Atelier Tourain - « Nos créations s’inscrivent comme un retour au vrai »
Atelier Tourain
« Nos créations s’inscrivent comme un retour au vrai »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
C’est à la croisée de l’art et du design que naissent les œuvres d’Atelier Tourain, en une exploration sensible des formes, des textures et des matières. Un dialogue magnétique entre le métal et la nature, mais aussi entre la philosophie et le tangible, indissociable pour Tanguy Tourain et Julie Desmidt d’une profonde authenticité créatrice.
Duo à la vie, vous l’êtes aussi au sein d’Atelier Tourain. Était-ce d’emblée une évidence ? Julie : Nous l’avons en réalité toujours été. Dès la fin de nos études, il y a 10 ans, nous avons créé ensemble Fo le Fer, une entreprise de design d’intérieur contemporain, concevant des objets sur mesure, en acier. Un projet démarré dans un petit hangar à chevaux, en pleine campagne, chez les parents de Tanguy. Aucun de nous n’avait de base de connaissance dans ce domaine, il nous a fallu tout apprendre à coups d’essais et erreurs. Mais, nous étions passionnés et notre crédo était clair : l’excellence, tant au niveau de la qualité que de la finition.
Tanguy : Et puis, il y a deux ans, j’ai ressenti le besoin de créer des pièces qui seraient véritablement miennes et non pas issues de commandes. Je voulais avoir le champ libre pour pousser la matière à ses limites, tout comme mon imagination. Après une année d’expérimentation, il est devenu évident pour nous que le résultat était trop personnel, trop empreint de caractère, pour être intégré à Fo le Fer. De là est né Atelier Tourain.
Comment œuvrez-vous à quatre mains ? Julie : Je gère principalement l’aspect organisationnel, les contacts, les matériaux, la planification et la logistique. Généralement, Tanguy arrive avec une nouvelle esquisse ou une idée, que nous examinons ensemble et qu’il adapte ensuite. Ce n’est pas un processus à sens unique, mais un aller-retour créatif nous amenant à construire ensemble chaque œuvre.
Tanguy : Lorsqu’un concept est arrêté, il faut alors trouver ce qui le composera. Je puise dans le métal, la pierre, le bois et parfois au cœur même de la nature, comme pour ces arbres déracinés par une tempête, que je me suis réappropriés. Il arrive que l’inspiration vienne de la matière elle-même et des formes qu’elle adopte spontanément, et à d’autres moments d’une véritable page blanche, comme ce projet d’un triptyque en laiton, auquel j’ai songé soudainement, à deux heures du matin.
Julie : L’on vit à deux, l’on travaille à deux. Partageant la joie et la frustration. Il n’y a pas de coupure, pas de séparation. C’est très intense d’avoir à ses côtés quelqu’un qui connaît la moindre de vos faiblesses et de vos forces. Mais c’est aussi un lien d’une puissance et d’une honnêteté rare.
Quelle est la philosophie d’Atelier Tourain ? Tanguy : Être authentique dans un monde qui devient toujours plus artificiel. Employer des techniques oubliées ou une expertise peu connue, pour concevoir un artisanat tout à la fois brut et raffiné, qui perdurera toute une vie. Et embrasser les matières sans les dénaturer. Il ne s’agit pas juste de fidélité à des valeurs personnelles, mais de transmettre une forme de sincérité. Des objets faits main dans le sens le plus pur du terme, faits par des mains.
Vous sculptez la matière de façon précieuse et profondément organique. Cet alliage surprenant représente-t-il votre signature ? Tanguy : Mon style est en lien avec la nature, les sons, les couleurs, le mouvement. Mais aussi imprégné d’une forme de puissance tactile. Ce mélange de textures et de corps entraîne un besoin de toucher les créations. En mars 2024, en participant à la Collectible Design Fair de Bruxelles, où les œuvres étaient présentées au public la première fois, nous avons réalisé à quel point il se créait une interaction entre les visiteurs et les objets. Tout comme nous le voyons dans notre showroom, où les carreaux en laiton qui sont exposés scintillent face à la lumière et semblent mouvants. Une attraction particulière amène à laisser glisser sa main à leur surface et à en sentir l’odeur. Il y a une âme, de l’ordre du vivant, qu’aucun objet synthétique ou industriel ne peut renfermer.
Tanguy, estimez-vous qu’être autodidacte a influencé votre vision et votre travail ? Oui, cela induit une profonde liberté mais aussi une grande solitude. Et demande d’accepter d’échouer pour avancer. C’est très éprouvant et prend une immense énergie. En même temps, cela permet de n’être entravé ni par une éducation ni par des croyances. Et d’apprendre la résilience.
Cet été vous avez exposé à New York à la galerie STUDIOTWENTYSEVEN et participé à la Biennale Arte de Venise. En octobre, vous étiez également à la Saatchi Gallery à Londres. Que préparez-vous actuellement ? Julie : Atelier Tourain reste un projet à peine entamé, dont nous continuons d’explorer toute la profondeur. Nous sommes désormais associés avec Objects With Narratives Gallery, qui représentera le travail de Tanguy en tant qu’artiste et en compagnie de qui nous participerons à la BRAFA Art Fair en 2025. Mais globalement, nous laissons venir à nous les opportunités pour ne pas créer de frustration et de déception. Le futur est empli de possibles.
Cohabs - Le partage tel un art de vivre
Cohabs
Le partage tel un art de vivre
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
C’est dans l’écrin architectural du Passage du Nord tout récemment restauré que Cohabs a ancré son nouvel espace de coliving. Un projet de tous les superlatifs, pour Youri Dauber, François Samyn et Malik Dauber, qui redessine les contours d’un chez-soi commun, au cœur même de ce joyau historique de l’élégance bruxelloise. Une collectivité réinventée, point culminant d’un succès mondial, que raconte Youri Dauber.
Votre première habitation commune rassemblait 9 personnes, vivant ensemble au sein d’une maison bruxelloise. Un projet lancé en 2016, bien avant le succès de la tendance du coliving. Qu’est-ce qui vous animait alors ? C’était avant tout une envie commune d’entreprendre. Nous avions eu tous trois des parcours différents. François, qui était un ami de longue date, sortait de Solvay, mon frère Malik avait fait des études d’ingénieur polytechnicien. De mon côté, j’avais envisagé une carrière de professeur de gymnastique. Notre point commun était ce souhait d’indépendance et cette volonté d’avoir un impact. Nous avions investi ensemble dans l’immobilier et des lieux de colocation. Constatant que ceux-ci étaient mal organisés, nous avons réalisé des travaux d’aménagement puis conçu une application mobile pour la location. Et après une, deux, puis trois maisons sur cette base, continuer de développer le principe de coliving est devenu une évidence.
