MUD, une maison d’hôtes conçue comme une toile vierge …
MUD
Une maison d’hôtes conçue comme une toile vierge …
Mots : Nicolas De Bruyn
Photos : Piet-Albert Goethals
À deux pas de la forêt de Meerdaal, à Oud-Heverlee, se dresse MUD Residence, une villa des années soixante réinterprétée de manière contemporaine. Cette maison atypique au luxe discret peut être modelée selon les souhaits de ses hôtes : dîner intime, vernissage, week-end d’évasion …
Rencontre avec les propriétaires, Sophie De Jonghe et Frank Smeys.
MUD Residence est le projet passionné d’un couple d’entrepreneurs, Sophie De Jonghe et Frank Smeys, qui ont acheté la propriété, adjacente à leur jardin, il y a quatre ans. Ils ont rénové cette villa particulière avec le respect de ses éléments authentiques et relié l’espace de vie au jardin luxuriant via une extension épurée en acier qui agrandit l’espace et lui procure une belle lumière. Les fondateurs de MUD donnent également une dimension sociale à la résidence. Comme l’argile, MUD est un lieu qui peut être modelé selon les souhaits de ses hôtes : la maison est une toile vierge. A chacun de l’interpréter selon ses envies !
MUD pour « boue », un nom pour le moins interpellant ! Pour nous, ce mot revêt tout son sens. La villa est située à l’orée de la forêt. Après une balade, nos chaussures étaient le plus souvent boueuses. MUD, c’est encore un clin d’œil à notre environnement : nos hôtes ont l’impression d’être en vacances, or nous n’avons pas de sable fin mais un sol forestier ! Enfin, la boue c’est comme l’argile, vous pouvez la façonner à votre guise. C’est exactement ce que nous proposons : une maison à s’approprier selon les envies et l’intuition du moment.
« Stay, create and connect », d’où vous est venue l’idée, l’envie, de créer ce concept ? En tant que propriétaires, nous sommes là pour accueillir et faciliter l’installation de nos hôtes, mais c’est à eux de créer leur propre séjour ! Vous avez envie de rester dans la villa pour vous blottir dans un canapé avec un livre de la bibliothèque ? Vous préférez explorer les bois en marchant, en courant, à vélo ? Vous avez choisi de profiter du sauna dans le jardin ? Vous cherchez un endroit calme pour rédiger le contenu de votre site, photographier vos sculptures, ou tout simplement faire le vide ? MUD est là pour cela.
De plus, le studio attenant à la villa se prête parfaitement à des réunions out-of-the-box. Si vous êtes à la recherche d’un lieu original pour réunir votre équipe, votre prochain conseil d’administration ou pour faire des brainstormings, MUD est parfait, car c’est un endroit particulièrement inspirant. Et qui donne envie de se (re)connecter avec un/une partenaire, des amis, des collègues, la famille (NDLR – MUD peut accueillir 4 personnes dans deux chambres d’hôtes luxueuses, chacune dotée d’une salle de bains et d’un dressing) … L’îlot central dans la cuisine, la table de forme organique, le barbecue dans le jardin, tout incite à se connecter avec les autres ou avec soi-même. On a pensé MUD comme un endroit ou des liens et des souvenirs vont se créer, un lieu ‘bold living’, de vie authentique.
Quand on visite MUD, ce sont les détails qui font la différence. Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec l’architecte d’intérieur Andy Kerstens ? Andy Kerstens nous a été présenté par un fournisseur d’éclairage commun. A l’époque, Andy volait de ses propres ailes, après avoir travaillé pour Dieter Vander Velpen. On l’a invité un soir pour faire plus ample connaissance. On lui a d’emblée expliqué la philosophie de MUD : un lieu de réception pour nos amis étrangers et les amis de nos enfants dans un premier temps. Mais rapidement, nous avons décidé d’ouvrir la villa à d’autres personnes, de préférence des gens pas ordinaires, qui sortent des sentiers battus, avec une histoire. La maison d’hôtes est née de la passion de rassembler et de recevoir ces gens-là, de s’ouvrir aux autres.
Andy Kerstens était jeune, entreprenant, après quelques semaines, il est revenu nous voir avec le projet final en images digitales ! On a adhéré à 100%. Son approche éthique du travail, sa volonté de construire des projets durables avec des matériaux naturels, sa capacité d’écoute – il avait bien compris qu’on souhaitait conserver l’âme de la villa des années 60 et créer un espace de vie chaleureux où intégrer des œuvres d’art, absolument pas un showroom –, bref, tout nous a séduits dans son approche ! Ensuite, nous l’avons laissé travailler …. On ne dit pas à un artiste peintre d’ajouter ici une couleur là un trait ! De la même manière, on a fait entièrement confiance à Andy Kerstens.
Axel Vervoordt, une approche intuitive
Axel Vervoordt, une approche intuitive
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Ce grand collectionneur, marchand d’art, antiquaire, curateur, designer… qui prône les mélanges de styles, ne donne pas de conseils de décoration, si ce n’est de suivre son cœur en matière de choix esthétique. Il nous reçoit dans la bibliothèque de forme circulaire de Kanaal, un ancien site industriel, transformé en centre d’art pluridisciplinaire.
Le cercle est-il la forme parfaite ?
Ici, nous sommes dans l’un des anciens silos cylindriques de la malterie qui existait jusqu’en 1980. L’espace a été dessiné par l’histoire. Le cercle est une forme divine. Il symbolise Dieu, nous renvoie à l’architecture sacrée et représente le cosmos. Le cube et le carré, reliés à la terre, ont été développés par les hommes pour se rapprocher du cercle, sans y parvenir.
Quelle est la plus belle pièce d’art que vous avez acquise ?
