Maasmechelen Village - Les boutiques pop-up incontournables de cet automne
Maasmechelen Village
Les boutiques pop-up incontournables de cet automne
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Maasmechelen Village
En cette nouvelle saison, Maasmechelen Village s’impose comme une destination phare pour les passionnés de mode et de shopping exclusif. L’ouverture de quatre nouvelles boutiques éphémères, en octobre, offre une occasion unique de découvrir des collections en édition limitée et bien plus encore.
Un Village au cœur de la mode et de la culture
Maasmechelen Village, reconnu pour son ambiance élégante et conviviale, propose un subtil mélange de mode contemporaine, de gastronomie et d’initiatives artistiques. Avec plus de 100 boutiques, le Village présente un large éventail de marques de mode et lifestyle, offrant des remises attractives tout au long de l’année. L’architecture du lieu, inspirée du patrimoine local, ajoute une touche chaleureuse et authentique à l’expérience.
Pourquoi adore-t-on Maasmechelen Village ?
Ce qui distingue Maasmechelen Village est son ancrage dans la culture belge. Le Village célèbre la Belgique avec une offre impressionnante de marques locales, des boutiques proposant le meilleur du chocolat belge, une brasserie typique, et bien sûr, une statue monumentale de six mètres de haut du célèbre Manneken Pis. Ce cadre unique, allié à des expériences exclusives, en fait une destination de shopping à part.
Nouveautés de l’automne 2024
Avec l’ouverture de quatre nouvelles boutiques éphémères dès octobre, les passionnés de mode et de bien-être pourront explorer des enseignes inédites. « Aigle » présente ses iconiques bottes en caoutchouc, idéales pour affronter les intempéries avec style. « L’Oréal » met en avant une sélection de produits de beauté d’exception dans un espace fraîchement rénové. « Mammut », la marque suisse renommée pour ses vêtements d’extérieur, inaugure sa première boutique en Belgique. Enfin, « It’s All About Christmas » propose un pop-up dédié à la magie des fêtes, offrant un avant-goût enchanteur des festivités de fin d’année.
Stéphane De Groodt « Il faut savoir rire de soi. Mettre son amour propre entre parenthèses. Le Belge a ce talent. »
Stéphane De Groodt
« Il faut savoir rire de soi. Mettre son amour propre entre parenthèses. Le Belge a ce talent. »
Mots : Servane Calmant
Photos : Jon Verhoeft
Jongleur de mots délicieusement déroutant et compositeur d’aphorismes d’une loufoquerie toute assumée, notre compatriote Stéphane De Groodt a fait de l’Absurdie sa deuxième terre natale. « Un léger doute », sa première pièce de théâtre en tant qu’auteur, qui triomphe actuellement à Paris et s’installera en décembre au Cirque royal à Bruxelles, compte bien vous la jouer à l’envers ! Confidences autour d’un verre.
Pourquoi nous avoir fixé rendez-vous chez Tortue, ce bistrot à vins nature ucclois ? Je passe régulièrement une tête chez Tortue, pour voir si un copain s’y trouve. C’est devenu mon stamp café. Pour autant, je n’ai aucun discours autour du vin. Seul m’intéresse le plaisir de la dégustation.
Vous avez été un enfant dyslexique. L’artiste accompli que vous êtes devenu a-t-il l’impression d’avoir pris une revanche sur son passé ? Sincèrement, je ne ressens aucun sentiment de revanche. La dyslexie fait partie de mon parcours, j’ai grandi avec elle. On change rarement le cours du ruisseau, mais on peut l’apprivoiser… Avoir un raisonnement inversé, voir les mots à l’envers, les recoller, m’ont finalement permis d’assumer pleinement ma singularité.
Vous venez de réaliser un documentaire sur la dyslexie, qui sera diffusé sur Canal+Kids en septembre … J’explique à des enfants que ce trouble a bousculé ma scolarité, mais que j’ai appris à vivre avec, à l’assumer, que c’est devenu une force pour moi. Quand on se trouve face à un obstacle, il faut trouver des aménagements, passer au-dessus, par-dessous, du bon et du mauvais côté, peu importe, mais il faut aménager son château de cartes à sa manière, sur des sables mouvants certes, pour aller de l’avant…
Êtes-vous toujours dyslexique ? Je n’ai jamais été soigné pour ma dyslexie, car à l’époque, ce trouble n’était pas forcément identifié. Je souffrais également de problèmes d’attention et de concentration. Donc oui, je suis toujours dyslexique, mais j’en ai désormais fait mon miel.
Gamin, faisiez-vous rire vos camarades de jeu ? Oh non, je n’étais pas assez bien dans ma peau. Mais je nourrissais déjà l’espoir qu’une fois adulte, j’arriverais peut-être à les faire rire… Le rire est une porte d’entrée formidable pour aller à la rencontre de l’autre, pour provoquer l’émotion.
Vous raffolez des paradoxes. Comme chez Raymond Devos, suggérer une réflexion, conscientiser le public revêt alors bien plus d’importance que de susciter le rire. Vous êtes en quelque sorte un philosophe de l’absurde… Quand j’écris, je n’imagine jamais l’effet que cela va produire. Comme Monsieur Jourdain, je fais de la philosophie sans le savoir. Je rédige avec sincérité : si ça plaît, tant mieux ; si ça ne plaît pas, tant pis ! Je ne fais pas de clientélisme politique. Mon absurde n’est jamais intentionnel, il est le fruit de mon imaginaire, mon empreinte, ma signature. Quand on m’interroge sur mon travail lors d’une interview, je me sens obligé de tenir un discours sur la manière dont j’ai traversé ma propre vie. Or, je déteste apparaître comme un donneur de leçon…
Parlons de votre première pièce de théâtre comme auteur, « Un léger doute » (au Cirque royal, le 17 décembre – nda). A quoi doit-on s’attendre ? A un voyage en Absurdie ? Le pitch est le suivant : que devient un comédien lorsqu’il n’y a plus de public pour faire vivre son personnage ? Il perd toute fonction, car l’autre conditionne notre propre existence. J’ai donc projeté cette réflexion sur la scène d’un théâtre. J’ai imaginé une pièce sans public qui commence par le salut final des comédiens. Je quitte donc la pièce (Stéphane joue également dans cette pièce qu’il a écrite – nda), mais les autres comédiens poursuivent la pièce. Ils vont s’accrocher à leur personnage, car sans public, ils n’existent plus. La pièce interroge donc la perception : qu’est-ce qui prouve que cette table ou cet homme existe ?
