle, il faut trouver des aménagements, passer au-dessus, par-dessous, du bon et du mauvais côté, peu importe, mais il faut aménager son château de cartes à sa manière, sur des sables mouvants certes, pour aller de l’avant…
Êtes-vous toujours dyslexique ? Je n’ai jamais été soigné pour ma dyslexie, car à l’époque, ce trouble n’était pas forcément identifié. Je souffrais également de problèmes d’attention et de concentration. Donc oui, je suis toujours dyslexique, mais j’en ai désormais fait mon miel.
Gamin, faisiez-vous rire vos camarades de jeu ? Oh non, je n’étais pas assez bien dans ma peau. Mais je nourrissais déjà l’espoir qu’une fois adulte, j’arriverais peut-être à les faire rire… Le rire est une porte d’entrée formidable pour aller à la rencontre de l’autre, pour provoquer l’émotion.
Vous raffolez des paradoxes. Comme chez Raymond Devos, suggérer une réflexion, conscientiser le public revêt alors bien plus d’importance que de susciter le rire. Vous êtes en quelque sorte un philosophe de l’absurde… Quand j’écris, je n’imagine jamais l’effet que cela va produire. Comme Monsieur Jourdain, je fais de la philosophie sans le savoir. Je rédige avec sincérité : si ça plaît, tant mieux ; si ça ne plaît pas, tant pis ! Je ne fais pas de clientélisme politique. Mon absurde n’est jamais intentionnel, il est le fruit de mon imaginaire, mon empreinte, ma signature. Quand on m’interroge sur mon travail lors d’une interview, je me sens obligé de tenir un discours sur la manière dont j’ai traversé ma propre vie. Or, je déteste apparaître comme un donneur de leçon…
Parlons de votre première pièce de théâtre comme auteur, « Un léger doute » (au Cirque royal, le 17 décembre – nda). A quoi doit-on s’attendre ? A un voyage en Absurdie ? Le pitch est le suivant : que devient un comédien lorsqu’il n’y a plus de public pour faire vivre son personnage ? Il perd toute fonction, car l’autre conditionne notre propre existence. J’ai donc projeté cette réflexion sur la scène d’un théâtre. J’ai imaginé une pièce sans public qui commence par le salut final des comédiens. Je quitte donc la pièce (Stéphane joue également dans cette pièce qu’il a écrite – nda), mais les autres comédiens poursuivent la pièce. Ils vont s’accrocher à leur personnage, car sans public, ils n’existent plus. La pièce interroge donc la perception : qu’est-ce qui prouve que cette table ou cet homme existe ?
Stéphane philosophe, on y revient ! Dans l’absurdité revendiquée, il y a une part de philosophie, puisqu’on pense sa manière de vie. Ce n’est pas la philosophie des grands penseurs grecs certes, mais de la philosophie du quotidien, accessible à tous, pas uniquement réservée aux érudits.
Au quotidien, Stéphane fait-il rire ? Je suis très fidèle au De Groodt, personnalité publique. Avec des hauts et des bas, évidemment.
Pourquoi l’absurde nous déride-t-il ? Car il surprend.
Pour autant, Stéphane De Groodt n’est pas un humoriste… Je m’en défends, en effet. Je suis incapable de monter sur scène et de faire rire le public pendant deux heures.
Quelle est la touche belge de votre humour ? L’autodérision. Dans n’importe quelle situation, il faut savoir rire de soi. Mettre son amour propre entre parenthèses. Le Belge a ce talent.
Un esprit vif et loufoque comme le vôtre, a-t-il parfois peur de tenir un propos plat ? Evidemment. Dans certaines émissions TV, comme « Salut les terriens » de Thierry Ardisson où il faut être hyper réactif et envoyer des scuds fulgurants façon Baffie, je me suis longuement interrogé sur ce genre d’exercice. Etais-je bon ou pas ? Aujourd’hui, je m’en fiche. J’ai parti-cipé récemment à l’émission « Qui veut gagner des millions » avec François-Xavier Demaison (pour les 25 ans du jeu – nda). Il faut répondre vite et juste. J’ai pris le parti d’être détendu. Si je ne sais pas répondre à la question, est-ce grave, docteur ? Non.
Comment naissent vos aphorismes ? J’écris tout le temps, de jour comme de nuit. Parfois, je me fatigue moi-même. Les jeux de mots se bousculent dans ma tête, mon cerveau travaille tout le temps. Pour compenser cette jeunesse où j’étais fébrile ? Peut-être.
Pub, télé, radio, ciné, théâtre, bouquins, vitesse. Vous êtes un véritable … Oh non, ne me dites pas que je suis un touche-à-tout ! Je déteste cette expression, car elle sous-entend que j’ai abordé plein de secteurs d’une manière artificielle. Il n’en est rien. Je suis de nature à m’investir totalement dans ce que j’entreprends. Je ne suis pas un grignoteur de buffet mais un gourmand de la vie.
A l’instar de nombreux artistes belges, vous avez fait carrière en France … Oui, car en Belgique, on me reprochait d’être un touche-à-tout justement, d’écrire et d’interpréter des sketchs publicitaires, d’être devenu pilote automobile… Quand j’ai débarqué en France, il y a 12 ans, c’était sur le tard, j’avais déjà 45 ans au compteur. Personne ne me connaissait. Personne ne m’a catalogué.
Ce manque de reconnaissance belge vous touche-t-il ? Oui, car si je n’avais pas rencontré le succès en France, j’aurais pu penser que ce métier d’artiste n’était pas fait pour moi et changer de voie. Mais le décalage entre les projets français et les propositions belges, est interpellant ! En Belgique, je n’ai jamais été mis à l’honneur ; en France, j’ai reçu le Prix Raymond-Devos en 2014 et j’ai été nommé chevalier des Arts et des Lettres en 2015. J’aurais pourtant aimé tourner avec des réalisateurs belges…
Parlons séduction, avez-vous déjà usé voire abusé d’humour et de calembours pour plaire ? Oui, bien sûr. Faire rire, c’est chercher à être aimé de l’autre. Et comme j’ai beaucoup d’autodérision spontanée, je n’ai pas peur du ridicule. (rires). J’espère au moins que je suis touchant…
Hormis Nabila (dans le magazine Supplément, sur Canal+, un extrait désormais culte – nda), avez-vous déjà rencontré des gens qui vous disaient : « je ne comprends rien à ce que tu dis ! » Non, mais on me dit souvent : ça, c’est du De Groodt ! Je trouve cette remarque très flatteuse car elle signifie que j’ai réussi à imprimer un style, à imposer ma signature.
Quel est votre jeu de mots préféré ? « Aller au bout de soi-même et se rendre compte qu’il n’y a personne ».
Un projet réjouissant en vue ? Dès janvier 2025, je reprends le rôle de Pierre Arditi dans la pièce de théâtre « La Vérité » de Florian Zeller, l’histoire d’un menteur à qui tout le monde ment. Un texte jubilatoire où j’aurai la chance d’avoir Sylvie Testud et Clotilde Courau comme partenaires. 2025 sera également l’année de la sortie de mon autobiographie.
Un léger doute, le 17 décembre 2024, au Cirque royal à Bruxelles.
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