Julien Renault - Designer de l’année
Julien Renault
Designer de l’année
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Le designer pluridisciplinaire Julien Renault, Belge d’adoption, a décroché le prestigieux titre de Designer de l’année 2023. Son travail, à la croisée des chemins entre le design artistique et le design industriel, reconnu par de grands noms du secteur, est récompensé avec mérite. Mais qui est-il ?
Remontons le temps, comment vous êtes-vous épris d’amour pour le design ? Déjà tout jeune j’adorais bricoler avec mon père. L’envie de faire des choses c’est aussi comprendre comment elles sont fabriquées et finalement, c’est la base du design. De fil en aiguille, je me suis retrouvé à l’Ecole des Beaux-Arts de Reims qui avait une section design, j’ai poursuivi avec un stage à Paris chez les frères Bouroullec et ensuite un Erasmus en Suisse à l’ECAL à Lausanne. C’est une école très réputée, industrielle, professionnalisante. Cette rigueur était nécessaire à mon parcours. J’ai donc cette approche du design artistique, sensible et libre mais aussi le besoin de faire un design vrai, un design du quotidien. Mon cursus scolaire a véritablement fait qui je suis aujourd’hui, un designer je pense, assez complet. Après la Suisse, je me suis installé en 2009 en Belgique auprès de ma compagne belge. Un pays que j’adore. Et en 2015, je fondais mon studio.
Un studio où vous créez des objets simples, où leur beauté se découvre dans les détails. Comment décririez-vous votre design ? Difficile car chaque projet est différent. La marque, le matériau diffèrent. Je fais avant tout des choses qui me plaisent. On me dit parfois minimaliste, parfois simple… Sans le vouloir, mes créations s’axent tout de même autour d’une ligne conductrice. Je dirais que mes réalisations ont une logique, elles sont bien faites, compréhensives immédiatement, lisibles…
Justement, un objet réussi pour vous c’est… Un objet que je vais retrouver dans vingt ou trente ans, toujours en production, toujours d’actualité. Un objet qui a du caractère, qu’on a envie de garder, qu’on s’approprie, qu’on transmet, qui ne s’est pas démodé, qui perdure après les années.
Vous êtes un designer pluridisciplinaire, vous réalisez aussi des intérieurs, vous êtes photographe mais aussi directeur créatif de Kewlox. C’est important pour vous de multiplier les casquettes ? Quand on est designer, on est aussi artiste donc toutes ces situations variées inspirent mais nous alimentent également, le métier de designer n’est pas toujours facile. C’est important de multiplier les casquettes pour réussir, pour avoir un travail consistant, mature. J’essaie que mes autres activités sur le côté nourrissent bien sûr mon design.
Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ? Inconsciemment, je suis constamment dans l’observation, au quotidien, où que je sois. J’adore les objets du quotidien, je suis également photo-graphe et la photographie m’inspire tout comme l’architecture. La collection Pastis a été par exemple directement inspirée de l’architecture, j’ai imaginé un grand café de gare. Cette collection devait s’inscrire dans une atmosphère très précise. Quand je voyage, j’aime me rendre dans des bibliothèques et rechercher de vieux livres, des pépites inspirantes. J’essaie d’avoir une culture du design large, de plus en plus pointue. Je suis davantage tourné vers le passé que le design contemporain.
Une collaboration, une collection qui vous a marquée ? Ma relation avec Kewlox, une marque connue de tous, est géniale. Faire partie de ce renouveau, les aider à faire renaître la marque, revenir à l’essence du produit, c’était un magnifique challenge à relever. Ensuite, indéniablement, ma relation avec Hay. Le lancement de la collection ‘Pastis’ l’année dernière pour cette marque a changé ma vie. Hay est une marque respectée, incontournable, réputée. Un beau tremplin, un tournant dans ma carrière.
Vous venez de remporter le prix de Designer de l’année, qu’est-ce que ce prix représente pour vous ? Ce que j’apprécie tout particulièrement c’est que ce n’est pas un prix auquel on participe. On ne s’y attend donc pas. Ce prix c’est la reconnaissance d’un travail de plus de quinze ans, un métier de patience, loin d’être facile. Ensuite, c’est aussi sympa pour mes clients qui ont parié sur moi, ça montre peut-être qu’ils ont fait le bon choix. Et plus personnellement, cela me permet aussi de prendre du recul, de penser, de regarder ces créations passées et de faire en quelque sorte un petit bilan…
Et c’est loin d’être fini ! Vous nous réservez encore de belles surprises à venir ? Un canapé réalisé pour la marque portugaise Mor design vient de sortir sur le marché. Ensuite, une nouvelle collaboration avec Hay arrivera dans les alentours du mois de juin. Ce sera une collection de luminaires mais je ne peux pas encore vous en dire davantage. Et d’autres projets sont en cours, à suivre…
Pour finir, un projet dont vous rêveriez ? Je suis sûr que l’avenir me réserve de belles choses mais le projet ultime serait de faire sa propre maison, la dessiner… Un sacré challenge !
L’harmonie selon Hélène Van Marcke
L’harmonie selon Hélène Van Marcke
Mots : Olivia Roks
Photos : Cafeine
Inspirés par le contexte historique et architectural du bâtiment, Hélène Van Marcke et son équipe abordent chaque projet en fonction de la personnalité et du style de vie du client pour un résultat sur mesure, fonctionnel et harmonieux. Des intérieurs élégants et intemporels qui traversent les années sans prendre une ride.
Coup de cœur pour vos intérieurs ! Comment vous êtes-vous éprise d’amour pour l’architecture d’intérieure ? Ma mère est très créative, elle a toujours eu un amour fou pour l’architecture, les décors, les beaux intérieurs, elle a un goût évident pour le beau. On a toujours aussi beaucoup voyagé. Cela a certainement ouvert mon esprit. Dans un petit carnet d’enfant, j’avais déjà écrit que je voulais être vétérinaire, architecte ou architecte d’intérieur. Et des années plus tard, me voilà à suivre des études d’architecture d’intérieur et de design au CAD à Bruxelles. Plusieurs stages intéressants ont ponctué mon parcours, un à Anvers chez Claire Bataille, un studio à l’époque de grands minimalistes belges et pour mon dernier stage, je suis allée à Paris chez Charlotte Perelman (Studio CMP). Là-bas, j’ai eu très vite beaucoup de responsabilités. J’ai terminé mes études, elle m’a proposé du travail et je suis partie vivre à Paris. De fil en aiguille, j’ai eu mes propres projets et j’ai lancé mon bureau en 2014, je travaillais alors entre la France et la Belgique. En 2017, je quitte la Ville lumière pour la Belgique et j’installe mon bureau à Gand.
