Eric-Emmanuel Schmitt
« Je rêve mes livres »
MOTS : Servane Calmant
PHOTOS : Anthony Dehez
Auteur lettré et formidablement prolifique, Eric-Emmanuel Schmitt fait l’actu avec deux romans et une pièce de théâtre. « Le défi de Jérusalem », récit autobiographique d’un pèlerin, « La rivale », portrait en creux de Maria Callas, et « Bungalow 21 », hommage à Simone Signoret et Marilyn Monroe. Sans taire la rédaction du 4e tome de « La Traversée des temps » prévu au printemps 2024. Confidences d’un génial touche-à-tout qui avoue « rêver ses livres ».
Nous rencontrons Eric-Emmanuel Schmitt chez lui. Affable, souriant, il nous fait visiter sa maison ixelloise. Bâtie sur cinq niveaux, elle est sereine, inspirante, et a été pensée pour laisser rentrer la lumière. Des livres ? Oui, il y en a à chaque étage. Dans l’escalier qui monte au bureau, une moquette épaisse fait son show, ajoutant de la sensualité à l’espace. Décorer par la couleur, choisir des tonalités vibrantes, en voilà une bonne idée. Eric-Emmanuel n’a aucune requête particulière, juste un souhait : que les photos du shooting orchestré par Be Perfect soient en couleur.
Vous avez été naturalisé Belge en 2008. Que représente la Belgique à vos yeux ? Devenir belge m’a permis d’ajouter un choix de vie à ma naissance. Car ce n’est pas Bruxelles que j’aime mais la vie à Bruxelles. Paris est belle, Bruxelles est chaleureuse : elle permet aux gens de vivre les uns avec les autres et non les uns contre les autres. En termes de créativité, je suis un écri-vain français, la plume enracinée dans la tradition française, et un réalisateur belge, avec des plans teintés de fantaisie et de surnaturel.
Vous avez également acquis une ferme-château à Gougnies, non loin de Charleroi… J’ai grandi aux portes de Lyon donc aux portes de la ville et de la nature. J’ai besoin de marcher dans la campagne et de vivre les saisons.
Deux romans et une pièce de théâtre cette année. Quand trouvez-vous le temps de dormir ? Je dors 8 h par jour, et plutôt bien ! (rire) J’accouche de mes livres lorsque je suis « enceint ». Je ne me force pas à écrire. Je vis avec des histoires en moi, que des rencontres, des conversations, des voyages vont peu à peu nourrir. Et quand je sens qu’une histoire est prête, alors je la rédige sans douleur, sans péridurale, en quelques semaines. « Ma tragédie est faite, je n’ai plus qu’à l’écrire », disait Racine … J’ai publié beaucoup, mais bizarrement j’ai écrit peu. Je rêve beaucoup mes livres.
« La Traversée des temps » où vous racontez l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman, en huit tomes, dont le quatrième sortira en avril 2024, a dû bousculer votre emploi du temps ! Il s’agit d’un travail de longue haleine, 30 ans de ma vie. J’ai débuté le premier tome, il y a trois ans. C’est un roman ambitieux, titanesque et terriblement exigeant qui m’oblige à une nouvelle discipline. Quand un nouveau tome est mûr dans ma tête, alors je m’installe devant mon ordinateur de 9h à 20h.
Vous avez accumulé des connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques, un surhomme ! Bernard Pivot, lorsqu’il présidait l’Académie Goncourt, m’a traité affectueusement d’hypermnésique. Je retiens en effet tout ce qui m’intéresse. Et tout m’intéresse : de la fabrication du pain à la métaphysique de Kant en passant par la spécificité de la culture grecque, absolument tout !
Quel regard portez-vous sur vos personnages ? Je crois en la force émancipatrice du personnage dans la littérature. Prenez « Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran », roman vendu à des millions d’exemplaires, si j’avais voulu écrire un essai sur la tolérance, il aurait parlé à 500 personnes, tout au plus. Mais en conférant de l’amour à Monsieur Ibrahim, il vous pousse à penser différemment.
Vous êtes l’un des auteurs francophones les plus lus. Vous êtes également l’auteur français le plus étudié dans les collèges et lycées. Pour vous qui n’avez pas d’enfant, que représente cette notion de transmission de votre savoir ? Ma légitimité, c’est d’être une courroie de transmission. En tant qu’humaniste, je pense que si chaque homme se différencie par la réponse qu’il apporte aux questions existentielles, nous avons néanmoins une fraternité de questions car nous habitons tous la condition humaine d’une manière interrogative. Comment aimer ? Comment agir ? Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que la mort ? Cet huma-nisme interrogatif a des résonances politiques, puisqu’il peut apporter une réponse pour vivre ensemble en toute harmonie.