Stéphane philosophe, on y revient ! Dans l’absurdité revendiquée, il y a une part de philosophie, puisqu’on pense sa manière de vie. Ce n’est pas la philosophie des grands penseurs grecs certes, mais de la philosophie du quotidien, accessible à tous, pas uniquement réservée aux érudits.
Au quotidien, Stéphane fait-il rire ? Je suis très fidèle au De Groodt, personnalité publique. Avec des hauts et des bas, évidemment.
Pourquoi l’absurde nous déride-t-il ? Car il surprend.
Pour autant, Stéphane De Groodt n’est pas un humoriste… Je m’en défends, en effet. Je suis incapable de monter sur scène et de faire rire le public pendant deux heures.
Quelle est la touche belge de votre humour ? L’autodérision. Dans n’importe quelle situation, il faut savoir rire de soi. Mettre son amour propre entre parenthèses. Le Belge a ce talent.
Un esprit vif et loufoque comme le vôtre, a-t-il parfois peur de tenir un propos plat ? Evidemment. Dans certaines émissions TV, comme « Salut les terriens » de Thierry Ardisson où il faut être hyper réactif et envoyer des scuds fulgurants façon Baffie, je me suis longuement interrogé sur ce genre d’exercice. Etais-je bon ou pas ? Aujourd’hui, je m’en fiche. J’ai parti-cipé récemment à l’émission « Qui veut gagner des millions » avec François-Xavier Demaison (pour les 25 ans du jeu – nda). Il faut répondre vite et juste. J’ai pris le parti d’être détendu. Si je ne sais pas répondre à la question, est-ce grave, docteur ? Non.
Comment naissent vos aphorismes ? J’écris tout le temps, de jour comme de nuit. Parfois, je me fatigue moi-même. Les jeux de mots se bousculent dans ma tête, mon cerveau travaille tout le temps. Pour compenser cette jeunesse où j’étais fébrile ? Peut-être.
Pub, télé, radio, ciné, théâtre, bouquins, vitesse. Vous êtes un véritable … Oh non, ne me dites pas que je suis un touche-à-tout ! Je déteste cette expression, car elle sous-entend que j’ai abordé plein de secteurs d’une manière artificielle. Il n’en est rien. Je suis de nature à m’investir totalement dans ce que j’entreprends. Je ne suis pas un grignoteur de buffet mais un gourmand de la vie.
A l’instar de nombreux artistes belges, vous avez fait carrière en France … Oui, car en Belgique, on me reprochait d’être un touche-à-tout justement, d’écrire et d’interpréter des sketchs publicitaires, d’être devenu pilote automobile… Quand j’ai débarqué en France, il y a 12 ans, c’était sur le tard, j’avais déjà 45 ans au compteur. Personne ne me connaissait. Personne ne m’a catalogué.
Ce manque de reconnaissance belge vous touche-t-il ? Oui, car si je n’avais pas rencontré le succès en France, j’aurais pu penser que ce métier d’artiste n’était pas fait pour moi et changer de voie. Mais le décalage entre les projets français et les propositions belges, est interpellant ! En Belgique, je n’ai jamais été mis à l’honneur ; en France, j’ai reçu le Prix Raymond-Devos en 2014 et j’ai été nommé chevalier des Arts et des Lettres en 2015. J’aurais pourtant aimé tourner avec des réalisateurs belges…
Parlons séduction, avez-vous déjà usé voire abusé d’humour et de calembours pour plaire ? Oui, bien sûr. Faire rire, c’est chercher à être aimé de l’autre. Et comme j’ai beaucoup d’autodérision spontanée, je n’ai pas peur du ridicule. (rires). J’espère au moins que je suis touchant…
Hormis Nabila (dans le magazine Supplément, sur Canal+, un extrait désormais culte – nda), avez-vous déjà rencontré des gens qui vous disaient : « je ne comprends rien à ce que tu dis ! » Non, mais on me dit souvent : ça, c’est du De Groodt ! Je trouve cette remarque très flatteuse car elle signifie que j’ai réussi à imprimer un style, à imposer ma signature.
Quel est votre jeu de mots préféré ? « Aller au bout de soi-même et se rendre compte qu’il n’y a personne ».
Un projet réjouissant en vue ? Dès janvier 2025, je reprends le rôle de Pierre Arditi dans la pièce de théâtre « La Vérité » de Florian Zeller, l’histoire d’un menteur à qui tout le monde ment. Un texte jubilatoire où j’aurai la chance d’avoir Sylvie Testud et Clotilde Courau comme partenaires. 2025 sera également l’année de la sortie de mon autobiographie.
Un léger doute, le 17 décembre 2024, au Cirque royal à Bruxelles.
Vincent Van Duysen - Recueil d’une harmonie intérieure
Vincent Van Duysen
Recueil d’une harmonie intérieure
Mots : Barbara Wesoly
Photos : François Halard
Après près de quatre décennies à matérialiser l’essence des lieux et des objets et repenser les lignes d’une architecture et d’un design aussi épuré qu’expressif et serein, Vincent Van Duysen se révèle dans son projet le plus personnel. Un livre de photographies prises au sein de ses deux résidences, abolissant la frontière entre son travail et sa voix intérieure.
Cet ouvrage pousse les portes de vos maisons d’Anvers, en Belgique et de Melides au Portugal. Pourquoi avoir choisi de dévoiler cette part d’intimité au public ? Il n’y avait pas de véritable raison à cela, juste un élan. L’idée de ce livre est née avant l’ère Covid, alors que j’approchais de mon 60ème anniversaire. Elle est venue à moi à l’improviste, de façon presque inconsciente, avec le souhait de réaliser une rétrospective de ma vie personnelle, de mon véritable « moi », par le biais de mes deux maisons. De célébrer ces deux lieux qui m’apportent tant. Et grâce à l’objectif et au talent de mon ami François Halard, nous avons pu capturer l’esprit et l’âme de ces espaces, via des images éthérées et sensorielles.
Était-il important pour vous que ce livre soit l’œuvre d’un proche, d’un complice, plutôt que d’un inconnu ? En plus d’être un grand ami, François est surtout un photographe extraordinaire. J’appréciais déjà son travail lorsqu’il réalisait des monographies pour des architectes de renom et des décorateurs d’intérieur et n’en suis devenu que plus admiratif lorsqu’il a développé une approche plus artistique, couvrant de multiples sujets dans de magnifiques publications. Et puis il emploie l’analogique ! Nous collaborons bien ensemble mais cette fois j’ai souhaité lui laisser la liberté de racon-ter mes maisons avec un regard singulier, moins architectural et plus abstrait. Onirique et fortement imprégné de narration.