Ma vie entière est consacrée à la beauté. Je ne fais que cela, acheter et vendre de beaux objets pour leur trouver la meilleure place possible. Je suis attiré par des objets riches en spiritualité. Les matières (terre, bois…) ne suffisent pas. Je ne suis qu’un serviteur de la nature qui, elle, est l’artiste. Je suis en quête de l’universel, de ce qui parle à tous les hommes et à toutes les cultures. L’objet de mode se démode. J’aimerai construire un monde idéal. Bien sûr, je n’arrive pas à atteindre cette perfection mais j’essaie de toujours m’en approcher…
Comment faites-vous vos choix ?
A mes débuts, j’étais à la fois collectionneur et marchand et j’achetais pour moi-même. J’ai vécu avec des objets qui m’ont transmis leur chaleur, leur richesse. Je ne parle pas d’œuvres ostentatoires mais de celles qui enrichissent humainement.
J’ai toujours choisi des pièces que j’aimais personnellement. Pour les revendre, je n’ai jamais eu de magasin. Je recevais mes clients en chambre, chez moi, presque tous les jours. Je n’avais pas de collection fixe. Elle regroupait les invendus mais j’avais choisi de la même façon que les pièces dont je n’étais séparé. Aujourd’hui, je reste ouvert. Je travaille avec des clients de toutes les générations et je suis toujours prêt à faire de nouvelles rencontres, sans préjugés. J’ai conservé ma capacité d’émerveillement. L’émotion est mon guide et je peux être touché par un paysage, une personne, un objet.
Quand avez-vous pris confiance en vous ?
A 37 ans, en 1982, j’ai participé pour la première fois à la Biennale des Antiquaires de Paris. J’avais un stand à l’entrée du Grand Palais où je devais présenter de l’argenterie royale d’Angleterre et des pièces d’art oriental. J’avais fait le choix de faire le grand écart avec ces deux extrêmes ! Le ying et le yang, le grand luxe et le spirituel ainsi se rejoignaient. Il faut rappeler qu’à l’époque, un antiquaire était un spécialiste d’un domaine particulier, d’une époque, d’un style… En déambulant dans les stands du salon en préparation, je voyais des merveilles du XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. Tout était classé, bien rangé. J’étais démoralisé. Je suis sorti faire la sieste, sur une pelouse, pendant une ou deux heures. Lorsque je suis rentré, tous les stands étaient apprêtés avec des tissus, des papiers peints… J’ai détesté. J’ai arraché tous mes décors conventionnels de maison bourgeoise et j’ai présenté mes objets sur le béton brut, comme dans une maison d’artiste, à la manière d’un loft. Lors de cet événement, j’ai vendu des objets au musée Getty et au danseur Rudolf Noureev. J’avais suivi mon instinct, avec le courage d’être authentique… sans me laisser influencer par les autres.
Je n’ai peur ni de la faute ni de la malchance. Pour moi, ce sont des cadeaux qui me permettent d’apprendre encore plus. L’échec se transforme alors en positif. A mes débuts, j’ai travaillé seulement par intuition puis ensuite j’ai appris à bien connaître les objets pour mieux les vendre.
Quel est le métier que vous préférez ?
Avant tout être créatif et utile partout. Je ne m’intéresse pas trop à l’organisation financière et immobilière de mes affaires. Mes fils, Dick et Boris s’en occupent. Je délègue à mes collaborateurs qui veulent apprendre. J’aime partager mes découvertes. Ce sont elles qui me poussent et me font avancer. J’ai fait de magnifiques découvertes avec les artistes du mouvement Gutai. J’ai acquis mon premier tableau de Lucio Fontana à 21 ans. J’étais fasciné par son approche du vide, non pas par celle de la couleur ou de la matière. Nous sommes les enfants du vide et les artistes donnent vie au vide. Je suis toujours intéressé par les œuvres de Fontana alors que j’ai abandonné celles de René Magritte, dont j’appréciais les idées mais pas la technique picturale.
Comment procédez-vous pour aménager un intérieur ?
En rénovation, je respecte toujours l’architecture existante et je l’adapte.
La maison est un portrait des personnes qui l’habitent. Je veux connaître mes clients et comprendre comment ils vivent. Je les aide à composer un lieu pour qu’ils se sentent chez eux mais ils ne vivront jamais chez moi. Mon univers, c’est mon château où chaque jour est une fête dans le plaisir de profiter de l’instant, de s’asseoir à une belle table, d’allumer les bougies mais aussi de goûter à la simplicité du moment, dans un esprit de méditation à la japonaise. Dans une maison, les contrastes permettent de voyager.
Exposition :
Chaos & Order, jusqu’au 28/05/22.
A lire, Souvenirs et réflexions, Axel Vervoordt, chez Flammarion.
www.axel-vervoordt.com
Sébastien Caporusso, designer de l'année
Sébastien Caporusso
Designer de l'année
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Il vient d’aménager un espace de coworking, en plein cœur de Bruxelles, qui brise les codes de l’univers du bureau. Il a présenté sa nouvelle collection de tables différenciées en béton et marbre au Contemporary Design Market de septembre. Interview tout à l’égo pour comprendre quel designer est Sébastien Caporusso, au passé, au présent et … au futur.
A vos débuts, quel designer étiez-vous?
Après mes études au CAD d’Uccle, j’ai eu envie de quitter la Belgique. J’étais curieux de voyager, de découvrir le monde et de m’imprégner des cultures des autres pays. J’ai réalisé des stages au Japon, à Tokyo, mais aussi à Hong Kong et à New York. J’ai passé plusieurs mois dans des agences d’architecture à l’étranger pour suivre des projets assez pointus mais qui m’offraient aussi de la liberté. J’ai puisé mon inspiration dans le design radical japonais, riche de l’héritage de savoir-faire et de traditions ancestrales, en rupture avec le constructivisme. De retour à Bruxelles, j’ai eu rapidement l’opportunité de réaliser des petits projets d’aménagement, appartements et maisons privés. Et c’est dans le cadre de ces missions en architecture d’intérieur et conceptions globales d’espaces résidentiels que j’ai commencé à dessiner des meubles sur mesure pour des lieux dont je devais assurer l’équipement total. Je n’ai jamais vraiment été attiré par le mobilier de catalogue… J’ai toujours préféré concevoir moi-même une table, des bancs, des luminaires. Et pour cela, j’ai recherché la collaboration avec des artisans et des artistes.
