Thomas De Bruyne - Créatif grand angle
Thomas De Bruyne
Créatif grand angle
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Cafeine
Sous le patronyme de Cafeine, hérité de ses années de DJ, Thomas De Bruyne s’affirme comme une référence de la photographie architecturale et d’intérieur. Point de rencontre de l’espace et du graphisme, autour de compositions d’inspiration picturale. Rencontre avec ce photographe plébiscité par les plus grands architectes, designers et entreprises de décoration, tant en Belgique qu’à l’étranger.
Nathalie Deboel, Nicolas Schuybroeck, Simon de Burbure ou Hélène Van Marcke, pour n’en citer que quelques-uns… Vous travaillez avec les plus grands noms du design et de la décoration d’intérieur. Comment sélectionnez-vous vos collaborations ? Il est important que nous partagions une même sensibilité et une vision esthétique. Sur un shooting, je fonctionne de manière intuitive, percevant l’impulsion et l’atmosphère des lieux et comprenant à l’instinct ce qui fonctionnera ou non, sans m’imposer de règles ou de limitations. Mes clients me laissent toute latitude et c’est cette confiance mais aussi ce goût commun qui en assure la réussite. J’ai la chance aujourd’hui, après plus de 15 ans de pratique, de pouvoir me concentrer uniquement sur les projets qui me passionnent vraiment.
A titre personnel, à quel type d’architecture va votre préférence ? étonnement assez éclectique, mais possédant une base très minimaliste. Comme des plafonds noirs ou bruns foncés, un sol en béton. Il y a un an, j’ai fait construire un pavillon pour mon bureau, il reflète parfaitement ce qu’est mon style personnel. On y trouve des livres, des disques, des bouteilles de whisky, du café, des céramiques et des oeuvres d’art. Les objets qui m’inspirent viennent se greffer sur socle épuré et graphique. Ce sont les détails qui complètent un lieu, qui leur donnent une histoire. C’est aussi pourquoi je préfère les meubles vintages aux pièces neuves.
Sur Instagram, vous partagez également des images de votre maison. Celle-ci est-elle aussi un terrain de jeu créatif ? Oui, certainement, même si cela reste en parallèle un espace familial. Son aménagement est, dans une certaine mesure, comparable à celui de mon bureau. L’intérieur est noir et blanc, ce qui peut sembler froid ou dur, mais les meubles, tapis, tabourets et tables, sans parler des affaires des enfants, viennent ajouter de la vie.
L’oeuvre d’un photographe en particulier vous émeut-elle ? Celle de Luigi Ghirri, un artiste italien ayant réalisé des milliers de clichés dans les années 70 et 80. J’ai découvert une rétrospective de son travail à Paris et depuis, je suis amoureux de ses photos. Mais plus encore, c’est le peintre Koen van den Broeck qui fait office de véritable inspiration pour moi. Certaines de mes compositions sont presque des miroirs de ses tableaux. Mon approche est totalement différente de la sienne. Il convoque l’art et moi la réalité, mais cela ne nous empêche pas d’avoir de multiples lieux communs.
Vous signez la couverture d’“In Focus”, un livre d’hommage aux meilleurs photographes d’architecture et d’intérieur au monde. Est-ce à vos yeux l’illustration du succès ? Arriver à convaincre l’éditeur d’opter pour ce cliché en couverture a été un sacré défi, notamment par sa composition, son cadrage et sa couleur qui lui donnent presque l’apparence d’un projet en 2D. Mais je trouvais justement passionnant d’introduire un livre d’architecture avec une photo loin d’un habituel intérieur clair et élégant, qui ferait l’unanimité. Avec une image qu’il faut observer pleinement pour la comprendre. C’était une forme de pari artistique aussi. Et c’est bien sûr un honneur que de figurer sur une dizaine de ses pages d’un tel ouvrage.
Vous lanciez Caféine, votre studio, en 2007. Qu’est-ce qui vous permet de préserver et nourrir votre passion pour la photographie après toutes ces années ? En demeurant curieux. J’ai ma propre signature mais je suis constamment en recherche d’amélioration de l’éclairage, des ombres, des finitions, des couleurs. Au début de ma carrière, je ne prenais que des clichés en noir et blanc. Mais j’ai totalement abandonné ce principe ces sept dernières années. J’expérimente énormément, notamment en post-production. Je suis passionné par la technique. Encore un aspect issu de mon identité de graphiste. Et je suis convaincu qu’il est essentiel de créer son propre style, mais plus encore de le développer et de l’alimenter.
Renata Stinglhamber - Uniques et précieux bijoux
Renata Stinglhamber
Uniques et précieux bijoux
Mots : Olivia Roks
Photo : Luk van der Plaetse
Renata Stinglhamber est l’une des joaillières les plus réputées du Royaume. Depuis plus de 25 ans, la magie des pierres précieuses, l’harmonie des courbes, la lumière des ors n’ont plus de secret pour elle.
Dans son écrin bruxellois, des merveilles voient le jour, certaines prennent vie entre ses mains d’autres sont retravaillées au goût du jour.
Un savoir-faire d’exception.
Cela fait plus de 25 ans que vous évoluez dans l’univers de la joaillerie, quel est votre parcours ? Depuis toute jeune je savais ce que je voulais faire. Je coupais, je sciais, je faisais des bracelets que je vendais. Après un cursus classique, j’ai fait quatre années d’études de création de bijoux à Anvers et j’ai terminé par une cinquième année à Londres au Saint Martins College Art & Design. Une année de bijoux expérimentaux, conceptuels, de vraies œuvres d’art. De retour en Belgique, j’ai fait le tour des belles bijouteries bruxelloises, il n’y en a pas beaucoup… Du haut de mes 24 ans, je me suis retrouvée chez Wolfers à côtoyer la Reine. J’ai fréquenté l’aristocratie belge et surtout eu accès aux somptueux bijoux anciens, spécialité de Wolfers. J’y suis restée 12 ans, ensuite la bijouterie s’est fait racheter par des Chinois et j’ai poursuivi mon aventure chez Leysen, autre bijouterie d’exception. Je retrouvais une ambiance familiale mais aussi un autre public : la bourgeoisie avec un haut pouvoir d’achat. Plus de bijoux anciens, mais de gros projets, des créations d’exception que je gérais de A à Z.
Ensuite, vous vous êtes lancée à votre propre compte… Oui, la maison Leysen s’est aussi fait racheter par des Chinois. Pendant le Covid, après la perte de mon compagnon qui m’a toujours soutenue, je me suis rendu compte que la vie ne tenait qu’à un fil. Depuis plusieurs années, j’avais développé une petite clientèle sur le côté en toute transparence. J’ai alors sauté le pas, poursuivi mon rêve et je me suis lancée à mon compte. Aujourd’hui, depuis deux ans, je travaille uniquement pour ma marque. Je n’ai pas désiré ouvrir une boutique car j’aime justement recevoir chez moi, dans un cocon, un écrin confidentiel, intime, où on se sent à l’aise, où j’accueille sur rendez-vous, où l’on prend son temps. Il ne faut pas oublier que l’humain est au centre de mes créations.
