L’Eau Vive - Pierre Résimont, 30 ans d’étoiles au compteur
L’Eau Vive
Pierre Résimont, 30 ans d’étoiles au compteur
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Pierre Résimont, c’est l’un des meilleurs chefs de Wallonie, presque une légende. En 1994, à 25 ans à peine, il offre à son Eau Vive sa première étoile Michelin. La 2e, il la décrochera en 2012. 30 ans qu’il est étoilé ! 30 ans de partage d’une passion pour une cuisine riche, avec une exceptionnelle régularité dans le temps. Au reste, il construit un véritable empire : L’Espace Medissey, une maison d’hôtes à quelques minutes de son restaurant, Le Comptoir de l’eau vive, une table gourmande à Erpent et, la petite dernière, La Table du Tribeca, une brasserie à Gerpinnes. Rencontre avec un chef-entrepreneur sympa en diable.
Royalement installés à Profondeville, dans un moulin du 17e romantique à souhait, Pierre et Anne Résimont nous reçoivent chez eux, à L’Eau Vive. L’art de recevoir, ils en maîtrisent les codes. La convivialité et une bonhomie toute wallonne faisant partie de leur ADN. Chez les Résimont, le client est choyé. Et cela fait 30 ans que ça dure.
En 1994, à 25 ans, vous devenez le plus jeune chef étoilé de Belgique. En 2012, vous décrochez 2 étoiles Michelin. En quoi ces récompenses ont-elles changé votre vie professionnelle ? Je vais vous raconter une anecdote, amusante. En 1994, quand vous receviez une étoile Michelin, on vous envoyait simplement un fax de félicitations. A l’époque, je skiais avec des amis en Suisse. De retour dans l’appartement que je louais, je découvre une enveloppe glissée sous la porte, avec ces mots : téléphonez d’urgence en Belgique. Il n’y avait pas de GSM en 94. Imaginez mon angoisse, je pensais qu’il était arrivé un malheur à un proche. D’une cabine téléphonique donc, j’appelle ma femme restée en Belgique qui m’annonce… ma première étoile Michelin ! La 2e étoile, c’est Peter Goossens qui me l’a communiquée.Ont-elles changé ma vie ? Et comment ! On a doublé nos réservations. Et il a fallu engager pour renforcer l’équipe…
30 ans sous les étoiles Michelin. Cette régularité dans l’excellence, comment la maintenez-vous ? En me remettant sans cesse en question, pour ne pas perdre la flamme. Me reposer sur mes lauriers, ce n’est pas mon style. Mais pour perdurer dans ce métier, il faut proposer une offre complète, sans faille, au niveau de l’assiette et du vin évidemment, mais aussi de l’accueil, de l’infrastructure, parking, terrasse, nuitées… L’été, notre terrasse pavée qui jouxte une cascade et une rivière, est un atout considérable. La verrière inondée de lumière également…
Vous avez également pensé aux gourmets qui souhaiteraient ne pas reprendre la route à l’issue du repas… Nous proposons effectivement des chambres d’hôtes dans le Cube, posé à côté de L’Eau Vive, le long du ruisseau, et dans l’Espace Medissey, à trois kilomètres du restaurant, qui bénéficie également de chambres et même d’une piscine en plein air…
Revenons à l’assiette. Cuisine de produits et/ou cuisine technique. Où vous situez-vous ? Cuisine de produit. La technique, elle existe pour magnifier le produit. En fait, je n’aime pas les artifices. En revanche, les sauces…
Parlons-en. La tourte farcie de filet de pigeon et de foie gras, accompagnée de trois condiments de chou-fleur, est l’un de vos plats signatures. Le jus de cuisson du pigeon est carrément affolant. Vous êtes le roi des sauces ! Merci. à tout vous avouer, je passe tellement de temps à parfaire une sauce, qu’elle me coûte aussi chère que le produit. En revanche, garnir les assiettes de fleurs, ce n’est pas ma tasse de thé.
Les produits, forcément locaux ? Le plus souvent. Mon souhait serait de cuisiner 100% belge. Mais sans pression aucune : si tel produit est meilleur ailleurs, il aura mes faveurs.
Quel est le mot d’ordre le plus fréquent que vous adressez à votre brigade en cuisine ? Ponctualité et bonne humeur.
L’Eau vive, c’est votre bébé mais aussi celui de votre épouse, Anne. Cette complicité entre vous participe-t-elle également à votre succès ? En effet. En 30 ans de service, aucune dispute. Moi en cuisine, mon épouse en salle. C’est un TGV, Anne. (rire). Moi, je suis plus calme. Et chacun est parfaitement à sa place.
En 2012, vous surprenez agréablement avec Le Comptoir de l’eau vive, à Erpent … J’avais envie d’un lieu qui soit à la fois table gourmande et épicerie, pour que les clients puissent voir et acheter les produits avec lesquels je travaille.
Le 13 mars dernier, vous avez inauguré La Table du Tribeca, à Gerpinnes, dans un quartier résidentiel des hauteurs de Charleroi … Avec mon associé Laurent Wagner, entrepreneur gerpinois, nous avons donné une suite à l’histoire du restaurant Tribeca, qui devient La Table du Tribeca. à la carte, je propose une cuisine de brasserie authentique et généreuse, agrémentée de deux ou trois classiques de L’Eau Vive dont le mijoté d’asperge au vin muscat, croûtons et lardons.
Si Pierre Résimont a l’âme d’un entrepreneur, L’Eau Vive reste-t-elle sa priorité ? Oui, oui ! Je suis en permanence derrière les fourneaux de L’Eau Vive et je viens saluer les convives en salle plusieurs fois pendant le service. Cette proximité avec le client, j’y tiens énormément.
Christophe Hardiquest - Menssa, où tous les goûts sont permis
Christophe Hardiquest
Menssa, où tous les goûts sont permis
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Avec Christophe Hardiquest, on ne voit pas le temps passer. Au printemps 2023, Be Perfect vous annonçait qu’à 46 ans, il laissait derrière lui Bon-Bon, 2 étoiles Michelin, pour ouvrir Menssa, un comptoir gastronomique de franche complicité avec le client. Printemps 2024, Menssa est gratifié d’1 étoile Michelin. L’occasion est trop belle, trop bonne, de redécouvrir la symphonie culinaire d’un chef qui, affranchi de toutes les injonctions du monde gastronomique, fonctionne au coup de foudre pour sublimer l’infini des saveurs. Voyage au cœur de la créativité, de l’innovation et de l’audace belges.