Près de 10 ans plus tard, Cohabs compte désormais 3000 chambres, réparties dans 9 villes, non seulement en Europe mais aussi aux USA. La demande a-t-elle changé en une décennie ? La situation globale s’est fondamentalement transformée. Acheter un logement est devenu ardu voire presque impossible dans certaines capitales. Les mentalités aussi ont évolué. Aujourd’hui, les gens passent plus facilement le cap d’un lieu partagé sous d’autres formes que les kots étudiants. Par élan de liberté notamment et la possibilité d’être plus nomade, qui s’inscrit pleinement dans l’air du temps. Ceux qui investissent un lieu signé Cohabs y restent en moyenne 11 mois et c’est tout le sens du concept. Changer d’endroit sur un coup de tête ou découvrir un pays, sans être réfréné par un bail longue durée. Et puis à côté de ça, il y a ceux qui recherchent le lien et le contact ou l’aspect écologique, nos espaces misant sur la durabilité avec un partage des ressources et la rénovation d’anciens bâtiments. C’est d’ailleurs aussi pour cela que nous avons fait appel à Lionel Jadot pour en concevoir les intérieurs. Au-delà de son talent incroyable de designer, il a fait de l’upcycling l’ADN de son univers. C’est ce qu’il fallait à ce projet profondément humain.
Vous appelez d’ailleurs les habitants des membres, et non pas des locataires. L’esprit Cohabs est-il celui de la reconnexion aux autres ? La rencontre en est en effet le cœur. Tout comme casser le rapport propriétaire – locataire classique, où l’on se dispute autour des devoirs de l’un ou l’autre. On voulait offrir une vraie disponibilité et une écoute, mais aussi faciliter l’entente entre les cohabitants en leur retirant tous les aspects à même de créer des frictions. Nos appartements sont ainsi tous meublés, nous fournissons les produits de première nécessité et il y a un nettoyage hebdomadaire. Cela permet à nos membres de profiter de l’essentiel, de tisser des liens avec ces inconnus avec qui ils partagent leur espace de vie.
Votre slogan est: Our members call us home. Qu’est-ce qui selon vous fait d’un endroit un véritable chez-soi ? S’y sentir bien. C’est indispensable et pour nous cela démarre par le choix de lieux chaleureux et pas trop vastes. C’est pourquoi nous divisons de grands bâtiments en plus petits espaces, d’une vingtaine de personnes maximum. Et puis, Cohabs ce n’est pas qu’un logement, c’est une expérience. La majorité de nos maisons ont un salon et une salle à manger commune, une salle de cinéma, un club de gym, un espace de coworking. Des retraites, des afterworks et des évènements y sont organisés. L’esprit de communauté ne s’arrête pas au partage d’une habitation.
Vous acheviez récemment la rénovation de l’emblématique Passage du Nord à Bruxelles. Pourquoi avoir choisi de réinvestir ce lieu du patrimoine bruxellois ? C’était une chance inouïe de pouvoir réhabiliter ce sublime bâtiment classé, abandonné durant si longtemps. Un fameux challenge aussi, ne serait-ce que par sa taille monumentale. 5500 mètres carrés, dont il fallait tout à la fois préserver l’héritage néo-classique et aménager en un cadre de vie moderne et convivial. Nous avons ainsi réparti les 60 chambres au sein de quatre unités, abritant chacune un espace de partage et de loisirs et nous avons confié à des artistes et artisans belges la réalisation de fresques et de mobilier. Les vitraux restaurés et le dôme reconstruit y côtoient des œuvres contemporaines, créant une atmosphère unique. Ecrire un nouveau chapitre de son histoire mais aussi redynamiser tout un quartier, nous a rendu très fiers. Et nous a offert notre plus belle vitrine au sein de la capitale.
Où Cohabs compte-t-il poser ses prochains cartons ? A Marseille et à Washington pour commencer, mais aussi dans de nouveaux lieux au sein des neuf villes où nous sommes déjà présents et où les listes d’attente s’allongent. Et puis en 2026, nous aimerions proposer des endroits spécialement pensés pour les étudiants et les seniors. En parallèle, nous lançons aussi le passeport Cohabs, un programme pour nos membres, qui leur permet d’échanger leurs logements pour une courte durée. Un pas vers une liberté supplémentaire et de belles rencontres.
Justine Kegels - « Je me considère comme un caméléon, se réinventant en permanence »
Justine Kegels
« Je me considère comme un caméléon, se réinventant en permanence »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Thibault De Schepper
L’engouement pour le design de Justine Kegels se raconte par une passion de l’esthétique sous toutes ses formes. Une créativité qui multiplie les moyens d’expression et les influences et que l’architecte d’intérieur insuffle avec élégance dans chacun de ses projets. A l’image de sa récente collaboration avec Cosentino et Modular Lighting Instruments, autour d’une collection capsule exclusive, mariage raffiné de la beauté et du fonctionnel.
Deux ans après avoir achevé un master d’architecture intérieure, vous avez fondé JJ Studio, un espace de création multiforme, comprenant non seulement du design, mais aussi de la photographie, de la vidéo, du stylisme et de la conception globale. Pourquoi avoir entrepris un projet aussi pluriel ? Je suis une personne profondément curieuse, qui s’est toujours intéressée à énormément de disciplines et de sujets. Et j’aime pouvoir les expérimenter par moi-même. A son lancement, en 2019, JJ Studio était une plateforme proposant des idées et des solutions innovantes aux marques. Avec le temps, elle s’est davantage orientée vers le design, pour lequel j’ai toujours eu un amour particulier. Mais je continue de considérer ces différents domaines comme pleinement reliés. La créativité ne se limite pas à un champ d’activité. On peut transposer un goût pour les tenues minimalistes à une vision de l’architecture d’intérieur, s’inspirer de l’éclectisme des matériaux du show-business pour nourrir un design. Tout devient le reflet d’un style, d’une personnalité et c’est ce qui est fascinant.