Aujourd’hui, que signifie être devenu designer de l’année ?
Ce titre, décerné par les magazines Knack Weekend, Le Vif Weekend et la Biennale Intérieure de Courtrai, représente, à la fois, une forme de consécration et la possibilité d’une ouverture vers de nouveaux projets. J’espère que l’on me confiera bientôt des chantiers encore plus stimulants. J’aimerais réaliser des espaces commerciaux, un restaurant, un hôtel… Les timings consacrés à ce type de chantiers sont plus courts et les challenges différents. Cette distinction arrive d’ailleurs au moment où s’ouvre le premier lieu public dont j’ai orchestré la conception, l’espace de coworking Silversquare Europe, à Bruxelles.
Quelles sont les particularités de ce projet ?
J’ai souhaité créer une ambiance qui ne fait pas référence au travail, à la fois confortable, agréable et lumineuse, avec un parfum de vacances sur la Côte d’Azur… pour retrouver le sud de la France dans les seventies et sixties. Sur les murs, les enduits à la chaux sont texturés par l’apport de sable. La brique, en référence à la Belgique, a été choisie dans des tons clairs de rose… Terre cuite, lin ou cuir, j’ai choisi des matériaux naturels aux teintes douces. J’ai notamment collaboré avec l’artiste peintre et photographe Etienne Courtois. Son travail personnel est exposé dans la grande salle de réunion. Il fait écho au graphisme coloré du plateau de la table XXL qui occupe cet espace. Les murs de cette pièce serviront à présenter régulièrement le travail d’autres artistes, sélectionnés au fil du temps. Pour Silversquare Europe, Etienne Courtois a réalisé spécialement une fresque sur les portes des meubles du bar, conçu comme une cuisine. Cette intervention picturale est le fruit de nos échanges et discussions. J’ai aussi associé ma recherche de création en luminaire au travail de la céramiste Agathe Dupérou. Il faut aussi évoquer la collaboration de plusieurs jeunes artisans talentueux qui complètent le prototypage des pièces que je peux parfois réaliser moi-même. Une nouvelle génération de menuisiers, ferronniers… existe aujourd’hui avec une approche plus créative et moderne des métiers traditionnels.
Quels meubles avez-vous édités récemment ?
J’ai réalisé une première série de 10 tables en béton. Coulées dans un moule, elles intègrent dans leurs plateaux, une pièce en marbre. Ces morceaux de pierre proviennent des chutes de marbreries comme Van den Weghe mais aussi de mes propres restes de production que je stocke au même titre que les matériaux anciens débusqués pour les réinjecter dans de nouveaux projets. Comme des nénuphars posés sur l’eau, les plateaux des tables aux bords arrondis et adoucis sont poncés pour retrouver les plus belles teintes minérales. 4 à 5 prototypes ont été nécessaires pour les mettre au point et trouver le bon assemblage.
Demain, quel designer deviendrez-vous ?
Depuis longtemps, je suis attiré par les matériaux anciens que l’on trouve dans les maisons de famille. Un peu de poussière amène de la vie à un projet. J’aime toucher une poignée de porte du XVIIe siècle, caresser le bois patiné par le temps. Je combine aisément une tranche de bois de 100 ans d’âge avec des éléments de placage sur mesure. J’intègre des pièces vintage dans des univers contemporains. Cette intuition de réutilisation créative colle aujourd’hui avec la dimension environnement et écologique du recyclage. Sans imaginer un chantier zéro déchet, je stocke beaucoup de matériaux et je travaille notamment en collaboration avec Dominique Desimpel, sorte d’antiquaire du bâtiment, qui chine en Italie ou en Inde, des carrelages émaillés, des matériaux rares et anciens. La synergie avec d’autres professionnels de la décoration permet de proposer des projets très aboutis dans le détail et de les faire fermenter vers le haut pour s’amuser.
Ado Chale Le poète devenu designer
Ado Chale
Le poète devenu designer
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Gilles van den Abeele
A 93 ans, ce créateur iconoclaste reste un précurseur dans son inspiration naturaliste, sa liberté d’expression… ses techniques innovantes, sa fille Ilona évoque son travail, son évolution et son parcours singulier…
Pourquoi est-il si difficile de cerner votre père ?
Mon père est un artiste complet, un amoureux de la nature et des matières. Il a conservé son âme rêveuse et curieuse de chercheur tout au long de sa carrière. Grâce à sa singularité, je pense qu’il a été le chef de file d’une nouvelle génération de créateurs, qui a émergé il y a une vingtaine d’années. Avec son indépendance d’esprit, son expérience d’autodidacte qui n’a subi aucune influence, il a suivi son intuition, sans s’associer à aucun mouvement esthétique. Le terme de designer, on ne l’employait même pas à ses débuts. Artisan créateur et chineur, il a voyagé, ramassé et stocké des lots de matériaux durant de longues années. En Arizona, il a débusqué des matériaux rares comme le bois pétrifié de séquoia. En France, sur les plages du Pas-de-Calais, il a ramassé des marcassites. Aujourd’hui, le site est protégé.
Son style a-t-il évolué ?