Quelle est votre force face à d’autres joailliers ? Mon atout reste ma formation très complète. J’ai appris à dessiner le bijou, le réaliser et rechercher la pierre adéquate. J’ai la capacité, les connaissances pour tout faire même si je ne le fais pas systématiquement. Ce que j’aime c’est comprendre ce que le client souhaite, chercher les pierres et ensuite réaliser le dessin. Je laisse enfin quelqu’un confectionner le bijou, sous ma supervision, toujours en Belgique. J’ai aussi cette force de bien déceler le style de la personne. C’est important quand on souhaite faire un cadeau et surprendre la personne qu’on aime. On me montre souvent une photo de la main mais j’ai besoin d’analyser son style, son métier, son âge, sa manière de se vêtir, et je me suis rarement trompée !
Comment décririez-vous vos créations ? Il y a ce que moi j’aime et ce que le client aime. Je crée pour moi, pour proposer des modèles à la vente, mais je crée aussi pour le client, selon ses demandes, un bijou sur mesure. Le sur-mesure est la plus grande partie de mon travail. Je m’oriente principalement vers deux styles distincts, bien que j’aime beaucoup de choses… J’adore les couleurs, les pierres, des pierres plutôt rares qui sortent de l’ordinaire. Je réalise par exemple des bagues dites bouquets, composées de plusieurs pierres de couleurs différentes. Ce genre de créations s’axe principalement autour de la pierre et de son originalité. Mon autre dada, c’est l’art déco, j’affectionne ce côté sobre aux lignes très claires. Naissent alors des bijoux plus architecturaux.
Et l’un de vos autres talents, c’est redonner vie à des bijoux anciens… Oui. C’est très en vogue, c’est en quelque sorte de l’upcycling ! Soit j’achète des bijoux en salle de ventes et je leur redonne une nouvelle vie, soit j’accompagne mes clients pour réaliser cette même démarche. Par exemple, une broche de votre grand-mère trop vieillotte pour vous ? Je la transforme et la revisite au goût du jour en en faisant des boucles d’oreille.
Fascinée par les pierres, quelle est votre préférence ? Il y en a une que je rêverais d’avoir moi-même mais les prix sont colossaux, c’est le diamant rose, un rose pâle délicat. J’adore également la tsavorite, un grenat vert, très intense. Je propose cette pierre parfois à la place de l’émeraude, très connue.
Un rêve en tant que joaillière ? Bien sûr, j’adorerais voir une star porter une de mes parures sur le tapis rouge. Une femme élégante avec du caractère qui portera à merveille le bijou comme Claudia Cardinale ou Monica Bellucci. Mais mon plus beau cadeau, c’est tout simplement la confiance des clients, j’adore quand on me donne carte blanche.
Arno Declercq - Une esthétique de l’âme
Arno Declercq
Une esthétique de l’âme
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Ses pièces aux allures monolithiques, tout à la fois brutalistes et organiques, s’imposent tels des livres ouverts révélant un amour et un respect profond du vivant. Sous le toucher d’Arno Declercq, bois et métal se métamorphosent en mobilier sculptural, hommage à l’architecture et à l’art ancien.
A seulement 30 ans, vos créations, meubles comme objets d’intérieurs, sont plébiscités à l’international pour leur beauté atypique et leur conception audacieuse. Mais, comment, à titre personnel, les décririez-vous ? Je dirais que mon style est un condensé de Wabi-sabi brutaliste. Il puise dans cette esthétique japonaise un côté spirituel et le désir de donner du sens à la matière, de modeler la nature pour créer des pièces qui vont durer à travers le temps et sont conçues pour habiter l’espace et la vie. Quant au brutalisme, il en a les codes de minimalisme brut ainsi que la géométrie et les volumes imposants.
Créateur autodidacte, vous avez grandi au sein d’une famille éprise d’art, d’artisanat et de mode. Le design a-t-il toujours représenté pour vous une évidence ? Ce n’était pas réfléchi. Mon père, ayant étudié à l’Académie royale des arts, nous emmenait ma sœur et moi visiter tous les musées et les galeries et se passionnait pour les arts tribaux. La boutique de mode de ma mère m’a de son côté permis de découvrir des créateurs d’exception comme Ann Demeulemeester ou Rick Owens. J’ai donc commencé un cursus en design intérieur, à Sint-Lucas, à Gand, avant de rapidement comprendre que les normes du système scolaire n’étaient pas pour moi et j’ai arrêté après un an. J’ai alors eu l’occasion de partir plusieurs mois au Brésil, créer aux côtés d’Arne Quinze et cela a enrichi mon travail bien au-delà de ce qu’aurait pu m’amener un diplôme. Au retour, j’ai ouvert une galerie d’art et de design ethnographique à Louvain, tout en travaillant dans la rénovation et la peinture de bâtiment, pour financer mon projet. Celle-ci a malheureusement dû fermer après un an, faute de moyens, mais j’ai continué à me passionner pour le design et je restais aussi face à l’impossibilité de trouver du mobilier et de la décoration que j’aimais. J’ai alors fabriqué mes propres modèles, destinés au départ seulement à mon intérieur. J’en publiais des photos sur mon compte Instagram, et ceux-ci furent rapidement repérées par des galeristes, parmi lesquels Garde, à Los Angeles, qui devint mon premier client.
Vous évoquiez le Brésil et son importance dans votre parcours. Ce fut le cas pour d’autres voyages, notamment en Afrique de l’Ouest, dont vous avez ramené l’Iroko, un bois tropical devenu votre principal matériau. Oui, en effet. J’ai beaucoup voyagé avec mon père. J’ai dormi chez le peuple Lobi au Burkina Faso, chez l’ethnie Fon au Bénin. J’y ai découvert des philosophies très pures et des objets à la symbolique exceptionnelle. Au Bénin, j’ai ainsi rencontré des menuisiers travaillant avec du bois Iroko, que l’on retrouve aussi au Cameroun, au Togo et au Burkina Faso. Un arbre tropical fascinant, surnommé « Roi de la forêt ». Les locaux l’estiment habité par leurs ancêtres et lorsqu’un guérisseur vodou doit cueillir des herbes et plantes de la forêt, il demande aux Iroko, sa bénédiction avant de poser cet acte. Je n’ai pas imaginé d’emblée créer des meubles avec celui-ci, mais je trouvais cette vision spirituelle magnifique, tout comme sa teinte noire et sa dureté mêlée à la finesse de ses veines. Je ne mets pas son histoire en avant, estimant qu’il s’agirait d’appropriation culturelle, mais elle imprègne mes pièces. En créant par exemple une table centrale, où les membres d’une famille pourront se retrouver pour parler, partager, j’espère imprégner leur maison d’une part de cet esprit. Tout comme j’utilise la technique japonaise du Sho Sugi Ban, consistant à brûler profondément le bois pour le rendre ensuite plus résistant à la combustion et aux champignons. Je tiens à ce que derrière l’esthétique il y ait une âme. La pièce dont je suis le plus fier est ainsi la Zoumey Table, un plateau de noyé africain brûlé et ciré, soutenu par une forêt de pieds en bois Iroko. Je voue un immense respect à mes matériaux, c’est pourquoi je fabrique mes créations artisanalement, en veillant à en minimiser les chutes. Je me fais le devoir préserver chaque morceau de bois.