Un ancien bureau de notaire réamé-nagé, au nord de notre Plat Pays et en parallèle une maison portugaise ensoleillée, au bord de l’Atlantique. Deux lieux de prime abord très différents. Qu’est-ce qui les rapproche ? Tous deux me permettent d’embrasser la beauté de la vie, tout à la fois de manière classique mais aussi plus radicale et moderne. Ils sont au croisement de mes goûts et de mes convictions. J’ai transformé ce bâtiment anversois du centre-ville il y a plus de 25 ans, avec le souhait de donner à une construction du 17ème siècle une approche urbaine. La Casa M elle, est la conséquence d’un coup de foudre pour la région de l’Alentejo. J’ai eu envie de construire une maison pure et ancrée dans la végétation. Un lieu que je n’ai pas besoin de combler ou remplir, grâce à la présence sublime de la nature. C’est là que je me suis exprimé en tant que véritable architecte, aboutissant à des volumes qui peuvent dialoguer avec les éléments naturels du paysage. Et ces deux lieux possèdent en fait les mêmes proportions et la même fonctionnalité au sein de l’espace. Ils sont aussi des sanctuaires, insufflant en moi un grand sentiment de bien-être, de calme et de sérénité. Esthétiquement différents, mais avec une même essence.
Et que racontent-ils de vous ? Ils sont mes temples. Je m’y ressource et je m’y sens protégé. Pleinement moi, mais chacun à leur façon. Ils racontent une histoire, caractérisée par des objets, de l’art, des livres, des textures et de la chaleur. En même temps, ils expriment à quel point mon architecture et mon design d’intérieur sont centrés sur l’humain.
On y découvre au fil des pages de nombreuses œuvres, des tableaux et photographies comme des sculptures. Quel est votre rapport à l’art ? Je ne pourrais pas vivre sans art. Il m’inspire, m’apaise et fait de moi un meilleur architecte. Je suis un collectionneur et je suis fière des pièces de mes artistes favoris qui emplissent ma maison anversoise. Pour moi, il est important que l’art reflète qui je suis et qu’il transmette un message personnel. Et en même temps, ces créations doivent dialoguer entre elles et avec l’espace. En revanche, à Melides, je ne voulais pas d’œuvres mais de grandes pièces de mobilier, notamment de Zanine Caldas et Lina Bo Bardi. Et la nature qui pénètre dans les différentes pièces de ma maison me donne le sentiment d’habiter dans un tableau vivant.
Le livre comporte une multitude de sublimes photos pour peu de textes. Et ceux-ci racontent avant tout la note d’intention des lieux. Les images sont-elles finalement plus intimes que les mots ? Le livre est avant tout illustratif car il pénètre et dissèque mon monde sensoriel, mes chiens, mes affaires, avec une grande touche d’humanité. Il développe une perspective différente, loin de l’image rationnelle et minimaliste que l’on me prête parfois et qui est très loin de qui je suis. Il était essentiel pour moi que les lecteurs entrent dans mon univers et le comprennent. C’est le témoignage d’un héritage que je transmettrai au monde, une fois que j’aurai disparu.
Vincent Van Duysen: Private by François Halard, éditions Rizzoli New York.
Bieke Casteleyn - Au-delà des tendances éphémères
Bieke Casteleyn
Au-delà des tendances éphémères
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Le monde du design belge est en pleine effervescence avec de précieux talents qu’on se plaît à vous faire découvrir au fil de nos pages. Impossible de passer à côté de Bieke Casteleyn. à 37 ans, la jeune femme maîtrise l’art des intérieurs audacieux dans les moindres détails. Après avoir fondé son studio de décoration, elle séduit avec une marque de mobilier aux courbes tendres mais puissantes.
Bieke, qui êtes-vous ? Je suis maman de deux petits garçons. J’ai toujours aimé l’aspect esthétique des choses : le design, l’art, voyager, je regarde les détails où que je sois. A la maison, chaque mois, je change de place les meubles et les objets. Je suis très perfectionniste dans tout ce que j’entreprends. Mes études se sont déroulées à Gand à la Sint-Lucas School of Arts. Mes parents m’ont ensuite permis d’entamer une année d’étude supplémentaire. J’allais choisir l’option « boat design » mais finalement j’ai opté pour « product design » à la Domus Academy à Milan. De retour en Belgique, j’ai travaillé 5 ans chez RR Interieur à Knokke. Les patrons m’ont partagé leurs connaissances tant sur les matières, le mobilier que les foires, tout en m’inculquant certaines valeurs. Le mobilier est alors devenu pour moi une évidence. J’ai ouvert mon bureau d’architecture d’intérieur en 2012 et j’ai lancé en 2015 ma collection d’objets.
Du mobilier rassemblé sous le nom de collection « Out of line ». Des intemporels élégants. Des sculptures organiques. Matières, inspirations, formes, que nous dire de cet univers à la fois classe et chaleureux ? Tout a commencé avec une table de salle à manger. Je l’ai créée car je trouvais qu’on avait toujours le même type de table chez soi : grande, petite, rectangulaire, ovale… On se retrouve avec de grandes tables à la maison mais nous ne sommes souvent que deux, trois ou quatre. Mes tables comportent des courbes, des formes qui ont été bien réfléchies et expérimentées, pensées pour convenir lors d’un tête-à-tête intime, une réunion de travail ou une rencontre familiale. Elles défient les normes traditionnelles avec un résultat esthétique et fonctionnel. La matière est du stuc appliqué en sept couches. Pour les couleurs, je propose les basiques tels que le sable, blanc, gris clair mais j’adore aussi les couleurs plus pop des années 30-40, comme le vert olive ou le bleu pétrole.
Ces diverses tables sont créées en Belgique ? Oui tout à fait, tout est créé à la main à Maldeghem, une commune située en Flandre-Orientale. Il y a deux personnes pour la technique, une pour la logistique, une pour le marketing et une autre pour les ventes. J’ai aussi trois personnes qui travaillent avec moi pour l’aménagement.