Il n’est parti de rien et son talent est inné. Il a commencé à faire des essais pour inclure des pierres dans le ciment mais le poids de ce matériau était trop important et le résultat ne le satisfaisait pas au niveau esthétique. Avec la résine, il a trouvé l’élégance qui se mariait avec la beauté minérale. Le travail des tables au piètement tripode reste emblématique. Les lignes rondes et carrées des plateaux ont évolué vers des formes plus organiques. Le succès est venu assez vite dans les années 70’. Ado a aussi créé en collaboration avec des ébénistes et des artistes, pour réaliser notamment des meubles, comme le modèle « Boule » recouvert de schiste. Il a travaillé avec le sculpteur Koenraad Tinel pour fabriquer le bureau qui est toujours dans notre show-room. Il a dessiné des bijoux, une montre en forme de galet… Dans les années 90’, à un moment où le succès n’était plus au rendez-vous, il a fabriqué des objets de petites dimensions, comme des poignées de porte, en utilisant des matériaux moins précieux et coûteux. Pendant cette traversée du désert, il s’est montré encore plus créatif. Il a réalisé des tableaux, des collages avec des papiers déchirés, des coupes vide-poches… A un moment, il s’est mis à chiner des dentelles et a conçu une table au plateau vitré en y intégrant une de ces pièces anciennes… Son désir d’expérimenter était insatiable. Dans sa galerie, à la façade recouverte de céramiques signées Pierre Culot, il a montré son art d’associer les objets, les couleurs et les matières à la façon d’un décorateur. La monographie (par Ilona Chale, édition Aparté, éditée en 2017) rend compte de la diversité de sa production et de l’ampleur de sa passion. Et 5 ans ont été nécessaires pour organiser et concrétiser l’exposition à Bozar de septembre 2017. Ayant toujours été attentive à l’œuvre de mon père, j’ai remonté le temps pour retracer le fil rouge de son cheminement très personnel ».
Comment l’atelier fonctionne-t-il aujourd’hui ?
L’atelier actuel est resté une structure familiale et artisanale qui produit des modèles imaginés depuis les années 60’. Il est installé depuis 2007 dans les écuries de la maison musée de l’Hôtel Solvay, construction emblématique de Victor Horta. Tous les nouveaux modèles réalisés ces dernières années sont des dessins et projets imaginés durant les années 60’ et 70’ qui n’avaient pas encore été réalisés, comme le modèle « Joséphine » en mémoire de sa mère qui a fait l’objet d’une édition limitée à 50 exemplaires . Les nouveaux modèles sont tous issus de dessins réalisés par la main de mon père. Si le modèle phare, que nous avons produit dans différentes dimensions, depuis sa création fin 60’ et jusqu’à aujourd’hui, avec un plateau en fonte de bronze ou d’aluminium, reste « Goutte d’eau », nous mettons aussi en valeur les pièces en mosaïque de pierre (lapis-lazuli, agate, turquoise…) mais aussi de boutons de nacre ou de grains de poivre, une spécificité d’Ado Chale. Tout est réfléchi et décidé avec un respect très rigoureux pour ne pas dénaturer son œuvre. Notre site rend compte de la variété de la production actuelle.
La fabrication est-elle fidèle aux origines ?
Tous les modèles sont réalisés sur commande, en fonction d’une déclinaison de tailles et dimensions que nous avons définie. Enfant, je me souviens encore de la surprise de découvrir le résultat final, de retour du polissage fait à la main. Le travail de fonderie et de polissage est confié à des ateliers externes. Cela fait environ 10 ans que je gère l’entreprise, créée par mon père, avec l’aide de mon frère Pierre qui est aussi un créateur. Quant à moi, j’ai fabriqué des bijoux avant de m’occuper plus spécifiquement des œuvres de mon père. Nous avons aussi la responsabilité d’authentifier les œuvres plus anciennes présentées dans les ventes aux enchères. Pour chacune d’elles, nous produisons un descriptif précis et un certificat d’authenticité. Nous assurons aussi leur rénovation éventuelle. Depuis les années 60’, les tables d’Ado Chale sont signées avec un rubis de Ceylan cerclé d’or, inséré dans l’épaisseur du plateau.
De la glisse 100% belge !
De la glisse 100% belge !
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
En Belgique, on n’a pas de montagnes, mais on a des idées. Pierre Gérondal, Bruxellois installé à Malmedy, a lancé une marque de skis sur mesure, aussi performants qu’élégants. Ce véritable artisan est animé par des valeurs de technicité évidemment, mais aussi d’éthique, de durabilité et de production en circuit court. De quoi aiguiser notre curiosité.
On rencontre Pierre Gérondal à Bruxelles, à « 100% Snow », un workshop qui présente les dernières tendances dans les stations de sports d’hiver. Pierre est venu exposer ses skis, Justine, sa compagne, ses projets d’architecture. A deux, ils ont créé le label Yellow Yeti pour valoriser le travail du bois et du circuit court. Sur base de ces quelques informations, on imagine Pierre Gérondal en bûcheron ou en arboriste-élagueur. Que nenni ! L’homme a un parcours plutôt atypique… « Je suis Bruxellois et j’ai été directeur artistique dans la pub ». On va donc parler reconversion professionnelle… « Oui, en quelque sorte. Dans la pub, j’avais des compétences artistiques mais je n’étais pas du tout un artisan. La gestion des projets avait même fini par occulter l’aspect artistique… Or j’ai toujours eu l’intime conviction que je trouverais mon bonheur en travaillant de mes mains. »
Pierre Gérondal suit alors une formation en matériaux composites en Belgique puis en France. Mais c’est sa rencontre avec l’architecte-designer belge Pierre Lallemand qui va le sensibiliser au design. Pierre Gérondal travaillera sur le chantier Ionic Yacht de Lallemand et dessinera de nombreux prototypes en matériaux composites. Dans sa tête, trotte déjà son projet ski… « J’ai pris une année sabbatique pour me consacrer à ma passion, avec la ferme intention de faire un beau produit ! »
Du bois de chez nous
En 2018, Pierre Gérondal lance les skis Gérondal (pourquoi faire compliqué ?), la seule marque belge qui propose du fait maison, du sur-mesure, à partir de bois belge. « Mon atelier est situé à Malmedy et le bois grandit à 200km à la ronde, donc on déborde un peu sur les pays frontaliers, mais la production est bel et bien artisanale, belge et écologique ». Pour la sélection et la découpe du bois, Gérondal fait confiance à son ami Guy Close de la scierie du Parc de l’Eau Rouge à Stavelot. « Je privilégie le bois pour remplacer tous les matériaux plastiques non nécessaires à la performance du ski. La fibre de verre est certes présente mais de manière raisonnable. J’ai conçu des skis qui vivent et qui se patinent. Si le placage est usé, on le change, dans un esprit anti-consumériste ! Nos skis ont d’ailleurs une durée de vie de 8 ans et sont livrés avec un kit d’entretien, notamment une huile que nous fabriquons nous-mêmes. Les skis en fin de vie, on les recycle au sein de notre atelier : un ski usé devient alors l’assise d’un banc, un exemple parmi d’autres… » Rien ne se perd quand on a des idées !