Si vous créez toujours au sein de Zaventem Ateliers, vous avez récemment ouvert un showroom à Anvers, dans un espace industriel de 500 mètres carrés. Pourquoi ce choix ? Zaventem Ateliers est un superbe espace, mais c’est celui de l’artiste et designer Lionel Jadot, son identité. Il était temps pour moi d’avoir un lieu, une atmosphère qui me ressemble, qui puisse refléter l’essence de mes collections.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui ? J’aime créer dans la diversité, entre commandes et projets personnels, tout en conservant toujours mon intégrité artistique. On m’a déjà proposé de racheter mon studio, mais cela reviendrait à vendre mon nom et mon identité. Il n’en est pas question, pas plus que de fabriquer des objets à la chaîne. Je ne signe pas non plus mes pièces. J’espère les imprégner d’un ADN suffisamment fort que pour qu’elles soient reconnaissables, même sans cela. Aujourd’hui, je nourris aussi le rêve d’acheter des maisons et appartements à travers le monde, pour permettre à ceux qui le souhaitent d’habiter au milieu de mes meubles et objets. C’est la vie qui leur donne tout leur sens.
50 ANS DE DESIGN AVEC DOMINIQUE RIGO
50 ANS DE DESIGN AVEC
DOMINIQUE RIGO
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
En 1974 naissait une petite entreprise de décoration : Dominique Rigo.
50 ans plus tard, cette maison solidement établie continue de refléter un design élégant, moderne et de qualité. Entre la boutique qui regorge de superbe mobilier scandinave ou italien et leurs magnifiques projets d’aménagement, on ne sait où donner de la tête. Une chose est sûre, ici, le design est roi. Rencontre avec, Charlotte Rigo, la nouvelle maîtresse des lieux.
Dominique Rigo est une boutique de design éponyme, elle porte le nom de votre père. Qui est Dominique Rigo ? Mon père, Dominique Rigo, a parcouru un long chemin avant de lancer sa boutique éponyme. Ayant étudié l’architecture à Saint-Luc, il était déjà un passionné de bricolage et de design dès son adolescence. Peut-être influencé par sa mère qui avait un intérêt marqué pour l’aménagement intérieur classique, il a développé un goût pour le mélange subtil des styles. Lors de ses études d’architecture à Saint-Luc, il a été invité à repenser l’étage de direction d’une société de réassurance du père d’une de ses camarades de classe. Cette expérience l’a incité à envisager d’établir sa propre entreprise et à ouvrir un magasin. Il a donc lancé sa petite société de décoration en 1974 avec son ex-épouse, Marianne Tedesco. Son expertise a rapidement attiré l’attention et ils ont été sollicités pour divers projets.
Aujourd’hui vous reprenez le flambeau ? Le flambeau oui, mais surtout la passion, qui est nécessaire dans notre métier. Comme j’aime le dire, je suis née dans un tiroir Interlubke, mon père m’a transmis le virus du beau, du bien fait et du travail. Ce n’est pas toujours simple de marcher dans les pas du « grand monsieur », mais j’aime ce que je fais, j’aime ce contact client et surtout j’aime faire voguer le bateau que mon père a créé, avec une touche plus actuelle peut-être, plus 2.0.
Dominique Rigo a 50 ans. 50 ans de design, de décoration. Quelle est la patte « Rigo » ? Mon père a toujours été séduit par le design contemporain et le principe du “less is more”. Il a fait de la modernité son credo, privilégiant le confort, la fonctionnalité et la durabilité dans ses collections. Aujourd’hui, la marque est solidement établie et reflète notre engagement envers l’innovation et la qualité. Quand on parle de patte, on pense à un style, un fil conducteur. Le nôtre est principalement l’écoute du client et son bien-être chez lui ou sur son lieu de travail. Chaque projet est personnalisé, on repart de zéro pour chaque client mais bien sûr dans un style moderne et contemporain mais nous y allions avec plaisir des meubles anciens ou de famille.
Quels sont ces objets qui selon vous ont marqué l’histoire du design ces cinquante dernières années ? La chaise Panton (1967) en plastique moulé d’une seule pièce, la lampe Tolomeo (1987), le fauteuil Egg (1958), la chaise Ghost (2002) en polycarbonate transparent a redéfini les possibilités du matériau plastique mais aussi le fauteuil Bambole, le lounge de Eames, le Togo, la lampe Arco… Il y a tant d’emblématiques !
50 ans plus tard, la décoration a bien évolué… Effectivement, la déco- ration a connu une évolution significative reflétant les changements sociaux, culturels, technologiques et économiques de notre époque. Au niveau des styles, nous avons vu un passage de l’opulence des années 1980 à la simplicité du minimalisme des années 1990, puis à une réévaluation des styles rétro et vintage dans les années 2000 et 2010. Aujourd’hui, nous observons une tendance vers un design plus éclectique, où les gens mélangent différents styles pour créer des intérieurs uniques et personnalisés. Nous avons aussi assisté à l’émergence de nouveaux matériaux et à l’adoption de méthodes de fabrication plus durables et respectueuses de l’environne- ment. La technologie a également joué un rôle majeur dans l’évolution de la décoration, avec l’intégration de solutions intelligentes pour le contrôle de l’éclairage, du chauffage et d’au- tres aspects de la maison connectée. Parallèlement, les attitudes envers la décoration ont également changé. Autrefois considérée comme un luxe réservé à une élite, la décoration est devenue plus accessible et démocratisée. Aujourd’hui, la décoration est plus que jamais un moyen pour les individus d’exprimer leur identité et leur créativité.
Justement, quelles sont les tendances actuelles qui inspirent le marché et vos clients ? La durabilité et l’éco- logie sont des préoccupations majeures pour de nombreux consommateurs. Il y a une demande croissante pour des matériaux écologiques et des pratiques de fabrication durables. Le minimalisme et la simplicité continuent aussi d’être des tendances importantes. Les consommateurs recherchent des designs épurés avec des lignes simples et des espaces ouverts, créant des environnements à la fois fonctionnels et esthétiquement agréables. Et bien sûr, le confort et le bien-être à la maison sont également au premier plan.
Des nouveautés à venir cette année ? La plus grande nouveauté c’est le cap que nous passons : nos 50 ans ! J’ai aussi hâte d’aller à Milan, malheureusement ce sont des secrets très bien gardés et je n’ai pas encore eu d’échos de la part de nos marques. Mais je pense que le confort et l’amour des matières seront encore au rendez-vous. Aujourd’hui, plus que jamais, on doit avancer, créer, réfléchir et ne pas rester sur nos acquis, d’ailleurs rien n’est jamais acquis même après 50 ans.