Vous avez aussi votre bureau Bieke Casteleyn Interior Design Studio avec lequel vous aménagez des intérieurs. Ces projets reflètent-ils vos objets ? L’inspiration est-elle identique ? Je pense, oui. Il y a indéniablement des styles que l’on affectionne. J’aime le vintage, j’aime la chaleur, j’aime la couleur, je n’aime ni les intérieurs minimalistes et froids ni les intérieurs éclectiques. Cependant, quand il s’agit de mobilier, j’ai toujours le même langage, alors que pour les intérieurs je ne fais jamais la même chose. Matériaux, couleurs, mobiliers diffèrent complètement. J’aime proposer une esthétique à la fois audacieuse et harmonieuse. Je mets aussi un point d’honneur à accepter que des projets qui me parle.
Qu’est-ce qu’un objet ou un intérieur réussi selon vous ? Pour que cela soit réussi, rien ne doit perturber mon regard. Mais je suis difficile, il faut le juste objet au bon endroit, le point sur le i. Je suis très sensible également aux proportions.
Participez-vous au salon du meuble de Milan ? Que pourra-t-on y découvrir ? Oui pour la seconde fois ! Je serai présente avec la suite de la collection “Out of Line” et je m’emparerai d’un magasin de fleurs emblématique de Brera. J’y présente un salon avec de nouveaux meubles : un bar, un fauteuil, un sofa, une bibliothèque… Toujours des créations à base de stuc (plâtre) mais combinées à l’Afrormosia laqué et brillant, un bois africain que j’affectionne particulièrement. On me connaît pour mes tables mais je fais bien d’autres choses…
D’autres nouveautés à venir cette année ? Nous allons lancer une autre collection à base de cuir, bois et marbre. Elle s’appellera, je pense « In Between ». Nous amènerons une pièce à Milan pour prendre le pouls et voir la réaction des gens avant lancement.
En tant que designer et architecte d’intérieur, quel serait votre rêve professionnel ultime ? Actuellement mes créations ont le vent en poupe et sont fortement copiées. J’aimerais que mon mobilier passe les années, devienne un intemporel, qu’on reconnaisse mon travail. Que dans vingt ou trente ans, on admire toujours mes meubles. Quant à l’aménagement d’intérieur, je rêve de faire l’intérieur d’un bateau, un bateau « out of line ».
JÉRÉMIE CLAES D’ombre et d’humanité
JÉRÉMIE CLAES
D’ombre et d’humanité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Philippe Matsas
Enchevêtrant les époques, croisant les lieux et les identités, L’Horloger s’affirme comme un thriller étourdissant et singulier mais aussi telle une fresque nous plongeant dans les rouages du fanatisme. Un premier roman signé avec un talent et une précision d’orfèvre par Jérémie Claes.
Ce livre, votre premier, mûrissait-il depuis longtemps ? J’y cogitais depuis vingt ans. Les thématiques du nazisme et de l’extrémisme m’ont toujours touché et passionné. Au lycée, nous avions eu la chance de recevoir la visite d’anciens déportés. Leur témoignage m’avait profondément marqué. Mais c’est la campagne ayant précédé l’élection de Donald Trump en 2015, qui en aura véritablement été le déclencheur. J’y ai perçu un réel point de bascule de nos démocraties occidentales. Une montée en puissance de la haine et des théories conspirationnistes, qui depuis, ont infusé toutes les couches de la société, y compris en Europe exacerbant les préjugés, la peur et l’aveuglement. Dans des périodes de trouble comme celle que nous vivons aujourd’hui, l’on assiste toujours au même phénomène, où l’émotion irrationnelle prend le pas sur la tolérance.
D’où l’importance, pour moi, chacun à notre modeste mesure, d’apporter notre pièce à l’édifice du souvenir comme à l’éveil des consciences. C’était mon objectif avec L’Horloger.
Votre récit parcourt les chemins de Provence comme les paysages américains, passe par Bruxelles et même la Patagonie. Ces lieux racontaient-ils une part de votre histoire ? C’est ce qui est drôle. On parle d’un thriller international, qui se déroule sur plusieurs continents et qui pourtant contient une grande part d’intime. A deux points de vue particulièrement. Le premier, c’est un petit village de Provence, appelé Gourdon. Celui où ma grand-mère est née et où j’ai passé toutes mes vacances étant enfant et adolescent. J’ai des liens très fort avec ce lieu. Des racines même. J’y suis d’ailleurs retourné pendant l’écriture du livre, en me disant que j’espérais modestement que les habitants le verraient comme une sorte de cadeau. Une déclaration d’amour à ses paysages. Le deuxième, ce sont les personnages. Par des aspects différents, je me retrouve en chacun d’entre eux. En Jacob Dreyfus, dont j’ai mis longtemps à admettre partager une part de l’obscurité, du côté torturé. Mais également en Bernard Solane, épicurien, bon vivant, féru de vin aussi, un rappel de mon ancien métier de caviste, pratiqué durant plus de 15 ans. C’est d’ailleurs grâce à cet emploi que j’ai découvert la Bodega Chacra à Neuquen, en Patagonie, que j’évoque dans le roman. Un lieu incroyable, possédant une vibration tellurique et dès lors parfait pour développer l’aspect plus mystique de cet ouvrage. J’aime explorer le côté immersif de l’écriture, l’imprégner d’odeurs, d’atmosphères palpables, habiter le récit de sensations.
Si Jacob Dreyfus en est le héros, c’est la force de vie et de mort qui en est sont au final les principaux protagonistes. Quel est votre rapport à celles- ci ? Nous évoquions Trump, mais il y a aussi le contexte climatique, l’avenir de l’humanité dans sa globalité. Je ne le réalisais pas encore en écrivant ce livre, mais je suis désormais convaincu, plus que jamais, qu’à la noirceur il faut opposer une dose de lumière. Une forme d’émergence d’espoir. C’est le rôle que j’espère jouer aujourd’hui.
Profond, haletant, bouleversant, L’Horloger est aussi dur et même douloureux, brutal. Après un tel plongeon, avez-vous le sentiment d’en être ressorti le même ? Stephen King recommande d’écrire sur ce que l’on connaît viscéralement. Et je pense que c’est le meilleur conseil que l’on puisse donner. Cet ouvrage n’était pas une forme de thérapie, mais certains éléments s’y sont inscrits naturellement. Des échos à ce que j’ai pu vivre. Je n’en suis donc pas sorti et je pense que je n’en sortirai sans doute jamais vraiment.