La différence, c’est surtout le sur-mesure
Les ateliers Gérondal dessinent et montent quelque 200 skis par an, dont beaucoup ont été précommandés… « Notre clientèle se compose de véritables passionnés de la glisse qui s’offrent une belle paire de skis en cadeau et de sportifs de haut niveau ». Ce qui plait aux fans de la glisse ? « Le fait que nous sommes les seuls au monde à faire tester le ski avant de mettre la marqueterie, l’esthétique. Dans un atelier de tailleur, on procède à un ajustement et à des retouches après l’essayage. L’atelier Gérondal travaille de la même manière pour offrir du véritable sur-mesure ! »
Il y a peu, Pierre Gérondal a développé quatre gammes de skis artisanaux prêts à glisser (race, all mountain, rando avec un ski plus léger et freeride, y compris la planche de snowboard), qui sont disponibles à la vente dans les showrooms de Bruxelles et Malmedy. « On a même produit récemment des skis de fond à la demande d’un client… », précise Pierre qui sait pertinemment ce qu’il veut : rester un artisan qui a le contrôle de tout, du choix du bois à la fabrication, autant d’éléments clés pour offrir un produit haut de gamme, qui a déjà séduit plus d’un skieur professionnel. Et de citer notamment notre compatriote Seppe Smits, champion du monde de snowboard freestyle, pour lequel Pierre Gérondal vient de dessiner une planche sur mesure …
Alexandre Lowie Un créateur singulier
Alexandre Lowie
Un créateur singulier
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Passionné par les techniques d’ébénisterie anciennes, il donne un nouvel élan au mobilier contemporain. Avec une nouvelle éthique, Alexandre Lowie prône l’artisanat jusqu’à l’excellence et la perfection.
Quelles sont les particularités de votre statut ?
« Sur la base d’un enseignement destiné à la copie de meubles anciens et suivi à l’école Saint-Luc de Tournai, je me suis ensuite dirigé vers des formes épurées et fonctionnelles. Après une expérience dans l’atelier parisien d’Aisthésis au Viaduc des Arts, qui m’a permis de maîtriser d’autres techniques, j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Pendant quelques années, j’ai dû conserver un travail alimentaire. Et depuis 6 ans, je dessine et fabrique les meubles que je conçois, réponds à des commandes d’architectes et développe une clientèle privée avec des pièces uniques réalisées sur-mesure. J’utilise des bois rares et précieux, des matières nobles. Je crois qu’en Flandre je suis le seul à posséder ce niveau d’exigence. Je ne me définis pas comme designer mais plutôt comme ensemblier et décorateur, à la façon des années 1930. Mes modèles français sont Jules Leleu, Jean-Michel Frank ou Jacques-Emile Ruhlmann ».
Comment abordez-vous vos projets ?
« Mes créations intègrent toujours 3 à 5 matériaux dont je ne maîtrise pas parfaitement les techniques. Par conséquent, je fais appel à d’autres artisans et spécialistes. Ce matin, je suis allé voir une architecte pour un projet de bibliothèque, commandé il y a déjà 3 mois. Après la présentation de mes dessins, je vais planifier mon travail et contacter mes collaborateurs qui maîtrisent les techniques en relation avec les matières utilisées (cuir, métal…) mais je démarrerais la fabrication, seulement dans un an. Je laisse du temps à mes projets pour qu’ils mûrissent, évoluent afin d’aboutir à un résultat optimal. Je n’hésite pas à rencontrer plusieurs fois mes clients pour mieux comprendre leurs désirs et créer un objet durable et solide, pendant 50 ou 100 ans, transmis aux générations suivantes. Autre exemple, une cliente architecte m’a commandé un meuble de rangement et aujourd’hui ce projet s’est transformé en tête de lit : la rénovation de l’appartement où il devait prendre place ayant changé. Finalement, cette tête de lit en loupe de noyer, laque, aluminium et cuir, conçue comme un paravent, occupera une place centrale dans la chambre.
Comment arrivez-vous à évoluer ?
Il y a 2 ans et demi, avec 10 autres artisans de pointe nous avons fondé le groupe Gabriel. Cette association m’a permis d’échanger des contacts pour trouver des matériaux. Nous mettons en commun nos carnets d’adresses, avec des rencontres virtuelles et mensuelles sur zoom et des réunions en présentiel, tous les 2 à 3 mois : un networking très spécifique et efficace. D’autre part, je loue un petit espace aux Ateliers Zaventem, une pépinière de créatifs sous l’égide du designer Lionel Jadot. J’y travaille un jour par semaine. Sur les 8 à 9 heures passées sur ce site, 5 sont consacrées au travail et le reste du temps, à des échanges très stimulants. J’ai collaboré avec l’atelier Niyona de haute maroquinerie qui a réalisé le gainage en cuir de ma tête de lit en cours. L’Atelier 185, qui maîtrise la fabrication des couteaux avec lames en acier damassé, a travaillé sur les piètements de tables pour un restaurant ».
Quelles créations en préparation ?
« Je termine la fabrication d’un meuble à chaussures inspiré par le style Art déco. Recouvert d’un placage en loupe d’amboine, il fait penser à un bloc de marbre taillé. Ce rangement bas, qui sert aussi de banquette, est caractérisé par la présence de hublots avec un éclairage intégré. Autre idée en gestation, avec des chutes de placage bois, j’essaie de réaliser des objets plus esthétiques que fonctionnels. Et mon rêve ultime, c’est de fabriquer une pièce de maîtrise avec tous les acteurs du groupe Gabriel, qui va bientôt s’étoffer, pour montrer ce que l’on est capable de faire. La Michelangelo Foundation m’a référencé sur leur site et sélectionné pour une publication car mes créations présentent une combinaison de savoir-faire assez exceptionnelle ».