Comment vous êtes-vous faite connaître en Belgique après des années à Paris ? Le bouche-à-oreille, les clients satisfaits qui parlent autour d’eux. Mais travailler à Paris a beaucoup boosté ma réputation. Plus exotique peut-être, plus tendance ? En tout cas, les gens voyaient que j’avais de beaux projets, une belle clientèle, des projets publiés dans des magazines… Paris était attrayant.
Comment décririez-vous votre univers ? C’est difficile à dire car nous nous adaptons au projet et au client. On a certains codes mais c’est particulièrement la philosophie de notre dessin qui fait notre patte. On analyse le lieu, la ville, l’architecture, l’histoire et l’origine de la maison et ensuite on essaie de la réinterpréter d’une manière contemporaine. Soit on utilise des volumes, des formes, des détails d’époque qu’on combine avec des matériaux ou des couleurs plus au goût du jour ou l’inverse, des matériaux anciens qu’on réveille avec formes plus contemporaines, des détails minimalistes. La cohérence et l’équilibre sont essentiels. On s’inspire aussi bien entendu du client, de la garçonnière à la maison conviviale, l’idée demeure très différente. A chaque fois on dessine autre chose et c’est ce qui me plait ! Mais quoiqu’il arrive on tente d’uniformiser, de viser la cohérence d’un espace à l’autre avec une simplicité des couleurs et des matières entre autres.
Mais des inspirations guident tout de même vos projets ? Bien entendu, le client reste notre première inspiration avec le lieu et son histoire. J’aime également me plonger dans d’anciens livres, comme les livres d’architecture Domus où les dessins et les photos sont riches. J’ai aussi un amour fou de l’Art déco, c’est ma prédilection personnelle, donc parfois, dans certains détails, on retrouve cette passion. Ma maison est ultra Art déco par exemple, mais c’est mon goût personnel. Mon mentor, Georges van Rijk, m’a tout appris, il a été une vraie source d’inspiration. Je l’ai connu très jeune et à cet âge on est très influençable. Il détenait beaucoup de mobilier Art déco et on regardait ce film, Métropolis, directement inspiré de ce mouvement. Quand je voyage, j’observe aussi beaucoup, mais attention, beaucoup d’architectures et de styles n’ont rien à faire chez nous. Le copier-coller déco repéré en vacances ne fonctionne que rarement ici.
Et des matières, certaines vous parlent plus que d’autres ? J’ai une prédilection pour le plâtre, l’acier rouillé (acier corten) avec sa patine exceptionnelle, j’aime aussi les marbres veinés, les pierres naturelles et les beaux carrelages artisanaux dignes de vraies fresques.
L’intérieur réussi pour vous c’est… Une harmonie, trouver une certaine paix, visuellement mais aussi pour la personne qui habite le lieu. Il faut que tout vive bien ensemble. Autrement dit, un joyeux mélange de styles.
A contrario, une grosse erreur que vous ne supportez pas en architecture d’intérieur ? Je suis maniaque sur plein de détails… Les beaux carrelages coupés par exemple mais plus encore le manque de respect de l’architecture d’une maison. Il est essentiel de tenir compte du lieu et de son histoire, c’est important d’embellir un espace mais de ne pas le dénaturer.
Pour nos lecteurs, une tendance à adopter cet automne-hiver ? Je ne tiens pas compte des tendances… Je ne les suis pas, je les évite. Mais je dois avouer que j’aime ce retour aux années 70 avec par exemple l’inox très sophistiqué, la moquette brune, les fauteuils bruns, les miroirs teintés…
Pour terminer en beauté, un projet que vous rêveriez de faire ? Rénover des écuries ! Les selleries, les détails des boxes, des portes, des pistes… Je pense aux écuries de Luis Barragan au Mexique ou encore les fincas en Andalousie avec leurs charmantes écuries.
Le savoir-faire Bulo - 60 ans d’expertise
Le savoir-faire Bulo
60 ans d’expertise
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Visa, Chanel, Hermes ou encore Cos sont certains de leurs clients. L’entreprise familiale belge Bulo, reconnue pour son mobilier de qualité adressé au secteur du travail et de l’environnement domestique, souffle ses 60 bougies. Pour l’occasion, elle s’offre une nouvelle collaboration avec l’incontournable Vincent Van Duysen.
Carlo Busschop, vous êtes Directeur, troisième génération chez Bulo, quelle est l’histoire de la marque belge ? Mon grand-père, Walter Busschop, a commencé il y a soixante ans près d’Anvers avec un caisson en métal adapté plutôt aux églises ou aux hôpitaux. Ensuite, on a déménagé à Malines. C’est réellement dix ans après la création de l’entreprise que notre corps business est devenu le mobilier de bureau, l’ « office ». Mon père a repris la société et a développé l’export tout en appréciant travailler avec des designers renommés comme Claire Bataille et Paul Ibens ou encore Vincent Van Duysen. Aujourd’hui, je suis à la tête de l’entreprise depuis quatre ans.
Soixante ans plus tard, l’entreprise est toujours là, qu’est ce qui fait votre succès, votre longévité ? L’une des grandes forces de l’ADN Bulo est de produire et développer des collections intemporelles. Certaines collections sont là depuis trente ans, elles existent toujours et elles sont même devenues des must de la marque. La collection H2O est un bel exemple, créée en 1994, elle reste un de nos bestsellers, tant sa qualité que son design traversent les années sans vieillir. De plus, notre production se fait en grande partie en Belgique, avec un savoir-faire et une qualité exceptionnelle. Cela devient rare. Nous faisons également beaucoup de sur mesure pour correspondre à la demande du client et trouver une solution adéquate. Enfin, nous sommes une entreprise familiale, on se connait tous, les liens sont directs et les décisions courtes.
Vous tentez de vous développer à l’international ? Oui, de plus en plus, en Europe mais aussi à l’étranger. Les États-Unis sont un marché très important pour nous. Au printemps, Bulo ouvrira un showroom à Chicago. C’est un énorme marché avec beaucoup de potentiel et de volume. Quand on entame un grand projet en Belgique, on parle de cent postes de travail, là-bas on parle tout de suite de mille postes…
Quel est le produit qui reflète le mieux Bulo ? La collection H2O, une table qui a fêté ses trente ans l’année dernière, elle reste contemporaine au fil des époques. Mais aussi la chaise SL 58 de Léon Stynen qui a été créée pour l’expo 58. Elle magnifique, organique, en bois ou en tissu.