Vous signez une collaboration avec la marque espagnole Cosentino, label de référence dans la conception de surfaces minérales. Une capsule unique, conçue à partir de leur gamme Silestone Le Chic Bohème. Comment avez-vous imaginé celle-ci ? Il s’agissait de créer une collection de tables de salon mais aussi d’appoint qui mettrait en valeur la matière pour sublimer les lignes des objets. Mêler l’élément minéral à cette touche de féminité et de douceur que l’on retrouve dans mon design, notamment par ses courbes et ses arrondis, était un joli défi que j’ai énormément apprécié. Il s’y ajoutait aussi un jeu d’ombres et de lumières, du fait de l’emploi d’un éclairage modulaire, qui redessinait les volumes. Une façon passionnante d’enrichir l’aspect décoratif d’une dimension pratique.
C’était en effet également le cadre d’un second partenariat, avec Modular Lighting Instruments, créateur belge d’éclairage architectural qui célèbre ses 40 ans. Comment avez-vous intégré pleinement le travail de la lumière au cœur du projet ? On pourrait résumer ce principe à un mot : symbiose. Un terme qui reflète toute la substance et l’identité de cette gamme. Chaque élément y a été pensé pour développer la cohérence de l’ensemble. Les différentes hauteurs des pièces créent un jeu visuel, dont les couches rappellent les strates terrestres. Les discrètes lumières intégrées créent une atmosphère ludique et élégante. Et les deux coloris issus de la gamme Silestone, le Blanc Elysée, avec ses délicates veines dorées et grises, et le Château Brown, un brun profond, appuient les contrastes, mais avec harmonie. La pierre semble ainsi répondre à l’éclairage subtil et épuré de Modular.
Qu’est-ce qui définit votre vision du design d’intérieur, dans sa globalité ? Je me considère comme un caméléon, me réinventant en fonction des envies et des besoins de ceux qui font appel à moi. J’aime m’adapter à l’identité des propriétaires ou d’une demeure, surtout si elle est ancienne, afin d’en raviver le caractère. Je travaille actuellement sur la conception de bureaux et d’une maison de ville à Anvers. Je viens d’achever l’habillage d’une boutique pour un ami et en 2025, j’ai pour objectif de me concentrer davantage sur des projets commerciaux, qui constitueront de nouveaux défis. J’aime la variété et surtout l’aventure que représente chaque projet.
Geoffroy Van Hulle - Portrait d’une audace intérieure
Geoffroy Van Hulle
Portrait d’une audace intérieure
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Damon De Backer
La décoration selon Geoffroy Van Hulle a tout d’une grandiose symphonie baroque. Un univers fantasque, où l’originalité s’impose avec une beauté envoûtante dans chaque espace, dévoilant des contours flamboyants dans son dernier ouvrage, Grand Interiors.
Ce livre, votre quatrième, offre une balade, à Knokke, Londres ou encore Anvers, à la découverte de résidences dont vous avez habillé l’espace. Comment avez-vous choisi les lieux présentés ? Je souhaitais que cet ouvrage dévoile des intérieurs emblématiques réalisés depuis 2018. Ces six dernières années ayant été remplies de superbes projets, j’ai finalement décidé de miser sur la diversité. J’y ai réuni modernité et classicisme, maisons de ville et appartements, vastes demeures et plus petits espaces, créant ainsi une vitrine reflétant les multiples facettes de mon style. Je l’ai complété par des textes détaillant des éléments décoratifs ou des réflexions sur mon processus créatif pour permettre aux lecteurs de plonger au cœur de ma vision.
Qu’est-ce qui fait l’essence d’un « grand intérieur » ? Une atmosphère luxueuse et chaleureuse à la fois, ce qui passe, pour moi, par une bonne dose d’éclectisme. Ma signature naît du mélange des genres : j’aime associer des antiquités à du design contemporain ou de l’art à des pièces kitch. Mais, plus encore, l’endroit doit refléter la personnalité de ses propriétaires. Un intérieur doit être le miroir d’une identité. Il n’y a rien de pire que l’impression d’habiter un musée. Heureusement, mes clients apprécient souvent une forme de fantaisie un brin dramatique et une fusion des cultures et des couleurs en harmonie avec mes envies.
Tous les espaces ont-ils le potentiel de le devenir ? Bien sûr ! Une maison doit être un voyage où l’on navigue d’une pièce en l’autre à la découverte d’endroits magistraux. L’entrée est une transition cruciale de l’extérieur vers l’intérieur, raison pour laquelle j’y accorde toujours un soin particulier. J’aime que les salons aient une ambiance feutrée, tandis qu’une cuisine ou une salle à manger doit être lumineuse et joyeuse. Lorsque chaque pièce possède son propre caractère affirmé, l’effet de surprise est fantastique.
Votre univers est tout à la fois éclatant, luxueux et théâtral. Que raconte-t-il de vous ? Un amour de la décoration sûrement inscrit dans mon ADN. Je viens d’une famille de fabricants de meubles depuis six générations. Petit, j’allais aux marchés d’antiquités avec mes grands-parents, puis ma maman a repris ce label, et aujourd’hui, nous l’avons transformé en un espace de création d’intérieurs. C’est ce que je suis et ce pour quoi je suis fait. Cela reflète aussi ma passion des voyages. A l’étranger, je commence toujours par me précipiter dans un musée ou un magasin de décoration. Et je ne peux m’empêcher de ramener des objets locaux. Ce qui, au départ, se limitait à un petit sac, puis une valise, nécessite aujourd’hui des conteneurs.
Qui sont dès lors les créatifs dont vous vous considérez d’une certaine façon l’héritier ? Je suis passionné par le design britannique des sixties et seventies. Cecil Beaton et David Hicks sont mes deux références ultimes. Le premier, par son côté théâtral, a créé des costumes pour de nombreux longs-métrages célèbres, notamment My Fair Lady. Il était également un photographe reconnu et un proche de la famille royale, qu’il a immortalisée de manière magistrale. David Hicks, quant à lui, a modernisé le style classique anglais grâce à un choix audacieux de couleurs et de textures. Ces deux figures m’inspirent au quotidien.
Qu’est-ce qui, dans un intérieur, vous attire au premier regard ? Ceux qui l’habitent. Lorsque des clients me sollicitent, je leur demande souvent de m’accompagner chez eux. J’observe leur façon de vivre et leurs comportements : s’ils se montrent accueillants ou plutôt réservés, offrent d’abord un verre ou font visiter leur maison, évoquent leurs enfants, leurs voyages ou leurs sorties. Une demeure ne doit pas simplement être belle, elle doit être en résonance avec ses occupants.