Ce travail d’écriture vous a-t-il plu au point de réitérer l’expérience? J’ai adoré cela. Cela a été un plaisir et au-delà, une forme d’évidence. Depuis l’âge de 12 ans, je rêvais d’être écrivain. Pour la première fois de mon existence, devant mon écran, je me sentais vraiment à ma place. Il n’y a pas de retour en arrière possible. D’ailleurs mon second roman est en voie de finition, en tout cas le premier jet de celui-ci. Il sera un peu plus local et son histoire totalement indépendante de celle de L’Horloger, même s’il marquera le retour de l’un ou l’autre des personnages. J’espère pouvoir le publier au printemps 2025.
L’Horloger de Jérémie Claes
Editions Héloïse d’Ormesson.
VICTOIRE DE CHANGY Face à l’immensité
VICTOIRE DE CHANGY
Face à l’immensité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Morgane Delfosse
Au gré des pages, elle effleure mais aussi ébranle les instants de vie et les individus. Et touche du doigt leur essence la plus volatile comme la plus concrète. Avec Immensità, Victoire de Changy évoque la reconstruction d’une terre imaginaire, dévastée par un séisme, avec une écriture à la poésie toujours sensorielle. Et nous laisse à bout de souffle.
Qu’est-ce qui vous a mené à Immensità, cette cité utopique où la nature tient un rôle prégnant ? Comme à chaque fois que j’écris un texte de fiction, le propos m’échappe rapidement. Je n’ai pas de plan, je me laisse guider par un point de départ, un titre ou une scène. Pour l’île longue, c’était la vision d’une jeune fille lançant rageusement un répondeur sur le mur, qui contient un message de sa mère défunte, qui se fracasse sur le mur en perdant cette trace à jamais. Pour Immensità, je me suis réveillée un matin avec l’envie d’imaginer les sensations qui s’imposent à nous lorsqu’on se retrouve coincé sous les gravats. Je ne sais pas exactement d’où m’est venue cette idée. En réfléchissant bien après à la genèse de ce projet, je me suis rappelé un voyage au Japon, il y a quelques années. J’y avais lu un article racontant l’exode d’habitants, déplacés en masse suite à une catastrophe et relogés dans des préfabriqués. Inconsciemment, les idées et les influences suivent leur chemin dans mon esprit. Quant à cette évocation de la nature, elle est, je pense, reliée à mes appétences actuelles, et précisément au moment de l’écriture du texte. J’ai énormément lu et écouté le paysagiste et botaniste Gilles Clément, ainsi que l’incroyable poète et jardinier Marco Martella, beaucoup lu sur le jardin. L’architecture est un sujet qui me passionne particulièrement en ce moment ; elle est devenue partie intégrante de la construction d’Immensità.
Le jardin revêt d’ailleurs une dimension très philosophique dans ce récit. Oui, aussi bien du vivant des habitants que dans leur mort. Cela lui donne une symbolique à part et un double visage. C’est le principe même de l’utopie et de la dystopie ouvrant sur un univers fantasmé. Et puis, prendre tous ensemble soin d’un territoire commun fait sens. J’ai commencé ce roman il y a trois ans et si les questions environnementales étaient évidemment très présentes à l’époque, j’ai l’impression que nous conscientisons aujourd’hui un effondrement global, mondial, qui amène cette histoire à résonner autrement.
Par certains aspects, vous retrouvez-vous en Mauve, héroïne de cet ouvrage ? Je ne me suis pas identifiée à elle, non. En revanche, la dimension sensorielle du texte m’a, en quelque sorte, obligée à me mettre dans sa peau. Je me suis donc vrai- ment imprégnée de ces évènements, de cet ébranlement. Avec le temps, j’ai compris que je suis moins une cérébrale qu’une passeuse de sensations, dans tout ce qui compose mes personnages et ce qu’ils vivent, mais aussi à travers les éléments du récit, ce qui le touche, le frôle. C’est intimement lié à la personne que je suis, pour qui les sens sont fondamentaux. Par la vue en particulier, avec le besoin obsessionnel de regarder, d’admirer, de collectionner les images. Mais aussi les parfums, les sons, le toucher ; j’ai une obsession des mains, parce que c’est avec elles qu’on appréhende le monde en tout premier.
Vous citez, en début de livre, la chanson Immensità d’Andrea Laszlo De Simone. A-t-elle été source d’inspiration du roman ? Cette chanson m’a bouleversée dès la première écoute, et je l’écoutais en boucle au moment de l’écriture du texte. Son refrain dit “dès demain, commencera une nouvelle immensité”. J’ai trouvé ça porteur, prometteur. Immensité, à lui tout seul, est un mot puissant. En italien, Immensità sonne comme un mantra.
L’autrice d’Immensità est-elle toujours la même que celle d’Une dose de douleur nécessaire ? Fondamentalement la même, en beaucoup plus sereine et assurée. Je ne demande aujourd’hui qu’à pouvoir continuer à faire ce que je préfère, écrire.
Vous penchez-vous déjà sur de nouveaux projets ? Oui, plusieurs. Notamment un ouvrage pour adultes, qui sortira du cadre de la fiction, à la manière de Subvenir aux miracles, le livre que j’ai préféré écrire, une déambulation entre expériences et connaissances. Il sera cette fois question du corps, un sujet devenu très prégnant en moi aujourd’hui. Je prépare également un second recueil de poèmes. Et plusieurs projets jeunesse : un de mes créneaux préférés, pour sa grande liberté, notamment parce que la vraisemblance n’y est jamais questionnée.
Immensità de Victoire de Changy
Éditions Cambourakis
Opération Chaussettes 2023
Opération Chaussettes 2023
Tendons la main aux plus démunis
MOTS : ARIANE DUFOURNY
DESSIN : PHILIPPE GELUCK
Action ! L’Opération Chaussettes nous invite à nous retrousser les manches ce dimanche 19 novembre 2023, de 11h00 à 15h30 sur la Place Poelaert de Bruxelles. Nous y serons.
Statbel, l’office belge de statistique, avancent des chiffres glaçants : « 2.144.000 Belges, soit 18,7% de la population belge, courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. (…) 13,2% des Belges vivent dans un ménage dont le revenu total disponible est inférieur au seuil de pauvreté, qui s’élève à 1.366 euros par mois pour une personne isolée. »
Et cette précarité s’intensifie encore ! La faute à la guerre en Ukraine ? A la crise de l’énergie ? A la dévaluation du pouvoir d’achat des Belges ? Si se poser la question est nécessaire, venir en aide aux plus démunis est capital. Car, dehors, dans la rue, ce ne sont pas des chiffres qui endurent la pluie et le froid, mais des enfants, des femmes, des hommes qui dorment dans des abris de fortune.