C’est notre deuxième visite chez Menssa, et le constat est inchangé : quelle déco ! L’architecte belge, Anne-Catherine Lalmand, a frappé fort avec son arbre de vie monumental et ce comptoir central ondulé, porteur d’une belle énergie, d’une incroyable dynamique, au travers des échanges entre le chef, sa brigade, les clients, qu’il suscite et avive. Rien n’a donc vraiment changé en un an ? Si, et l’on s’en réjouit. Le 26 février dernier, le Michelin a en effet rendu son verdict et octroyé 1 étoile à Menssa du chef Christophe Hardiquest, venant récompenser « un vrai spectacle » et un chef qui « partage dès votre arrivée sa vision durable de la gastronomie, avec un respect des producteurs et de la nature ».
Si un chef porte souvent seul l’avenir de son entreprise, Christophe Hardiquest n’oublie jamais de saluer le dévouement sans faille de sa brigade. « Recevoir 1 étoile, un an après l’ouverture de Menssa, c’est une belle reconnaissance pour toute mon équipe qui travaille d’arrache-pied, au quotidien, pour porter ce restaurant au firmament. à tout vous avouer, maintenant que j’ai une étoile, je travaille déjà comme si nous en avions deux ! Il reste à affi-ner le projet, à régler des détails de chorégraphie du service et à améliorer encore et toujours l’accompagnement du client. La modernité de la table d’aujourd’hui réside en un équilibre complexe entre la qualité de l’assiette et l’expérience client. L’idée n’étant pas d’être démonstratif, mais de transmettre aux clients des émotions. »
Quand on lui demande s’il ne regrette pas d’avoir tourné la page Bon-Bon, la réponse du chef est sans équivoque. « Non, après 20 ans à la tête de Bon-Bon, je n’étais plus en phase avec ma vision du restaurant de demain. Si j’ai un bon conseil à donner à tout entrepreneur, c’est de se laisser guider par ses envies, d’oser se mettre en danger pour aller de l’avant. Se mettre en danger ne signifie pas être inconscient, mais il faut parfois s’enhardir pour retrouver un nouveau souffle et réaliser ses rêves. Suivre son instinct, c’est ma ligne de conduite. »
Instinct, le mot est lâché. Instinct, inspiration, intuition, liberté, voyages nourrissent la quête sans relâche de Christophe Hardiquest pour atteindre l’excellence et offrir à ses clients un voyage gustatif au cœur des saveurs et de la créativité belge. « Je ramène beaucoup de techniques de mes voyages, que j’applique à des produits locaux. Il n’y a pas de grandes cuisines sans beaux produits, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Menssa joue la transparence avec ce comptoir ouvert sur la cuisine, mais la précision des techniques permet d’appréhender le produit autrement. La naissance d’une nouvelle recette qui va marquer les esprits, qui va devenir un plat signature, durable dans le temps, est hautement gratifiante, jouissive même. »
Pour l’heure, laissons-nous choyer. Face à nous, au cœur du comptoir central, deux jeunes commis subliment les assiettes, le geste est méticuleux, la pince à dresser l’allié. Nicolas Simon, sommelier et directeur de salle, vient nous saluer. Le verbe est éloquent. Comme nous ne souhaitons pas l’accord mets/vins, il nous propose une élégante Syrah d’Ogier, « elle est signée Stéphane, le fils de Michel Ogier, icône de la nouvelle génération montante des vignerons en Vallée du Rhône »… A chacun, sa partition. Du coin de l’œil, Christophe joue son rôle de chef d’orchestre, discret et vigilant à la fois. « Au sein de Menssa, j’aime l’idée que chacun puisse se réali-ser même si, in fine, c’est moi qui valide chaque nouvelle proposition. »
Cornet épicé au curry, tartare de veau pimenté, émulsion à la moelle de boeuf, tempura de câpre de sureau. Cette mise en bouche est une oeuvre d’art, la rétine jubile, le palais frétille. Tartare d’encornet à l’huile citron, savarin léger de topinambour, toum libanais, extraction de chou-fleur, on reconnaît ce plat signature qui met tous les sens en émoi. L’aventure intuitive se poursuit avec un affolant marbré d’anguille au tabac de romarin, rémoulade de légumes racines au dashi de rhum, une combinaison subtile de saveurs où chaque ingrédient est valorisé. Coup de cœur coup de saveurs avec le chawanmushi (un flanc japonais) de céleri boule en vinaigrette de lentilles vertes… Le chef pâtissier est disponible, il faut absolument que nous le félicitions pour son inoubliable tarte-lette de pain caramélisée, pain d’épices maison, crème de coing, segment de clémentine, glace de gingembre vanillée. « Je suis partisan d’une proximité entre mes chefs de cuisine et les clients. Je les ai préparés à parler de leur travail et à exprimer leurs émotions. »
Chez Menssa, laboratoire culinaire instinctif, joyeusement délivré de toutes les injonctions du monde gastronomique, tous les coups extrêmement techniques et tous les goûts sont permis. « Mon métier sert aussi à bousculer les codes », nous avoue Christophe. Chapeau.
YVES JADOT - Du rêve américain au succès bruxellois
YVES JADOT
Du rêve américain au succès bruxellois
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthonin Weber
Le rêve américain, il l’a vécu. L’entrepreneur belge Yves Jadot a exploité une flopée de restos à Manhattan où il est toujours propriétaire de plusieurs bars hype. Pour autant, il n’a pas oublié Bruxelles. Avec son associé Nicolas Vignals, maître mixologiste, il vient en effet d’y ouvrir Confessions, un élégant bar à cocktails et canapés gourmands. Rencontre avec Yves, un soir de novembre pluvieux, un « Generosity » (gin/safran/cannelle) réconfortant, à portée de lèvres.