Corps à corps artistique
Corps à corps artistique
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Le bois, Kaspar Hamacher le brûle, le fend, le taille, le cisèle, le creuse, le sculpte, pour faire naître des œuvres d’art et du mobilier artistique, autant de pièces uniques qui s’exportent un peu partout dans le monde et que l’on a pu apprécier récemment au CID Grand-Hornu. Élevé dans les Cantons de l’Est, l’artisan-sculpteur aujourd’hui quadra a trouvé son bonheur dans un corps à corps avec le bois. Un travail physique et artistique qui l’«équilibre».
Comment est né cet amour pour le bois ? « Je suis né près d’Eupen, à la lisière des Hautes Fagnes. Mon père, garde-forestier, avait une maison en plein milieu des bois. Les arbres, j’ai appris à les observer, à les connaitre. Je travaille donc un matériau que j’aime, que je respecte. Vous savez, dans le monde de l’art et du design (Kaspar est diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Maastricht – nda), on ne m’a pas poussé à travailler le bois. Au contraire, on me disait d’essayer plutôt le verre. Le seul qui m’a encouragé à travailler le bois, et à le travailler de mes mains, c’est Casimir Reynders (ce designer belge fabrique lui-même ses meubles depuis au moins 25 ans – nda). Il m’a aidé à affiner ma démarche, entre artisanat et design. »
Travailler de ses mains, un choix qui définit votre parcours ! «J’ai l’habitude de dire que je me sens plus artisan que designer. Un designer dessine des plans que d’autres exécutent. Je me connais : je ne serais jamais satisfait ! J’ai vraiment besoin de créer de mes mains et de contempler mon travail fini. Vous savez, je ne suis pas très équilibré dans ma tête. Mon équilibre, c’est ce travail très physique avec le bois qui me l’apporte ! Le soir, je me sens parfois fatigué mais mentalement je vais mieux ! » Il rit.
Vous avez vécu deux ans à Bruxelles, pourriez-vous retourner vivre en ville ? « Non. Je n’aime pas l’énergie que dégage la ville. Même pour aller chercher un clou au magasin, c’est le parcours du combat à cause des embouteillages. A Eupen, qui semble loin de tout, tout est aussi plus accessible ! »
Quel est votre rapport au bois ? « Je lui donne une autre fonction que la simple planche qui sert à construire une maison. Quand je le travaille, quand je construis des tables ou des bancs, je m’intéresse au cœur du bois, à ses nœuds aussi, en essayant de mettre en évidence ce que personne ne voit. »
Avec le bois, vous faites aussi du mobilier… « Oui, je ne voulais pas créer des œuvres iconiques que personne ne touche ! J’aime créer des tables ou des bancs, parfois sculpturaux, parfois moins, mais avec lesquelles on vit. Vivre avec la nature. Vivre avec mes pièces. J’amène la nature dans le lieu de vie des gens. C’est ça ma démarche… »
Le bois vous résiste-t-il parfois ? Qui dicte le travail de l’autre ? « Ah, ça… Parfois, c’est l’arbre, à travers sa forme, qui dicte mon travail ; parfois, ce sont mes idées qui me confortent dans le choix de tel ou tel arbre. Mais quand j’utilise la technique du bois brûlé, parce que j’aime beaucoup son rendu visuel, c’est plutôt moi qui m’exprime ! »
Votre style a-t-il évolué ? « J’ai toujours aimé révéler la dualité du bois, c’est-à-dire sa force et sa fragilité. Au début, je cherchais à rendre le bois plus léger. Mais j’ai tendance aujourd’hui à vouloir créer plus grand, plus monumental, plus sculptural. »
Marie’s Corner et l’horeca, une love story
Marie’s Corner et l’horeca
Une love story
Mots : Ariane Dufourny / Servane Calmant
Photos : DR
Marie’s Corner, le spécialiste belge du canapé « tailor-made » a signé de prestigieuses collaborations avec des hôtels et restaurants. Bon-Bon et l’Eau vive notamment, mais aussi ces deux adresses-ci où se marient la gastronomie et le design. On vous y emmène.
Le Château de Vignée, une atmopshère du XVIIIe siècle…
Situé à Rochefort, dans la vallée richement boisée de la Lesse, le Château de Vignée a connu moult affectations. L’exploitation agricole du XVIIe, qui avait servi d’hôpital militaire au cours de la Deuxième Guerre mondiale, puis de point de chute pour les amateurs de la chasse, s’est donc muée en hôtel-boutique haut de gamme. On vient désormais au Château de Vignée pour s’immerger dans un univers de luxe feutré – le label Relais & Château apposé sur le mur de la façade venant discrètement le rappeler.
Le studio de design WeWantMore a fait appel à Marie’s Corner pour meubler la salle à manger privée, le salon, les chambres thématiques et le restaurant Arden, où derrière les fourneaux, le Chef Marius Bosmans orchestre un diner gastronomique à base de produits régionaux ardennais dont la plupart sont issus de la serre et du potager du château.
On profite de la vie de château et d’un spa sous le signe de la vinothérapie. De la liesse avec vue sur Lesse. Quant aux golfeurs, ils apprécieront la proximité du château avec le terrain du Royal Golf Club du Château royal d’Ardenne, le golf le plus ancien du pays.
Caillou, une déco qui ne laisse pas de marbre…
Le célèbre chef étoilé du Sel Gris, Frederik Deceuninck, a fait appel à Marie’s Corner » pour développer un modèle inédit à l’occasion de l’ouverture de son restaurant Caillou à Knokke. Les 48 chaises ne sont pas de basiques accessoires, elles participent pleinement à l’expérience multisensorielle d’un repas et sont la pierre angulaire de la décoration. L’architecte d’intérieur Heidi Wilde a multiplié les rappels au bois et aux matières organiques à l’instar de l’iconique chaise « Sonoma » (avec et sans accoudoirs) imaginée par le chef et la Maison belge de canapés tailor-made.
