En haut de l’affiche LAURENT DURIEUX
Mots : Servane Calmant
Affiches : Laurent Durieux
Photo : Thomas Preudhomme
De Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg à Nicolas Winding Refn et nos compatriotes Fabrice Du Welz et Jan Bucquoy, tous ont fait appel au talent de l’illustrateur belge Laurent Durieux pour la création d’une affiche de film. Pas une énième affiche de marketing, non non, on vous parle ici d’affiche alternative où Durieux « le graphiste qui dessine » réinterprète des films cultes avec un sens indiscutable du détail, un goût certain pour le mystère et une admiration assumée pour l’esthétique rétrofuturiste. En résulte une affiche réhabilitée comme œuvre d’art collector que l’on s’arrache dès sa mise en vente sur le net !
La p’tite histoire raconte qu’à 8 ans, vos dessins plaisaient déjà à vos camarades de classe… Je n’étais pas forcément un élève brillant alors, oui, dès la primaire, j’ai tout misé sur le dessin. A 18 ans, alors que je maîtrisais parfaitement le dessin réaliste et que je suscitais déjà l’intérêt de certains éditeurs, ma mère m’a convaincu de m’inscrire à La Cambre pour élargir ma palette créative. J’y ai découvert un autre monde, celui du graphisme et de l’affiche. Je suis une hydre à deux têtes : à la fois passionné par la BD et par le graphisme. Mais le graphisme payant mieux que la BD, à 20 ans, j’ai choisi cette voie.
Vous avez vécu une autre vie avant la reconnaissance internationale… Oh oui ! Ma mue a été tardive. Rire. Pendant des années, j’ai travaillé comme graphiste dans la publicité, et dessiné des logos, notamment pour la Commission européenne, mais je n’étais pas heureux. Pour échapper au quotidien, je continuais à composer des affiches … En 2004, j’étais au bout du rouleau à force d’être bridé dans mes élans créatifs, je n’avais plus rien à perdre, alors j’ai pris une décision formidable : imposer ma propre vision. Ensuite, à force de travail, de travail, et encore de travail pour affiner mon style, j’ai séduit les Etats-Unis – j’avais déjà 40 ans !
Ce sont les Américains qui ont été les premiers à vous faire confiance ? Lüzer’s Archives (une revue autrichienne dédiée à la pub – nda) a publié deux de mes affiches, qui ont été remarquées par Mondo, un éditeur-galeriste américain spécialisé dans le cinéma, lequel m’a commandé à son tour des affiches alternatives 100 % officielles, c’est-à-dire conçues après accord avec les studios. Le travail et l’effet domino m’ont porté chance.
Mondo ne vous contacte donc pas pour une énième affiche promotionnelle mais pour une affiche artistique ! C’est en effet là tout le débat : l’affiche est-elle un art ou un support promotionnel ? Pour moi, la réponse est claire. Je déteste les affiches racoleuses, tout mon travail consiste donc à faire table rase des impératifs purement marketing, pour offrir au public un véritable objet artistique. Cette réhabilitation de l’affiche comme œuvre d’art a plu aux Américains…
Objet artistique, comme dans les années 50 ! Etes-vous passéiste ? Vintage ? Non, je ne crois pas. Ado, j’étais fasciné par les Etats-Unis et l’American Dream. A 50 ans, je pose évidemment un tout autre regard sur ce pays car l’Amérique aujourd’hui, c’est un rêve de vieux ! Il n’empêche, je reste un inconditionnel des codes esthétiques de l’époque. J’ai beaucoup appris à La Cambre mais c’est le travail d’Antonio Petrucceli que j’ai découvert sur les covers du magazine Fortune qui a été révélateur. Il est et reste une véritable source d’inspiration. De même que le design industriel et graphique de l’époque, qui était anglo-saxon. Raymond Loewy, un Franco-américain qui a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, m’a énormément apporté. Souvenez-vous de l’essor dans les années 50 de l’électroménager avec ses lignes et ses couleurs esthétiques. Quitte à passer pour un boomer, je le dis haut et fort : oui, notre époque est moche.
D’où votre intérêt pour le rétrofuturisme ? Je n’ai pas un style rétrofuturiste, comme je l’ai trop souvent entendu, j’ai un style moderne et je m’intéresse au rétrofuturisme, c’est-à-dire à la manière dont nos grands-parents dans les années 50 voyaient l’an 2000. Les autoroutes urbaines, les gratte-ciel Art déco, les lignes audacieuses des voitures … Ce futur fantasmé et sublimé, je le trouve incroyablement poétique.