Et comment avez-vous conçu la vôtre ? Elle change deux fois par an. C’est facile puisque je vis en partie dans mon showroom. La plupart des objets présents dans mon salon sont à vendre. J’adore les belles pièces, mais je ne suis pas matérialiste. J’aime autant les voir arriver que repartir pour rendre heureux de nouveaux propriétaires. Lorsque j’achève de décorer une maison, j’y allume toujours les bougies pour qu’elles aient déjà un peu vécu. Si, trois ans plus tard, elles n’ont pas été utilisées, j’y vois un échec. Il faut qu’un lieu bouge, évolue, se transforme.
www.geoffroyvanhulle.com
Pierrick de Stexhe - « L’architecture brutaliste impose de voir au-delà des apparences »
Pierrick de Stexhe
« L’architecture brutaliste impose de voir au-delà des apparences »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Pierrick de Stexhe
De l’admiration à l’aversion, peu de mouvements auront suscité des émotions aussi extrêmes que le brutalisme. Une complexité qui, pour l’architecte et photographe Pierrick de Stexhe, révèle la profonde beauté d’une esthétique coulée dans le béton autant que dans l’utopie. Plus qu’un témoignage, son ouvrage Brutalism in Belgium, fait l’éloge d’un héritage urbanistique majeur.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture de ce livre ? Cela faisait longtemps que je souhaitais réunir mon métier d’architecte et ma passion de la photographie, pratiquée à l’époque en amateur, mais j’ignorais sous quelle forme. Jusqu’à un séjour à Londres et la visite du Barbican, plus grand centre des arts du spectacle européen et véritable cité brutaliste au cœur de la ville. Cela a été une révélation. J’ai toujours été inspiré par le vintage et particulièrement par la période allant des années 50 à 80, dont le brutalisme est une part intrinsèque. Je me suis alors plongé dans ce mouvement, d’abord aux origines, en Grande-Bretagne, avant de réaliser que l’approche des architectes belges était totalement différente mais tout aussi captivante et méritait d’être documentée.
Le brutalisme est l’un des courants architecturaux les plus controversés, considéré par certains comme austère et suranné, notamment par son utilisation radicale du béton. Un principe dont vous prenez le contrepied, en sublimant sa géométrie froide avec des clichés en noir et blanc. Pourquoi ce choix surprenant ? Cette esthétique a en effet toujours suscité un rapport d’amour-haine. De mon côté, je la compare à un album qu’on déteste la première fois qu’on l’écoute et qu’il faut apprivoiser pour le comprendre et apprendre à l’apprécier. Retirer la couleur me permettait d’entourer ces 50 bâtiments d’un cadre neutre, dénué de diversion, qui ferait ressortir leurs lignes et leur verticalité ainsi que les altérations et transformations liées au temps. Mon but était d’augmenter ainsi l’impact visuel mais aussi la véracité du cliché. C’est pourquoi j’ai travaillé en argentique grand format et en ne prenant maximum que six photos d’un lieu. J’ai employé une chambre technique à l’ancienne, en veillant à avoir pour chaque image un même type de cadrage et une atmosphère visuelle similaire. Le livre présente aussi des photos en négatif, y compris sur sa couverture. Celles-ci permettent de capter toute la mesure de ces constructions imposantes à l’identité spectaculaire.
Comment expliquez-vous que ce mouvement souvent dévalorisé dans notre pays rencontre un nouveau souffle chez nos voisins ? C’est lié à une question de contexte. Sa naissance dans les années 50, dans la société britannique d’après-guerre, découlait d’un principe d’expression de conscience collective. D’une volonté de rebâtir, sur les ruines des combats, des lieux qui correspondraient aux attentes et aux besoins de la classe moyenne. Mais, en Belgique, le mouvement était principalement esthétique et non pas éthique. N’en restent dès lors pour beaucoup aujourd’hui que des bâtiments vétustes et sévères, ne répondant plus aux normes contemporaines.
Cet ouvrage célèbre les constructions brutalistes belges les plus remarquables, à Bruxelles, comme en Wallonie et en Flandre. Est-il également un plaidoyer pour leur préservation et leur sauvegarde ? C’est certain. Très peu de ces bâtiments sont classés. Le Musée L de Louvain-la-Neuve, conçu par André Jacqmain en est en réalité un des seuls en phase de classement. Etant devenus obsolètes, notamment au niveau énergétique, il se pose désormais la question de leur conservation ou de leur démolition. Les voir détruits reviendrait pourtant à laisser s’éteindre une part d’histoire. Par ce livre, j’essaye de montrer qu’elle est bien trop précieuse pour sombrer dans l’oubli.
Pour accompagner cette exploration photographique, on y retrouve des textes d’historiens de l’art. Le brutalisme a-t-il besoin de s’appuyer sur le récit pour être pleinement apprécié ? Le livre se divise en trois parties chronologiques, les années 50 et les prémisses du mouvement, puis l’influence profonde exercée sur l’architecture vers 1960 et enfin un essoufflement qui s’affirme dans les années 75-80. La photographie était pour moi un moyen de compréhension à part, mais ne pouvait à elle seule tout raconter. La remettre dans un contexte, de géographie comme d’époque n’en rendait l’ouvrage que plus riche.
Qu’avons-nous à apprendre du brutalisme, en 2024 ? Un retour à la simplicité pour commencer. Le brutalisme impose une forme de pureté dans le dépouillement, notamment par des monomurs de béton, composant l’ensemble de la structure. Une forme de beauté singulière, surgissant d’une cohérence et d’une authenticité qui ne s’encombrent d’aucune fioriture. A côté de cela, chaque bâtiment brutaliste a une identité très forte qui, face à la standardisation actuelle des méthodes de construction, prend tout son sens et toute sa dimension.
Brutalism in Belgium,
Pierrick de Stexhe, Prisme éditions
XTrente8 - Une célébration du style
XTrente8
Une célébration du style
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Aesthete Studio
Halte de choix pour les amateurs de décoration en quête d’un aménagement d’intérieur à la carte, mais également de tissus, tapis, tentures et stores sur mesure, prêts à sublimer leur intérieur, XTrente8 est devenu au fil du temps une adresse incontournable du paysage bruxellois. Un succès que près de quatre décennies n’ont pas démenti, et que continue de porter sa fondatrice Brigitte Vandenhoeck, désormais accompagnée de ses filles, au cœur de ce projet d’une vie.