A 18 ans, 100 dollars et de la niaque à revendre en poche, notre compatriote Yves Jadot saisit la promesse d’un job à La Crémaillère, un restaurant étoilé français à Bedford, dans l’Etat de New York. Pendant deux ans, il va se faire la main, comme on dit. 20 ans, l’âge de tous les défis. Yves monte à Manhattan où il gravit tous les échelons de l’horeca : serveur, bartender, manager, general manager même, de plusieurs restaurants et bars. Ça roule pour Yves ! Courage, détermination, prospérité, il vit pleinement le rêve américain. Qui lui laisse cependant peu de temps pour avoir une véritable vie privée. Or Yves tombe amoureux, se marie, fonde une famille. « Cette nouvelle étape dans ma vie était difficilement conciliable avec un travail de nuit », nous avoue-t-il. Alors Yves décide de se lancer à son propre compte. Il ouvre Petite Abeille, un restaurant belge à New York, qu’il essaime, il en gèrera quatre sur Manhattan. Suivront un restaurant mexicain, deux anglais, un vegan, et même une maison du croque-monsieur… Yves, entrepreneur visionnaire, a de (bonnes) idées à revendre. Quand on lui demande quel trait de caractère principal il faut pour survivre à New York, il réplique : « la polyvalence ». Et pour devenir un winner à NY ? « Ne pas voir peur de se retrousser les manches, ne pas craindre de ne rien gagner les premières années de labeur, travailler 7 jours/semaine, établir un business plan solide, se doter d’un bon réseau professionnel… ». Le message est clair : devenir un winner se mérite ! Yves Jadot, a-t-il croisé des stars dans ses bars ? « A l’époque de Titanic, Leonardo DiCaprio s’est installé à la table de « Petite Abeille » et il s’y est fait photographier. Quelle pub ! J’ai également rencontré pas mal de vedettes et politiques belges, qui étaient désireux de découvrir mes bars à cocktails. ». Comme chantait Frank Sinatra : « I want to be a part of it… New York, New York ». Rien n’a (vraiment) changé.
2020, la pandémie s’étend au monde entier. « Mon groupe comptait plus de 350 employés et 11 établissements performants. Mais les baux à New York ont une durée de 10 ans ; en fin de bail, un loyer peut bondir de 3000 dollars à 13 000. Il faut avoir les reins solides pour se développer à NY ! J’ai préféré me concentrer sur les bars à cocktails haut de gamme. »
Aujourd’hui, Yves Jadot est toujours propriétaire de quatre bars à cocktails new-yorkais (notamment Raines Law Room dans le quartier huppé de Chelsea et Dear Irving, du côté de Gramercy, tout aussi chic), il a décidé d’en lancer un 5e (ouverture en mars 2024) et il vient de miser sur un projet d’ecoresort à 1h30 de Manhattan. Des projets plein la tête mais les pieds bien sur terre, il nous confie : « Gérer un bar est nettement plus facile qu’un resto, et la marge bénéficiaire plus importante ». Il rit.
Et à Bruxelles ?
Pour l’heure, on fait la rencontre d’Yves Jadot dans son nouveau bar à cocktails, Confessions, situé à Ixelles, rue du Bailli, en face de l’Eglise de la Sante-Trinité.
Yves, pourquoi, diable, ouvrir un bar à Bruxelles quand on habite New York ? « Pendant la Covid, j’ai trouvé le temps long. Bruxelles où je retournais deux fois l’an, me manquait. Alors, j’ai cogité longuement : ouvrir un bar à cocktails m’a semblé une bonne idée pour y revenir plus souvent. (rire). La visite d’un espace libre à Ixelles, à deux pas de la place du Châtelain, dans un quartier multiculturel et aisé, a balayé mes dernières hésitations. A tout vous avouer : je compte bien en ouvrir un deuxième dans un avenir proche, avec mon associé ».
De fait, si derrière Confessions, on retrouve l’esprit visionnaire d’Yves Jadot, le savoir-faire de son associé dans cette nouvelle aventure, Nicolas Vignals, un maître mixologiste que tous les amateurs bruxellois de cocktails signatures connaissent bien, confère à l’adresse toute sa particularité et son caractère. C’est que Nicolas a déjà séduit les amateurs de cocktails dans de belles maisons : Arthur Orlans, le temple du gin à Bruxelles (auréolé par Gault&Millau d’un «Best cocktail bar of the Year 2022 »), et La Villa Lorraine, table étoilée où il officiait comme barman en chef. C’est d’ailleurs à la Villa que Nicolas a rencontré Basil Huvelle, alors chef de partie de l’institution étoilée.
Car c’est là toute l’originalité du concept de Confessions : mixer cocktails (8 créations et 20 classiques), bouchées gastronomiques délicieusement raffinées (brioche coppa bonite séchée sauce miso, sando au tartare de bœuf condiment à l’ail noir, on a tout apprécié !), atmosphère singulière (Anno Defeche pour le design d’intérieur et Adeline, la fille d’Yves, une jeune artiste émergente, qui signe ici des fresques murales) et musique (Jabeau, le fils de Yves, compositeur, a imaginé une expérience unique en associant musique et cocktails via des écouteurs audio mis à la disposition du client, soit une variation des accords mets-vins qui devient cocktails-mets-musique). « Servane, vous serez étonnée de voir à quel point les sons, la musique, peuvent éveiller des sensations gustatives », s’emballe Yves Jadot.
On l’aura compris, Confessions se profile comme un bar à cocktails bruxellois à la signature affirmée, d’autant que Yves Jadot a appelé 10 investisseurs belges issus de tous les milieux (sportifs, showbiz, horeca) pour soutenir son projet et attirer des happy few sur ses canapés soyeux. « C’est une formule que j’ai expertisée à New York. Mais je préfère que le client vienne pour l’excellence du lieu, que pour voir et être vu ! »
Miss Rose de Giovanni Bruno
Miss Rose de Giovanni Bruno
Mots : Servane Calmant
Photos : Triptyque
Avec son ristorante Senzanome*, Giovanni Bruno trône fièrement sur le Sablon à Bruxelles. C’est dans ce même quartier chic, qu’il vient d’ouvrir Miss Rose, sa seconde adresse, un bistro-galerie délicieusement glamour où « bien manger sans se rendre dans un étoilé ». Parole d’il maestro.
Paris ne s’est pas fait en un jour, Miss Rose non plus. On nous avait annoncé son ouverture cet été, c’est finalement mi-novembre que Giovanni Bruno nous accueille dans son nouvel écrin. Et le résultat est à la hauteur de l’attente. Le chef, visiblement heureux, s’est fait plaisir. « Avec Miss Rose, je veux m’amuser, être plus abordable, plus accessible, plus convivial avec une cuisine généreuse à la clé », nous confie-t-il. Bonheur partagé, tant cette nouvelle adresse va dynamiser le quartier du Sablon.
