Sophie Wouters
Vibre à l’instinct
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Johanna de Tessières
Après Célestine, un premier ouvrage bouleversant sur fond de dramatique affaire judiciaire, Sophie Wouters dresse le portrait croisé de deux familles antinomiques mais au destin partagé, de même que celui de toute une époque.
Pendant plus de vingt ans, vous avez raconté l’humain via l’art et la peinture. Ce travail d’écriture, entrepris avec Célestine en est-il le prolongement ? Ou un nouveau chapitre ? Mes peintures et collages ont en effet longtemps abordé l’individu et l’intemporalité des sentiments. Je m’y livrais également beaucoup. Mais juste avant de débuter l’écriture, je suis passée durant une année, par une phase d’abstraction. Je pense que j’avais besoin de me libérer de ces influences pour entamer un vrai recommencement. J’avais été au bout d’un processus et je ressentais le désir de m’exprimer autrement. La toile laisse une vaste place à l’interprétation, là où l’écriture est intrépide, audacieuse tant elle nous révèle. Même si un jour, un scénariste m’a affirmé que chacun de mes tableaux pourrait être une couverture de roman. Et aujourd’hui sa réflexion prend tout son sens.
Après avoir établi votre premier ouvrage dans un village de la France profonde, Esprits de Famille raconte l’arrivée dans la grisaille belge d’une famille exilée de Sicile et le réapprentissage du quotidien. Entretenez-vous un lien affectif avec l’île méditérannéenne ? Je n’ai en réalité jamais été en Sicile, mais elle m’est venue naturellement. Viscéralement. L’écriture passe pour moi par un processus très mystérieux. Des idées de romans, j’en ai eu des dizaines. Quand certains comptent les moutons pour s’endormir, je commence des histoires, tout en sachant que je ne passerai pas à l’acte et que je ne les écrirai sans doute jamais. Et puis il y a celles qui s’imposent à moi et que je ne m’explique pas. Un matin, je me suis assise devant mon ordinateur et j’ai formé sur mon clavier les mots “Antonia est morte! Antonia est morte!”, les premières phrases de ce qui est devenu Esprits de famille. Et rapidement tout m’a mené du début à la chute. Il en avait été de même pour Célestine. Je ne suis pas mystique, mais je me suis sentie guidée, instinctivement. Quant à la Sicile, elle m’évoquait la convivialité, les liens familiaux fusionnels et chaleureux, propres à mes personnages.
La famille y est en effet au coeur de l’intrigue. Ce socle qui nous construit ou au contraire nous brise. C’est le principe d’Anna Karénine. “Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon.” J’adore cette phrase. Elle raconte ce sujet si universel. Et ce livre en évoque les deux pendants. La tendresse qui guérit le déracinement et la jalousie qui consume et submerge le rapport aux autres, y compris à ses proches.
Les années 60-70 sont un lieu commun à vos deux ouvrages. Pourquoi avoir choisi de situer vos histoires à cette époque ? C’est une période que j’adore et que je trouve incroyablement photogénique. Et puis c’est celle de mon enfance. Je suis née dans un univers très machiste. Pour l’un comme pour l’autre, c’était dès lors la possibilité d’évoquer une époque où les droits des femmes étaient quasi inexistants, ce qui a façonné le destin de mes héroïnes. C’était aussi une évidence pour aborder l’immigration italienne en Belgique. Mais sans pour autant m’enfermer dans un carcan temporel. C’est pourquoi Esprits de famille se déroule entre 1969 et 1993.
Célestine a été largement encensé par la critique et complimenté, notamment par Amélie Nothomb qui affirmait vous devoir une nuit blanche, tant elle avait été bouleversée par votre texte. Si c’était une très belle consécration, a-t-elle compliqué l’écriture d’un second livre ? J’ai eu la chance d’entamer et de travailler à ce nouveau livre en parallèle à la promotion de Célestine. J’étais donc dans l’euphorie du moment, si heureuse qu’il trouve un écho auprès de la presse et des lecteurs. Cela m’a, d’une certaine façon, protégée de la peur. Alors que sort Esprits de famille, je ne sais s’il y aura un troisième, un quatrième ou un dixième roman sur ma route. Et cela me va, car c’est une part de l’authenticité de ma démarche. Je refuse toute forme de pression créative, tout comme il n’est pas question de me restreindre à une case. Je n’écrirai pas sur commande. Au-delà de l’écriture et des mots, mon adrénaline, c’est avant tout la création. Un besoin vital.
Esprits de famille de Sophie Wouters, éditions Hervé Chopin
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