Pour tendre la main aux plus démunis, l’Opération Chaussettes a mis sur pied il y a 12 ans une collecte solidaire, avec l’aide des contributeurs, de parrains et marraines (Philippe Geluck, Giovanni Bruno, Eric Emmanuel Schmitt, Pierre Degand, Pascal De Valkeneer, pour n’en citer que quelques-uns) qui ont à cœur de porter cette opération.
Pas que des chaussettes ! Qu’on se le dise : si les chaussettes sont le symbole de cette initiative, les associations actives sur le terrain manquent aussi d’écharpes, de vestes et de pantalons, de bonnets, de gants, de pulls, de sous-vêtements, de chaussures, de produits de première nécessité (savons, pansements, couvertures, etc.)
N’oubliez pas de les trier par catégorie : H (hommes), F (femmes), E (enfants), P (Produits de première nécessité).
A votre bon cœur.
PAUL COLIZE, échos d’histoire
PAUL COLIZE,
échos d’histoire
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : IVAN PUT
Le romancier belge maîtrise à merveille l’art d’anéantir les certitudes et de troubler les consciences, au service d’une intrigue brûlante. « Devant Dieu et les hommes », son dix-huitième ouvrage, s’articule en chronique judiciaire d’un meurtre perpétré dans l’enfer souterrain de la catastrophe minière du Bois du Cazier. Et nous laisse à bout de souffle.
Dans “Devant Dieu et les hommes”, vous empruntez les traits d’une jeune journaliste des années 50, évoluant dans un univers presque exclusivement masculin et victime constante de sexisme. Était-il complexe d’en- trer dans sa peau ? Pas vraiment. J’ai grandi les années 60, où des sphères comme celles de la justice et des affaires étaient presque uniquement dévolues aux hommes. Mais, surtout le vécu de Katarzyna, mon héroïne, est fortement inspiré de celui de ma mère. L’invasion de sa Pologne natale par les nazis, la Belgique pour terre d’asile et les traumatismes du déracinement et de la violence de la guerre sont des parts de notre héritage familial que j’avais déjà évoquées dans « Un long moment de silence ». La choisir pour personnage principal offrait l’occasion de faire entrer son passé en résonance avec l’histoire des deux accusés dont nous suivons le procès, inventé de toute pièce, et celle, bien réelle, du Bois du Cazier.
Justement, ressent-on une certaine pression à traiter d’un évènement qui a marqué à vif tout un pays, comme ce fut le cas de la catastrophe minière du Bois du Cazier ? Au contraire, cela m’a boosté. Je désirais évoquer un drame dans un autre, un désastre personnel au sein d’une tragédie bien plus vaste. Étant Belge, les images du Bois du Cazier mais aussi de l’incendie de l’Innovation se sont tout de suite imposées à moi. Mais le premier m’inspirait particulièrement, pour la dimension et le contexte social qui y étaient reliés. Je me suis donc rendu sur place, pour me laisser inspirer par les lieux. Un homme y déambulait également. Je me suis dirigé vers lui, sentant qu’il me fallait lui parler. C’était Urbano Ciacci, l’un des derniers survivants et considéré comme passeur de mémoire. Il était présent le jour de la catastrophe, mais revenant tout juste de son mariage, il n’était pas dans la mine. Suite à sa rencontre, témoigner de cet évènement est devenu une évidence.
D’autant que, 65 ans plus tard, les thématiques du livre demeurent toujours brûlantes d’actualité. L’immigration italienne au sortir d’une guerre, les conditions de vie et de travail des mineurs et le rejet de la population à leur égard, tout cela trouve beaucoup de résonance avec la crise des migrants et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’exploitation au profit de la productivité et l’inhumanité qui en découle aussi. C’était une manière de remettre en lumière tout le fonctionnement d’une époque, finalement pas si éloignée de la nôtre. Avant d’être un roman, « Devant Dieu et les hommes » a d’abord été une pièce de théâtre qui plaçait les spectateurs dans le rôle des jurés. En fin de procès, il leur revenait de voter pour définir la culpabilité des accusés. Le public était électrisé par ces enjeux et les rebondissements comme les injustices abordées par l’histoire. Cela a achevé de me convaincre de la force de ce sujet, encore aujourd’hui.
Ce n’est pas la première fois que vous mettez en scène un journaliste. C’était notamment déjà le cas dans « Zanzara », avec Fred, jeune pigiste web. Ce métier vous inspire ? Je trouve le journalisme d’investigation extraordinaire. C’est palpitant de recouper et disséquer les informations. Et c’est un principe que je développe également dans mes livres, surtout lorsqu’ils comprennent une dimension historique. J’adore plonger sous la surface des évènements pour livrer à mes lecteurs des éléments qu’ils ne trouveront nulle par ailleurs. Mais, plus encore que le métier de journaliste, j’aime mettre en scène des personnages qui tout en étant au cœur de l’action, ne sont pas des policiers et n’ont pas pour vocation de chercher un coupable.
Après « Un monde merveilleux », qui nous conduisait en 1973 à travers l’Europe et l’histoire, et « Devant Dieu et les hommes », qui faisait de nous les témoins d’un crime dans les charbonnages, quel sera le sujet de votre prochain livre ? Il s’agira d’un changement total de style, puisque je suis en train d’achever un roman policier classique. Après plusieurs romans assez sombres, j’avais envie de légèreté et de m’amuser.
L’envol d’ AMÉLIE NOTHOMB
L’envol d’ AMÉLIE NOTHOMB
Mots : Barbara Wesoly
PHOTOS : JEAN-BAPTISTE MONDINO
Ses mots résonnent comme une libération. Et nous entrainent dans l’abîme de sa souffrance puis à la genèse de sa renaissance portée par l’écriture. Avec « Psychopompe » son 32e ouvrage, Amélie Nothomb se livre avec profondeur et guide sa plume au zénith.
« Psychopompe » s’inscrit comme le troisième volet d’un triptyque, commencé avec « Premier Sang » et « Soif ». C’est aussi l’un de vos livres les plus personnels, racontant des évènements très traumatiques de votre enfance et adolescence. L’écrire s’est-il révélé une forme de catharsis ? Certainement mais plus encore, il m’a permis de comprendre énormément sur moi-même, dont cette obsession de l’oiseau, devenue consciente à l’âge de onze ans. Ce livre m’a amené à enfin percevoir le rôle qu’elle avait joué dans mon existence, notamment dans sa relation intrinsèque à la mort, elle qui m’a toujours obsédé également. Or l’oiseau est un très puissant vecteur de vie. Et avoir hautement conscience de sa mortalité ne rend pas morbide, au contraire, cela donne envie de vivre encore plus fort.