Ce quartier, Giovanni qui est arrivé à Bruxelles avec sa famille à l’âge de 16 ans, le connaît bien, puisqu’il y trône désormais avec son Senzanome, table étoilée classée 13e meilleur resto italien au monde (hors la Botte) par le guide en ligne Top Italy. Si Giovanni se réjouit de cette reconnaissance internationale et d’avoir, notamment, cuisiné pour les Rolling Stones lors de leur dernier concert à Bruxelles, il n’a pas attrapé la grosse tête pour autant ! Au contraire, à quelques jets de pierre du Senzanome, le chef vient d’ouvrir une deuxième enseigne, un bistro-galerie haut en couleur. De la couleur pour égayer la vi(ll)e. Du rose, du velours, du glamour. Une approche très girly, Giovanni ? C’est que depuis son plus jeune âge, le chef est bercé par les effluves de la cuisine ensoleillée de sa mère et puis, « n’y a-t-il pas une part de féminité en chaque homme ? », nous demande-t-il. Bien vu !
En ce 16 novembre, nous découvrons donc Miss Rose. L’architecte est italien. C’est classe, c’est glam’, à la fois dans l’air du temps mais avec un chic indémodable. Giovanni Bruno a pour passion l’art. Une passion qu’il va mettre en exergue avec brio dans son nouveau bistro. « On peut passer admirer l’artiste du moment qui expose mais aussi manger de délicieux mets dans une ambiance conviviale ». Le concept fonctionne, la grande cuisine est une émotion, l’art aussi.
La cuisine, parlons-en. On connaît le chef pour ses plats généreux dictés par une tradition toute méditerranéenne, pour ses assiettes précises, structurées, maitrisées également. Chez Miss Rose, le même savoir-faire est à l’honneur, la même cuisine généreuse à la clé, mais l’adresse plus accessible, l’addition plus abordable en quelque sorte. Passons à table. Nous nous installons dans la salle lounge prolongée, l’été, par une grande terrasse. Liesa, la cheffe de salle (ex Villa Lorraine), entre en jeu. Alerte, souriante, courtoise, irréprochable. En entrée, une assiette de parta-ge : burrata tomate confite, thon frais et thon fumé, ceviche de hamachi (un poisson japonais), sardines concombre. L’inspiration est indéniablement italienne mais aussi française, espagnole… Œuf parfait à la carbonara pour suivre. Parfait, le mot est judicieusement choisi. Un classique revisité ensuite avec le vitello tonnato et sa confiture de câpres au citron. Notre mets préféré : la rose au jambon, ricotta, crème de Parmigiano, coulis de roquette. Comme une envie de lécher son assiette. Certes, ça ne se fait pas, mais l’envie y est ! Bref, on en redemande. Senzanome (1 étoile Michelin) ou Miss Rose (cuisine créative et art) : la main méditerranéenne de Giovanni dicte une même cuisine de caractère, goûteuse à souhait ! Note originale parmi d’autres : une suggestion d’accords mets-cocktails maison. Cocktails à savourer au bar en prélude d’une soirée raffinée ou tout au long du repas donc. Le cocktail pairing, c’est tendance.
Les Brassins - La convivialité à table
Les Brassins
La convivialité à table
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
Jean Callens redonne vie aux Brassins, un estaminet ixellois au charme délicieusement rétro, en célébrant une cuisine belge de terroir, de réconfort et de plaisir. De l’entrée au dessert, défilent les indétrônables : croquettes crevettes grises, boulet à la liégeoise, pain perdu brioché. Cet hommage convivial et joyeux à notre patrimoine culinaire, et culturel à travers notamment une généreuse sélection de bières de brasseries belges, réchauffe les corps et les coeurs.
A côté de la porte d’entrée des Brassins, une affiche sur la répression de l’ivresse qui a disparu des nouveaux bistrots même populaires ; au mur, des affiches vintage et des plaques émaillées qui vantent des bières et des boissons apéritives ; le parquet est patiné par le temps et les chaises et tables n’ont visiblement pas été achetés sur un site design. En réalité, rien n’a vraiment changé depuis l’époque où, étudiante à l’ULB, nous fréquentions assidûment cet estaminet, ce qui ne date pas d’hier ! Jean Callens, nouveau propriétaire des lieux et chef en cuisine, se fiche de toute évidence du diktat des lieux hype. Tant mieux, son établissement dégage un charme fou et respire la convivialité et la bonne humeur. Le pari est déjà gagné.
Jean vient nous saluer. Ce soir, après moins d’une semaine d’ouverture, son Brassins affiche déjà complet. Il nous présente Laurent, son gérant et chef de salle. Laurent, le sourire aux lèvres, s’implique à mort, ça se sent, ça se voit, il nous avoue d’ailleurs avoir goûté toutes les bières de brasseries belges qu’il propose à la carte des Brassins : les blanches, les brunes, les triples, les fruitées, les saisons, les acides, les trappistes, les lambics, les pale ales. Les sans alcool ? Il ne nous l’a pas précisé. Sourire.
On coince Jean Callens avant qu’il ne retourne aux fourneaux. Jean, 4e d’une génération de restaurateurs bruxellois, a ouvert au printemps 2023, à Ixelles, L’Epicerie Nomad, un excellent resto bistronomique qui ne désemplit pas. Pourquoi dès lors, la même année, rachète-t-il Les Brassins, une adresse de quartier qui existe depuis 40 ans ? « J’ai toujours été sous le charme des Brassins. Quand le soir tombe, j’ai l’impression d’être dans un tableau d’Edward Hopper. Alors, quand j’ai appris que l’établissement était à vendre, je n’ai pas hésité. Par chance, il se trouve à deux pas de l’Epicerie Nomad. Pour le moment, je forme deux jeunes chefs brillants, Antoine et Diego, pour m’épauler, tout en restant maître à bord. La cuisine belge ne nécessite pas d’avoir gagné un concours de dressage d’assiette ; l’essentiel, c’est de maîtriser les recettes traditionnelles de nos grands-mères. »
Aux Brassins, Jean Callens ne bouleverse pas les codes de la cuisine belge de tradition ; au contraire, il les honore sciemment. Soupe à l’oignon, œufs à la russe, mousse de jambon, filet américain frites, carbonnade à la flamande, boulet à la liégeoise, saucisse stoemp… Vous l’aurez compris, le choix s’avère cornélien. Allez, on vous aide un peu : les croquettes aux crevettes grises s’avèrent une valeur sûre, croustillantes à l’extérieur avec une farce moelleuse bien poivrée et généreuse en crevettes ; l’onglet est servi avec une sauce à la Gueuze de la Brasserie Boon, un véritable hymne au plaisir ; le chicon au gratin joue dans la cour des grands avec des chicons pleine terre (bien plus goûteux que leur cousin, le chicon hydroponique), jambon du pays, sauce Mornay traditionnelle. Côté gâterie, crème brulée, pain perdu brioché caramélisé. Ah oui, c’est du chocolat Chokotoff qui nappe la Dame blanche, quelle gourmandise !