Out of catalogues Livre d’art hybride
Out of catalogues
Livre d’art hybride
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Le collectif singulier Zaventem Ateliers, fondé par Lionel Jadot, a travaillé sur le fameux concept The Mix, l’ex-Royale Belge à Bruxelles. Un projet colossal prenant vie grâce à de nombreux talents. Cette énergie créative se retrouve désormais dans un bel ouvrage. Pour les esthètes curieux, les amateurs de design ou les amoureux de belles choses.
Lionel Jadot, vous signez un nouvel ouvrage mettant à l’honneur deux projets qui vous sont chers : Zaventem Ateliers et le Mix. Rappelez-nous le concept de Zaventem Ateliers… C’est un lieu que j’ai créé il y a cinq ans. Un espace de 6000m2 dans une ancienne usine de papier de la périphérie bruxelloise où j’ai mis en place un concept d’ateliers partagés rassemblés presque uniquement autour du collectible design. Le but était de « curater » l’espace, de sélectionner précisément chaque producteur, designer, qui nous rejoignait dans l’aventure afin de rassembler en quelque sorte l’excellence du design actuel. Zaventem Ateliers est avant tout un accélérateur, un lieu qui permet aux jeunes studios émergents d’accéder à une place plus importante, une meilleure visibilité sur le marché. On fonctionne par candidature. On recherche des profils différents, originaux, innovants, avec des spécificités variées. C’est une vraie communauté. Et cette année, nous sommes très fiers, nous avons gagné le Henry van de Velde Award.
L’autre projet qui vous est cher et qui tient une place à part entière dans le livre, c’est le Mix… Je rêve de ce bâtiment depuis que je suis petit. Il fallait qu’on donne tout pour ce projet extraordinaire. Je voulais vraiment proposer quelque chose d’unique. On a imaginé Realistic circle. Autrement dit, un projet de 25000m2 où l’idée était de pousser notre client, le Mix, à dépenser localement. L’idée était donc de sélectionner un nombre de designers, ceux de Zaventem Ateliers mais aussi 27 autres se situant à moins de 50 km de Bruxelles. On a créé le concept, le mood board, ensuite les designers ont eu carte blanche pour choisir leur espace d’expression et ce qu’ils souhaitaient en faire. Selon moi, le Mix est devenu aujourd’hui l’ambassade du collectible design en Belgique.
Et de ces deux projets naît un livre intitulé « Out of catalogues »… Oui, Out of catalogues reflète notre philosophie : ne pas travailler avec ce que l’on trouve dans les catalogues. Je ne sers jamais du tout cuit à mes clients, je réfléchis, je réinvente, je collabore, je souhaite toujours proposer quelque chose de différent. Hors catalogues, c’est aussi la marque de fabrique de Zaventem Ateliers, des ateliers uniques loin d’un marché classique ou tendance.
Que retrouve-t-on dans ce bel ouvrage ? On retrouve un panel de présentations des designers de Zaventem Ateliers. On y parle de chaque studio, de leur spécificité et de ce qu’ils ont réalisé pour le Mix. Ensuite vient un cahier de trente-cinq pages axées sur le Mix, avec beaucoup de photos, des focus sur chaque objet, sur les designers qui ont participé à l’aventure. Et le troisième volet de ce livre, ce sont des discussions ouvertes, croisées, entre différents designers de Zaventem Ateliers. Cette partie apporte une autre dimension, un échange plus intime.
Qui retrouve-t-on à l’écriture et derrière ces beaux clichés ? A l’écriture, c’est notre anthropologue maison ! Jérôme Hoppe ! Il a voulu faire sa thèse sur Zaventem Ateliers. ça fait quatre ans qu’il est avec nous, il connaît intimement bien notre communauté, chaque studio, chaque histoire, chaque anecdote, chaque drama. Il n’y avait que lui qui pouvait écrire ce livre. En combinant une vision globale analytique, sa présence continue et des entretiens tant informels que spécifiques, il brosse un tableau personnel qui se focalise sur la dimension humaine de l’équipée et nous emmène à la rencontre de la famille qui habite cette ancienne usine. Quant aux clichés, habités de l’intimité de la création, ils sont signés Stan Huaux et Jeremy Marchant. Pour mettre en forme ce livre d’art hybride écrit et photographié de l’intérieur : Juliette Amigues, graphiste et relieuse bibliophile.
Justement, esthétiquement, comment le décririez-vous ? L’idée était de réaliser un livre facile à prendre en main, avec une couverture souple. Quand on ouvre le livre, il tient à plat. La partie sur le Mix est en papier brillant, le reste en papier mat. La couverture rose reprend en impression gaufrée le plan de tous les ateliers.
Et chaque livre est en quelque sorte exclusif car il est accompagné d’un petit objet fait main… Tout à fait. On a réalisé 2000 marque-pages. Chaque exemplaire est accompagné d’un marque-page unique, fabriqué à la main par l’un des studios de Zaventem Ateliers, avec leurs outils et leurs gestes signature.
STEPHAN VANFLETEREN - « Parce qu’elle est immobile, la photographie apporte la paix de l’esprit »
STEPHAN VANFLETEREN
« Parce qu’elle est immobile, la photographie apporte la paix de l’esprit »
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : STEPHAN VANFLETEREN
Atelier, c’est un huis clos intime où Stephan Vanfleteren, photographe multi récompensé, façonne la lumière du jour. Atelier, c’est également le titre de son nouveau livre, une monographie retraçant 12 ans de création dans son propre studio. Comment ce formidable artiste qui est né et qui a grandi sous un ciel de plomb belge, est-il arrivé à modeler la lumière ? Confidences.
Stephan, vous souvenez-vous de votre première photo ? Non, pas vraiment. Peut-être une photo de mon chat ou des dunes de Ostdunkerque où j’ai grandi. En revanche, je me souviens très bien du jour où mon père m’a offert son appareil photo, un Pentax Spotmatic. Je n’oublierai jamais le son de l’obturateur, envoûtant !
A vos débuts, aviez-vous un photo-graphe de référence ? Je pense à l’Américain Irving Penn pour l’intimité qu’il est parvenu à créer avec son modèle. Intimité que vous mettez également brillamment en lumière … J’ai en effet découvert le travail incommensurable et inégalable d’Irving Penn, pendant mes études. Et il ne m’a jamais quitté. Il reste une source d’inspiration, dans mon travail de photographe et dans la vie. J’ai failli faire le portrait de ce maître intemporel ; malheureusement, il est décédé peu de temps avant notre rencontre.
Comment arrivez-vous à créer ce cadre d’intimité avec vos modèles ? J’aime l’idée d’aller à la rencontre de l’autre et de créer un moment suspendu. Je m’y consacre entièrement, pleinement, avec beaucoup d’empathie également. Les modèles ressentent cet abandon, cette passion, et offrent souvent beaucoup en retour.
Pour Steve McCurry, il est important de photographier le monde tel qu’il est, donc en couleur. Vous, en revanche, vous avez rapidement opté pour une photographie en noir et blanc. Pourquoi ce choix ? La photographie ne montre jamais le monde tel qu’il est. C’est au photographe de choisir ce qu’il veut montrer ou ne pas montrer, et comment il veut le faire. Tel est le paradoxe de la photographie. Photographier, c’est forcément faire un choix. Et un choix, c’est subjectif. N’oubliez jamais que la photographie convertit un monde trimental en un monde bidimensionnel. On y perd beaucoup, mais on y gagne parfois plus. C’est le moyen ultime pour saisir l’immobi-
lité de la vie. Parce qu’elle est immobile, dans un monde dansant, vibrant et fou, une photographie apporte la paix de l’esprit.
