CHRISTOPHE HARDIQUEST« C’est mon métier de bousculer les codes »
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS :Jehanne Hupin et Richard Haughton
À 46 ans, il laisse derrière lui « Bon-Bon », 2 étoiles Michelin, un 19,5/20 au Gault&Millau et des bons souvenirs à foison, pour ouvrir en février dernier « Menssa », un comptoir gastronomique de grande proximité, de belle complicité, avec le client. Quand on lui demande pourquoi il a eu envie d’écrire une nouvelle page de sa vie, Christophe Hardiquest parle de besoin, d’envie, de désir. Rebondir, c’est le propre d’un vrai entrepreneur. Causerie à l’ombre d’un arbre d’intérieur qui définit le nouveau territoire gourmand du chef…
Que les inconditionnels de Bon-Bon se rassurent, ils ne seront pas tout à fait bousculés dans leurs (bonnes vieilles) habitudes. Quoique ! En bordure de la Forêt de Soignes, ce sont les murs de Bon-Bon qui abritent désormais Menssa pour mens « l’esprit » et mensa « la table ». La décoration d’intérieur a été confiée à l’atelier d’architecture belge Anne- Catherine Lallemand, avec laquelle Christophe Hardiquest collabore depuis 20 ans. Rien ne change, donc ? Au contraire ! La déco 100% belge a été complètement renouvelée puisqu’elle épouse un nouveau concept, un comptoir gastronomique dont la cuisine est notamment inspirée par la nature environnante. Ainsi ces chaises hautes en velours vert forêt de chez Marie’s Corner et les audaces d’Anne-Catherine Lallemand, un arbre monumental aux contours harmonieux et un comptoir, central, qui en dominant la salle à manger, affiche clairement ses intentions : rapprocher le chef et sa brigade de ses hôtes. Voilà pour la déco. Et l’intention. Place au chef, maintenant.
Deux décennies chez Bon-Bon, puis un jour, dans la belle quarantaine, vous décidez de tourner la page… Je ne me sentais plus en phase avec ma vision du restaurant de demain et j’étais en plein divorce, deux éléments qui m’ont poussé à aller de l’avant. Les dernières années à la tête de Bon-Bon, j’étais dans ma zone de confort. J’aurais pu continuer à emprunter le chemin le plus facile, mais après 20 ans, mon travail me semblait répétitif, je me sentais moins créatif.
Christophe Hardiquest, chef et entrepreneur leader… Oui, je le revendique. J’essaie d’inspirer à travers mes valeurs et ma conception de la gastronomie. C’est pourquoi je n’ai aucun regret d’avoir tourné la page. Mieux : j’ai aimé me sentir bouleversé, bousculé, cela m’a obligé à repenser mon métier
Vous avez une pêche d’enfer ! J’ai 47 ans et j’ai retrouvé une énergie de fou, comme si je débutais dans le métier…
En quoi Menssa est-il novateur ? Mon concept tient en une ligne : inviter les clients dans mon laboratoire culinaire. Je suis partisan d’une proximité entre mes chefs de cuisine et les clients. Je les ai préparés à parler de leur travail, à exprimer leurs émotions, à écouter leurs feedbacks… Mon pari, c’est celui de la durabilité pour la planète et pour mon staff où chacun a un vrai statut et de bonnes conditions de travail, de la proximité avec le client, de la saisonnalité et de la traçabilité dans l’assiette.
Chez Bon-Bon, nous avions déjà mangé au comptoir … Et cette idée a évolué dans ma tête. Le comptoir favorise la transparence, la proximité avec la cuisine, il fait désormais office de table principale. Aussi préparerons-nous les sauces, par exemple, devant nos hôtes…
Un comptoir principal. Pour autant, Menssa propose plusieurs expériences culinaires … Il y a 22 places au comptoir et jusqu’à 8 couverts dans une petite salle privative, pour une soirée familiale ou business, et un coin salon intégré à la pièce principale. L’été, l’apéro, le café et le Havane s’invitent en terrasse. Menssa se veut un restaurant en mouvement.
Parlons de l’assiette. Menssa est-il plus créatif que Bon-Bon ? (Il réfléchit) Oui. Menssa, c’est un nouvel écrin qui me sert de véritable laboratoire pour tester la cuisine en permanence. J’invente chaque jour en fonction d’une idée, d’un produit. J’ose également travailler des produits différents : je vais préférer les rognons d’agneau au gigot et je proposer de la vive ou du rouget grondin, des poissons oubliés. Je développe davantage mon savoir-faire en matière de fermentation, de salaison, d’huile d’herbes sauvages en provenance de la Forêt de Soignes. J’ai également décidé de réduire la consommation d’énergie en cuisinant un maximum au feu de bois et en proposant des aliments crus notamment un sushi de moelle. J’enrichis ma réflexion sur le monde de demain et ma carte est un véritable terrain de jeu que je décline en jardin, forêt, terre et mer. Je propose une cuisine de naturalité, de simplicité, de créativité, affranchie de toutes les injonctions du monde gastronomique. C’est mon métier de bousculer les codes.
Y’a-t-il déjà un plat emblématique chez Menssa ? La mosaïque d’anguille au tabac de romarin, navet cru en rémoulade de vieux rhum, plait énormément.
Christophe, serez-vous souvent chez Menssa ? Oui, mais je continuerai à voyager. Pendant 20 ans, j’ai été bloqué dans ma cuisine chez Bon-Bon, je ne veux plus de cette vie-là. Je travaille énormément à la transmission de mon savoir-faire : la maison doit pouvoir tourner sans moi ! Je ne suis pas le seul acteur de Menssa. Ce sont les mêmes personnes qui cuisinent, qui m’assistent, que je sois là ou pas. C’est également l’idée du comptoir, que le client fasse connaissance avec mon équipe. « Bonjour, je suis Hugo, je suis le responsable des dégustations, je vais vous préparer ceci ou cela… ». C’est ainsi que j’ai imaginé Menssa.
L’été, vous serez derrière les fourneaux de La Mère Germaine ; une partie de l’hiver, à Crans-Montana au Chetzeron. Les produits que vous découvrez en Provence ou dans le Valais en Suisse enrichissent-ils la cuisine de Menssa ? Oh oui ! J’ai découvert les pois chiches d’Uzès et de la raclette de 7 ans du Valais. Et réciproquement, j’ai amené à Châteauneuf-du- Pape de la gueuze belge. Je m’éclate en travaillant sur ces trois terroirs.
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