Affairé, Jean Callens n’en reste pas moins serein, heureux de mener sa barque comme il l’entend. « J’ai souhaité conserver l’esprit estaminet du lieu. Celles et ceux qui désirent simplement boire une bière ou un vin au bar, en mangeant des croquettes aux crevettes sur le pouce, sans forcément passer à table, sont les bienvenus ».
Entreprendre, redonner vie à des lieux atypiques, cuisiner, Jean nous l’avoue, il « nage dans le bonheur ». Pas étonnant de voir ce chef particulièrement attachant nous offrir une cuisine de réconfort. Qui plus est, à prix tout doux. Cette attention-là aussi, elle fait un bien fou.
Louis Verstrepen - Maître à bord du Da Mimmo*, il régale les amoureux de fine cuisine italienne
Louis Verstrepen
Maître à bord du Da Mimmo*, il régale les amoureux de fine cuisine italienne
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Dans notre assiette, linguine au caviar impérial, sauce franciacorta, citron d’Amalfi et aneth. Plat aérien, maîtrisé, précis. La gastronomie italienne sublimée. Extase. Le chef belge Louis Verstrepen, désormais patron de son propre restaurant, Da Mimmo, 1 étoile Michelin, avoue son intention d’en acquérir une deuxième. Il est en bonne voie. Le guide Gault&Millau Belgique vient d’ailleurs de l’élire Meilleur restaurant italien de l’année 2024.
Le chef Louis Verstrepen, 30 ans, un p’tit nouveau ? Pour ceux qui ont connu Mimmo Zizza, fondateur de l’institution gastronomique de Woluwe-Saint-Lambert qui porte son prénom, oui. Pour celles qui y ont réservé une table il y a un an, non.
Rembobinons : en 2018, après 25 années à nous régaler, Mimmo Zizza cède son restaurant à Serge Litvine, propriétaire d’établissements haut de gamme (La Villa Lorraine** en tête de liste). Pendant 4 ans, le chef Gerardo Metta maintient l’étoile du restaurant. Septembre 2022, Louis Verstrepen lui succède. Depuis un an, ce chef belge trentenaire au charme latin (nous étions persuadée qu’il était italien, malgré un nom de famille qui sonne bien belge !), loquace et sympathique en diable, prouve qu’il a la capacité de préserver l’étoile Michelin du restaurant, voire plus. Louis se voyait bien, en effet, propriétaire de Da Mimmo … Cette détermination, elle n’a pas échappé à Serge Litvine qui lui revend le fonds de commerce du restaurant. Depuis septembre 2023, Louis Verstrepen est donc désormais maître à bord de la maison étoilée. Entouré de sa brigade et de son chef de salle, Louis voit grand.
On rencontre le chef, à l’issue d’une soirée raffinée de novembre. Dehors, il pleut. Dedans, les sourires chaleureux sont signe de bienvenue. Le menu Sensoriale en 6 services nous fait de l’œil, on lui préfère pourtant un choix à la carte en trois temps, primi piatti, secondi piatti, dolci. Notre fourchette est clairement italienne : caponata sicilienne aux parfums de méditerranée pour lancer les festivités, inoubliables linguine au caviar impérial sauce franciacorta (grand vin de Lombardie – « cette sauce, je dois sa découverte et sa maîtrise à Anne-Sophie Pic »), osso bucco à la milanaise, délicat, gorgé de soleil. Revisité, il reste lisible et séduit par ses multiples saveurs. On clôture les réjouissances avec un tiramisu à la fleur d’oranger et bourbon. Cette Dolci qui porte merveilleusement bien son nom, est tellement élégante, graphique, que l’on s’en veut d’y planter la cuillère. Un moment d’hésitation est vite passé et le tiramisu s’offre à nous, extase.
Une soirée gastronomique résumée en une phrase ? Louis Verstrepen maîtrise son sujet à la perfection. Légèreté, élégance, accompagnements subtils composent sa signature. Quel est son parcours ? On le devine riche. Il l’est. « Monaco, Bordeaux, Valence, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, j’ai pas mal bourlingué », nous confie-t-il, avant de citer le nom de ceux et celles qui lui ont appris à révéler la puissance des goûts et à provoquer des émotions : Anne-Sophie Pic, cheffe triplement étoilée, « J’ai été sous chef de la Maison Pic à Valence » et Joël Robuchon, « j’ai travaillé deux ans comme chef de cuisine à L’Atelier à Saint-Barth ». Ajoutons La Villa Lorraine en 2022, où Louis prend place dans les cuisines d’Yves Mattagne.
C’est donc riche de toutes ces expériences, que le chef a repris les fourneaux de la cuisine de Da Mimmo*. Il imagine des plats dans la plus grande tradition gastronomique italienne, tout en y apportant l’excellence française qui l’a nourri et des notes créatives inspirées de ses voyages. Ainsi, si sa cuisine est composée de plats italiens emblématiques revisités avec rigueur (ce vitello tonnato à la bergamote va combler plus d’un amoureux de la cuisine piémontaise), elle joue également la carte de la créativité débridée et de l’amour du métier. Une association terre-mer (sole, pancetta, choux, pomme, vanille, combava, mélisse, sauge, lime), un canard de bresse au Cointreau et 4 épices, ou encore un dessert étonnant à base de pêche, kumquat, chocolat blanc, sésame noir, noix, shiso et menthe, en sont les savoureux arguments.
Propriétaire de son restaurant étoilé, Louis Verstrepen peut également compter sur le soutien, en salle, de serveurs et serveuses rôdés aux arts de la table. Ensemble, ils travaillent à décrocher une deuxième étoile. Ils sont déjà en bonne voie (lactée).