Vous êtes né à Courtrai, et vous vivez aujourd’hui à Furnes, près de La Panne. En tant que Belge, un ciel plombé par la grisaille ou la pluie, vous connaissez ! La photographie de Stephan Vanfleteren aurait-elle été différente sous le soleil ? Le soleil est idéal… en vacances. Mais en tant que photographe, je préfère la lumière douce. « Avec un ciel si gris, qu’un canal s’est pendu » : Jacques Brel n’est jamais bien loin !
Vos photos reflètent une certaine mélancolie. Je me trompe ? Je place en effet beaucoup de mélancolie dans la photographie, pour pouvoir ensuite me sentir joyeux et décomplexé de l’être. La photographie me soulage de ma lourdeur mélancolique. C’est une bénédiction qui me permet de fonctionner dans ce monde.
Nouveau tournant dans votre carrière. En 2015, avec la série « Nature morte », vous décidez d’abandonner le monde extérieur pour travailler en atelier. « Atelier », c’est également le titre de votre nouvel ouvrage. Cet atelier, cet espace clos, est devenu le théâtre de nouvelles collections de photos. Parlez-moi de ce lieu et de la lumière envoûtante qui le pénètre… J’ai beaucoup voyagé dans le monde au cours de ma vie, mais depuis la pandémie, je me consacre pleinement à des sujets qui me tiennent à cœur. L’Atelier est l’un d’entre eux. Pour autant, je ne m’enferme pas dans mon petit monde. La grande contradiction, c’est qu’ici, dans le petit espace de mon atelier, je peux observer tout simplement comment la lumière évolue au cours de la journée et comment une saison naît ou prend fin. Quand la lumière, qui se trouve à 500 secondes du soleil, s’installe petit à petit dans mon atelier, c’est merveilleux. La lumière qui tombe contre les murs ou sur le sol est le terminus d’un long voyage. Jamais, je n’ai autant réfléchi à la lumière. Dans cet atelier, je me rends compte que le monde tourne autour du soleil et que nous sommes tout petits dans ce grand cosmos. Un constat qui permet de s’affranchir de son égo !
Comment apprivoisez-vous la lumière entrante ? Au fil des ans, je suis devenu plus habile pour trouver la lumière nécessaire à la réalisation d’un bon portrait. Mais la lumière ne se laisse jamais totalement apprivoiser. Elle reste parfois insaisissable. Tant mieux, car cela permet de ne jamais maîtriser la situation. La lumière du jour n’est pas un danseur classique prévisible mais un fantôme imprévisible.
Ce travail en atelier est-il le fruit d’une certaine maturité ? La maturité n’explique pas tout. Mon principal moteur, c’est l’envie, le désir, la curiosité. J’aime le changement, aller vers l’inconnu, prendre des risques. Je n’aurais pas pu, pas voulu, rester photographe de presse toute ma vie. Parfois, on me demande pourquoi je photographie une feuille séchée dans mon atelier. Ma réponse : car les choses simples sont les plus difficiles à saisir. Dans la vie également, la simplicité est souvent compliquée à atteindre.
Vous sentez-vous plus serein aujourd’hui qu’hier ? Non. Je ne suis plus l’homme que j’étais à 22 ans ; au-
jourd’hui, à 54 ans, j’ai besoin de porter des lunettes et j’ai parfois mal au dos.(rire). J’ai toujours réalisé ce que je souhaitais faire au moment où je le faisais. Aucun regret. Désormais, je travaille moins la vitesse d’obturation, c’est vrai. Je m’adapte, j’évolue. Dans mon travail et dans ma vie.
La série « Nature morte » présente dans votre livre, se rattache à la tradition d’un Rembrandt, notamment … Est-ce une référence pleinement consciente ? Bien sûr, je connais la lumière des vieux maîtres. Pas seulement Rembrandt ou Vermeer, mais aussi Irving Penn ou Paolo Roversi. Cette lumière est universelle et intemporelle. C’est dans cette tradition que je m’inscris. Cette « vieille lumière », elle me fascine et me séduit.
Cette série, « Nature morte » donne à voir des corps d’animaux morts. Quel est votre rapport à la mort ? Je n’ai aucun tabou concernant la mort. Plus nous approchons de la mort, plus nous réalisons que la vie est précieuse, fragile et si extraordinaire. Malheureusement, les gens en prennent souvent conscience lorsqu’ils tombent gravement malades. J’essaie de contourner ce problème et de regarder la mort droit dans les yeux. Mes Natures Mortes ne sont pas une glorification de la mort, au contraire, elles sont un hommage à la vie !
Combien d’heures intenses passez-vous dans votre atelier à attendre une lumière parfaite à vos yeux ? Tant que le modèle dans la lumière le permet. Je suis un chercheur et j’ai un esprit douteur, alors quand on m’offre du temps, je le saisis jusqu’à pleine satisfaction. L’attente n’occasionne aucune lassitude ; en revanche, après la séance photo, la fatigue s’abat sur moi comme un lourd manteau. Bah, cela me permet de bien dormir !
Atelier, le livre, retrace 12 ans de création. Y figurent notamment les séries Nature Morte, Corpus, ainsi que des portraits de personnalités connues du monde de la musique ou du cinéma (Arno, Warren Ellis, Rutger Hauer, Gregory Porter, Mads Mikkelsen, Terry Gilliam, Matthias Schoenaerts, etc.). Une singularité m’intrigue : la main de Nick Cave…Je suis un grand fan de Nick Cave. Je connais un peu Warren Ellis, son ami et âme sœur musicale. Quand Nick Cave est en tournée, il refuse de se laisser photographier. Et c’était le cas. Alors, j’ai demandé à photographier sa seule main droite… « The Red Right Hand » de Cave est emblématique. J’aime les choses atypiques. Un visage parle. Une main aussi. À moi de la saisir avec mon œil et mon objectif.
Y’en aura-t-il une expo en Belgique à l’issue du livre ? Une exposition inti-tulée « Nature morte/Still Life » a lieu à Paris, à la Galerie Rabouan Moussion, jusqu’au 31 décembre. En Belgique, rien n’est encore prévu. Si quelqu’un connaît un espace d’expo formidable en Wallonie ou à Bruxelles, qu’il n’hésite pas à m’appeler. Expo et livre dégagent deux énergies différentes. Le livre a sa propre vie, il se suffit à lui-même. Je crois en la puissance des pages, au rythme propre au livre, à l’intensité au coeur de la relation auteur-lecteur.
Atelier, monographie,
Editions Hannibal Books
Xavier Lust - Design d’excellence
Xavier Lust
Design d’excellence
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Xavier Lust fait partie des noms qui comptent dans l’univers du design international. Au fil de ses réalisations, l’homme s’approprie encore et toujours la matière pour donner vie à des pièces de mobilier hors du commun où performance, équilibre, innovation et durabilité coexistent. Rencontre avec ce génie du design.
