Jérôme Stefanski
Portrait d’un innovateur libre
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
De la confiserie au tourisme, de la presse à la bière… à 38 ans, impossible de cantonner Jérôme Stefanski a une identité professionnelle, un profil entrepreneurial. Touche-à-tout inventif, créateur inspiré, il a fait de la passion sa marque de fabrique et d’excellence.
Mais Jérôme Stefanski est avant tout un conteur, guidé par sa passion des projets qui racontent, des entreprises qui développent une âme en parallèle au marketing et qui parlent au plus grand nombre, comme elles ont d’abord fait écho en lui. Mode, presse, artisanat culinaire, voyage… ses créations sont aussi multiples qu’éclectiques, mais avec pour lieu commun l’amour du beau, de la qualité et du savoir-faire.
Une carrière sur mesure
Son parcours d’entrepreneur débute à 21 ans, au sortir d’études en marketing et communication. De ses parents enseignants, il a acquis un sens des responsabilités et des réalités du monde du travail, qui l’amène à postuler pour trouver ce que l’on considère communément comme « un bon job », stable, confortable. Mais après avoir essuyé des refus pour des postes qui ne le faisaient pas vibrer, Jérôme Stefanski décide de se créer son emploi de rêve, sur mesure. Avec une expérience de plusieurs mois au sein d’un magazine estudiantin et quelques économies acquises en travaillant durant son cursus universitaire, il lance alors son propre média, Together Magazine, à destination des fonctionnaires européens présents à Bruxelles. « Je ne venais pas d’une famille d’entrepreneurs, mais mes parents m’avaient enseigné le sens de la débrouille. La presse me plaisait énormément ainsi que le concept de gestion d’un magazine. En 2006, il n’y avait pas les réseaux sociaux, l’accessibilité du web. Cela représentait énormément de boulot et des investissements conséquents, mais je n’avais pas grand-chose à perdre. ». Seul à réaliser la publication, il croise alors le chemin d’une agence publicitaire, comptant parmi ses clients la maison Scabal, enseigne belge de tissus et costumes haut de gamme. Celle-ci lui propose une collaboration autour d’un magazine de mode dédié aux clients de la marque et distribué à 60.000 exemplaires dans leurs boutiques. Un tournant dans sa carrière. « J’avais trois mois d’expérience, mais j’ai relevé le défi et par la même occasion sympathisé avec Scabal. Et lorsque l’agence publicitaire en question a fermé en 2008, la marque m’a proposé un poste presse et marketing. Cela m’a appris énormément sur le luxe artisanal et le métier de tailleur à l’ancienne et m’a permis de voyager de Pékin à Paris. Ne pouvant pas tout cumuler, j’ai choisi de revendre mon magazine. »
La haute couture du bonbon
Jérôme Stefanski passe cinq ans chez Scabal mais demeure toujours aussi passionné par la presse et les magazines, qu’il feuillète quotidiennement pour y puiser l’inspiration. Et c’est au détour d’un reportage qu’il découvre la fabrication des cuberdons, dont le savoir-faire artisanal n’est alors plus l’apanage que deux personnes au monde. Fasciné, il conçoit les prémisses de ce qui deviendra les Cuberdons Léopold, confiserie parmi les plus luxueuses et florissantes de notre pays. « Il faut sept jours pour fabriquer un cuberdon à l’ancienne. Le parallèle avec la mode s’est directement imposé à moi, comme un pendant de haute couture du bonbon. J’ai donc commencé à me renseigner sur l’histoire du cuberdon, puis j’ai rencontré des confiseurs, en vue d’en fabriquer une version raffinée. Durant mes jours de congé, j’ai conçu le storytelling, créé le packaging et commandé mille boîtes, dans lesquelles j’ai placé moi-même 21 cuberdons, en hommage à la fête nationale. Je me disais que si je me plantais, j’aurais au moins tenté l’expérience. Je les ai distribués en épicerie fine, boutique de luxe et galerie d’art et l’engouement a été total. Le stock s’est écoulé en trois semaines et il y avait des listes d’attente. C’était de la folie. Mon épouse qui travaillait dans les médias a alors quitté son emploi pour me rejoindre dans l’aventure, tandis que j’arrêtais Scabal. Et ce sont des milliers de cuberdons que nous avons vendus en deux ans. »