Emily - L’excellence italienne s’exprime dans un cadre tiré à quatre épingles
Emily
L’excellence italienne s’exprime dans un cadre tiré à quatre épingles
Mots : Servane Calmant
Photos : Maison Degand
« Emily » rentre au bercail, chez elle, à la Maison Degand, propriétaire de cette somptueuse maison de bouche conçue sur mesure pour Emily, leur fille. Un retour au source en quelque sorte, qui s’accompagne de l’arrivée de Luca Gaviglio, chef inspiré du gastronomique « Un Altro Mondo » et d’Abdon Chobli, maître d’hôtel délicieusement extraverti.
Les tagliolini à la truffe de saison, immanquable plat signature du chef Luca Gaviglio (Un Altro Mondo, référence italienne du BW), figure-t-il au menu d’Emily ? Oui ! Une affirmation qui, à elle seule, devrait provoquer une ruée de fins gastronomes vers cette nouvelle adresse ixelloise. Nouvelle ? Oui et non.
Oui, car c’est une nouvelle aventure pour Luca Gaviglio et sa squadra, dont le chef continuera à régaler les Wavriens, à temps partiel. Non, car Emily existe depuis 2014. Le 29 juillet 2014, exactement, Pierre Degand, fondateur de la Maison éponyme, tailleur de costumes de luxe depuis 50 ans et gardien du bon goût, ouvre Emily dans les murs d’une boulangerie entièrement transformée et rénovée avec faste. En 2015, il en confie la gestion à Serge Litvine (La Villa Lorraine, e.a.) qui lui donne le nom de Villa Emily et engage Mathieu Jacri pour aller décrocher 1 étoile. Mission accomplie. 2023, sur base d’un accord entre gentlemen, Villa Emily quitte le giron Litvine et rentre au bercail : Emily (Degand) is back.
Pourquoi avoir attendu 2023 ? On a posé la question à Pierre Degand : « Parce que j’ai enfin trouvé une équipe : Luca, le chef, Adbon en salle, Fabrice (Duchêne), DG de la Maison Degand, pour m’épauler. Grâce à eux, je reprends les rênes d’une maison qui m’appartient et que j’ai rénovée avec amour. »
Une rénovation fastueuse au chic feutré et au prestige fou, qui témoigne de l’amour de Degand pour l’art et les artisans. Ainsi ce lustre de plus de 5 mètres de haut, réalisé sur mesure suite à une rencontre entre le maître des lieux et un verrier à la foire de Namur, ainsi ce marbre Saint Laurent recommandé par Dominique Desimpel (son showroom est à Knocke – ndlr), ainsi ce plafond rénové à la feuille de cuivre par Sylvie Van Der Kelen, ou encore ce mobilier qui a appartenu au restaurant de l’hôtel de Crillon, palace parisien.
Quand on mange à la table d’Emily, on mange un peu chez vous, Pierre ? «Exactement, d’autant que j’adore les rencontre». La présence du chef Luca Gaviglio aux fourneaux d’Emily n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard. «Avec mon ami, Stéphane Sertang, (CEO du groupe Ginion à Wavre – ndlr), nous allons manger de temps à autre à Wavre à Un Altro Mondo. J’ai donc appris à y connaître le chef». Pierre Degand ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur les talents exceptionnels de Luca en matière de cuisine italienne, soulignant son expérience à Un Altro Mondo évidemment, mais aussi au Da Mimmo, l’un des restaurants italiens les plus renommés de Bruxelles. « Je l’ai convaincu de venir travailler chez Emily et il a accepté de relever le défi ». Gérée par Litvine, Villa Emily avait décroché une étoile, les inspecteurs du Michelin devront donc retourner voir Emily pour déterminer si l’on y mange toujours aussi bien. «Je ne cherche pas l’étoile mais Luca et son équipe le mériteraient …»
Pour l’heure, Luca Gaviglio s’épanouit dans un écrin intime et prestigieux à la fois, tourné vers la haute gastronomie. Le menu unique (actuellement) déroule des propositions plus qu’alléchantes. Noix de Saint-Jacques moelleuses à souhait (épinards, sauce gingembre citron), savoureuses tagliolini à la truffe de saison (et leur riche jus de cuisson à base d’huile, de beurre et de foie gras – oups, on a trahi un secret de chef), filet de caille parfaitement doré (foie gras poêlé, crème de céleri rave) et crémeux au chocolat intense et son rafraichissant sorbet framboise. Soit une cuisine savoureuse, précise et élégante en parfaitement résonance avec l’atmosphère raffinée de Emily, et commentée en live par Abdon, chef de salle affable et savoureusement excentrique. Merveilleuse soirée garantie.
Maxime Ullens - La saveur de l’authenticité
Maxime Ullens
La saveur de l’authenticité
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Lorsqu’il raconte son métier, le regard de Maxime Ullens s’éclaire du rayonnement qui habite les passionnés. C’est au Domaine de Marzilly que le plus belge des vignerons champenois crée depuis 2016 des cuvées d’excellence et d’éblouissants millésimes.
D’où provient votre attrait pour le champagne ? Tout a débuté par le vin. Il m’a séduit dès les premiers verres que j’ai pu goûter. Je trouvais également passionnant le métier de vigneron et sa possibilité de gérer l’entièreté du processus, de décider où planter, comment travailler la vigne et la tailler, vendanger, vinifier, assembler et enfin commercialiser et faire déguster. Mais depuis tout petit, je suivais mon père entrepreneur sur ses chantiers et je me suis naturellement dirigé vers des études en rénovation du bâtiment, afin de le rejoindre au sein de sa société. Et puis, fin 2012, le hasard m’a amené à découvrir le château de Marzilly, en Champagne, une superbe bâtisse devenue une ruine au fil du temps. Nous avons décidé avec mon père de le racheter et de le réaménager, charmés par son cachet et son patrimoine, en vue d’y vivre ensuite ma femme et moi. Ce n’est qu’une fois devenus acquéreurs que nous avons découvert que ces terres abritaient un ancien domaine viticole, ayant perdu son droit de faire du vin en 1920. Plus les travaux avançaient et plus se réveillait en moi le désir de voir renaître pleinement les lieux, y compris ses vignes. Jusqu’à m’amener à quitter la Belgique pour reprendre des études en France, afin d’obtenir un brevet responsable d’entreprise agricole, obligatoire pour avoir le droit de créer du vin.