Quant aux tables, elles sont signées par Houtentiek, les photographies de Filip Moerman, les assiettes artisanales et décorations monumentales en pierre de Terra Torno, les vases sculpturaux et fleurs proviennent respectivement de l’Atelier Vierkant et de Daniel Ost.
Côté cuisine, on y retrouve l’ancien bras droit du Sel Gris, le Chef Sander Van de Walle. Il y propose des plats de saison et une belle carte de vins européenne pour tous les budgets.
MC RENT, la formule magique de renting
Marie’s Corner démontre tout l’intérêt de sa nouvelle offre de location sur-mesure destinée aux professionnels. La marque belge ouvre grand le champ des possibles pour les entreprises, les architectes d’intérieur, les designers et les décorateurs. Un loyer simple à payer et la liberté de faire naître des intérieurs toujours plus personnalisés… et de pouvoir les adapter au gré de leurs envies !
La chaleur du minimalisme selon Nicolas Schuybroek
La chaleur du minimalisme selon Nicolas Schuybroek
Mots : Agnès Zamboni
Photos : DR
Depuis 10 ans, cet architecte bruxellois développe une démarche où l’émotion et le sentiment de quiétude occupent le centre de ses projets. Dans un esprit d’œuvre totale, ses réalisations révèlent une recherche de perfection dans le travail des matières et le sens du détail.
Quelle est votre vision de l’architecture ?
Il y a environ 20 ans, j’ai connu, dans mon parcours, un moment charnière, en découvrant Le Couvent de la Tourette, une œuvre en béton de style brutaliste, réalisée par Le Corbusier, qui y avait aussi introduit tout l’art des couleurs primaires. Grâce à ce bâtiment, j’ai changé de perspective et rencontré la dimension humaine qui manque souvent à l’architecture contemporaine, en vivant une véritable expérience sensorielle. Une émotion semblable m’a traversé en découvrant le travail de Hans van der Laan, architecte et moine bénédictin originaire des Pays-Bas. En visitant ses architectures, j’ai ressenti un sentiment de quiétude, lié à la vie religieuse, que j’ai alors souhaité retranscrire dans mes propres réalisations. Et j’ai compris que le traitement particulier des espaces, des volumes et de la lumière, rehaussé par une palette restreinte de matériaux, caractéristique dans ce type de construction, peut se décliner en tous lieux.
Quelles sont les particularités de votre démarche ?
Dans une idée d’œuvre totale, j’intègre le bâtiment dans un contexte, un paysage, un jardin. Je dirige mon attention du plus grand au plus petit, travaillant à différentes échelles, dans une démarche linéaire. Aux matériaux dominants de l’architecture, j’associe généralement une sélection limitée de matériaux intérieurs (pierre, bois, enduits, métal) dont la richesse des textures et patines compense le nombre restreint. Avec ses matières, qui sont autant des matériaux de construction que d’architecture intérieure, je dessine un fil rouge, qui dès que l’on pousse la porte, installe un sentiment de calme et de sérénité. Les proportions sont essentielles dans cette démarche. La notion de proportion est très difficile à expliquer car elle ne se voit pas nécessairement mais participe à l’équilibre de l’ensemble d’un édifice. Chacun de mes projets est le fruit d’une architecture sur-mesure, façonnée comme une robe haute couture, prenant en considération le lieu et le site qui forment le canvas de base. A la façon de Victor Horta, Adolf Loos ou Josef Hoffmann, et sur le modèle du Palais Stoclet, je reviens toujours à cette notion d’œuvre totale. Il ne s’agit pas de développer une approche totalitaire mais d’aboutir à un travail extrêmement personnalisé et très étudié jusque dans les moindres détails.
Quelles sont vos influences et inspirations ?
Il n’y a pas que les architectes et l’architecture, mais aussi d’autres disciplines et mouvements artistiques comme le Constructivisme russe et notamment le peintre Malevitch, les artistes du Land Art
avec Hansjorg Vöth ou Michael Heizer, dans les années 1960, les artistes minimalistes tels Donald Judd. La danse contemporaine m’inspire aussi car elle offre souvent une puissance visuelle avec peu de moyens. Je pense notamment au chorégraphe Alexander Vantournhout qui développe la mécanique et la mathématique du corps, au travail de Peter Suter… Il y a également toutes les influences inconscientes qui agissent en vous et que l’on ne perçoit pas toujours.
Quelles matières aimez-vous travailler ?
La pierre, bien sûr, qui permet de créer un lien entre l’enveloppe du bâtiment, pour aller de l’extérieur à l’intérieur. Je recherche toujours des matières qui ont une profondeur, une âme, une patine, une qualité particulière pour capturer la lumière et qui font référence à l’architecture.
Entre design et architecture, quelle différence ?
Je ne fais justement pas de différence entre les projets. Pour moi, la démarche est identique, seule l’échelle change. Tout objet de design ou pièce de mobilier est une microarchitecture. La matière choisie induit la fonctionnalité.
Dans votre travail, quelles sont les étapes plus complexes ?
Aujourd’hui et depuis un an et demi, ce sont la gestion et la logistique des projets à l’étranger qui sont les plus difficiles à gérer. Les plans ne suffisent pas pour exprimer toute la délicatesse et la précision des détails, l’alignement des joints… Toute la philosophie de mon travail, que je dois transmettre au maître d’œuvre et aux entrepreneurs, réclame un dialogue que l’éloignement ne permet pas. Il n’est pas aisé de faire passer le degré élevé de la perfection, qui est proche de l’obsession, et que je souhaite atteindre dans mes projets.
La réalisation la plus importante de votre carrière ?