Le succès est foudroyant, mais le quotidien mêlant intrinsèquement vie de couple et business est compliqué. « On mangeait, on vivait cuberdons. C’était trop. J’ai compris que je rencontrerais beaucoup de succès, mais perdrais du même coup la femme de ma vie. J’ai préféré revendre l’entreprise. Beaucoup de gens m’ont demandé si j’avais eu des regrets, face aux potentiels accomplissements à venir. Mais je me refuse à être trop calculateur et préfère faire confiance à mon intuition. » Et de fait, Jérôme Stefanski se distingue dans l’univers entrepreneurial par un formidable mélange de vision terre à terre, ancrée pleinement dans le concret et de capacité à rebondir. A percevoir les obstacles non comme des barrières mais comme des perspectives d’avenir et de renouveau. « Je connais nombre de gens qui rêvent d’entreprendre et ont de formidables idées mais qui n’osent pas. On peut toujours se trouver des raisons de ne pas tenter. D’autant qu’on a inculqué à nombre d’entre nous depuis l’enfance, que la vie c’est travailler 8 heures par jour, souffrir au boulot, gravir les échelons, mais quel est le sens de tout cela ? Pour moi, tout n’est qu’occasion d’acquérir non pas l’argent et la reconnaissance, mais la liberté. La chance de me lever chaque matin pour faire ce que j’aime. A mes yeux, cela vaut tous les sacrifices et tous les risques.».
Après avoir revendu, le couple prend le temps de se retrouver et de voyager. De faire un bébé aussi, Achille, né il y presque a sept ans. « A cette époque, je souhaitais retravailler mais sans savoir dans quoi. Une célèbre brasserie ancrée dans le Brabant Wallon m’a proposé un poste de directeur marketing. J’étais séduit par la possibilité de réinventer l’histoire de certaines des bières de l’enseigne, mais je me suis retrouvé dans un milieu qui ne me ressemblait pas. Un jour de 2016, un peu moins de deux ans après mon arrivée, j’étais en séminaire à Saint-Pétersbourg et je devais enchaîner une douzaine de présentations. A la pause-café, je me suis soudain demandé : « mais qu’est-ce que je fais là ? ». Ce n’était plus possible de continuer. Je me suis excusé auprès du CEO, j’ai briefé mon collègue pendant une heure, puis j’ai pris un billet pour la Belgique, je suis rentré et j’ai tout arrêté. Cela a été une période de doutes. J’avais lâché un bon job, une voiture de société, un salaire avantageux. Avais-je eu raison ? Mais devenir papa avait changé la donne et je voulais profiter de moments de qualité avec mon fils ». C’est à ce moment que vient à Jérôme l’idée de Little Guest. Passionné de voyage, il fait face, comme nombre d’amis, à la difficulté de bouger avec un enfant en bas âge. Les offres hôtelières semblent se diviser entre clubs all in destinés aux kids et grouillant de bambins et les hôtels de luxe où l’on regarde de travers les bébés en pleine crise de larmes. « La venue d’un enfant, ça bouleverse tout. On ne dort pas beaucoup, on est tendus. Les vacances pour nous, c’était l’un des rares moments où l’on pouvait lâcher prise. J’ai voulu offrir aux familles l’occasion d’être inspirées et conseillées dans le choix de leur séjour, pour qu’elles puissent profiter et se ressourcer véritablement. J’ai alors imaginé la première agence mêlant service haut de gamme pour les parents et super accueil pour les enfants. Pendant un an et demi, j’ai travaillé de chez moi, seul, m’acharnant pour rendre le projet viable, avec mes fonds propres. J’ai eu peur par moments. En tant qu’entrepreneur on prend des coups tous les jours. Mais j’y croyais. Et c’était aussi l’occasion de vivre en osmose avec mon fils, à son rythme, de passer du temps avec lui. C’était une chance folle. »