Percevez-vous une évolution du bureau dans le milieu privé et professionnel ? Les bureaux dans l’espace professionnel deviennent très qualitatifs. Il faut attirer et séduire le travailleur qui a pris l’habitude de travailler chez lui. Aujourd’hui, le bureau a un autre but, cela devient un point de contact, une zone de rencontre, de création, de magnifiques lounge area ou coffee corner voient par exemple le jour. Le bureau est devenu plus important qu’avant, il doit être attractif pour attirer ! On retrouve des couleurs tendres, claires, des matières douces, durables… A la maison, le bureau prend aussi plus d’importance, il est plus grand, plus innovant. Il devient une pièce à part entière. On délaisse la forme rectangulaire classique pour une silhouette plus organique.
Un anniversaire, ça se célèbre… Vous vous entourez une nouvelle fois de Vincent Van Duysen. On était une des premières marques à travailler avec Vincent Van Duysen. On collabore donc une nouvelle fois ensemble pour nos 60 ans avec une variante de la chaise Bistro, la chaise VVD Bistro Monocolor. Son rapport qualité-prix est exceptionnel et les couleurs sont belles, très douces, elle est en polypropylène recyclé et donc durable. Et l’année prochaine, une nouvelle collection en partenariat avec Vincent verra aussi le jour !
L’univers du bureau avecVincent Van Duysen ?
Quel est votre lien avec Bulo ? Nous travaillons avec Bulo depuis 2006 sur une série d’éditions et de projets architecturaux. Au fil des ans, nous avons établi une relation amicale qui se reflète dans nos différentes collections. C’est toujours un plaisir pour moi de travailler avec des entreprises belges et talentueuses.
Qu’est-ce qu’un objet design réussi selon vous ? Un objet réussi doit être intemporel, il doit résister à l’épreuve du temps. Il ne suit pas les tendances, il reste pertinent des décennies durant, notamment grâce à son savoir-faire, à sa durabilité, à son équilibre et à ses matériaux. Il doit servir son objectif principal, qui est d’améliorer la vie de l’utilisateur.
Comment évolue aujourd’hui l’espace bureau ? A quoi ressemble votre bureau ? Mon bureau à domicile idéal est un espace où l’on se sent protégé, inspiré et où la nature dialogue avec les intérieurs. Nous réalisons de plus en plus que dans la maison, les pièces de vie se fondent avec les espaces de travail. Je pense que ces deux mondes peuvent être complémentaires et qu’estomper les limites de chaque fonction a permis d’améliorer la qualité de vie. Cela a permis une avancée en termes de fonctionnalité et de performance. Dans mon cas, j’essaie toujours de trouver un coin dans mon grand salon, un grand salon massif où je me sens protégé et où je suis entouré d’œuvres d’art, de livres, de mobilier.
Jean-Paul Lespagnard - itinéraire d’un artiste libre
Jean-Paul Lespagnard Itinéraire d’un artiste libre
Mots : Barbara Wesoly
Photo : DR
Il a paré Manneken Pis de son 1000e costume au design futuriste, comme fouler les fashions weeks de Paris ou Shangaï avec ses collections. Exposer son parcours monographique aux Galeries Lafayette ou encore transformer la gaufre de Liège en œuvre aussi décalée qu’emblématique. Virtuose créatif à l’univers éclectique et à la sensibilité teintée d’audace, Jean-Paul Lespagnard s’affirme comme le plus cosmopolite des designers belges.
Les prix du public et prix 1.2.3, remportés lors de la 23è édition du Festival international de mode et de photographie d’Hyères en 2008 ont marqué les bases de votre reconnaissance artistique. Mais pas celles de votre parcours créatif. En effet. Devenir styliste était un rêve depuis tout petit. Mais lors de mes études d’arts plastiques puis de mes premières collections, j’ai compris que je désirais enraciner mes modèles dans une vision plus globale, un univers comprenant aussi des créations d’objets et d’œuvres plastiques. Mon noyau central c’est la mode, mais agrémentée d’influences et expériences. Elle va, pour moi, bien plus loin que le vêtement. Lorsque je parle de mode, j’évoque un mode de vie.
Des collections de prêt-à-porter et des costumes pour le théâtre et la danse, une boutique d’art et d’artisanat contemporain baptisée Extra-Ordinaire et même la conception d’emballages pour la chocolaterie Galler… Vous êtes en effet un formidable touche-à-tout. Est-ce une manière de renvoyer dans les cordes toute forme de carcan ? Lorsqu’on est designer, on regarde, on analyse, on donne sa version du monde. Pourquoi cela devrait-il se limiter à un domaine particulier ? D’autant que chacun est l’occasion de concevoir une vraie scénographie. En cela, mes deux réalisations les plus représentatives sont sans doute l’exposition réalisée au Musée Mode & Dentelle et la suite aménagée au 18e étage de The Hotel, à Bruxelles. Dans le premier, je mêlais un patchwork d’œuvres, de vêtments et de souvenirs venant de chez mes parents. Le second était une autre forme de plongée dans mon intimité, rassemblant des trouvailles glanées au fil de mes voyages comme issus de mes placards, pour obtenir un amalgame d’émotions et de styles et une expérience où tous les sens se retrouvaient en éveil.
Dans votre univers, un King Kong doré côtoie des chemises affublées d’extraits de journaux, des coques de smartphone se voient dotées de homards à joyaux et les foulards en soie s’ornent d’aigles et de billets de banque. Le moindre objet semble pour vous le point de départ d’un terrain de jeu infini. Votre cerveau est-il en constante ébullition ? Totalement. Tout m’inspire. La création est depuis toujours, bien plus vaste que la matière sur laquelle elle se travaille. Et quel qu’en soit le support, je cherche ce qui, d’une certaine façon, nous rassemble tous. Et à, au-delà de l’éclectisme de style, raconter la multiculturalité et le mélange social. Je voyage beaucoup, pour différents projets et cela influence forcément ce que je crée, mais pour moi, il s’agit avant tout de s’imprégner de ce qui m’entoure, peu importe le lieu, et d’en faire le cheminement de mon voyage intérieur.
Liégeois d’origine, vous avez aussi vécu à Bruxelles et Anvers, mais vous définissez comme nomade. Pourquoi ? J’ai aussi vécu à Berlin et New York entre autres. J’ai coutume de dire que je viens d’Harzé, dans la commune d’Aywaille, dans la région de Liège, en Wallonie, en Belgique qui est en Europe. Je suis aussi belge que citoyen du monde. Mon identité ne s’arrête pas aux frontières. Même si la diversité culturelle de notre pays m’a certainement influencée.