L’histoire d’XTrente8 a débuté il y a bientôt quarante ans, en 1985. A l’époque, rêviez-vous d’un tel parcours ? Je n’aurais osé l’imaginer. D’autant que l’envie de me lancer m’est venue tardivement. Après un cursus d’architecture d’intérieur à Saint-Luc, j’avais intégré un grand bureau d’architectes. J’y étais notamment responsable de projets d’aménagement pour des immeubles en Belgique mais aussi des espaces en Arabie Saoudite et auprès de multiples sociétés et enseignes de décoration, de néons ou encore de tapis. Mais il me manquait une part de cette fibre artistique que j’aimais tant durant mes études. Et étant très indépendante, je ne me voyais pas rester indéfiniment sous les ordres d’un patron. De là est né XTrente8. Je n’avais alors aucune certitude concernant son avenir ni même de persévérer dans ce domaine. Son nom provenait d’ailleurs du numéro 38 où étaient situés mes premiers bureaux. Un choix dont je savais qu’il susciterait la curiosité mais surtout qu’il ne m’identifierait pas de fait à une activité. Et finalement, je n’ai plus jamais voulu quitter cet univers.
A l’heure des achats massivement réalisés sur internet et où tant de boutiques connaissent un parcours éphémère, quelles sont, selon vous, les clés de votre succès ? Accepter de se réinventer, non seulement en fonction de son parcours personnel et de ses désirs mais aussi au diapason de l’évolution des demandes. Au commencement, XTrente8 proposait la gestion de tous les aspects du design d’intérieur, la création des plans, l’agencement, les cuisines et sanitaires. Cela demandait un investissement énorme, impliquait d’être sur chantier à 6 heures du matin, de gérer des cuisinistes, des parqueteurs, des ouvriers… Un rythme d’autant plus complexe en ayant une vie de famille et qui m’obligeait à m’impliquer dans des aspects très techniques. J’ai donc progressivement choisi de me spécialiser. Et puis, il y a dix ans, de me concentrer exclusivement sur la décoration, l’habillage des murs et des fenêtres, le choix des couleurs, les peintures et les tapis. Nos conseils et notre accompagnement n’en sont aujourd’hui que meilleurs et plus pointus, tout en demeurant pleinement à l’écoute des besoins et envies de chacun. Et lorsque je vois en effet tellement d’enseignes fermer leurs portes, je ressens une vraie fierté face au lien de fidélité que nous avons réussi à créer avec nos clients.
Ces années ont-elles vu évoluer le style de l’enseigne ? Oui, c’est certain. Au départ, la dynamique était très contemporaine, avec des pièces fortes et sans concessions. Elle s’est d’une certaine façon assagie au fil du temps, tout comme ma vision personnelle. Tout en continuant à être avant-gardiste, les voyages mais aussi les tendances et l’art ont contribué à amener le style de la boutique à mûrir et me poussent à innover toujours plus. Et désormais, ma fille Prisca apporte également sa touche personnelle au choix des collections. Nos visions sont très différentes et cela permet de mélanger les influences. C’est une vraie force.
Aujourd’hui, vous fonctionnez en effet en trio au sein de la boutique, puisque vos filles Prisca et Olivia ont rejoint l’aventure. Travailler en famille était-il une évidence ? Je n’y avais en fait jamais songé ! Si elles ont toutes deux réalisé des études à Saint-Luc, comme moi, l’une en publicité et l’autre en création d’intérieur, chacune avait auparavant son emploi et ses perspectives professionnelles. Mais il y a huit ans, Prisca ne se plaisait plus dans ses fonctions au sein de plusieurs bureaux d’architecture d’intérieur. Elle s’est jointe à moi lorsque ma collaboratrice principale a quitté Bruxelles, reprenant la gestion de l’aspect commercial et des collections. Olivia quant à elle travaillait chez XTrente8 depuis la fin de son cursus, et réalise en parallèle du graphisme pour d’autres société. Cela s’est fait naturellement. Nous avons un amour commun de la décoration et cela ne fait que renforcer notre complicité.
A l’aube de cet anniversaire, que peut-on souhaiter à XTrente8 ? De perdurer, grandir et toujours évoluer bien sûr. Je sais qu’il viendra un jour, dans un futur plus ou moins proche, où je choisirai de laisser les rênes à mes filles. Mais je continuerai d’ici là d’œuvrer avec cœur à faire toujours mieux. Et repenser à toutes ces années emplies d’expériences enrichissantes, et savoir qu’elles ont été et continueront d’être marquées par des liens forts, aussi bien avec nos clients qu’entre nous, est un vrai bonheur.
Francis Metzger - Virtuose d’une mémoire vivante
Francis Metzger
Virtuose d’une mémoire vivante
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Depuis plus de 30 ans, il œuvre tel un magistral trait d’union entre les époques. De la restauration de lieux d’exception à la conception de projets contemporains, Francis Metzger érige une architecture éprise d’histoire. La réhabilitation du Corinthia Grand Hotel Astoria, monument du patrimoine bruxellois, dévoile une nouvelle fois son empreinte somptueuse.
Le Grand Hotel Astoria, devenu Corinthia, a rouvert ses mythiques portes en ce début décembre, après 17 années de rénovation. Comment avez-vous imaginé et conçu cette renaissance ? Ce projet, par chacun de ses aspects, était hors norme, multiple, et probablement le plus complexe sur lequel il m’a été donné de travailler. D’abord, car il impliquait une part de restauration tout autant que de construction neuve. Ensuite, car les années écoulées depuis sa conception par Henri Van Dievoet en 1909 l’avaient vu perdre une grande part de son identité néoclassique, pourtant en pleine continuité avec le style Beaux-Arts. Enfin, car en un siècle, le monde a profondément changé. Le luxe du début du XXe siècle est bien loin de celui d’aujourd’hui. Le Corinthia Grand Hotel Astoria se destinant à être le seul palace cinq étoiles de Bruxelles, l’exception devait devenir la norme. L’établissement d’époque comptait 120 chambres. Ce nombre est porté désormais à seulement 126, bien que cinq bâtiments supplémentaires aient été ajoutés. La volonté était ainsi de privilégier la beauté de l’espace tout en augmentant le nombre et la majesté des suites. L’hôtel abrite également deux restaurants étoilés et un immense spa, achevant de le transformer en un joyau de l’époque actuelle.