Comment à un peu plus de vingt ans, ose-t-on se lancer dans une aventure comme celle-là ? En ayant la certitude que c’est en mettant son cœur dans ce qu’on entreprend qu’on le fait vraiment bien. C’est ce qui me permet d’aujourd’hui de n’avoir pas un seul instant l’impression de travailler, même alors que je me lève à 5h du matin pour dégorger le vin. De l’élaborer, le toucher, le ressentir. Le vivre pleinement. Mais cela n’a pas été simple. La grande majorité des vignes de Champagne sont des héritages, transmis au sein de lignées familiales. Il n’y avait donc plus eu de création d’une nouvelle marque depuis les années 2000. Et jamais de reconstruction d’un ancien domaine viticole. Le comité Champagne ignorait comment procéder. Il a fallu bâtir sans précédent sur lequel se baser, pas à pas, jusqu’à notre première cuvée, sortie en 2019.
Être élu Meilleur Vigneron de l’année 2020 par le Gault et Millau, alors que vous inauguriez votre première cuvée, a dès lors tout d’une prouesse. Cette récompense a surtout été une surprise totale. Je l’ai découverte dix minutes avant de devoir monter sur scène. Je ne l’avais pas recherché, mais cela a bien sûr été une immense chance. En à peine deux jours, une centaine de restaurants étoilés souhaitaient proposer mes bouteilles. Mais j’aurais été d’autant plus fier de l’obtenir aujourd’hui qu’à mes débuts, ayant acquis de l’expérience et de la maturité. Et c’était également à double tranchant que d’être mis sur un pied d’égalité avec des sommités du domaine. Il a fallu affronter des critiques bien plus âpres.
Qu’est-ce qui fait la singularité du Champagne Ullens ? Il se compose de Meunier, un cépage noir issu du Massif de Saint-Thierry, la région la plus septentrionale de Champagne où se trouve le Domaine de Marzilly et que nous nommons La Petite Montagne. Contrairement au champagne classique, qui peut contenir des raisins en provenance de toute la région, nous n’utilisons que celui-ci. Il est plus salin, sapide, avec une forme d’amertume, une identité unique. En parallèle, notre domaine fonctionne en quasi autosuffisance. Je tenais à revenir à un artisanat dans sa version la plus pure. Le bois du domaine sert à faire nos fûts, nos moutons taillent l’herbe après les vendanges. Nos poules travaillent le sol et défendent nos ruches. C’est tout un écosystème, s’inscrivant dans un principe pérenne. Tout cela donne au Champagne Ullens une saveur différente, celle d’un retour à l’authenticité.
Quelle est la qualité suprême à posséder pour réussir un champagne d’exception ? La patience. Un champagne est comme une capsule temporelle mise en bouteille. Il faut œuvrer en sachant qu’on devra attendre 2,10 ou 50 ans avant d’en savourer le résultat. Mais aussi que si l’on commet une erreur aujourd’hui, on ne pourra en prendre conscience que des années plus tard. Il est impossible de recommencer un millésime, celui-ci n’existe qu’en un instant T. C’est émotionnellement très intense et cela entraîne d’énormes phases de doutes. Il s’agit de lancer un projet qui coûte de l’argent mais ne portera ses fruits que bien plus tard. Il faut accepter d’attendre, avec la pression des banques et des emprunts à rembourser. Et puis à côté de la rigueur, il y a ce côté artiste qui doit s’exprimer. Il s’agit d’instinct, de créativité et de passion.
Comment imaginez-vous la suite, pour le domaine comme pour vous ? On aimerait grandir, mais avec pour ligne de conduite de rester absolument sur le Massif de Saint-Thierry, ce qui limite les possibilités d’achats de parcelles. J’ai aussi très envie de m’essayer à la production de vins en Belgique, particulièrement dans les Ardennes où nous avions une maison familiale. Créer une identité de cépage totalement différente, à la maison, et goûter à une autre forme de liberté.
Le Domaine de Naxhelet - Le vert toujours plus vert
Le Domaine de Naxhelet - Le vert toujours plus vert
MOTS : Ariane dufourny
PHOTOS : DR
Le Domaine de Naxhelet abrite un nouveau restaurant, Pollen, qui nous plonge dans un univers culinaire gastronomique, local et écoresponsable, et collabore avec Label Meunier, une huile de soin bio de terroir fabriquée en Wallonie. Nous avons testé les deux.
Fondé en 2014 par Françoise et Bernard Jolly, le Domaine de Naxhelet est un resort et golf club vraiment pas comme les autres. Et les faits dépassent la simple formulation. Car si le Domaine allie plaisir et loisirs, c’est l’écoresponsabilité qui s’avère le véritable fil rouge de ce lieu joliment niché dans la campagne de Wanze. Ainsi l’écolabel GEO et le label Green Key qui viennent féliciter la gestion écoresponsable du golf. Ainsi aussi les nombreuses synergies opérées avec la ferme château du Val Notre-Dame située à un jet de pierre du golf et exploitée par le couple et leur fils Charles-Édouard. Sur leurs terres dédiées à la culture biologique, poussent des graines et oléagineux dont l’huile extraite à froid a donné naissance à une nouvelle marque de soins de beauté… Naxhelet, c’est une histoire de famille et une belle réussite entrepreneuriale qui n’en finit pas d’évoluer.
Ce cadre privilégié accueille donc depuis peu, un nouveau restaurant écoresponsable, comprenez : en phase avec la philosophie du lieu. Pollen, c’est son nom, est d’ailleurs le projet conjoint de la famille Jolly et de François Durand, formé aux plus grandes tables françaises (le Relais Bernard Loiseau***, La Chèvre d’Or **). Dans notre assiette : les produits, légumes, herbes, céréales, viande, des champs bio, des serres, du potager, du poulailler et de la ferme du Domaine, soit les trésors de la campagne wallonne environnante, conjugués au savoir-faire d’un chef inspiré par la nature qui l’entoure et qui ambitionne de séduire Michelin, nous souffle-t-on à l’oreille.
Pour l’heure, nous avons été charmée par le Menu Cerisier en 4 temps qui invite notamment à déguster un fenouil confit à la subtile saveur, agrémenté de stracciatella à la texture ultra fondante et de zestes d’orange, et une volaille ardennaise à la peau parfaitement croustillante escortée de tomates du jardin et de haricots de la ferme. Elle est goûtue, la nature ! La découverte de Brin de Paille, premier vin blanc du Domaine namurois du Ry d’argent, que nous conseille Alexandre Bemelmans, sommelier-maître d’hôtel belge de Pollen, ajoute une belle dimension supplémentaire au repas. Elle est riche en saveurs, la Wallonie !