Participer à l’élaboration graphique du coworking Silversquare Guillemains, était-il malgré tout une forme de retour à vos racines ? Cela m’a fait très plaisir en effet de réaliser un projet à Liège et d’avoir cette dimension à la fois liée à l’artistique et au patrimoine, au local et à l’international. Ma philosophie est de miser sur une globalisation positive, en travaillant avec des artisans de proximité ou rencontrés dans des pays plus lointains mais tous issus de petites structures ou de familles, qu’elles soient de Liège, d’Inde ou du Maroc.
Vous retrouvez la grisaille bruxelloise après plusieurs semaines de travail au Mexique. Comment s’annoncent les mois à venir ? Oui, j’y avais installé mon Projet Nomade présentant mes créations un peu partout dans le monde. Cet été, il avait pris la forme d’un pop-up au sein d’une maison de pêcheurs sur l’île grecque d’Hydra, avant de s’exporter à Istanbul. Puis, jusqu’à mi-novembre, dans une boutique de Mexico City. Je me concentre désormais sur une collaboration encore tenue secrète avec une grande maison de luxe parisienne et dont le résultat sera révélé au mois de mars. J’en n’ai pas fini avec l’éclectisme ! Mais l’essentiel à mes yeux est de pouvoir continuer à aller à la rencontre du public et aborder avec lui cette créativité qui rassemble, l’art et son pouvoir d’unité.
Edouard Vermeulen - « Ce livre, je le dédie à la passion »
Edouard Vermeulen
«Ce livre, je le dédie à la passion»
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Après une exposition emblématique à l’espace Vanderborght de Bruxelles, Natan offre un dernier chapitre flamboyant à ses célébrations du 40e anniversaire de la Maison, avec son ouvrage « Edouard ». Un recueil d’archives, autant qu’un objet d’art et d’élégance, au diapason des créations de son fondateur.
Photos des coulisses et des défilés, croquis, archives de campagnes et de fabrication. Ce livre est tout à la fois un mélange d’esthétique et d’émotion. A l’image de Natan ? Oui, il était essentiel pour moi qu’il incarne l’ADN de la Maison. On m’avait déjà proposé de le réaliser à l’occasion de notre trentième anniversaire, mais je trouvais alors la démarche trop prétentieuse. Dix ans plus tard, j’estime que s’il faut laisser une trace, c’est maintenant. Mais avec une démarche artistique et une véritable vision. Les clichés ne suivent pas un ordre chronologique et l’on n’y trouve pas d’interminable biographie. Ce n’est pas une rétrospective des décennies écoulées, plutôt un ouvrage avec une âme, porteur d’histoire par l’image. Un bel objet avec pour fil rouge l’amour de la mode et du vêtement, qui anime Natan.
« Edouard Vermeulen c’est Natan et Natan c’est Edouard Vermeulen », affirme le designer d’intérieur Jean-Philippe Demeyer dans cet ouvrage. Il s’intitule d’ailleurs simplement “Edouard ». Souhaitiez-vous l’aborder à la manière d’un journal intime ? Il est surtout le reflet de ce qu’a été ma vie et de ces quarante dernières années que je n’ai pas vu passer. La passion a été le moteur de mon existence et elle m’a habité du premier instant à aujourd’hui. Elle est au cœur de ce livre.
Vous l’évoquez comme “le document d’une vie”. Représente-t-il aussi une forme de passage à la postérité pour la Maison ? C’est une forme d’accomplissement, c’est certain, mais qui ne s’inscrit pas dans l’immobilité. Il est la preuve tangible que le vêtement couture européen, et belge de surcroît, doit exister et a toute sa raison d’être. Et il a été également conçu pour être une représentation de notre travail et de notre définition du vêtement – dans son essence contemporaine, élégante et minimaliste – notamment à l’étranger. Il s’achève sur les photos du défilé Natan Couture, réalisé à l’Hôtel de Salm de Paris pour nos quarante ans, car elles évoquent à merveille la philosophie de célébration qui nous est si chère, mais cela n’empêche pas cet ouvrage d’être profondément intemporel et non pas restreint par une ligne du temps. Cela lui permettra d’être toujours aussi actuel et inspirant dans une ou plusieurs décennies.
Une photo de celui-ci vous émeut-elle particulièrement ? Celle en compagnie de la reine Paola et qui s’accompagne d’un petit mot de sa main, sur la longue histoire qui l’unit à Natan. Sa présence au premier défilé de la Maison, en 1986, a été un point de départ marquant et reste, à mes yeux, intimement lié au début de mon métier.
Avez-vous le sentiment qu’il dévoile des facettes de l’univers de la Maison, jusqu’ici méconnues du public ? On y découvre en tout cas l’envers du décor de nos ateliers tout comme une part des détails de mon intérieur, de mon dressing. Proposer une expérience et permettre la compréhension de ce savoir-faire reste essentiel à mes yeux. Nous avons d’ailleurs transformé l’étage de notre siège historique de l’avenue Louise afin que l’espace d’essayage s’ouvre sur les salles de confection de nos créations couture, pour un moment d’autant plus immersif.
En en reparcourant les pages, quel regard portez-vous sur ces quatre décennies ? Je suis avant tout frappé par l’évolution de la mode, ces changements d’usage et de société au niveau vestimentaire. La disparition des barrières générationnelles notamment, qui a bouleversé les codes et nous a amenés à repenser à maintes reprises nos créations et les silhouettes de celles-ci. Sans parler de l’influence omniprésente d’internet et des réseaux. Quand je songe par exemple au fait que Balenciaga était le créateur m’ayant le plus inspiré en matière de haute couture et qu’aujourd’hui, la griffe est connue par la nouvelle génération pour ses modèles de sneakers, je me dis que cette constante évolution a un aspect fascinant.
Et si vous deviez en écrire le prochain chapitre, à quoi ressemblerait-il ? Fin décembre s’achèvera la célébration de ce quarantième anniversaire. L’occasion d’un nouveau départ, même si l’on conservera l’énergie créative qu’on y avait insufflée. J’aime cette dynamique de retour à une page blanche, de remise à zéro deux fois par an. En janvier nous dévoilerons la collection printemps-été 2024 à la résidence de l’ambassadeur de Belgique, à Paris. Et nous avons aussi l’objectif de repousser toujours plus les frontières et pourquoi pas, d’ouvrir une boutique à Madrid, une ville dont l’atmosphère, comme Munich ou Zurich, rencontre l’ADN de la Maison. Et continuer d’écrire en beauté l’histoire de Natan.
Maison Hannon - Un joyau Art nouveau
Maison Hannon - Un joyau Art nouveau
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Le patrimoine bruxellois compte un nouveau chef-d’œuvre : la Maison Hannon. Située dans la capitale à Saint-Gilles, cette maison-musée renaît pour dévoiler l’Art nouveau dans sa pluralité. Un lieu en perpétuel mouvement, une bulle spatio-temporelle à l’identité forte.