Diplômé architecte d’intérieur de l’Institut St Luc en 1992, vous êtes devenu une pointure du design, un Belge réputé à l’international. Rappelez-nous vos débuts ? Durant mes études j’avais déjà créé quelques mobiliers dont un paravent qui a été acheté quelques années après par l’équipe Ralph Lauren Home, un de mes premiers succès. J’ai débuté en faisant de l’auto-édition, j’avais un accord avec Tradix (qui importait de grandes marques italiennes) qui a pris en collection mes objets que je livrais par vingt pièces : étagères, tables, miroirs pivotants. Même si j’ai appris énormément d’aspects du design qu’on n’apprend pas à l’école, je reproduisais à chaque fois les mêmes modèles, j’avais envie de changement. En 1999, seul devant ma table, une idée incroyable m’est venue : le pliage 3D du métal. L’usine anversoise avec qui je travaillais a réussi à mettre en application mon idée. Chaises et bancs sont nés. Ensuite, en 2000, j’ai voulu faire le salon Satellite à Milan, j’y ai emmené mes plus beaux projets et sans le savoir, j’ai fait le buzz. J’ai rencontré de grands éditeurs dont MDF Italia a voulu mon banc en métal déformé. Et de fil en aiguille, j’ai dessiné beaucoup de projets pour de belles marques très inspirantes : Driade, De Padova…
Très polyvalent, vous avez également exploré le design pour tous avec du mobilier urbain à Bruxelles… Oui, en 2006 on m’appelle pour réaliser du mobilier urbain à Bruxelles. J’ai fait des bancs pour le Mont des Arts (ndlr : presque tous volé entre-temps). J’ai aussi remporté le concours pour créer de nouveaux abris de bus dans la capitale. Douze ans plus tard, il n’y en a toujours pas un qui ait été exposé… Le service public est compliqué et incompétent… Aujourd’hui, évidemment, cet abri imagi-né n’est plus dans les normes mais je n’aurais aucun problème à recommencer le projet. Ca me tient vraiment à cœur. C’est dommage, c’est une grande frustration pour moi. Vous savez, des projets comme cela dans une ville, ça donne une identité, ça tire la ville vers le haut. C’est très important.
Quelle est votre vision du design ? Ma motivation est réellement, à chaque fois, de proposer un projet qui n’a pas de référent, j’aime créer des pièces complètement nouvelles, novatrices dans tous les sens du terme : usage, forme, production, etc.
Et de plus en plus, vous vous tournez vers « l’art design »… Comment décririez-vous cette pratique ? C’est important de différencier le design et l’art design. Le design c’est faire des projets en relation avec la production industrielle. Ce sont des réalisations en grande quantité, une production industrielle où tous les coûts sont analysés et maîtrisés. La chaise Thonet Cabaret par exemple. Le collectible design (ou art design), à l’opposé, est un retour à l’artisanat, à ce qu’il se passait avant le design, avec des pièces en petite quantité. Ici, les aspects environnementaux sont aussi pris en compte. L’art design m’a permis de retrouver le toucher, le retour à des choses plus matérielles, plus manuelles, c’est très inspirant. De plus, on n’est pas contraint à un budget, je n’ai aucune limite dans les matériaux, la technologie… Aujourd’hui je ne fais presque plus que de l’art design. Le public, plus niche certes, recherche également cela, des pièces uniques. C’est aussi pour moi une forme d’excellence, une quête d’absolu.
Vous avez des matières de prédilections, certaines plus utilisées que d’autres ? Je suis contre le plastique et toutes les matières qui n’ont pas la possibilité d’être recyclées. J’affectionne donc les matières durables, le métal, le verre, le cuir, la pierre, le marbre, des matériaux qui peuvent être totalement recyclés. Même si mes pièces n’ont pas la visée d’être recyclées (rires), ça a toujours été important pour moi. Elles traversent le temps, elles peuvent être transmises. Leur provenance m’importe aussi, tout est fait uniquement en Europe, en Belgique, en Allemagne, en Italie…
Le temps file ! Avant de se quitter, parlons de vos nouvelles réalisations ! Il y a trois nouvelles collections. « The Alchemist Bar », un bar à l’aspect or, fabriqué en panneaux de bois dans l’esprit d’un meuble à secret puisque son ouverture réserve quelques surprises. L’intérieur illuminé permet de découvrir un univers invitant à la préparation d’un cocktail. Dans le même esprit, « The Alchemist Cabinet », la commode, décline les mêmes codes pour une utilisation plus traditionnelle. Ensuite, il y a la collection de lampes « Experiment » qui ramène au travail de laboratoire puisqu’elles sont fabriquées à base des éléments en pyrex standard. Ma démarche est autre ici, elle se limite volontairement à combiner les éléments du catalogue de verrerie entre eux.
Enfin, la troisième collection, ce sont les tables d’appoint « Smoke ». Leur pied est une panache de fumée, une inspiration dramatique liée au monde d’aujourd’hui : les guerres, la détresse environnementale… Ces tables d’appoint sont imprimés en 3D, en métal. Et en 2024, d’autres surprises arrivent bien entendu !
Hôtel van Eetvelde - Le retour de Victor Horta
Hôtel van Eetvelde
Le retour de Victor Horta
Mots : Olivia Roks
Photos : Luc Viatour
Bruxelles se dévoile comme la capitale de l’Art nouveau en 2023 avec entre autres comme actualité l’ouverture au public de l’étonnant Hôtel van Eetvelde signé Victor Horta. En prime, un espace de promotion de l’Art nouveau, le LAB.AN s’y est aussi implanté. Avis aux amoureux de ce style artistique.
En 1900, alors que la révolution industrielle bat son plein, Bruxelles est le terrain d’expérimentations d’un style subversif : l’Art nouveau. Un style ? Non, un état d’esprit et une foi insatiable dans la modernité. La Belgique et surtout Bruxelles occupent une place particulière dans l’histoire de ce style souvent peu considéré qui a été redécouvert dans les années 1970 et qui a finalement regagné ses lettres de noblesse. Parmi les fleurons de l’Art nouveau, l’ouverture récente de l’Hôtel van Eetvelde, conçu selon les dires de Victor Horta lui-même comme étant « le plus audacieux qu’il ait fait jusque-là ». Rencontre avec Hortense de Ghellinck coordinatrice au sein du LAB.AN et de l’Hôtel van Eetvelde.
Rappelez-nous l’origine historique de cette demeure ? Edmond van Eetvelde achète le bâtiment en 1895. Il a des fonctions de plus en plus importantes auprès de Léopold II et finit par être ministre du Congo. Ses besoins de réception grandissants, il a développé cette maison, conçue par Victor Horta, avec comme inspiration l’Art nouveau, une nouveauté fascinante à ses yeux. Ensuite la maison revient à son fils, puis à la famille d’Antoine Pouppez de Kettenis et enfin, de 1950 à aujourd’hui, à la Fédération des Industries du gaz.