Était-il complexe de préserver son âme et son histoire tout en l’inscrivant dans les standards actuels de prestige ? Nouer une forme de conversation intemporelle entre les époques est ce qu’il y a de plus difficile pour un architecte. Il n’est pas question d’opposer le patrimoine au présent, mais de savoir chérir le passage du temps et apprécier un espace pour-tant en déliquescence. Et, par un regard complice sur l’histoire, d’amener l’œuvre à basculer dans le confort moderne. Pour cela, la recherche d’une compréhension et d’une connaissance profonde est indispensable. Mon rôle, lors de la transformation d’un bâtiment qui fait partie de la mémoire collective, est d’ancrer, avec cohérence, les fondements historiques dans une approche contemporaine. Dans le cas de l’Astoria, cela passait notamment par la préservation des façades et la reconstruction de l’immense verrière convexe et concave, perdue depuis 1947. Cette verrière constituait une part intégrante de l’âme du bâtiment. Il a fallu travailler à partir de photos en noir et blanc ainsi que de morceaux encore présents au premier étage. Ce dialogue entre les époques et avec les architectes qui nous ont précédés garantit de préserver le vrai, malgré la transformation, et donne l’illusion que les éléments les plus marquants sont immuables. À l’image de la Royale Belge, dont le grand escalier central, installé récemment, semble pourtant avoir toujours été là.
La Royale Belge, qui abrite désormais le Mix Brussels, vous a amené à remporter le prestigieux prix Europa Nostra pour la quatrième fois. Un projet entrepris en collaboration avec les architectes de Caruso St John, DDS+ et Bovenbouw. Comment s’est orchestrée cette réalisation majeure ? À merveille, malgré une superficie pourtant immense de 50.000 m² et une complexité à la mesure de son chantier. Il fallait conserver son esprit avant-gardiste unique tout en lui offrant une réhabilitation capable d’accueillir l’espace cosmopolite qu’il était destiné à devenir : à la fois hôtel, centre de bien-être et d’événements, où se côtoient aussi des restaurants et installations sportives. Une fois encore, tout est parti de l’étude du contexte et des origines, ce qui nous a amenés à travailler du macro vers le micro et de la structure extérieure jusqu’au cadre intérieur. Chacun d’entre nous a trouvé naturellement sa place dans le projet. C’est ce qui a permis de refaçonner ce lieu singulier, ne serait-ce que par sa structure cruciforme, tout en sauvegardant les fondements de son architecture fonctionnaliste.
Comment accorder une place à la créativité quand on œuvre à la conservation et à la modernisation architecturale ? Ne vous sentez-vous pas parfois limité dans vos choix ? Au contraire, cela demande bien plus d’innovation. En réalité, une feuille totalement blanche n’existe pas, puisqu’un terrain naturel préexiste toujours. Mais partir d’un espace déjà construit, c’est avoir un devoir d’écriture. À la manière d’un roman dont on vous livre les 200 premières pages et dont il faut écrire les 100 dernières en résonance. C’est un défi d’autant plus galvanisant.
La réhabilitation des bâtiments historiques prend actuellement une importance croissante dans l’architecture contemporaine. Pourquoi, selon vous ? Il y a bien sûr un lien avec les défis climatiques actuels, surtout sachant qu’en Belgique, plus de la moitié des déchets produits proviennent de la construction. Cependant, cela va bien au-delà. Pendant des centaines d’années, les métropoles se sont construites par additions et soustractions successives. Puis est arrivée l’architecture moderne, qui portait en elle une radicalité visant à remplacer une ville par une autre. Aujourd’hui, loin du tabula rasa, on comprend toute l’importance de s’inscrire avec bienveillance dans un rapport à ce qui préexiste.
2025 démarrera-t-elle pour vous sous les auspices d’une nouvelle rencontre entre les époques ? En effet, dès le printemps commencera la restauration des Serres de Laeken. Un projet conduit en duo avec François Chatillon, à qui l’on doit la réhabilitation du Grand Palais à Paris. Ce chantier d’une ampleur magistrale abrite un millier de plantes exotiques et donnera une nouvelle vie au domaine royal, en le faisant s’inscrire avec harmonie dans son époque.
Tjip INTERIOR Architects - Virtuoses de la subtilité
Tjip INTERIOR Architects
Virtuoses de la subtilité
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
D’Ostende à Zeebrugge en passant par Nieuport, le studio d’architecture d’intérieur fondé par Jakob Vyncke et Thomas Meesschaert s’ancre dans son lien à la mer comme dans sa vision d’un design de fusion où fluidité et harmonie coulent de source.
Tjip Interior Architects se distingue par un amour pour les projets sur la côte belge. Est-ce cela qui guide votre studio depuis son lancement en 2012 ? C’est certain. C’est un premier projet à Knokke, à nos débuts, qui a véritablement ouvert la voie à de nombreuses autres réalisations maritimes. Ce cadre nous a tout de suite plu. L’orientation vers le nord amène dans les résidences côtières une lumière unique, d’une douceur particulière, car très souvent indirecte. Les environs inspirent une palette riche et subtile de teintes et une alliance de belles textures, puisées dans le paysage, l’eau, le sable, et les dunes. En mêlant cet aspect de ville suburbaine à un travail des matériaux, nous créons un design en synergie avec l’environnement, se fondant littéralement en lui.
Conçoit-on un intérieur en bord de mer de la même manière que l’on le ferait d’une habitation citadine ? Non, du fait même de la raison d’être du lieu. L’approche sera forcément différente entre un espace où l’on vit au quotidien et une résidence de vacances. De cette seconde, l’on attend qu’elle conserve une chaleur et une sensation de climat ensoleillé, même en plein hiver. La Belgique n’étant pas Ibiza, nous travaillons avec des couleurs claires, calmes, naturelles, qui rappelleront l’harmonie extérieure. Créer le design de biens situés à Bruxelles, ou à Anvers représente d’autres challenges et d’autres impératifs, mais tout aussi passionnants.
Comment envisagez-vous la relation entre les matériaux et l’espace ? Nous ne partons pas d’une toile vierge. Celle-ci est toujours conditionnée par le contexte, qu’il s’agisse des plans de l’architecte qui a pensé les lieux, de son objectif, puisque nous concevons également des intérieurs de restaurants ou d’hôtels, et de la façon dont les propriétaires devront se déplacer dans l’espace. Puis, nous abordons le projet dans toute sa profondeur, dans ses moindres détails, agençant l’espace, définissant les matériaux, mais aussi les textures. Nous aimons travailler avec de multiples tissus, associés à du bois, en placage ou massif, et de la pierre, qui tous insuffleront une dose de chaleur, de quiétude et de douceur. Ces matériaux vivent, se patinent, évoluent avec le temps, au fur et à mesure de leur emploi.
