Lukas Dhont
« Je parle de l’intime pour toucher à l’universel »
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Après le bouleversant « Girl », notre compatriote Lukas Dhont explore une forte amitié entre deux préados du même sexe dans « Close », grand prix du Festival de Cannes 2022. Le réalisateur trentenaire y charrie des thèmes comme l’intimité en amitié, la trahison, la culpabilité, la responsabilité, avec une sensibilité et une humanité remarquables. Rencontre.
« Girl », votre premier film, parlait de la difficulté d’être transgenre dans une société qui aime les cases. Avec « Close », vous racontez également cette difficulté d’être soi-même. Vos films fonctionnent-ils comme une thérapie personnelle ? (Rire. Il marque un temps avant de me répondre). Le film « Titanic » a beaucoup ému ma maman et, depuis tout jeune, je sais que je veux faire du cinéma pour toucher les gens de la même manière. Ado, j’étais un solitaire en conflit avec le regard que les autres posaient sur moi. J’ai grandi en tant que garçon gay, en vivant difficilement l’intimité en amitié. Quand j’ai commencé mes études de cinéma, j’ai compris que pour rencontrer le public, je ne ferais pas du cinéma à grand spectacle, mais je mettrais en scène ce qui me touche. Je puise dans l’intime, oui, mais pour toucher à l’universel.
Vos films reçoivent un magnifique accueil public et voyagent partout dans le monde, des César aux Oscars. Pensez-vous que le regard de la société sur la question gay notamment est clairement en passe de changer … Certes, mais il y a quand même peu de films sur l’intimité des ados de même sexe. Quant au succès rencontré par mes films, il tient à l’universalité des thèmes. « Girl », film sur la transidentité se veut aussi et surtout, une réflexion sur la relation que nous avons avec notre corps. De même « Close » est avant tout une histoire d’amitié, d’intimité, de trahison, de responsabilité. Tout le monde se retrouve dans cette histoire : qui n’a pas perdu un ami ? Peu importe les raisons. On change, on évolue et on laisse parfois derrière nous des amitiés très fortes. Ce fut mon cas.
Le livre de la psychologue Niobe Way, « Deep Secrets » vous a beaucoup inspiré. Que raconte-t-il ? C’est un livre très intéressant. Niobe Way suit 150 garçons entre 13 et 18 ans. 13 ans, c’est l’âge de Léo et Remi dans « Close ». Elle remarque qu’à cet âge-là, les garçons parlent de leurs amis avec beaucoup d’émotions et d’intimité. Mais entre 15-18 ans, les garçons sont devenus ados, et ils ont beaucoup de mal à évoquer l’intimité avec leurs amis masculins…
La préadolescence, est-ce à ce moment précis que se joue la relation au monde ? La préadolescence est un moment très particulier et fragile. Les enfants sont en relation avec leur monde intérieur, où l’innocence et l’imagination ont la part belle, mais dès 13 ans, ils entrent dans une période, la préadolescence, où ils découvrent le monde extérieur, les normes, cases, attentes. Le préado est vite confronté à l’idée qu’un homme n’exprime pas ses sentiments comme une femme, qu’il se doit d’être fort et protecteur, bref tous les clichés liés au patriarcat. Le langage émotionnel avec les amis du même sexe tend peu à peu à s’estomper.
Léo a peur de la façon dont les autres pourraient envisager son amitié très forte avec Rémi et il va modifier son comportement. Il choisit notamment de faire du hockey sur glace. Ce sport n’est pas anodin, c’est le dernier bastion de la masculinité, un sport à la dure … Oui, le hockey sur glace est un monde très viril, mais ce qui m’intéressait surtout c’est le costume. Car il ne monte aucun détail du corps. Au contraire, il enferme, emprisonne la fragilité de Léo ; puis, sa culpabilité. Ce costume dans un contexte dramaturgique connote beaucoup de choses.
Si vous n’aviez pas été réalisateur, vous auriez, dites-vous, été danseur. Un rêve que vous abandonnez à 13 ans car vous aviez peur d’être jugé. Aujourd’hui, regrettez-vous ce choix ? Non. Car le corps, le mouvement, la danse sont des éléments centraux de mon travail. On m’a souvent dit que j’écrivais comme un chorégraphe. C’est vrai. Ainsi dans « Close », ce corps-à-corps physique entre les deux ados …
J’ai vu vos deux films. S’il y a un trait commun qui les unit, c’est la sensibilité du regard… Oh merci, c’est très gentil. Je cherche toujours à saisir la sensibilité, la tendresse et les fragilités des personnages que je mets en scène. Cependant, je ne fais jamais l’impasse sur la brutalité ou la violence, mais je refuse de les montrer de manière frontale. C’est un choix assumé.
« Close » dans nos salles dès le 2 novembre 2022
Léo et Rémi, 13 ans, sont amis, intimes, ils se confient tout. Leur relation résistera-t-elle aux regards des autres ? « Close » est un film sur l’amitié et la responsabilité avec, dans les rôles principaux, deux jeunes révélations belges, Eden Dambrine et Gustav De Waele, ainsi que l’actrice belge Émilie Dequenne. Grand prix du Festival de Cannes.
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