Le « Psychopompe » se définit dans la mythologie comme celui qui guide l’âme des défunts. Dans cet ouvrage vous questionnez ainsi le sens de l’existence tout autant que celui de l’après. A-t-il fait progresser vos réflexions ? Ma propre mort n’est pas du tout un problème pour moi, au contraire, c’est presque un motif de réjouissance. Je suis sure que mourir doit être une expérience très intéressante et je l’attends de pied ferme. Le départ des êtres chers c’est par contre terriblement grave. En expliquant être moi-même psychopompe, je raconte comment finalement contre toute attente, le décès de mon père s’est très bien passé. Cela a d’abord été une tragédie, dont j’ai beaucoup souffert, mais finalement, je me suis rendu compte que mon père avait parfaitement réussi sa mort. Et j’y vois un message d’espoir. J’avais de très bonnes relations avec lui de son vivant mais elles sont encore meilleures depuis qu’il n’est plus vivant. C’est prodigieux et cela prouve qu’il n’est jamais trop tard.
Votre rapport à la mort est aujourd’hui apaisé ? Je suis convaincue que la mort n’est pas une terre étrangère et c’est terriblement salvateur. J’ai perdu deux êtres que j’aimais d’un très grand amour, dont mon père, et j’ai longtemps cru que je ne m’en remettrais jamais. Or, finalement il y a un extraordinaire soulagement à s’apercevoir qu’il reste un lien dans l’après et que l’évolution de la relation ne s’arrête pas à ce départ. La mort n’est pas la cessation de l’amour, en aucune manière.
La quatrième de couverture de « Psychopompe » pose comme derni- ers mots : « Écrire c’est voler ». Au-delà de ce besoin que vous décriv- ez comme vital, on en ressent une part spirituelle. Oui, je suis définitivement une mystique. J’appartiens à une famille très catholique mais cela ne me suffit pas. J’ai besoin, non seulement de m’abreuver de toutes les croyances mais surtout de nourrir mon propre rapport à la transcendance. Je me considère comme une bricoleuse métaphysique.
Convoquer ces blessures vous amène- t-il à cultiver de la bienveillance envers vous-même ? L’écriture m’a sauvé la vie, très concrètement. Ce n’est pas une métaphore. Mais pour en atteindre un tel degré, il faut convoquer sa sensibilité et l’on en ressort forcément fragilisé. La bienveillance envers moi-même, c’est vraiment mon talent d’Achille. Mais je sais que je dois y aspirer donc je m’y contrains. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, raconter mon propre viol à l’âge de douze ans et demi est un mouvement en ce sens. Le plus grand danger était que cette épreuve soit frappée d’irréalité, ce qui correspondrait à une double peine. Ce qui m’est arrivé n’a pas été constaté. Pour moi l’écrire c’est dire « je n’ai que mon témoignage à vous apporter, mais il suffit ».
Est-il complexe d’écrire à nouveau après être allé aussi loin dans l’intime ? C’est à la fois monstrueusement difficile et totalement salvateur. On ne peut pas rester sur quelque chose d’aussi grave que « Psychopompe », il faut changer de registre, continuer à vivre. C’est indispensable. Je ne dirai par contre rien sur le livre que je suis en train d’achever. J’ai toujours affirmé ne pas pratiquer l’échographie parce qu’en l’occurrence, elle serait très dangereuse. Ce ne serait pas sans influence sur le bébé et là j’en suis au stade où je protège mon ventre de tous mes bras.
Eric-Emmanuel Schmitt « Je rêve mes livres »
Eric-Emmanuel Schmitt
« Je rêve mes livres »
MOTS : Servane Calmant
PHOTOS : Anthony Dehez
Auteur lettré et formidablement prolifique, Eric-Emmanuel Schmitt fait l’actu avec deux romans et une pièce de théâtre. « Le défi de Jérusalem », récit autobiographique d’un pèlerin, « La rivale », portrait en creux de Maria Callas, et « Bungalow 21 », hommage à Simone Signoret et Marilyn Monroe. Sans taire la rédaction du 4e tome de « La Traversée des temps » prévu au printemps 2024. Confidences d’un génial touche-à-tout qui avoue « rêver ses livres ».
Nous rencontrons Eric-Emmanuel Schmitt chez lui. Affable, souriant, il nous fait visiter sa maison ixelloise. Bâtie sur cinq niveaux, elle est sereine, inspirante, et a été pensée pour laisser rentrer la lumière. Des livres ? Oui, il y en a à chaque étage. Dans l’escalier qui monte au bureau, une moquette épaisse fait son show, ajoutant de la sensualité à l’espace. Décorer par la couleur, choisir des tonalités vibrantes, en voilà une bonne idée. Eric-Emmanuel n’a aucune requête particulière, juste un souhait : que les photos du shooting orchestré par Be Perfect soient en couleur.
Vous avez été naturalisé Belge en 2008. Que représente la Belgique à vos yeux ? Devenir belge m’a permis d’ajouter un choix de vie à ma naissance. Car ce n’est pas Bruxelles que j’aime mais la vie à Bruxelles. Paris est belle, Bruxelles est chaleureuse : elle permet aux gens de vivre les uns avec les autres et non les uns contre les autres. En termes de créativité, je suis un écri-vain français, la plume enracinée dans la tradition française, et un réalisateur belge, avec des plans teintés de fantaisie et de surnaturel.
Vous avez également acquis une ferme-château à Gougnies, non loin de Charleroi… J’ai grandi aux portes de Lyon donc aux portes de la ville et de la nature. J’ai besoin de marcher dans la campagne et de vivre les saisons.
Deux romans et une pièce de théâtre cette année. Quand trouvez-vous le temps de dormir ? Je dors 8 h par jour, et plutôt bien ! (rire) J’accouche de mes livres lorsque je suis « enceint ». Je ne me force pas à écrire. Je vis avec des histoires en moi, que des rencontres, des conversations, des voyages vont peu à peu nourrir. Et quand je sens qu’une histoire est prête, alors je la rédige sans douleur, sans péridurale, en quelques semaines. « Ma tragédie est faite, je n’ai plus qu’à l’écrire », disait Racine … J’ai publié beaucoup, mais bizarrement j’ai écrit peu. Je rêve beaucoup mes livres.
