NOÉ PRESZOW
« Je partage cette pensée du philosophe Benjamin Fondane : la poésie cherche des amis, non du public »
Mots : Servane Calmant
Photos : Victor Pattyn
Après « À nous », soldé par une nomination aux Victoires de la Musique, le Bruxellois Noé Preszow, 29 ans, nous revient avec [prèchof ], treize titres de chanson française batailleuse à l’énergie sincère. Rencontre.
Votre premier album, « À nous » vous a amené loin en termes de recon- naissance, notamment aux Victoires de la Musique. Un deuxième album, est-ce plus facile ou au contraire, plus stressant, plus pressant, qu’un premier ? Chaque chanson, c’est une première fois. Depuis que j’ai 13 ans, je ressens cette même urgence d’écrire, de composer. Le plus compliqué reste d’agencer les titres car j’ai toujours trop de matière ! Alors, à la manière d’un cinéaste, j’écoute les rushes avant de procéder au montage. Choisir telle chanson plutôt qu’une autre, alterner les rythmes, rapides, lents, sélectionner un titre guitare voix, et donner un sens à cet assemblage. Ce bout à bout est une phase que j’apprécie particulièrement.
À quel rythme écrivez-vous ? Je ne termine pas une chanson chaque jour mais je suis traversé au quotidien par des idées qui, à terme, peuvent déboucher sur des textes. Tous les jours également, j’allume mon micro, je prends ma guitare, je fais des démos, une maquette en amène une autre… Si j’ai un bout de texte, je le mets immédiatement en musique, puis d’autres mots et d’autres rythmes se font échos, avec toujours pour objectif d’enregistrer rapidement une nouvelle chanson.
En studio, vous avez retrouvé Romain Descampe et Ziggy Franzen, de Puggy. On ne change pas une équipe qui gagne. Exactement. J’ai également travaillé avec Ambroise Willaume qu’on connaît également sous le nom de Sage, et qui a notamment écrit pour Clara Luciani. Nous avons composé ensemble plusieurs chansons de ce nouvel album. Ensuite, je suis « retourné à la maison », comme dit Romain Descampe, dans le studio de Puggy, pour profiter de leurs propositions harmoniques. Je leur ai demandé de jouer comme s’ils avaient toujours 17 ans dans leur chambre d’ado. Et j’ai ressenti de manière très intense leur créativité. Romain et Ziggy sont d’une rare générosité dans le travail.
Lors de notre première rencontre, vous aviez insisté sur l’importance pour vous de marier les mots et les sons et vous aviez fait la moue quand je vous cataloguais de chanteur à texte. Mais, Noé, si je vous qualifie de chanteur engagé, vous n’allez quand même pas me contredire ! (Rire). Je suis d’accord ! Bob Dylan, Léonard Cohen, Hubert-Félix Thiéfaine, Brigitte Fontaine, Patti Smith, tous les artistes que j’affectionne questionnent le monde comme je le fais. Par chance, la musique n’est pas un discours plombant, c’est de l’énergie, de l’émotion, de la matière, des prises de positions donc de risques. C’est aussi et surtout une intention.
Votre public connaît-il les paroles de vos chansons ? Oui, j’ai la chance d’avoir un public qui partage mes valeurs. Le poète Benjamin Fondane a écrit : « La poésie cherche des amis, non du public ». Ces amis-là viennent à mes concerts. C’est très émouvant. En live, quand je joue « Le monde à l’envers » qui dénonce les violences policières, le public partage ma rage contenue, je le sens, je sens leur « fièvre vissée au poing » et leur besoin de « gueuler debout pour qu’enfin se retourne ce monde à l’envers ».
En tant qu’artiste engagé, êtes-vous le sujet de critiques sur les réseaux ? Jusqu’à présent non, et je ne suis pas pressé que cela change ! A l’évidence, je n’inspire pas la haine. Sur mon nouvel album, le titre « Juste devant » condamne la montée de l’extrême droite sans ambiguïté aucune. Pour autant, je refuse de stigmatiser les gens qui votent extrême droite. Je préfère leur dire que j’ai entendu leur détresse mais que voter extrême droite n’est pas la solution. Je n’ai absolument pas peur de la confrontation.
Qui est la Charlotte à laquelle vous dédiez une chanson ? Je chante ce titre sur scène depuis la première tournée, avant même que sorte ce nouvel album. Très rapidement, le public s’est identi- fié au personnage de Charlotte. Est-ce pour autant une histoire d’amour ? Pas dans ma tête. Mais libre à chacun de percevoir cette chanson comme il l’entend. Pour ma part, Charlotte fait référence à tous ces gens qui partagent un moment de notre vie, durant l’ado- lescence notamment, et que l’on perd ensuite de vue.
Ce nouvel album porte votre nom, [prèchof ] en phonétique. Un nom de famille pour témoigner de vos origines diverses (moldave, grecque, polonaise) et vous affirmer ? Oui. Lors du premier album, j’étais un peu timide par rapport à mes origines. Je ne souhaitais pas forcément en parler. Aujourd’hui, je veux témoigner des traumas que le déracinement engendre et dénoncer la haine de l’autre, en toute lucidité, sans aspect moralisateur pour autant.
Que représente la musique pour vous ? J’ai besoin de musique pour continuer à avancer, à créer, à exprimer mes révoltes et mes espoirs. Pour rien lâcher. C’est vital.
En live, notamment : Cigale à Paris, Cirque Royal à Bruxelles, Francofolies de Spa, Les Solidarités à Namur.
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