Fanny Ruwet se livre avec sensibilité
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : CÉLINE NIESZAWER
D’elle, on connaissait son franc-parler délicieusement mordant, baladé dans des chroniques et spectacles au ton décalé. C’est aujourd’hui loin des sentiers du stand-up que l’on retrouve Fanny Ruwet, avec un premier roman baptisé « Bien sûr que les poissons ont froid », entre tendresse et nostalgie.
Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas de l’écriture d’un livre ? Étant une grande lectrice depuis l’enfance, j’ai longtemps mis la littérature sur un piédestal. Je ne pensais pas être capable d’écrire un livre mais en parallèle l’idée me plaisait, la possibilité de prendre mon temps. Dans mes chroniques comme dans mes spectacles, je dois être brève, aller à l’essentiel, faire rire. En stand-up, il faut une chute qui permette de minimiser l’impact négatif. La règle de base est que le problème évoqué ait l’air d’avoir été réglé, pour que le public n’ait pas le sentiment que l’on est victime de l’histoire. Le roman n’était pas soumis aux mêmes obligations. Il me donnait la permission de ne pas être drôle ou du moins pas forcément.
L’évocation des doutes et émois de l’adolescence, entre bienveillance et malice, est partie intégrante de votre ouvrage. Quelle adolescente étiez- vous ? J’étais assez proche d’Allie, la narratrice de mon livre. Je ne me sentais à ma place nulle part. L’école ne m’intéressait pas. C’était très long. Réaliser à 18 ans que le lycée n’était pas la vraie vie, pas une fin en soi, a été un énorme soulagement.
On retrouve au fil des pages votre humour, tout à la fois piquant et confondant de spontanéité. Y compris lors de l’évocation de la peine, du deuil, de la séparation. Une part de résilience, de protection face au monde ? C’est comme cela que je fonctionne et mon personnage a repris mes tics, mes manières. Je cultive une forme d’humour du désespoir. C’est un bouclier, une manière de prétendre que vu que j’en ris, c’est que cela ne m’atteint pas vraiment.
Tout comme votre personnage, Allie, vous est-il plus facile de vous confier par écrit ? J’écris très peu à mes proches mais je me cache beaucoup derrière la fiction. Le livre contient énormément d’anecdotes, de souvenirs, de ressentis personnels, dont je n’ai jamais parlé à mon entourage. Il offre cette frontière floue, l’incertitude de ce qui est réellement autobiographique ou pas. Et de pouvoir se retrancher derrière si l’on ne souhaite pas se mettre véritablement à nu.
Qu’était-il essentiel pour vous de transmettre avec « Bien sûr que les poissons ont froid ? » Au début de l’écriture, j’avais noté cinq questions qu’il me tenait à cœur d’explorer. Le roman aide-t-il à se sentir moins seul ? J’avais cette volonté que ceux qui se ressentent étranges, différents, réalisent qu’une multitude d’autres vivent la même chose. Apporte-t-il de l’espoir ? Est-il drôle ? Amène-t- il à réfléchir autrement ? Je pense en tout cas qu’il fait résonnance. Et ai-je bien enlevé toutes les postures involontaires ? J’en ai beaucoup dans le stand-up, et j’avais peur malgré moi, de me retrancher derrière celles-ci. Lorsque j’ai commencé les spectacles, je me donnais le rôle d’une fille très froide, insensible. Je désirais retirer tout cela du livre, pour laisser pleinement place à la nuance.
Le roman évoque la difficulté d’oser aimer les filles, alors que l’on découvre à peine l’amour. Thème déjà évoqué dans votre podcast « Bisexualités », sorti en 2019. Était-il essentiel pour vous d’en parler en filigrane ? En l’occurrence cela faisait sens avec l’histoire. Globalement, cela revient très souvent dans mon travail car j’ai du mal à imaginer la vie autrement qu’en étant parfois attiré par des garçons et parfois par des filles. J’en parlerai d’ailleurs à nouveau dans mon premier court métrage, « Bingo » qui sortira dans les prochains mois. L’histoire d’une fille amoureuse d’une autre, qui elle est hétéro. Et dès lors aux prises avec le doute quant à lui avouer ses senti- ments ou non. Fille, garçon, il s’agit tout simplement d’évoquer l’amour, sans que cela nécessite un débat.
Avec quel bagage aimeriez-vous que les lecteurs ressortent de la lecture de votre livre ? J’aimerais qu’ils l’achèvent en se sentant moins seuls. Qu’ils aient l’envie de conserver la narratrice avec eux. C’est ce que j’ai ressenti moi-même avec « L’Attrape-cœurs » de Salinger. Des années plus tard, je pense encore souvent à son héros, Holden Caulfield, avec l’impression qu’il est à mes côtés. C’est toute la magie de la littérature.
Abonnez-vous dès aujourd’hui pour recevoir quatre numéros par an à votre porte
Vous aimerez peut-être
Carine Doutrelepont – L’image comme écriture du monde
Carine Doutrelepont, avocate et photographe, explore la nature et la diversité humaine. Son…
Un siècle de surréalisme belge – Deux expositions majeures pour célébrer un mouvement révolutionnaire
Deux expositions célèbrent le centenaire du surréalisme : à Mons, son héritage subversif, et à…
Stéphanie Crayencour – « Perdre mon frère a marqué le point de départ de ce livre et de ma véritable histoire d’amour avec lui »
Stéphanie Crayencour, actrice entre Bruxelles et Paris, se tourne vers l’écriture avec Le Papillon…