« La Traversée des temps » où vous racontez l’histoire de l’humanité sous la forme d’un roman, en huit tomes, dont le quatrième sortira en avril 2024, a dû bousculer votre emploi du temps ! Il s’agit d’un travail de longue haleine, 30 ans de ma vie. J’ai débuté le premier tome, il y a trois ans. C’est un roman ambitieux, titanesque et terriblement exigeant qui m’oblige à une nouvelle discipline. Quand un nouveau tome est mûr dans ma tête, alors je m’installe devant mon ordinateur de 9h à 20h.
Vous avez accumulé des connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques, un surhomme ! Bernard Pivot, lorsqu’il présidait l’Académie Goncourt, m’a traité affectueusement d’hypermnésique. Je retiens en effet tout ce qui m’intéresse. Et tout m’intéresse : de la fabrication du pain à la métaphysique de Kant en passant par la spécificité de la culture grecque, absolument tout !
Quel regard portez-vous sur vos personnages ? Je crois en la force émancipatrice du personnage dans la littérature. Prenez « Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran », roman vendu à des millions d’exemplaires, si j’avais voulu écrire un essai sur la tolérance, il aurait parlé à 500 personnes, tout au plus. Mais en conférant de l’amour à Monsieur Ibrahim, il vous pousse à penser différemment.
Vous êtes l’un des auteurs francophones les plus lus. Vous êtes également l’auteur français le plus étudié dans les collèges et lycées. Pour vous qui n’avez pas d’enfant, que représente cette notion de transmission de votre savoir ? Ma légitimité, c’est d’être une courroie de transmission. En tant qu’humaniste, je pense que si chaque homme se différencie par la réponse qu’il apporte aux questions existentielles, nous avons néanmoins une fraternité de questions car nous habitons tous la condition humaine d’une manière interrogative. Comment aimer ? Comment agir ? Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que la mort ? Cet huma-nisme interrogatif a des résonances politiques, puisqu’il peut apporter une réponse pour vivre ensemble en toute harmonie.
« Le défi de Jérusalem » a été publié le Jeudi saint de cette année. Et ce n’est pas une coquetterie de votre éditeur ! Racontez-nous cette incroyable aventure qui débute par une invitation du Vatican à partir en pèlerinage vers Jérusalem… Lorenzo Fazzini (le directeur éditorial de la maison d’édition affiliée au Saint-Siège et responsable de la communication du Vatican – nda), me téléphone pour m’inviter à un pèlerinage et ce qu’il me dit ce jour-là va me toucher particulièrement : « On vous aime beaucoup au Vatican. On aime votre foi et la liberté avec laquelle vous l’exprimez ».
Le Pape François est un de vos fidèles lecteurs ! Je l’ai découvert ce jour-là.
Pour autant « Le défi de Jérusalem » n’est pas une commande du Vatican… D’emblée, j’ai précisé que je n’écrirais de roman que si ce voyage à Jérusalem me permettait de le nourrir. Au bout de quelques jours de pèlerinage, j’ai su que je l’écrirais …
Jérusalem, vous n’êtes déjà plus athée … En effet, à 28 ans je suis parti dans le désert du Sahara et j’y ai vécu une expérience mystique, que je relate dans mon roman, « La Nuit de feu ». Je suis arrivé athée et j’en suis reparti croyant, mais un croyant en Dieu, sans aucune religion. Il s’agissait bel et bien d’une expérience mystique et non religieuse. Ensuite, j’ai beaucoup lu au sujet du christianisme, des essais critiques, d’autres apologiques. Avant de partir à Jérusalem, mon adhésion au christianisme était intellectuelle, le voyage à Jérusalem l’a rendue charnelle.
Qu’est-ce qui a changé en vous ? Pour l’athée, l’incompréhensible cache l’absurdité; alors que pour le croyant, l’incompréhensible cache le mystère et est donc porteur d’une promesse de sens. L’angoisse qui m’habitait, à propos de la vie et de la mort, a été remplacée par la confiance.
Votre extase mystique dans le Sahara et votre conversion au Saint-Sépulcre à Jérusalem, sont liées à deux voyages. Pour recevoir une révélation, partir s’impose-t-il ? Oui. Il faut voyager pour abandonner le confort d’une pensée déjà structurée, des habitudes. Il faut la coupure, la rupture pour être un homme neuf, pour s’ouvrir à de nouvelles expériences.
Il faut ensuite l’accepter, cette révélation… Exactement. On peut recevoir un flash mystique, et ne pas accepter la révélation, la percée de lumière. Car l’accepter, c’est tout repenser, tout remettre en question !
Jérusalem, ville trois fois sainte, inspirante. Ville de toutes les bigoteries aussi… La bigoterie continue à m’énerver, en effet. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie », disait François de Sales. L’église fait beaucoup de mal à Dieu. Le Pape François est d’ailleurs très critique par rapport à l’église. A ses yeux, elle existe uniquement pour annoncer l’Evangile au monde.
2023, année fertile avec un deuxième roman, « La Rivale », et une pièce de théâtre, « Bungalow 21 ». Dans les deux cas, des personnages de femmes au cœur du récit. Dans « Bungalow 21 », j’explore même deux formes de féminité : Marylin Monroe, hypersexuelle mais prisonnière de son physique, et Simone Signoret, une intellectuelle, femme de culture.
Avec « La Rivale », je dresse un portait en creux de Maria Callas à travers le portrait cocasse de Carlotta Berlumi, une mystérieuse vieille dame qui soutient mordicus qu’elle fut la rivale de Maria Callas. Le génie de la Callas, je le montre à travers le regard de quelqu’un qui ne le saisit pas. C’est ce point de vue qui m’intéressait.
La pièce « Bungalow 21 » sera en tournée en Belgique dès 2024 avec les sœurs Seigner ! Sur les planches, ça va saigner en effet (il rit) avec Emmanuelle et Mathilde Seigner, rivales pour l’amour d’Yves Montand.
Revenons à « La Rivale », on vous savait nourri par la philosophie et la spiritualité, vous l’êtes donc également par la musique ? à tout vous avouer : il m’arrive de passer une journée sans écrire et sans lire, mais jamais sans musique.
Auriez-vous pu devenir musicien ? J’ai fait le Conservatoire mais je n’aurais pas été le musicien que je souhaitais être.
Etes-vous le romancier que vous souhaitiez devenir ? (rire) Non. J’ai une écriture précise, claire, suggestive, alors que je l’aurais préférée lyrique. « Deviens ce que tu es », disait Nietzsche.