La Maison Hannon est en pleine renaissance et a ouvert ses portes au public. Vous en êtes le jeune conservateur. Quelle aventure ! Rappelez-nous les origines, l’histoire de la Maison ? Grégory Van Aelbrouck – Elle est construite entre 1902 et 1904 par un couple franco-belge, Monsieur et Madame Hannon. Cette demeure est imprégnée par les deux personnages. Marie Hannon a géré la Maison et son intérieur et Monsieur s’est intéressé à l’extérieur et au deuxième étage où se trouvaient la chambre noire (il faisait de la photo) et la bibliothèque. L’étiquette est française dans le choix du mobilier et des matières. Tandis que les œuvres d’art sont plutôt l’apanage de Monsieur et sont donc belges : sculptures, peintures… Ce mariage des deux goûts est particulièrement intéressant. Le couple a fait appel à l’architecte Jules Brunfaut, meilleur ami de Monsieur Hannon. A l’époque, Victor Horta était l’architecte des grands dirigeants de Solvay où Monsieur travaillait et cela ne se fait pas d’imiter son patron donc ils ont fait appel à un autre architecte en demandant de s’inspirer d’Horta.
Et de fil en aiguille, cette Maison a survécu aux années… Effectivement. Edouard survit à Marie et à sa mort, la Maison passe à leur fille unique qui vit dans le souvenir de son père. à son décès, rien n’a bougé dans la Maison. Les descendants vendent, un promoteur achète, il souhaite détruire la Maison. On est en 65, l’Art nouveau n’a pas encore ses lettres de noblesse, c’est un style parmi d’autres, décrié, pas rationnel, passéiste… Mais la fille de l’architecte Brunfaut va se mobiliser pour sauver le bâtiment et après beaucoup de scandales, la façade est classée, ce qui empêche sa destruction même si certains éléments ont déjà disparu. Quelques années plus tard, l’intérieur est aussi classé au moment où la commune de Saint-Gilles achète le bâtiment. Assainissement du lieu et appel à projets s’ensuivent. Après diverses orientations, nous décidons d’en faire une maison-musée et non un musée d’arts décoratifs.
Pourquoi justement parler de « maison-musée » ? Indéniablement, c’est la Maison qui intéresse réellement le grand public. Avec tant d’éléments, de traces et d’objets en notre possession, j’ai décidé de remettre au cœur de l’histoire le couple et la Maison avec comme vocation de muséifier le lieu où on tient une certaine dynamique avec des activités pédagogiques. Nous avons décidé de faire une exposition temporaire pour renouve-ler le public et surtout le public local. Nous voulons mettre en lumière l’œuvre du couple Hannon et de l’Art nouveau en général. Il n’y a pas de lieu qui défend actuellement l’Art nouveau au sens large, dans sa pluralité. La Maison Hannon, spectaculaire, est une superbe vitrine car elle a une grande attractivité visuelle. Actuellement, le visiteur découvre une exposition permanente avec le mobilier d’origine de la Maison qui revient progressivement et une exposition temporaire sur l’Art nouveau dans sa diversité à l’exception de Victor Horta qui détient le monopole. Justement, pour jeter en quelque sorte un pavé dans la mare. L’Art nouveau est un art du quotidien hors qu’Horta crée tout sauf un art du quotidien.
Qu’est-ce qui différencie cette demeure d’une Maison Horta ? Victor Horta était un génie perfectionniste avec les défauts et les qualités que cela entraîne. Dans les réalisations Horta, vous serez toujours chez Victor Horta, ici vous êtes tout d’abord chez les commanditaires des lieux, tout a été pensé pour eux, tout a été adapté à la personnalité du couple, c’est une maison portrait.
La Maison Hannon est ouverte au public mais sa restauration est encore en cours… On ne sait pas tout restaurer d’un coup, pour des raisons de temps, de connaissances et de budget. On en a fait une force et la question de la restauration est au centre de notre discours. Tous les quatre ou six mois, le public va pouvoir participer et voir les artisans restaurer un certain espace. Et ce jusque 2030. Par ailleurs, quand il paie son entrée, 2 euros vont à la restauration, donc il contribue à revenir au musée, c’est un bien collectif. Le visiteur a de plus en plus besoin de sens. Une première phase de restauration est achevée : le rez-de-chaussée qui restitue fidèlement l’univers des Hannon et le premièr étage, lieu d’expositions temporaires. La façade est restaurée également. La fresque monumentale dans les escaliers aussi avec douze personnes qui y ont travaillé durant deux mois. Aujourd’hui, on travaille sur les décors de la serre ou encore la remise des tissus dans les pièces. Mais comme je le mentionne, ces rénovations signent la première phase d’un projet bien plus large.
Vous êtes le conservateur de cette Maison, qu’est-ce qu’elle vous inspire personnellement ? C’est un moment de grâce, un moment hors du temps. C’est une consolation au monde, un paradis perdu. On voyage indéniablement quand on vient dans ce genre d’endroit.
Cette année, l’Art nouveau est à l’honneur, quelles sont les plus belles haltes pour l’apprécier ? La Maison Horta pour un ordinaire très sophistiqué, c’est l’antre du maître. L’Hôtel Solvay, seule maison du maître totalement intacte. La Maison Cauchie qui est la maison d’un peintre et bien sûr la Maison Hannon avec ce goût français et symboliste unique.
Le monde onirique d’ERIC CROES
Le monde onirique d’ERIC CROES
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Réels assemblages surréels, ses totems en céramique sont reconnus à travers le monde. Eric Croes signe une nouvelle exposition à Bruxelles, « La nuit est une Femme à barbe ».
Au gré de ses constellations intimes, on découvre l’étendue de son imaginaire et de son savoir-faire technique. Entre mystère et onirisme, entretien depuis l’atelier de l’artiste.
Vous êtes connu à travers le monde pour vos célèbres totems en céramique. Mais tout d’abord qui est Eric Croes ? J’ai 45 ans et je me définis comme sculpteur. Depuis que je suis petit, j’ai la fibre artistique, je dessinais, je faisais de la plasticine. Mes parents étaient manuels, bricoleurs… Lorsqu’à six ans ma mère m’a inscrit à des cours de dessin, c’était le plus beau jour de ma vie (rires). Ensuite, j’ai fait des études de sculpture à La Cambre et j’ai poursuivi, il y a dix ans, avec des cours de céramique. Cela m’a tout de suite passionné, particulièrement l’émaillage et la découverte de ces couleurs si intenses. J’ai acheté mon premier four et je me suis lancé. Les totems sont nés lors de ma première exposition en 2015.
