Sophie Breyer
« Les prix remis au cours des festivals ne racontent pas la réalité du métier d’actrice »
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : ANTHONY DEHEZ
Elle joue dans les séries belges à succès, « La Trève » et « Baraki ». Crève l’écran dans « La Ruche » où son intense interprétation lui vaut d’être récompensée aux festivals de Mons et de Rome, et aux Magritte en tant que « Meilleur espoir féminin ». Sophie Breyer, Liégeoise d’origine et de cœur, est l’étoile montante du cinéma belge. Le ressent-elle comme une pression ? On lui a posé la question.
C’est par la porte du court-métrage que vous entrez dans le grand monde du cinéma. Vous enchaînez ensuite avec les séries à succès : « La Trêve » (drame policier »), Laëtitia (mini-série dramatique) et « Baraki » (comédie loufoque). Dans quel registre vous sentez-vous le mieux ? Je prends du plaisir à jouer les drames comme les comédies. Les meilleurs films sont probablement les drames qui arrachent un sourire et les comédies qui font pleurer. Pour peu évidemment que les franches comédies se dégagent des stéréotypes et véhiculent un propos neuf…
Quel type de rôle pour vous séduire ? Un personnage complexe avec ses failles et ses contradictions, autant de facettes intéressantes à travailler au jeu. L’autre critère : le défi, la nouveauté. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté « Baraki », ma première comédie.
« La ruche », huis clos dans l’intimité d’une fratrie et d’une mère bipolaire, est un moment clé dans votre jeune carrière. Votre interprétation intériorisée vous vaut plusieurs récompenses, notamment aux Magritte. Ce Prix du meilleur espoir féminin vous met-il la pression ? Absolument pas. Car il y a un monde entre ce genre de cérémonie, ces prix et le quotidien d’une actrice. Un gap qui ne rend pas compte de l’attente, des désillusions, des moments de creux, de vide. Le public aime bien ces récompenses, car il imagine pour la lauréate un tracé de vie linéaire, et ce n’est absolument pas le cas.
On imagine volontiers qu’après ce Magritte, vous auriez croulé sous les scénarios… Et ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, j’ai un champ libre devant moi. Ce prix d’interprétation n’a eu aucun impact sur ma vie professionnelle. La charge symbolique des Magritte n’est pas celle des César ! Je comprends néanmoins l’importance de cette symbolique des prix, quand elle s’accompagne d’actes. Ainsi les films lauréats qui ressortent en salle après la cérémonie : leur accorder une nouvelle visibilité est évidemment louable. Jouer, c’est un formidable métier : j’aime me mettre au service d’un projet, me laisser guider, mais cela m’oblige à dépendre du désir des autres. Or, je suis une personne qui a l’esprit d’initiative, j’ai besoin de me nourrir d’autre chose.
Dites-nous tout… Un défi d’écriture me titille. Voire de réalisation. J’aime cette idée d’avoir la maîtrise d’un projet.
« La ruche » est un film de comédiennes. Est-ce ce cinéma d’auteur aux scénarios non formatés, que vous avez à cœur de défendre ? Oui. Sans hésitation. Le tournage de « La Ruche » a été exceptionnel. Tout un dispositif a été pensé en amont du tournage, pour que le jeu des comédiennes soit au centre du film. Avoir autant de liberté, un terrain de jeu sans limite, était inespéré.
Quel regard portez-vous sur le cinéma belge ? C’est un cinéma riche car extrêmement varié. On ne peut plus le résumer au réalisme poétique, à l’ultra-réalisme ou aux films sociaux, car il est moins typé qu’avant. De jeunes réalisateurs sont venus l’enrichir avec d’autres thèmes, d’autres codes, d’autres genres comme le thriller.
Avez-vous vu Barbie ? (Rire). Oui, et je n’ai pas boudé mon plaisir. Cependant, c’est seulement un divertissement destiné au grand public, il ne faut pas compter sur moi pour l’intellectualiser et y voir une charge politique contre le patriarcat. Barbie est un film Mattel créé pour faire vendre d’autres produits, ne l’oublions pas.
Quelle actrice vous touche particulièrement ? Plus que les actrices, ce sont les personnages et les parcours qui retiennent mon attention. Ainsi Adèle Haenel que j’apprécie particulièrement pour l’étendue de son registre, pour son talent et son militantisme.
Un militantisme que vous partagez ? Quand Adèle Haenel décide de politiser son arrêt du cinéma pour notamment dénoncer un Festival de Cannes écoci-daire et un milieu gangréné par les agresseurs sexuels, elle n’est clairement pas à côté de la plaque ! Heureusement, les mentalités évoluent. Aujourd’hui, on réfléchit à moins impacter la nature lors de scènes en extérieur, on prévoit la présence de référents harcèlement sexuel sur les tournages, on fait également de la prévention en présentant des chartes qui condamnent les comportements homophobes, grossophobes, racistes, etc. Je suis particulièrement sensible à cette évolution, pour que chacun se sente bien sur un plateau de tournage.
Quelle est votre actu ? Et vos projets pour 2024 ? Je viens d’achever le tournage de « Discordia » du réalisateur belge Mathieu Reynaert. La saison 2 de « Baraki » débarque à la rentrée sur Tipik et Auvio. La saison 1 est toujours disponible sur Auvio. Côté projet : j’ai coréalisé avec Flore Mercier et Angèle Bardoux , un docu-fiction de 30 minutes, réalisé dans le cadre d’un atelier avec l’association « Vie féminine » et des mères qui ont perdu la garde de leurs enfants. Il faut désormais en assurer la diffusion pour porter la voix de ces mamans. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur.
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