Tjip affirme s’être perfectionné dans l’art d’être « présent par l’absence ». Pourquoi un tel désir ? Certains designers ne jurent que par des coloris très forts et des matériaux originaux, qui attirent l’attention. C’est aux antipodes de qui nous sommes. Notre but est, au contraire, de laisser place à ceux qui habitent le lieu d’être eux-mêmes. Nous recherchons une forme de fluidité et d’élégance qui ne s’obtient qu’en créant l’harmonie entre les dimensions, le plan d’étage, et les matériaux. Nous aimons, par exemple, employer des teintes peu contrastées, afin que nos clients puissent y ajouter leur propre couleur, leur univers. C’est cette vision d’une architecture d’intérieur à la fois intemporelle, durable et holistique que nous partagions profondément, qui nous a amené, Jakob et moi, à quitter la firme pour laquelle nous travaillions tous deux, afin de fonder notre propre studio. Cette forme d’absence, synonyme de finesse et de simplicité, est à la base de notre ADN.
Vous avez récemment signé l’architecture intérieure du SILT, abritant le nouveau casino de Middelkerke ainsi qu’un hôtel et un restaurant. Transposer cette sérénité minimaliste à un projet aussi important et hybride était-il compliqué ? C’était un projet incroyable et atypique, rien que par la forme elliptique du bâtiment. Notre design devait tenir compte de nombreux impératifs de sécurité et des réglementations, sans parler des délais extrêmement courts et du défi d’offrir à toutes les chambres une vue sur la mer amenant, lorsque la marée monte, à ce que les vagues semblent venir se briser juste sous nos pieds. Mais c’était une expérience fantastique et nous sommes très fiers du rendu époustouflant.
Neuf ou à rénover, spacieux ou au contraire intime, à quel type de lieu va votre préférence ? Nous avons œuvré dans des espaces de 20 mètres, comme de 3000 mètres carrés, dans le cas du SILT. Des habitations comme des lieux professionnels. C’est cette diversité qui est enrichissante. Imaginer l’intérieur du restaurant Haut de la Sky Tower d’Ostende, à environ 100 mètres au-dessus du niveau de la mer, avec une vue panoramique à 360 degrés sur celle-ci. Ou penser un penthouse en examinant comment la lumière y chemine de jour comme de nuit, afin d’y préserver à chaque instant un sentiment de quiétude. Ce qui compte au fond est de collaborer avec des clients qui croient en notre vision et soient sur la même longueur d’onde. C’est indispensable pour que surgisse pleinement la beauté.
www.tjip.be
Tijs Vervecken - Chercheur de lumière
Tijs Vervecken
Chercheur de lumière
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Tijs Vervecken
La poésie qui habite les images de Tijs Vervecken est celle d’un regard aux frontières de l’architecture et du songe, puisant dans les ombres une étincelle de grâce. Un lumineux rapport aux émotions imprègne ses photos de design d’intérieur d’une sensibilité palpable.
Certains disent avoir grandi avec un appareil entre les mains. D’autres attribuent aux hasards de la vie la découverte de leur vocation. Qu’est-ce qui, de votre côté, vous a amené à la photographie ? J’ai toujours été attiré par ce qui touchait au visuel et à l’art, et j’ai commencé assez tôt à chercher des moyens d’immortaliser ce qui m’entourait, mais je pense qu’en réalité, cette passion m’est surtout venue du skateboard. Adolescent, j’adorais en faire, jusqu’au jour où je me suis cassé le bras. J’ai pris peur et, plutôt que de remonter sur ma planche, j’ai commencé à filmer ou photographier d’autres skaters, parfois des inconnus dont j’aimais juste la technique. Je traînais dès lors souvent dans les vieux quartiers du centre de Bruxelles. Inconsciemment, cela m’a amené à percevoir la ville et ses bâtiments autrement. Après des études de cinéma qui ne m’ont pas convaincu, j’ai choisi d’apprendre la photographie. Et, une nouvelle fois, le skateboard a créé un lien. J’ai trouvé un emploi dans un magasin dédié, dont j’ai fini par immortaliser la collection de vêtements. Puis j’ai commencé à shooter des meubles pour une boutique de décoration. Les missions se sont ensuite enchaînées.
Au-delà du fait que ce soit aujourd’hui votre profession, que représente la photo pour vous ? Un besoin irrépressible de traduire par l’image l’essence d’un sentiment. Au début de ma carrière, je gardais mon appareil sur moi en permanence, capturant littéralement tout, même lorsqu’il s’agissait juste de boire un verre dans un bar. C’était une manière de découvrir ce que j’aimais autant que d’en apprendre plus sur moi-même. Désormais, mes clichés sont plus orientés vers l’architecture et le design, mais tout est à même d’attirer mon regard. Et lorsque l’inspiration vient, il me faut toujours absolument prendre une photo.
Comment justement saisir l’âme d’un lieu ? Je n’ai pas réellement de méthodologie. J’essaie de me laisser guider par la lumière, de m’imprégner de ce que je ressens à son contact, saisissant un maximum d’images à l’instinct. Mes clients me demandent souvent une estimation du nombre d’heures qui me seront nécessaires et je tente de leur répondre avec justesse, mais la vérité est que beaucoup d’éléments influent sur mon travail. Le fait d’avoir pris un ou deux cafés, mon humeur ce jour-là, ce que suscite le lieu en moi. De petits détails qui peuvent sembler dérisoires, mais qui comptent vraiment pour moi. Et puis ma sensibilité aussi. C’est peut-être pour cela que mes photos sont souvent perçues comme sombres ou mélancoliques. Voir la lumière disparaître me touche, et j’essaie donc de la préserver. C’est en quelque sorte une tentative pour mettre la vie en pause. Appuyer sur le bouton « stop » de l’existence et figer le présent afin de pouvoir, d’une certaine façon, le sauver et le revivre plus tard.
La lumière tout comme ses zones d’ombres sont, au fond, le sujet principal de chacune de vos photos ? Oui. Tout le monde cherche un équilibre, le mien se situe à la croisée de la clarté et des ombres. J’essaie de capturer ce moment de balance. Et pour cela, de ne pas trop penser, d’éviter la sur analyse, de ne pas rechercher l’image idéalisée. C’est sans doute ce qui permet à la photographie d’être pour moi un acte d’évasion, qui me permet en même temps de me reconnecter à moi-même.