Si Pollen est devenu un atout maître du Domaine de Naxhelet, il en va de même des nouveaux soins proposés par la famille Jolly. Invitée à tester une heure de soins en cabine duo, nous avons pu apprécier un soin visage et un modelage corps global, bien efficace pour relâ-cher la pression, la tension et le stress – appliquer l’huile chaude sur le corps, quelle merveilleuse idée ! Et là encore, la famille Jolly surprend agréablement en proposant des soins à base de l’huile Naxica, une création 100% wallonne, réalisée avec le colza cultivé par leur ferme bio du Val Notre-Dame, et confectionnée par les laboratoires de Label Meunier.
Label Meunier, à la tête de cette nouvelle marque belge, Laurane Vanderbecken, la conjointe de Charles-Edouard Jolly, et Marine André, leur partenaire, tous trois fervents défenseurs de l’écoresponsabilité. La preuve : 90 % des graines et plantes (chanvre, bourrache, lin, onagre, etc.) dont sont extraites les huiles du Label Meunier proviennent du Domaine familial du Val Notre-Dame et sont pressées à froid et de manière mécanique (pour préserver tous leurs principes actifs) dans un moulin à quelques kilomètres de la ferme. Plus circuit-court que ça, tu meurs ! Label Meunier ne propose d’ailleurs pas de crème ni d’autres produits cosmétiques, préférant se consacrer à l’huile (une spécifique pour chaque type de peau de femme), pur produit de base, local et bio, et à des compléments alimentaires à base notamment d’onagre cultivé à Wanze. Les cures in&out de 21 jours invitant à prendre soin de l’extérieur et de l’intérieur… Pour créer le projet, Label Meunier travaille en partenariat avec un laboratoire belge spécialisé dans la formulation à base d’huiles végétales, et vient d’ailleurs de recevoir le label Slow Cosmétique, remis aux formules propres et au marketing raisonnable. Naxhelet, le vert toujours plus vert !
LA Fête, C’est aussi dans l’assiette !
LA Fête, c’est aussi dans l’assiette !
MOTS : Servane Calmant
PHOTOS : DR
Romain Longchamp a pris les commandes des cuisines de Bagheera, le resto-bar bobo-chic installé en orée du Bois de la Cambre. Si on s’y rend toujours pour savourer un cocktail vitaminé ou pour danser, la gastronomie est désormais également à la fête. Réjouissante nouvelle.
Ouvert en juillet 2021, Bagheera peut se targuer d’avoir été la première adresse bruxelloise à nous faire découvrir le concept du Dine&Dance. Pas besoin d’être parfait.e polyglotte pour comprendre l’invitation : manger (bien, si possible) et faire la fête, en un seul et même lieu.
Installée en bordure du Bois de la Cambre (avec une terrasse conviviale braquée sur ce bel écrin de verdure), Bagheera a d’emblée tout misé sur un cadre jungle/Belle époque qui a du cachet, du chic et du caractère, sièges en velours, tapisserie murale, plantes à profusion, splendides luminaires, bar-clubbing, ainsi que sur une ambiance festive pour faire guincher le client ou pour jouer le « before », les fameux Jeux d’Hiver étant situés dans le même Bois de La Cambre, à un jet de pierre donc…
Mais pour séduire et fidéliser une clientèle sans cesse courtisée par les nouvelles adresses tendance qui font heureusement bouger Bruxelles, il manquait probablement à Bagheera une véritable identité culinaire et une proposition, disons, alléchante … C’est désormais chose faite avec l’arrivée de Romain Longchamp, chef suisse passé par de très belles maisons comme Sketch à Londres (3 étoiles), L’Arpège d’Alain Passard à Paris (3 étoiles) et le Chalet de la Forêt de Pascal Devalkeneer à Bruxelles (2 étoiles).
Le parcours du jeune chef est certes prometteur, mais qu’en est-il de sa cuisine ? Fameuse : un seul adjectif pour résumer une soirée ! Le trentenaire connaît déjà bien le métier, il sait pertinemment qu’une bonne cuisine repose avant tout sur de bons produits. Qu’il va notamment chercher à la Ferme du peuplier à Grez-Doiceau. Du bio et du circuit court, ça nous parle. Romain Longchamp maîtrise les différentes techniques de cuisson à la perfection, ainsi ce canard cuit sur coffre, coloré et savoureux à souhait, nappé d’une gourmande sauce bigarade. Romain ose le mariage des saveurs, en témoignent ce carpaccio de maigre/pêche et ce Vitello Tonnato revisité qui combine tranches de veau et tranches de thon. Romain aime ce qui est bon, cela semble banal à écrire, mais dans l’assiette ça fait la différence, ainsi ces délicieux cocos de Paimpol AOP, un produit fondant aux nuances florales qui accompagne parfaitement un tendre cabillaud. Romain qui sait également s’entourer judicieusement, notamment d’Eve Parmentier, cheffe pâtissière (passée par L’air du Temps et Le Chalet de la Forêt) et qui nous a régalée ce soir-là d’un dessert tout chocolat qui nous a permis d’apprécier son savoir-faire en matière de jeu des textures, fondant/croquant, et de saveurs. Légèrement acidulé, le fruit de la passion apportait en effet une belle fraîcheur à cette gourmandise chocolatée. Romain qui avoue qu’il « est bien conscient d’aller à la conquête d’une nouvelle clientèle, plus exigeante que celle qui se contentait d’un burger ou de tapas à partager ». Et tant mieux si la fête, elle est aussi dans l’assiette !
Bref, Romain Longchamp est un jeune chef qui s’exprime pleinement à travers une excellente cuisine de produits et de saisons, parfaitement maîtrisée, et Eve, une perfectionniste qui a à cœur de nous faire partager sa passion pour les desserts. Joyeuse liberté et belle créativité d’un chef que Bagheera soutient grandement, afin de devenir une destination gastronomique et créative de tout premier choix. La carte volontairement réduite (5 entrées, 3 plats, 3 desserts) change toutes les six semaines, et la cave à vins offre l’accord mets et vins parfait.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas : Bagheera conserve la dynamique festive qui a fait ses preuves depuis deux ans. Les soirées DJ des jeudis, vendredis, samedis sont toujours au programme, les cocktails signature et inspirés concoctés par le mixologue, aussi.