C’est quoi le style Durieux ? Je suis un illustrateur du silence, me disait une amie. Ce n’est pas faux. Je n’aime pas dessiner des scènes d’action. A la manière d’Edward Hopper ou du peintre danois Vilhelm Hammershoi, mes affiches sont en effet peuplées de silhouettes, de personnages de dos, de portes entrouvertes, de pièces vides … J’aime le mystère que ce genre d’univers dégage.
Vos affiches sont pourtant incroyablement narratives ! Oui. Car je n’extrais pas une image du film mais je m’évertue à condenser l’entièreté d’un film en une image nouvelle, que je compose d’une multitude de détails, afin de réaliser différents niveaux de lecture. Concevoir une seule affiche alternative me prend entre 3 semaines et plusieurs mois ! Quant à cet intérêt assumé pour la narration, il me vient de mon amour pour la BD, que j’amène sur le terrain du graphisme. A La Cambre, on m’a enseigné que l’impact d’une affiche devait être immédiat. J’ai fait exactement le contraire et rencontré le succès !
Ainsi cette affiche de Jaws où vous illustrez la quiétude d’une journée ensoleillée à la plage avec néanmoins ce petit détail qui tue : un aileron noir sur un parasol au premier plan… A l’époque, cette affiche n’a absolument pas été comprise par le public car j’ai pris le contre-pied de ce qui était attendu ! Cette affiche exige qu’on s’y arrête, qu’on la regarde attentivement, qu’on la lise, qu’on la décode. Moi je fais des affiches pour les gens attentifs, pas pour les gens qui consomment vite et ne prennent pas le temps d’apprécier mon travail. Et j’aime beaucoup la connivence que j’installe alors entre moi et ce public.
Vous avez travaillé pour les plus grands, Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, Steven Spielberg, sans faire pour autant l’impasse sur de belles collaborations avec des réalisateurs belges … J’ai rencontré Fabrice Du Welz lors d’un festival de cinéma, c’est un réalisateur sincère. J’ai accepté d’emblée de faire une affiche pour son film Adoration. Jan Bucquoy, c’est pareil, j’ai découvert une personnalité attachante; l’affiche de La Dernière Tentation des Belges est d’ailleurs particulièrement belle.
Qu’est-ce qui vous motive à accepter ou à refuser un projet ? L’intérêt que j’y porte. Si vous saviez le nombre de sollicitations que je refuse ! J’ai beaucoup aimé les trois premiers épisodes de Star Wars mais l’univers créé par Lucas ne m’intéresse pas. Il en va de même pour tous les groupes de rock métal qui me contactent pour une pochette de vinyle. Mais le métal, non ! Le tourneur de Jack White souhaitait que je crée une affiche pour sa tournée, mais là encore… Je suis un peu snob en musique. Je rêve de collaborer avec des musiciens brésiliens ou de jazz, mais pour l’instant je n’ai reçu aucune demande – dommage !
Parlons sérigraphie, c’est ça ou rien ! Entre la sérigraphie et la quadri, il n’y a pas photo au niveau du rendu ! Donc oui, toutes mes affiches sont imprimées en séri-
graphie, un art qui est malheureusement en train de mourir en Belgique. Je travaille avec Vincent Carlier de l’Atelier Vertical que je considère comme un véritable imprimeur d’art, mais il a prévu de stopper son activité dans un an et demi…
Vous avez créé plus de 150 affiches qui suscitent un véritable engouement ! Mes affiches ont pour vocation d’être diffusées. On peut les acheter via le site posterissim.com, mon site, ma page Facebook ou encore lors des ventes en ligne de mes éditeurs. Et il faut en effet se lever tôt !
Etes-vous un affichiste professionnel ? Non. Aujourd’hui, je suis spécialisé en création d’affiche mais demain, je pourrais tout à fait changer de support. Je suis un illustrateur passionné par l’image et par ce que raconte une image.
Pour tout savoir sur l’art de Laurent Durieux, on vous recommande chaudement ce bel ouvrage de 278 pages, qui contient ses affiches les plus célèbres, d’autres jamais montrées, un entretien inédit et plusieurs textes dont celui de Coppola en personne. Extrait : « Le très beau travail de Laurent Durieux élève l’art de l’affiche à un haut niveau. Les images, qui sont exécutées remarquablement, expriment des idées et des thèmes du film qu’il a choisi d’un nouvel éclairage. Ses images racontent beaucoup de choses sans mots et font partie de la merveilleuse tradition de l’art de l’illustration. »
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