Votre approche a-t-elle changé au fil du temps ? Absolument, oui. Au début de ma carrière, je souhaitais être photo-graphe de portraits. Je suis content de ne pas avoir suivi cette voie qui n’était pas pour moi. Ma vision des intérieurs s’est aussi progressivement modifiée. J’ai désormais une passion pour les meubles vintage, qui découle évidemment des endroits que j’ai l’occasion de découvrir et qui influence ce que je souhaite transmettre et la façon d’y parvenir. Ce sont les histoires et le caractère derrière les objets et les lieux qui m’intéressent. Et j’aime capturer des fragments plutôt que des vues d’ensemble, des morceaux qui interpellent. Quand je regarde une photo prise par un autre, j’aime me dire que j’aurais voulu être là.
S’il ne devait rester qu’un projet, dont vous soyez particulièrement fier ? J’ai récemment survolé Londres afin d’en prendre des clichés. J’ai apprécié l’expérience, d’autant plus que j’ai longtemps craint de voler. Mais quand je prends l’avion avec mon appareil photo, j’y puise du courage. La photo a, au fond, toujours été mon excuse pour dépasser mes blocages. Et je lui suis reconnaissant de m’emmener à tant d’endroits différents, chacun me permet de m’immerger dans mon propre monde.
Geraldine Dohogne - « Il y a un lien profond entre humain et design »
Geraldine Dohogne
« Il y a un lien profond entre humain et design »
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
« J’aime donner une âme à un lieu », affirme-t-elle avec passion. Et de fait, Geraldine Dohogne enracine sa vision de l’architecture d’intérieur dans le ressenti autant que dans l’esthétique, concevant avec superbe et à travers le monde des espaces où il fait bon vivre. Parmi ceux-ci, le Landal Hillview Resort Grandvoir, situé à Neufchâteau, un complexe hôtelier novateur, dont la beauté s’écrit en harmonie avec la nature. Et dans la pleine lignée du crédo de la gantoise : Beyond design.
Près de 5 ans se sont écoulés depuis le lancement de votre studio, Geraldine Dohogne Design. Que vous a apporté cette envolée en solo, après plus d’une décennie passée au sein du prestigieux groupe Zannier Hotels ? J’avais pu entamer un chemin incroyable au sein de Zannier Hotels et concevoir de nombreux projets internationaux. Mais désormais s’ouvrent à moi d’autres horizons et de nouveaux challenges. C’est une aventure extraordinaire que je ne regrette pas une seconde d’avoir entreprise. Depuis 2020 et la création du studio, j’ai eu la chance de signer deux très belles réussites, l’une résidentielle, avec une maison aménagée au cœur de Londres et l’autre dans le domaine hôtelier, grâce au Landal Hillview Resort Grandvoir.
Vous expliquez débuter chacun de vos projets par une page blanche, qui s’inscrit au sein d’une histoire plus vaste. Quelle était celle du Hillview ? Les Ardennes belges et la volonté d’un panorama dévoilant la nature environnante, dans toutes ses saisons. L’emploi aussi de matériaux de provenance locale ainsi que des teintes chaudes, comme du terracotta et des nuances de vert, se mêlant au gris et au noir de la pierre. Je voulais enrichir la vision de la région de ceux qui viendraient y loger tout en leur donnant envie de la découvrir. On peut ainsi louer des vélos sur place et il y a de nombreux points d’observation et d’apprentissage sur les oiseaux, les animaux, la végétation, afin d’ancrer cette exploration.
Les liens humains sont-ils aussi au coeur de ce récit ? Tout à fait. L’hôtellerie implique de fait une grande part de lien aux autres. Réaliser le plus beau des projets n’a pas de sens s’il ne parle à personne. Que l’on conçoive un lieu de passage ou de vie, on souhaite susciter le désir d’y rester. L’essence de tout cela, c’est l’humain. Et c’est aussi le cas pour les collaborations liées à ce métier. Le Hillview était l’occasion de retrouver Geert de Paepe, propriétaire des lieux ainsi que du 1898 The Post à Gand, dont je m’étais également occupée. Nous partageons la même vision et sa confiance m’a permis de laisser totalement libre cours à mon imagination pour créer l’architecture intérieure du resort. C’était très précieux.
Vous qui aimez gérer la conception d’un lieu de A à Z, était-ce réalisable pour un imposant complexe de 84 lodges et 16 chambres, s’étendant sur 43 hectares ? La taille importe peu au final et une habitation se révèle parfois plus complexe qu’un hôtel. Je tiens à gérer l’ensemble d’un projet, car c’est ce qui permet de créer une réelle immersion. Dans le cas du Hillview, cela passait aussi par une expérience pensée pour faire le bonheur de chacun et où savourer du temps de qualité ensemble, avec des aires de jeux et des activités sportives. La possibilité de s’y ressourcer, mais aussi d’y travailler. Pourquoi ne pas s’installer avec son ordinateur ou lire, dans les fauteuils à bascule de la terrasse de son lodge, tandis que les enfants jouent à proximité, ou que l’un des convives regarde la télévision dans sa chambre.
Mêler luxe et lodge était-il un vrai défi ? Je vois le luxe avant tout comme un sentiment, tout comme l’élégance est un savoir-vivre. Une atmosphère que l’on induit par la matière, les textures et les tonalités, ainsi que par le plaisir de circuler entre les différents espaces. Mon objectif était de créer un concept mélangeant l’insolite et le haut de gamme. Un endroit qui amènerait à ressentir pleinement où l’on se trouve. Voyager n’amène pas forcément à être inscrit dans sa destination. A Hillview, cet ancrage se retrouve partout. Dans les pierres issues d’une carrière à proximité et le bois des tables basses provenant d’arbres du site. Par les meubles conçus au sein d’entreprises de travail adapté de la région et les antiquités chinées partout en Belgique.
Du Népal au Mexique en passant par Bali, vous enchaînez les projets internationaux. Où vous emmènent-ils actuellement ? Dans les montagnes de la région d’Upper Mustang au Népal. Je m’y occupe depuis 2 ans de la restauration d’un palais du 17e siècle situé à 3000 mètres d’altitude et transformé en hôtel d’exception de 16 chambres. Un énorme défi, par sa localisation et son climat, qui amène à ne pouvoir y travailler que six mois par an. Mais pour son propriétaire, c’est le projet d’une vie, puisque les fonds en seront reversés à la communauté locale. L’humain, toujours.