Des œuvres en céramique prenant l’apparence de totems. Une superposition d’éléments réalisée comme des assemblages uniques… Quelle histoire se cache derrière ces fascinants totems ? Je devais faire une exposition dans une galerie et je voulais absolument la pièce au haut plafond. Un ami m’a conseillé de créer quelque chose de très haut pour que cette salle me soit adressée. Pari réussi avec la création de deux totems ! Les totems représentent un collage d’idées, d’éléments, au départ un peu disparates. Ils font environ deux mètres de haut, je les vois comme des géants, des gardiens, des golems… Ces totems sont devenus en quelque sorte mon hit.
Ils ont tout de suite remporté un franc succès ? Quand j’ai fait ma première exposition, l’engouement était effectivement au rendez-vous. Tout le monde semblait très enthousiaste. Thierry Boutemy a acheté les deux totems de l’exposition et il les a exposés. Ensuite, Albert Baronian m’a fait une exposition, a suivi Rodolphe Janssen… Mais je suis aussi arrivé au bon moment, c’était le grand retour de la céramique et aussi de la figuration.
Quel est votre processus de création, comment composez-vous ces géants ? Je me raconte une histoire et je dessine de manière rapide un croquis. Ensuite, je réalise les pièces en terre glaise, je les laisse sécher et les retravaille encore et encore… Elles sèchent et sont cuites une première fois. Je teste alors les pièces en les enfilant comme des perles sur un mât. Une fois que j’ai le bon ordre, je le dessine sur papier et je le colorie à l’aquarelle afin de percevoir le rythme entre les tailles des éléments et des couleurs. Viennent alors l’émaillage et la dernière cuisson à haute température pour des couleurs profondes. Enfin, je place les éléments sur le mât en métal et je fabrique un socle en béton bouchardé. Il faut compter certainement un mois pour la création d’un totem.
Quelles sont les inspirations qui nourrissent votre travail ? L’ours est par exemple très présent dans vos créations… Les totems sont souvent des obsessions du moment. Je m’inspire du bestiaire, de la mythologie, j’adore les cyclopes, la gorgone, la Bocca della Verità à Rome, les théières (un souvenir familial), les visages, les vases, les fleurs, les bougies… Et l’ours bien sûr. J’adorais les ours en peluche petit. On m’a également offert le livre « L’ours » de Michel Pastoureau à mon anniversaire, sans doute car c’est un animal qui me représente et j’en ai fait en quelque sorte mon totem… Ce livre m’a passionné et inspiré, il relate l’ours à travers l’Histoire. J’ai pris certainement deux ans à le lire et à tout analyser. Et en 2015, pour ma première exposition, l’ours était au centre de mon exposition.
Votre nouvelle exposition, « La nuit est une Femme à barbe », se tient actuellement à la galerie Sorry We’re Closed, qu’y découvre-t-on ? J’ai toujours aimé la chanson mystérieuse et les paroles assez dingues et fantasmagoriques de « La Femme à barbe » de Brigitte Fontaine. Un titre parfait pour une de mes expositions ! Je me suis posé la question : à quoi ressemblerait un paysage de nuit pour moi ? Et là tout a commencé ; au rez-de-chaussée, j’ai imaginé un jardin gardé par deux centaures-sphinx, on avance et on découvre encore bien d’autres éléments dans ce paysage de nuit qui s’ouvre au visiteur. A l’étage, c’est la nuit, c’est l’enfer, on est accueilli par cinq totems représentés par de grands diables composés d’éléments évoquant des obsessions, des péchés… La nuit est effrayante mais on peut aussi y vivre des choses interdites, une nuit dangereuse mais excitante. Toute l’exposition est construite en miroir, dans un jeu de reflets, chaque sculpture cache un « verso », un « envers » qu’il faut découvrir.
Que d’éléments à découvrir ! Avec un style bien particulier… Comment décririez-vous votre style ? J’aime parler de mythologie personnelle, colorée, intuitive et vivante. Derrière tous ces éléments, c’est en quelque sorte mon histoire.
Dieter Vander Velpen - Une signature couture
Dieter Vander Velpen
Une signature couture
MOTS : Barbara Wesoly
PHOTOS : Patricia Goijens
De résidences en établissements et de son fief anversois à Dubaï, Hong Kong ou encore New York, Dieter Vander Velpen décline son esthétique sophistiquée et épurée à la fois, en une vision aussi cosmopolite que luxueuse. Parmi ses récentes réalisations, le 1055 Stradella, une villa de Bel Air, à Los Angeles, transformée en un écrin face à l’océan.
Vous qualifiez « l’architecture couture » comme le fondement de votre style. Que signifie exactement ce principe ? Je considère en effet mes réalisations comme une forme « d’architecture couture », car les clients s’adressent à notre bureau pour notre style signature, que nous déclinons selon leurs besoins et attentes, tout comme on allait acheter une robe chez Dior, dans les années 50. Nous nous concentrons sur la création de projets résidentiels haut de gamme raffinée. Des maisons fonctionnelles mais qui mettent le design au premier plan, n’offrant que le meilleur en termes de matériaux, mais aussi axées sur des détails personnalisés et une approche sur mesure. Le propriétaire en est un élément central : qui est-il, comment vit-il ? A-t-il des enfants ? Aime-t-il recevoir, a-t-il une collection qu’il veut exposer… ? Et enfin, la propriété et l’emplacement sont à la fois déterminants et inspirants. Une villa à Los Angeles sera habitée différemment d’une résidence en Belgique, un appartement à Mumbai nécessite une approche autre qu’une maison de vacances à Ibiza. C’est le cocktail unique des trois facteurs qui apportent symbiose et équilibre parfaits.
Vous avez récemment conçu une sublime maison privée à Bel Air, 1055 Stradella, en partenariat avec le bureau d’architectes Saota et le designer David Maman. Comment un architecte belge est-il contacté pour réaliser une villa à Los Angeles ? C’est notre premier projet à Los Angeles et le quatrième aux USA. Le client a vu notre travail en ligne et nous a contacté via Instagram. C’était au début de la pandémie, quand tout le monde demeurait persuadé que le Covid ne durerait tout au plus que quelques semaines. Au final, cela nous a pris un an et demi. Heureusement, nous vivons une ère numérique et de manière presque contradictoire, la crise sanitaire nous a offert des opportunités, facilitant ce type de réalisation à distance. Il n’y avait en effet pas de vraie différence par rapport à une entreprise locale, puisqu’aucune réunion physique ne pouvait avoir lieu.