C’est toujours la dernière ou la prochaine… A l’agence, nous avons 16 voire 17 projets en route, dont un peu plus de la moitié sont localisés en Belgique. Immeuble atypique de logements à Anvers, maison linéaire de 60 m de long en Flandre, rénovation d’une maison des années 1950 à l’orée de la forêt de Soignes, maison musée pour abriter une collection d’art privé d’exception, nouvelle série d’objets pour la marque when objects work, un nouveau modèle cuisine pour la firme Obumex, des bureaux, une réalisation d’envergure dans un domaine de chasse, une maison privée dans les environs de Courtrai, une autre à Anvers. A l’étranger, la liste s’allonge ! L’ouvrage monographique, qui paraît fin octobre, représente aussi une étape importante. Avec un regard large, il montre mon approche globale où l’architecture, les intérieurs et l’ameublement sont conçus comme un tout, à travers une diversité de lieux, maisons, bureaux, hôtels, objets…
Sophie Cauvin, entre terre et mère
Sophie Cauvin
Entre terre et mère
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Mireille Roobaert
Elle a choisi la terre pour transmettre un message universel, rendant hommage à la beauté de la nature, sa force et sa violence. Un message universel qui n’a pas d’âge et se défie des mouvements artistiques.
Pourquoi avoir opté pour ce médium, la terre ?
Il y a 30 ans, lors d’un voyage en Egypte, j’ai rapporté comme un trésor, ma première terre chargée d’histoire et de symbolique. J’ai compris à partir de ce moment que c’était le médium ultime de ma quête. Ensuite, au fil du temps, j’en ai ramené de presque tous les continents. A travers mes œuvres, c’est l’histoire de l’homme, sa genèse que je raconte. Ces terres représentent une valeur symbolique très forte, l’universalité originelle et fragmentée, au fil des siècles, avec la création du langage et le développement de l’individualité. Aujourd’hui, en les mélangeant sur une toile, je reviens à l’homme, à sa source.
Comment votre travail a-t-il évolué ?
Mes premiers châssis 3D témoignent de mon désir d’occuper l’espace. Toiles et sculptures, toutes mes œuvres convergent vers la même volonté. J’ai commencé à explorer la spatialité, la lévitation, la déstructuration avec des projections de formes géométriques, des figures en acier soudé qui sortent du cadre, afin d’apporter une dimension, donner plus de profondeur à l’œuvre et aller dans l’espace infini du mur blanc. Je les ai associées à des surfaces et aplats travaillés par strates, pour composer des paysages entre ciel et terre. Cette terre est le fondement de mon travail et accompagne depuis longtemps mon cheminement. Aujourd’hui, avec la céramique – terre transformée par le feu – je crée des vases et des réceptacles explorant la notion de vide et de plein. Mais surtout, j’évolue vers des pièces plus monumentales, avec des éléments magmatiques et volcaniques. J’intègre aussi des éléments en terre cuite, dans mes tableaux, pour leur donner plus de force. La terre dans tous ses états… magique et alchimique. J’associe également des minéraux, des pierres qui possèdent un grand pouvoir énergétique et donnent un éclat particulier aux oeuvres. Ces trésors et bijoux, offerts par la planète, me fascinent.
Comment vous définissez-vous en tant qu’artiste ?
Depuis longtemps, en tant qu’artiste, je m’interroge sur les mêmes sujets intemporels et je me confronte aux questions fondamentales de notre passage sur cette terre. Je suis passionnée par la philosophie, la science, la mathématique, la spiritualité, la cosmologie. Mon travail met en lumière toutes ces interrogations, hors du temps, sans âge, avec des éléments naturels, à la recherche d’un équilibre entre esprit et matière. Je transforme, grâce à l’érosion du sable, par le biais de l’eau ou du feu, la materia prima. J’essaie de retranscrire la force des éléments, du torrent au volcan, du céleste et de l’astral. C’est l’écriture de la nature et non la mienne. La nature est mon maître et mon modèle. Humblement, je façonne la terre à ma manière et essaye de lui donner une deuxième vie, celle de ma lumière intérieure.
Alors, comment marquer son temps ?
J’ai connu trois chocs artistiques qui m’ont fait réfléchir sur l’ultime message… Le premier en visitant une exposition aux Pays-Bas et en rencontrant le regard saisissant d’un bourgeois peint par Rembrandt, fort de l’énergie intacte de l’âme ; le second en observant un gisant de Camille Claudel, ou la chair c’est transformée en émotion pure et le troisième en découvrant, dans une alcôve du British Museum, une sanguine de « La Vierge à l’Enfant » de Léonard de Vinci, ou l’Amour et la compassion sont au-delà des traits. Au-delà de la vie et de l’énergie qui jaillissaient du coup de pinceau, d’un burin, j’ai compris que l’art avait alors atteint la dimension du « Sacré ». Une dimension qui relie tous les hommes sans devoir communiquer une intention car cette dimension suprême est intemporelle, sans langage, et touche notre universalité, notre âme et notre cœur.
Essayez-vous de donner une identité à vos œuvres ?
J’ai récemment mis en œuvre une série de plaques en terre glaise sur lesquelles je travaille le souffle de la force, avec mes mains et mes pieds, pour retrouver une gestuelle primitive et imprimer à la terre un impact et les traces de mouvement. Je me sers de ma pratique des arts martiaux pour communiquer une énergie brute et intacte. C’est la première fois que la main de l’homme apparaît dans mon œuvre. Avec la terre, l’infini s’ouvre à moi. Dans mes projets, l’envie aussi de donner un nouvel élan aux arts de la table avec des pièces de vaisselle hors normes, brisant les codes, conçues en collaboration avec des chefs qui les choisissent comme écrins pour présenter leurs créations, lors de dîners privés et d’exception. Dans ce travail, toujours en communion avec la terre que je déchire et j’arrache pour créer des formes innovantes, cuites au four jusqu’à obtenir des couleurs de lave et de charbon, je retrouve aussi l’essence des matières qui ont traversé le temps.
Sophie Cauvin exposera à partir du 15 septembre à la Macadam Gallery, à Bruxelles, puis organisera un show collectif inédit dans son atelier et galerie, en octobre 2021. Enfin en novembre 2021, son travail sera aussi présenté à la Galerie Sophie Scheidecker de Paris