« Le défi de Jérusalem » a été publié le Jeudi saint de cette année. Et ce n’est pas une coquetterie de votre éditeur ! Racontez-nous cette incroyable aventure qui débute par une invitation du Vatican à partir en pèlerinage vers Jérusalem… Lorenzo Fazzini (le directeur éditorial de la maison d’édition affiliée au Saint-Siège et responsable de la communication du Vatican – nda), me téléphone pour m’inviter à un pèlerinage et ce qu’il me dit ce jour-là va me toucher particulièrement : « On vous aime beaucoup au Vatican. On aime votre foi et la liberté avec laquelle vous l’exprimez ».
Le Pape François est un de vos fidèles lecteurs ! Je l’ai découvert ce jour-là.
Pour autant « Le défi de Jérusalem » n’est pas une commande du Vatican… D’emblée, j’ai précisé que je n’écrirais de roman que si ce voyage à Jérusalem me permettait de le nourrir. Au bout de quelques jours de pèlerinage, j’ai su que je l’écrirais …
Jérusalem, vous n’êtes déjà plus athée … En effet, à 28 ans je suis parti dans le désert du Sahara et j’y ai vécu une expérience mystique, que je relate dans mon roman, « La Nuit de feu ». Je suis arrivé athée et j’en suis reparti croyant, mais un croyant en Dieu, sans aucune religion. Il s’agissait bel et bien d’une expérience mystique et non religieuse. Ensuite, j’ai beaucoup lu au sujet du christianisme, des essais critiques, d’autres apologiques. Avant de partir à Jérusalem, mon adhésion au christianisme était intellectuelle, le voyage à Jérusalem l’a rendue charnelle.
Qu’est-ce qui a changé en vous ? Pour l’athée, l’incompréhensible cache l’absurdité; alors que pour le croyant, l’incompréhensible cache le mystère et est donc porteur d’une promesse de sens. L’angoisse qui m’habitait, à propos de la vie et de la mort, a été remplacée par la confiance.
Votre extase mystique dans le Sahara et votre conversion au Saint-Sépulcre à Jérusalem, sont liées à deux voyages. Pour recevoir une révélation, partir s’impose-t-il ? Oui. Il faut voyager pour abandonner le confort d’une pensée déjà structurée, des habitudes. Il faut la coupure, la rupture pour être un homme neuf, pour s’ouvrir à de nouvelles expériences.
Il faut ensuite l’accepter, cette révélation… Exactement. On peut recevoir un flash mystique, et ne pas accepter la révélation, la percée de lumière. Car l’accepter, c’est tout repenser, tout remettre en question !
Jérusalem, ville trois fois sainte, inspirante. Ville de toutes les bigoteries aussi… La bigoterie continue à m’énerver, en effet. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie », disait François de Sales. L’église fait beaucoup de mal à Dieu. Le Pape François est d’ailleurs très critique par rapport à l’église. A ses yeux, elle existe uniquement pour annoncer l’Evangile au monde.
2023, année fertile avec un deuxième roman, « La Rivale », et une pièce de théâtre, « Bungalow 21 ». Dans les deux cas, des personnages de femmes au cœur du récit. Dans « Bungalow 21 », j’explore même deux formes de féminité : Marylin Monroe, hypersexuelle mais prisonnière de son physique, et Simone Signoret, une intellectuelle, femme de culture.
Avec « La Rivale », je dresse un portait en creux de Maria Callas à travers le portrait cocasse de Carlotta Berlumi, une mystérieuse vieille dame qui soutient mordicus qu’elle fut la rivale de Maria Callas. Le génie de la Callas, je le montre à travers le regard de quelqu’un qui ne le saisit pas. C’est ce point de vue qui m’intéressait.
La pièce « Bungalow 21 » sera en tournée en Belgique dès 2024 avec les sœurs Seigner ! Sur les planches, ça va saigner en effet (il rit) avec Emmanuelle et Mathilde Seigner, rivales pour l’amour d’Yves Montand.
Revenons à « La Rivale », on vous savait nourri par la philosophie et la spiritualité, vous l’êtes donc également par la musique ? à tout vous avouer : il m’arrive de passer une journée sans écrire et sans lire, mais jamais sans musique.
Auriez-vous pu devenir musicien ? J’ai fait le Conservatoire mais je n’aurais pas été le musicien que je souhaitais être.
Etes-vous le romancier que vous souhaitiez devenir ? (rire) Non. J’ai une écriture précise, claire, suggestive, alors que je l’aurais préférée lyrique. « Deviens ce que tu es », disait Nietzsche.
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