Comment décririez-vous le résultat du 1055 Stradella ? C’est un parfait exemple de notre architecture couture. Les matériaux et la philosophie de conception sont la signature du bureau Dieter Vander Velpen. Mais le fait que cette villa soit située à Los Angeles sur un terrain très spécifique avec vue sur la vallée et l’océan rend ce projet défini-
tivement unique. Les fenêtres du sol au plafond de la salle de bain s’ouvrent ainsi vers la vallée et nous les avons sublimées en concevant une grande baignoire ronde, sculptée dans un morceau massif de travertin. En ren-
trant du travail, on peut dès lors ouvrir toutes les fenêtres, déguster un verre de vin dans sa baignoire et regarder le soleil se coucher sur l’océan. C’est tout à la fois stimulant et excitant de découvrir à chaque projet comment nous pouvons laisser ces nouvelles impulsions interagir avec notre style signature.
Sa conception marque-t-elle un tournant dans votre carrière ? Avec la volonté d’une expansion à l’international ? Oui, j’ai l’impression d’être à un moment charnière. Notre bureau réalise des projets à l’étranger depuis plusieurs années, mais ceux-ci demeurent fréquemment dans l’ombre, nombres de nos clients tenant à leur vie privée. Celui-ci au contraire, nous a donné une visibilité internationale. En parallèle, nous venons d’emménager dans un nouvel espace à Anvers, construit pour être une salle d’exposition et mettre en valeur la beauté et le savoir-faire de notre design et de nos créations. Donc oui, définitivement, les choses bougent pour l’instant.
Où puisez-vous vos influences ? Les voyages ont toujours été une grande source d’inspiration. En plus d’Anvers, j’ai également étudié à Valence et à Istanbul. J’aime passer du temps dans des villes éclectiques et voir comment l’architecture y fonctionne. Nous travaillons d’ailleurs actuellement sur projets passionnants dans le monde entier, notamment des résidences privées dans les Hamptons, Jackson Hole, Ibiza, Maurice, Mumbai et bien sûr en Belgique. Et je réalise au moins un grand voyage privé chaque année, pour élargir continuellement mon cadre de référence et ma vision. Le pouls d’une ville comme Hong Kong, les ruines de Palenque ou les réalisations d’Oscar Niemeyer à Brasilia sont des sources d’inspiration intarissables.
Lionel Jadot Out of the box
Lionel Jadot
Out of the box
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Homme passionné, adepte de la récupération, amoureux de savoir-faire, Lionel Jadot ne cesse de multiplier les projets d’aménagement et de décoration, du Jam Lisbonne en passant par le récent Mix. Tous uniques et hautement créatifs. Rencontre avec ce dynamique architecte, au cœur des travaux du Mix.
Qu’ils s’agissent de projets privés ou publics, Lionel Jadot a le don pour se démarquer. Issu d’une famille d’artisans, la matière avant tout l’anime. Constamment en mouvement, cet architecte d’intérieur autodidacte a cette perpétuelle énergie que l’on ressent dans ses créations très variées. Son dernier projet ? Le fameux Mix. Passionné du bâtiment bruxellois depuis qu’il est jeune, il se devait de remporter le concours. Il signe une nouvelle fois un travail out of the box, et surtout « le plus gros projet de sa vie ».
L’atelier Jadot a été sélectionné pour l’aménagement du Mix, comment s’est passé le concours, quelles étaient les demandes et critères ? Dans les critères : dessiner un hôtel de 180 chambres avec bar et restaurant. La demande restait large. Une vingtaine de bureaux ont été contactés pour participer au concours. On a mis énormément d’énergie dans ce projet car je suis amoureux de ce bâtiment depuis petit, tous les vendredis je passais devant en allant chez ma grand-mère. Durant plus d’un mois nous avons travaillé non-stop. On est parti sur le concept actuel : savoir que nous sommes dans un bâtiment fonctionnaliste et travailler dans cette même lignée avec l’intégration d’aspects sculpturaux et artistiques. Nous avons finalement été choisis, c’était il y a deux ans et demi et on a démarré le travail presque tout de suite.
Fidèle à vous-même vous avez travaillé avec beaucoup d’artisans… Oui, cela faisait partie du projet initial soumis. On retrouve au gré des étages, des chambres en passant par le bar, le restaurant ou la réception, des interventions fortes faites par des designers invités. On a fait collaborer tous les designers de Zaventem Ateliers mais aussi 27 autres designers belges, donc 52 artistes au total ! Chacun a eu une zone d’expression où il a apporté sa libre spontanéité.
Sur quels grands axes, quels thèmes avez-vous développé l’aménagement intérieur ? C’est un bâtiment fonctionnaliste, l’idée se résume en une phrase : la forme suit la fonction. Ce qui veut dire que le bâtiment a été construit avec une vision assez honnête, tous les éléments constructifs sont visibles : colonnes de béton, poutres, métal, etc. Un lieu extrêmement lisible. Cette vision nous a suivis tout au long du projet. J’avais le désir que les structures qu’on ajoutait dans le bâtiment aient déjà pu être là en 1970. Cuisine, espace de stockage, salle de réunion, les fonctions sont enfermées dans des genres de sculptures. Nous ne sommes pas venu coller un décor. On a respecté le bâtiment en venant l’embellir. Quant à l’aspect décoratif, c’est le rôle principalement de ces artistes et designers. C’était essentiel pour moi d’avoir un savoir-faire local et contemporain.
Comment réussir l’aménagement, la déco d’un si grand espace sans se perdre, sans partir tous azimuts ? C’est une particularité que j’ai, avoir une vision extrêmement précise d’où je veux aller. Le tout, c’est de garder le cap. Je dois amener mon équipe dans cette direction, malgré les jours difficiles, les questions continues, les tempêtes budgétaires, les soucis humains, de matériel ou de planning. Ma force est de décider vite, trouver des plans B ou C très vite ou se battre pour garder le plan initial. Et quoiqu’il arrive, on s’amuse, on avance avec bonheur.
Si votre premier client dans ce projet est l’hôtel Mix, un autre a également fait appel à vous. Il s’agit du Fox, le foodcourt, petit frère du Wolf dans le centre-ville… Il se situe au rez-de-chaussée. J’ai travaillé avec la même philosophie. Côté déco, j’ai utilisé quatre matériaux. Le laiton, tout le sol est en poudre de laiton. Du béton, 170 m de comptoirs en béton façon sculpture, mais aussi du cuir et du bois pour le mobilier cadré et structuré. Les luminaires sont aussi des éléments très forts, au plafond par exemple, dans chaque caisson en béton, une ampoule est dissimulée. Quant aux nombreuses hottes en inox, elles jouent le rôle de sculptures. J’ai imaginé ce lieu comme une grande cantine assez moderniste. De prime abord ça semble simple mais il y a tant de détails !