Rebondir une nouvelle fois
Pour ce projet, Jérôme Stefanski aspire à se servir de ses apprentissages passés. « L’inexpérience et la peur du lendemain m’avaient poussé à revendre rapidement mes précédentes entreprises, mû par l’idée que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Je ne regrettais rien, mais j’avais de grandes ambitions pour Little Guest et je me suis refusé à reproduire les mêmes erreurs. J’ai appris à construire autrement, à m’entourer, déléguer, moi qui avais toujours agi seul. Or seul, on s’essouffle rapidement». Après deux ans d’activité, les hôtels partenaires de la plateforme se multiplient tandis que les ventes explosent. L’agence est florissante, engage 20 collaborateurs, loue des bureaux. Puis la crise sanitaire arrive et bouleverse la donne. « On est en février-mars 2020 et les annulations se succèdent, suivies par les confinements. Pour nous, il n’était pas question de licencier. On s’est donc assuré de garder tout le monde à bord. Pas plus que de jouer les abonnés absents et d’abandonner nos clients. On a décroché spontanément nos téléphones pour les informer, garder le contact. Et puis l’on a pensé à tous ces parents avec leurs enfants, bloqués chez eux et on s’est demandé comment les aider. On a rappelé les animateurs de nos kids clubs fermés, pour transposer leurs activités sur Instagram et Youtube et proposer des cours de pâtisserie, du yoga ou des bricolages en ligne». Transformer l’adversité en occasion, une nouvelle fois. Et puiser dans l’infortune la possibilité de se réinventer. Un principe que Jérôme Stefanski applique également lorsqu’il imagine YOLO, projet ovni, né de la crise sanitaire. « Pendant le confinement, il m’est venu l’idée de créer une bière sans sucre. Le concept existait aux USA mais pas en Belgique. Sans être cuistot, mais après avoir pas mal étudié, j’ai donc commencé à fabriquer ma propre recette dans ma cuisine. Une fois satisfait du résultat, j’ai travaillé en partenariat avec un brasseur et neuf mois plus tard, en mai 2021, on avait conçu la première bière belge, 100% naturelle, sans édulcorant ni sucre mais n’ayant rien perdu en saveur. En juin, elle remportait la médaille de bronze aux London World Beer Awards. J’en avais produit 4000 bouteilles, qui se sont vendues en deux mois. Aujourd’hui, YOLO arrive dans les épiceries fines, bars et restaurants et je me suis associé à deux partenaires. Je reste dans le pôle décisionnel mais ne suis pas opérationnel à proprement parler, préférant me concentrer pleinement sur Little Guest. »
Alors que la pandémie s’apaise ces derniers mois, que frontières et complexes hôteliers rouvrent leurs portes, Little Guest renoue avec le succès, le besoin de voyager après l’isolement étant plus intense que jamais. La société compte désormais 40 collaborateurs, forte d’une formule mêlant offre en ligne et conciergerie à l’écoute du client. D’une profonde bienveillance aussi puisque Little Guest contribue à de multiples œuvres caritatives chaque année et reverse désormais une petite part de chaque réservation à l’association Kick Cancer. « Je suis fier de ce que l’on accomplit, à tous niveaux. Little Guest relève jusqu’ici haut la main les challenges sur sa route. Je n’en ai pas fini ici mais parfois je rêve de confort, de savourer. De rompre, au moins pour un temps avec la frénésie. Dans quelques années, quand l’entreprise aura atteint une forme de maturité, je m’imagine dans une maison près de la mer, en pleine nature, avec des chiens. Me poser et profiter de ceux que j’aime. Et écrire, j’ai toujours aimé ça ». Jérôme Stefanski n’en a pas fini de se réinventer et de cultiver l’audace en un tremplin vers la liberté.
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