MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : NIHANT
Ingénieur de formation, Benoît Nihant est devenu chocolatier et cacaofèvier. Chocolatier haute couture par gourmandise et passion ; cacaofèvier par ténacité et refus d’une standardisation des goûts. Le Liégeois peut se targuer de contrôler toute la chaîne de fabrication du chocolat, de la plantation du cacaoyer, à la récolte des fèves de cacao, jusqu’à la production des tablettes de domaine. Entrevue avec un artisan qui place les rencontres humaines, au cœur d’un métier façonné par l’amour du produit bien fait…
Dans nos sociétés capitalistes, le capital échappe aux hommes dont le travail produit des richesses car il revient aux hommes qui détiennent le pouvoir. Il y a pourtant moyen, en ce bas monde, de faire du commerce autrement… C’est cette volonté de recourir à un système de valeur plus juste, qui a poussé Benoît Nihant à parcourir le monde, à la recherche des meilleures plantations de cacao, dans le respect des planteurs et de leur environnement. « La majorité des chocolatiers (industriels ou artisans, ndlr) ont comme matière première un chocolat de couverture, qu’ils vont refondre ! Moi, je mets un point d’honneur à maîtriser chaque étape de la chaîne de fabrication du chocolat, ce qui inclut l’achat de fèves de cacao auprès de petits planteurs – d’où le néologisme cacaofèvier pour exprimer l’idée d’un chocolat fabriqué à partir de la fève de cacao… »
Les 95% de la production mondiale de cacao sont achetés par quatre, cinq, géants de l’agro-alimentaire dont Barry Callebaut, le n°1, Cargill, Olam,… Le cacao de ces mastodontes se retrouve dans presque toutes les tablettes de chocolat du monde ! « Oui ! Et le prix des fèves de cacao est dicté par la bourse ! Les multinationales sont beaucoup plus intéressées à assurer leur approvisionnement en cacao qu’à améliorer les conditions sociales des pays fournisseurs. La plupart des planteurs vivent d’ailleurs sous le seuil de pauvreté ! Par ailleurs, pour répondre à la demande croissante de chocolat, l’homme a créé le cacao CCN51, une variété super productive mais absolument pas qualitative, que les multinationales valorisent évidemment à un prix très bas ! Que reste-t-il dès lors aux planteurs ? Le planteur connaît rarement le chocolat comme produit fini, il ignore donc qu’on peut apporter des nuances aromatiques au chocolat. Ça fait partie de mon travail de lui expliquer qu’il peut valoriser son terroir autrement, et obtenir un rendement à l’hectare intéressant avec des variétés d’arbres plus rares et dédiées au goût ! »
Comment rentre-t-on en contact avec des planteurs qui ne sont pas sous la coupe des géants du cacao ? «J’ai beaucoup voyagé, parfois à l’initiative d’un Ministère de l’agriculture d’un pays du bout du monde, le plus souvent sans résultat probant. Jusqu’au jour où… Le gouvernement péruvien m’a invité avec d’autres chocolatiers internationaux, à visiter une région qui avait été sous le joug des trafiquants de drogue et de bois – on était escortés par les militaires et une équipe médicale ! Le Pérou y aidait les paysans locaux à remplacer leur culture de coca par celle du cacao. L’année suivante, j’ai développé un projet en collaboration avec Forest Finance, une entreprise sociale de reforestation, active dans la province de San Martin au Pérou, et j’y ai aménagé ma propre plantation, Luis de Sisa, clin d’œil à mon fils Louis… Des installations de séchage et de fermentation ont ensuite été construites. On a également planté des bananiers pour donner de l’ombre aux jeunes cacaoyers – la vente des premières bananes sur le marché local permettant de subvenir à une partie des besoins des planteurs… Je ne conçois pas de faire du commerce sur le dos des locaux : pour produire de la qualité, ils doivent être payés au juste prix pour continuer à exploiter de vieux arbres au rendement certes plus faible, mais plus qualitatif que le CCN51 ! »
Vous n’avez pas toujours été chocolatier… « Non ! J’ai plaqué ma vie de bureau qui manquait de créativité à l’aube de mes 30 ans, et j’ai tout recommencé à zéro. J’ai travaillé comme ouvrier chez Wittamer à Bruxelles et, en parallèle, entamé une formation en chocolaterie. J’y ai appris comment travailler le chocolat car travailler la fève, ne s’apprend pas à l’école ! »
C’est quoi un bon chocolat ? « Ce qui détermine la qualité d’un chocolat, c’est la sélection des fèves en fonction d’un même terroir, d’un même cépage, d’une même plantation – là où elles auront subi une fermentation et un séchage uniformes. Quand tous ces critères sont réunis, on peut espérer produire un vrai chocolat de terroir aux nuances aromatiques intéressantes. A contrario, un cacao industriel du Pérou proviendra d’un assemblage de fèves du Pérou certes, mais d’une centaine de plantations différentes. Avec, à la clé, un chocolat standardisé. »
Votre volonté de vous différentier des autres chocolatiers s’exprime également dans vos ateliers à Awans… Oui ! Les fèves sont torréfiées dans nos ateliers à Awans sur de vieilles machines ! Quand je me suis lancé il y a 12 ans, il n’existait pas de machines pour fabriquer du chocolat à l’échelle artisanale ! On a donc déniché un torréfacteur des années 50, pour une torréfaction à basse température afin de préserver le caractère unique des fèves, et un authentique broyeur à cacao du 19e siècle, qui va broyer les fèves à l’ancienne, avec lenteur, pour les transformer en masse de cacao. Ces machines exigent du temps mais elles n’altèrent pas la fève. C’est également là, notre marque de fabrique ! »
Pourquoi on aime les chocolats et les ganaches de Benoît Nihant ?
Parce que ses chocolats sont plus concentrés en goûts, en notes aromatiques ; et ses ganaches, réalisées à partir de vraies matières premières. Chez Benoît, une crème ganache à la menthe est préparée à base de feuilles de menthe fraîches, pas avec de l’arôme de menthe, fut-il naturel !
Parce que Benoît Nihant ne marche pas au buzz. L’association chocolat huître, par exemple, ce n’est pas sa tasse de cacao !
Parce que ses tablettes de chocolat se déclinent en autant de crus, comme pour les grands vins, en fonction des plantations, des domaines.
Parce que pour fêter les 10 ans de sa chocolaterie, il nous a fait découvrir un chocolat fabriqué à partir de la fève Catongo, une variété rare de cacao qui donne un incroyable chocolat noir relativement clair, aux belles notes de fruits rouges.
BENOÎT NIHANT, ATELIER À AWANS
Magasins à Awans, Liège, Bruxelles, au Japon aussi, et chez Rob.
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