Dans quel cadre la restauration de cet Hôtel a eu lieu ? Une première restauration a eu lieu en 1988 et une seconde en 2000. Le bâtiment était occupé par des locataires membres de la fédération. Le Covid est passé par là, l’idée de restaurer était déjà dans les esprits, mais cela a accéléré les démarches. Ce bâtiment, étant classé, a eu droit à des subsides, et dans les négociations, l’Hôtel, bien privé, peut être visité par le public durant cinq ans.
Une demeure signée Victor Horta. On dit que cela serait une de ses créations les plus abouties, comment expliquez-vous cela ? C’est une demeure incroyable située dans le quartier des Squares à Schaerbeek. On pourrait passer trois heures à la visiter. Rien que sa façade rideau métallique est exceptionnelle, elle est la seule existante au monde. Tout est extrêmement bien pensé, il n’y a pas un centimètre qui est perdu. L’organisation des espaces et des circulations est subtile, chaque pièce est pensée dans les moindres détails. La verrière est l’une des plus belles de la ville esthétiquement parlant mais d’un point de vue technique aussi. Le système de ventilation, naturel, est aussi très ingénieux pour l’époque. Tout se mêle parfaitement. Le génie Victor Horta a réussi à traiter l’architecture et la décoration comme un tout, atteignant un sens de l’unité extraordinaire grâce à la conception minutieuse du moindre détail du bâtiment, depuis la poignée de porte ou la sonnette, jusqu’à la moindre pièce de mobilier de chaque pièce.
Avant de se quitter, quelques mots sur le LAB·AN qui se trouve au sein même de l’Hôtel van Eetvelde ? Dans le cadre de l’année Art nouveau et l’ouverture de ce bâtiment au public, nous avons créé un centre d’interprétation et de promotion de l’Art nouveau. Les visiteurs peuvent y découvrir une exposition présentant les caractéristiques principales de ce courant. L’objectif est d’en faire un lieu de dialogues avec la création contemporaine, mais aussi un espace de recherches et de débats. L’un des objectifs fondamentaux est la création d’un espace qui valorise et met en relation les partenaires et bâtiments de ce style existants à Bruxelles, en Belgique et en Europe. Une sorte d’émulation positive permettant de faire rayonner Bruxelles, la Belgique et l’Art nouveau dans le paysage culturel national et international.
3 questions à Katrien Mestdagh, directrice et maître verrière
L’un des éléments étonnants de l’Hôtel van Eetvelde est la fameuse coupole. Qu’est-ce qui la rend extraordinaire ? Il est très rare qu’une coupole de cette époque soit à ce point préservée. Ici, la plupart des vitraux sont d’origine. Il faut aussi souligner le caractère exceptionnel de la structure de ses vitraux et la manière dont ils épousent la courbe de cette coupole. C’est un travail extrêmement difficile à réaliser actuellement car il exige une très grande maîtrise de la part des concepteurs et des artisans. Cette prouesse technique la rend aussi exceptionnelle !
Quels ont été les défis les plus techniques ? Le démontage des vitraux car personne ne savait exactement comment ils avaient été placés. Cela s’est plutôt bien passé, bien mieux que ce que nous avions prévu, car les vitraux étaient en bon état. Un autre défi pour ce type de restauration de chefs-d’œuvre, consiste à trouver le verre le plus adéquat pour remplacer les pièces cassées ou manquantes car les verres fabriqués à l’époque sont désormais introuvables. Notre alternative consiste à juxtaposer deux types de verre afin qu’on ne voie pas de différence entre les originaux et les autres.
Et la plus belle surprise ? L’une des étapes les plus agréables a été le nettoyage, car les vitraux étaient opaques et jaunes. En les nettoyant, nous avons constaté qu’ils étaient imprégnés de nicotine. Le verre est apparu d’un blanc éclatant, presque bleu.
Julien Renault - Designer de l’année
Julien Renault
Designer de l’année
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Le designer pluridisciplinaire Julien Renault, Belge d’adoption, a décroché le prestigieux titre de Designer de l’année 2023. Son travail, à la croisée des chemins entre le design artistique et le design industriel, reconnu par de grands noms du secteur, est récompensé avec mérite. Mais qui est-il ?
Remontons le temps, comment vous êtes-vous épris d’amour pour le design ? Déjà tout jeune j’adorais bricoler avec mon père. L’envie de faire des choses c’est aussi comprendre comment elles sont fabriquées et finalement, c’est la base du design. De fil en aiguille, je me suis retrouvé à l’Ecole des Beaux-Arts de Reims qui avait une section design, j’ai poursuivi avec un stage à Paris chez les frères Bouroullec et ensuite un Erasmus en Suisse à l’ECAL à Lausanne. C’est une école très réputée, industrielle, professionnalisante. Cette rigueur était nécessaire à mon parcours. J’ai donc cette approche du design artistique, sensible et libre mais aussi le besoin de faire un design vrai, un design du quotidien. Mon cursus scolaire a véritablement fait qui je suis aujourd’hui, un designer je pense, assez complet. Après la Suisse, je me suis installé en 2009 en Belgique auprès de ma compagne belge. Un pays que j’adore. Et en 2015, je fondais mon studio.
Un studio où vous créez des objets simples, où leur beauté se découvre dans les détails. Comment décririez-vous votre design ? Difficile car chaque projet est différent. La marque, le matériau diffèrent. Je fais avant tout des choses qui me plaisent. On me dit parfois minimaliste, parfois simple… Sans le vouloir, mes créations s’axent tout de même autour d’une ligne conductrice. Je dirais que mes réalisations ont une logique, elles sont bien faites, compréhensives immédiatement, lisibles…
Justement, un objet réussi pour vous c’est… Un objet que je vais retrouver dans vingt ou trente ans, toujours en production, toujours d’actualité. Un objet qui a du caractère, qu’on a envie de garder, qu’on s’approprie, qu’on transmet, qui ne s’est pas démodé, qui perdure après les années.
Vous êtes un designer pluridisciplinaire, vous réalisez aussi des intérieurs, vous êtes photographe mais aussi directeur créatif de Kewlox. C’est important pour vous de multiplier les casquettes ? Quand on est designer, on est aussi artiste donc toutes ces situations variées inspirent mais nous alimentent également, le métier de designer n’est pas toujours facile. C’est important de multiplier les casquettes pour réussir, pour avoir un travail consistant, mature. J’essaie que mes autres activités sur le côté nourrissent bien sûr mon design.
Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ? Inconsciemment, je suis constamment dans l’observation, au quotidien, où que je sois. J’adore les objets du quotidien, je suis également photo-graphe et la photographie m’inspire tout comme l’architecture. La collection Pastis a été par exemple directement inspirée de l’architecture, j’ai imaginé un grand café de gare. Cette collection devait s’inscrire dans une atmosphère très précise. Quand je voyage, j’aime me rendre dans des bibliothèques et rechercher de vieux livres, des pépites inspirantes. J’essaie d’avoir une culture du design large, de plus en plus pointue. Je suis davantage tourné vers le passé que le design contemporain.