Tous projets confondus, quelle est la patte Jadot ? La patte Jadot est liée à une énergie. Aucun projet ne se ressemble, j’essaie de raconter à chaque fois une autre histoire. Je suis issu d’une famille d’artisans donc mon amour de la matière et de sa transformation m’anime. Depuis que je suis petit, je fabrique de mes mains, j’achète peu. Je ne m’inspire jamais de magazines, de catalogues, de Pinterest, ce qui m’anime n’est pas de ce qui existe déjà. Je pense d’ailleurs que travailler trop connecté tue la créativité. J’invite mon équipe plutôt à voyager, à se nourrir de livres d’art. Quand je démarre un projet, j’essaie de comprendre le lieu, j’écris une histoire, un scénario et j’apporte une atmosphère. Je n’ai pas de style.
Quels sont vos prochains projets ? L’aventure Jam se poursuit. On vient de finir le Jam Lisbonne, le premier hors Belgique et on est sur le chantier d’un Jam à Gand qui ouvrira d’ici un an. On a réalisé un nouveau glacier Gaston qu’on retrouve au Sablon en juin. On jongle actuellement principalement entre des projets privés et hôteliers : un hôtel à Liège en pleine forêt, un châlet en Suisse, un projet de ferme dans le Brabant Wallon avec un concept très particulier… Je vais m’arrêter là, mais nous avons près de 25 projets en cours !
ADELINE HALOT, la magie de la matière
ADELIINE HALOT
La magie de la matière
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Dans les Zaventem Ateliers, du haut de ses 31 ans, Adeline Halot, designer textile, y tisse son jeu unique de matières. Entre ses mains, ses tissages artisanaux deviennent, des tapisseries, des sculptures, du mobilier mais surtout des œuvres d’art à part entière prenant une dimension architecturale.
Vous êtes plus connue à l’étranger que dans notre plat pays. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas votre travail, qui êtes-vous ? Je suis designer textile et architecte d’intérieur. Aujourd’hui je me définis plus exactement comme artiste et scuplteur. Diplômée en tant qu’architecte d’intérieur à l’ESA Saint-Luc Bruxelles en 2016, j’ai ensuite suivi des études de designer textile à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Visuels de la Cambre à Bruxelles. Finalement, j’ai peu travaillé comme architecte d’intérieur, je confectionnais surtout des pièces textiles sur mesure pour certains intérieurs. Ensuite, en 2019, installer mon atelier au Zaventem Ateliers et prendre la voie du design et de l’indépendance prenait tout son sens.
D’où vous vient cet amour du textile ? Plus que l’amour du textile, c’est l’amour de la matière. Je rêvais de créer ma propre matière. J’ai toujours adoré chercher des échantillons très spécifiques pour l’architecture d’intérieur: des pierres, du bois, du carrelage, du verre… Des pièces rares et uniques. Depuis que je suis petite, je me rends l’été dans notre maison familiale au cœur du Luberon. J’y chinais déjà des matières à l’époque. Indirectement, elle m’a inspirée, son côté brut, sa nature environnante…
Le rêve est exaucé, on peut dire que vous avez créé votre propre matière… Oui, je ne pouvais pas espérer mieux ! Je tissais déjà le lin et très vite le métal m’a attiré. Son approche structurelle tout particulièrement. Avec mes propres outils et métiers à tisser, je tisse donc du lin associé à du métal, qu’il s’agisse de cuivre, laiton ou inox. Le lin est belge, il vient de Courtrai, l’inox provient de stocks inutilisés de Zaventem même et le cuivre ou le laiton d’une petite adresse parisienne. Je traite le métal comme un textile, son tissage est un processus très technique que je réalisais au départ uniquement pour moi. Aujourd’hui fibres naturelles et fils métalliques s’entrecroisent pour un résultat très dynamique.
Un tissage qui devient une matière prenant vie à travers vos réalisations. Un résultat très dynamique mais aussi des créations spéciales et uniques, quelle étiquette leur coller ? La matière est au centre de mes créations. Ce sont des pièces uniques, petites et précieuses ou grandes et monumentales. Des sculptures lisses, en relief, en mouvement, à poser sur le mur ou à suspendre. Elles reflètent la lumière, elles vivent en fonction de la lumière. Même si je sais ce que je produis, j’ai toujours une surprise à la fin : la sculpture exposée dans une pièce se déploie en fonction de la luminosité prenant un caractère différent au fil de la journée. De plus, une large palette de couleurs s’offre à moi avec le lin et les possibilités sont presque infinies. J’aime le lin pour la douceur et le naturel, le métal pour son côté brut, structurel et industriel. Grâce à l’utilisation de différents fils, les tissages prennent forme et les faisceaux lumineux qui les traversent leur confèrent un caractère cinétique. Soit je travaille sur commande avec des architectes ou des clients privés, soit je réalise des pièces pour les shows et expositions organisées par les galeries qui me représentent.
Nous avons aussi découvert à la Milan design week vos œuvres prenant l’apparence de bijoux sous le nom de ‘Glint’… Kimy Gringoire est une bonne amie mais pour l’une comme l’autre, effectuer des collaborations n’est pas dans nos habitudes, et pourtant… Depuis un an, on travaille sur ce projet main dans la main. On est différente et complémentaire. Elle a l’idée esthétique, ergonomique, le travail de la matière (argent et or) et ensemble, nous avons développé la touche créative, abstraite, artistique, la vision du mouvement dans un si petit objet… Chaque pièce est faite à la main. On a présenté la collection à Milan et les retours sont incroyables. On vend en direct mais on souhaiterait aussi présenter Glint dans des concept stores comme Dover Street Market à Londres. Et de vous à moi, j’avoue que cela faisait longtemps que j’avais envie de porter cette matière !
Prévoyez-vous encore d’autres projets prochainement ? Dernièrement j’ai participé au projet The Mix avec Lionel Jadot. J’ai créé 30 cercles uniques en lin, inox et laiton pour les chambres de l’hôtel et 40 luminaires habillés et tissés en lin et inox pour un restaurant. Cet été, une magnifique exposition est organisée par la galerie Stay Tuned : E-Raw-Lution, l’évolution de la matière. Elle se tient du 8 juillet au 30 août dans le sud de la France, au Château Saint-Maur Cru Classé à Cogolin dans le golf de Saint-Tropez. Un lieu unique avec une nouvelle personne qui met mon travail en lumière : Victoire Monrose. On y parle de matière bien sûr à travers le travail de cinq artistes féminines. Enfin, ce n’est pas d’actualité, mais j’aimerais beaucoup un jour imaginer des show-rooms, des boutiques avec un superbe travail de matières comme dernière- ment Courrèges ou Margiela l’ont fait.