Sophie Cauvin
Entre terre et mère
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Mireille Roobaert
Elle a choisi la terre pour transmettre un message universel, rendant hommage à la beauté de la nature, sa force et sa violence. Un message universel qui n’a pas d’âge et se défie des mouvements artistiques.
Pourquoi avoir opté pour ce médium, la terre ?
Il y a 30 ans, lors d’un voyage en Egypte, j’ai rapporté comme un trésor, ma première terre chargée d’histoire et de symbolique. J’ai compris à partir de ce moment que c’était le médium ultime de ma quête. Ensuite, au fil du temps, j’en ai ramené de presque tous les continents. A travers mes œuvres, c’est l’histoire de l’homme, sa genèse que je raconte. Ces terres représentent une valeur symbolique très forte, l’universalité originelle et fragmentée, au fil des siècles, avec la création du langage et le développement de l’individualité. Aujourd’hui, en les mélangeant sur une toile, je reviens à l’homme, à sa source.
Comment votre travail a-t-il évolué ?
Mes premiers châssis 3D témoignent de mon désir d’occuper l’espace. Toiles et sculptures, toutes mes œuvres convergent vers la même volonté. J’ai commencé à explorer la spatialité, la lévitation, la déstructuration avec des projections de formes géométriques, des figures en acier soudé qui sortent du cadre, afin d’apporter une dimension, donner plus de profondeur à l’œuvre et aller dans l’espace infini du mur blanc. Je les ai associées à des surfaces et aplats travaillés par strates, pour composer des paysages entre ciel et terre. Cette terre est le fondement de mon travail et accompagne depuis longtemps mon cheminement. Aujourd’hui, avec la céramique – terre transformée par le feu – je crée des vases et des réceptacles explorant la notion de vide et de plein. Mais surtout, j’évolue vers des pièces plus monumentales, avec des éléments magmatiques et volcaniques. J’intègre aussi des éléments en terre cuite, dans mes tableaux, pour leur donner plus de force. La terre dans tous ses états… magique et alchimique. J’associe également des minéraux, des pierres qui possèdent un grand pouvoir énergétique et donnent un éclat particulier aux oeuvres. Ces trésors et bijoux, offerts par la planète, me fascinent.
Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste ?
Depuis longtemps, en tant qu’artiste, je m’interroge sur les mêmes sujets intemporels et je me confronte aux questions fondamentales de notre passage sur cette terre. Je suis passionnée par la philosophie, la science, la mathématique, la spiritualité, la cosmologie. Mon travail met en lumière toutes ces interrogations, hors du temps, sans âge, avec des éléments naturels, à la recherche d’un équilibre entre esprit et matière. Je transforme, grâce à l’érosion du sable, par le biais de l’eau ou du feu, la materia prima. J’essaie de retranscrire la force des éléments, du torrent au volcan, du céleste et de l’astral. C’est l’écriture de la nature et non la mienne. La nature est mon maître et mon modèle. Humblement, je façonne la terre à ma manière et essaye de lui donner une deuxième vie, celle de ma lumière intérieure.
Alors, comment marquer son temps ?
J’ai connu trois chocs artistiques qui m’ont fait réfléchir sur l’ultime message… Le premier en visitant une exposition aux Pays-Bas et en rencontrant le regard saisissant d’un bourgeois peint par Rembrandt, fort de l’énergie intacte de l’âme ; le second en observant un gisant de Camille Claudel, ou la chair c’est transformée en émotion pure et le troisième en découvrant, dans une alcôve du British Museum, une sanguine de « La Vierge à l’Enfant » de Léonard de Vinci, ou l’Amour et la compassion sont au-delà des traits. Au-delà de la vie et de l’énergie qui jaillissaient du coup de pinceau, d’un burin, j’ai compris que l’art avait alors atteint la dimension du « Sacré ». Une dimension qui relie tous les hommes sans devoir communiquer une intention car cette dimension suprême est intemporelle, sans langage, et touche notre universalité, notre âme et notre cœur.
Essayez-vous de donner une identité à vos œuvres ?
J’ai récemment mis en œuvre une série de plaques en terre glaise sur lesquelles je travaille le souffle de la force, avec mes mains et mes pieds, pour retrouver une gestuelle primitive et imprimer à la terre un impact et les traces de mouvement. Je me sers de ma pratique des arts martiaux pour communiquer une énergie brute et intacte. C’est la première fois que la main de l’homme apparaît dans mon œuvre. Avec la terre, l’infini s’ouvre à moi. Dans mes projets, l’envie aussi de donner un nouvel élan aux arts de la table avec des pièces de vaisselle hors normes, brisant les codes, conçues en collaboration avec des chefs qui les choisissent comme écrins pour présenter leurs créations, lors de dîners privés et d’exception. Dans ce travail, toujours en communion avec la terre que je déchire et j’arrache pour créer des formes innovantes, cuites au four jusqu’à obtenir des couleurs de lave et de charbon, je retrouve aussi l’essence des matières qui ont traversé le temps.
Sophie Cauvin exposera à partir du 15 septembre à la Macadam Gallery, à Bruxelles, puis organisera un show collectif inédit dans son atelier et galerie, en octobre 2021. Enfin en novembre 2021, son travail sera aussi présenté à la Galerie Sophie Scheidecker de Paris
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