Une collaboration, une collection qui vous a marquée ? Ma relation avec Kewlox, une marque connue de tous, est géniale. Faire partie de ce renouveau, les aider à faire renaître la marque, revenir à l’essence du produit, c’était un magnifique challenge à relever. Ensuite, indéniablement, ma relation avec Hay. Le lancement de la collection ‘Pastis’ l’année dernière pour cette marque a changé ma vie. Hay est une marque respectée, incontournable, réputée. Un beau tremplin, un tournant dans ma carrière.
Vous venez de remporter le prix de Designer de l’année, qu’est-ce que ce prix représente pour vous ? Ce que j’apprécie tout particulièrement c’est que ce n’est pas un prix auquel on participe. On ne s’y attend donc pas. Ce prix c’est la reconnaissance d’un travail de plus de quinze ans, un métier de patience, loin d’être facile. Ensuite, c’est aussi sympa pour mes clients qui ont parié sur moi, ça montre peut-être qu’ils ont fait le bon choix. Et plus personnellement, cela me permet aussi de prendre du recul, de penser, de regarder ces créations passées et de faire en quelque sorte un petit bilan…
Et c’est loin d’être fini ! Vous nous réservez encore de belles surprises à venir ? Un canapé réalisé pour la marque portugaise Mor design vient de sortir sur le marché. Ensuite, une nouvelle collaboration avec Hay arrivera dans les alentours du mois de juin. Ce sera une collection de luminaires mais je ne peux pas encore vous en dire davantage. Et d’autres projets sont en cours, à suivre…
Pour finir, un projet dont vous rêveriez ? Je suis sûr que l’avenir me réserve de belles choses mais le projet ultime serait de faire sa propre maison, la dessiner… Un sacré challenge !
L’harmonie selon Hélène Van Marcke
L’harmonie selon Hélène Van Marcke
Mots : Olivia Roks
Photos : Cafeine
Inspirés par le contexte historique et architectural du bâtiment, Hélène Van Marcke et son équipe abordent chaque projet en fonction de la personnalité et du style de vie du client pour un résultat sur mesure, fonctionnel et harmonieux. Des intérieurs élégants et intemporels qui traversent les années sans prendre une ride.
Coup de cœur pour vos intérieurs ! Comment vous êtes-vous éprise d’amour pour l’architecture d’intérieure ? Ma mère est très créative, elle a toujours eu un amour fou pour l’architecture, les décors, les beaux intérieurs, elle a un goût évident pour le beau. On a toujours aussi beaucoup voyagé. Cela a certainement ouvert mon esprit. Dans un petit carnet d’enfant, j’avais déjà écrit que je voulais être vétérinaire, architecte ou architecte d’intérieur. Et des années plus tard, me voilà à suivre des études d’architecture d’intérieur et de design au CAD à Bruxelles. Plusieurs stages intéressants ont ponctué mon parcours, un à Anvers chez Claire Bataille, un studio à l’époque de grands minimalistes belges et pour mon dernier stage, je suis allée à Paris chez Charlotte Perelman (Studio CMP). Là-bas, j’ai eu très vite beaucoup de responsabilités. J’ai terminé mes études, elle m’a proposé du travail et je suis partie vivre à Paris. De fil en aiguille, j’ai eu mes propres projets et j’ai lancé mon bureau en 2014, je travaillais alors entre la France et la Belgique. En 2017, je quitte la Ville lumière pour la Belgique et j’installe mon bureau à Gand.
Comment vous êtes-vous faite connaître en Belgique après des années à Paris ? Le bouche-à-oreille, les clients satisfaits qui parlent autour d’eux. Mais travailler à Paris a beaucoup boosté ma réputation. Plus exotique peut-être, plus tendance ? En tout cas, les gens voyaient que j’avais de beaux projets, une belle clientèle, des projets publiés dans des magazines… Paris était attrayant.
Comment décririez-vous votre univers ? C’est difficile à dire car nous nous adaptons au projet et au client. On a certains codes mais c’est particulièrement la philosophie de notre dessin qui fait notre patte. On analyse le lieu, la ville, l’architecture, l’histoire et l’origine de la maison et ensuite on essaie de la réinterpréter d’une manière contemporaine. Soit on utilise des volumes, des formes, des détails d’époque qu’on combine avec des matériaux ou des couleurs plus au goût du jour ou l’inverse, des matériaux anciens qu’on réveille avec formes plus contemporaines, des détails minimalistes. La cohérence et l’équilibre sont essentiels. On s’inspire aussi bien entendu du client, de la garçonnière à la maison conviviale, l’idée demeure très différente. A chaque fois on dessine autre chose et c’est ce qui me plait ! Mais quoiqu’il arrive on tente d’uniformiser, de viser la cohérence d’un espace à l’autre avec une simplicité des couleurs et des matières entre autres.
Mais des inspirations guident tout de même vos projets ? Bien entendu, le client reste notre première inspiration avec le lieu et son histoire. J’aime également me plonger dans d’anciens livres, comme les livres d’architecture Domus où les dessins et les photos sont riches. J’ai aussi un amour fou de l’Art déco, c’est ma prédilection personnelle, donc parfois, dans certains détails, on retrouve cette passion. Ma maison est ultra Art déco par exemple, mais c’est mon goût personnel. Mon mentor, Georges van Rijk, m’a tout appris, il a été une vraie source d’inspiration. Je l’ai connu très jeune et à cet âge on est très influençable. Il détenait beaucoup de mobilier Art déco et on regardait ce film, Métropolis, directement inspiré de ce mouvement. Quand je voyage, j’observe aussi beaucoup, mais attention, beaucoup d’architectures et de styles n’ont rien à faire chez nous. Le copier-coller déco repéré en vacances ne fonctionne que rarement ici.
Et des matières, certaines vous parlent plus que d’autres ? J’ai une prédilection pour le plâtre, l’acier rouillé (acier corten) avec sa patine exceptionnelle, j’aime aussi les marbres veinés, les pierres naturelles et les beaux carrelages artisanaux dignes de vraies fresques.
L’intérieur réussi pour vous c’est… Une harmonie, trouver une certaine paix, visuellement mais aussi pour la personne qui habite le lieu. Il faut que tout vive bien ensemble. Autrement dit, un joyeux mélange de styles.
A contrario, une grosse erreur que vous ne supportez pas en architecture d’intérieur ? Je suis maniaque sur plein de détails… Les beaux carrelages coupés par exemple mais plus encore le manque de respect de l’architecture d’une maison. Il est essentiel de tenir compte du lieu et de son histoire, c’est important d’embellir un espace mais de ne pas le dénaturer.
Pour nos lecteurs, une tendance à adopter cet automne-hiver ? Je ne tiens pas compte des tendances… Je ne les suis pas, je les évite. Mais je dois avouer que j’aime ce retour aux années 70 avec par exemple l’inox très sophistiqué, la moquette brune, les fauteuils bruns, les miroirs teintés…
Pour terminer en beauté, un projet que vous rêveriez de faire ? Rénover des écuries ! Les selleries, les détails des boxes, des portes, des pistes… Je pense aux écuries de Luis Barragan au Mexique ou encore les fincas en Andalousie avec leurs charmantes écuries.