Tanguy Dumortier - Grands espaces sur petit écran
Tanguy Dumortier
Grands espaces sur petit écran
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Globetrotter et reporter dans l’âme, Tanguy Dumortier a arpenté les quatre coins de la planète par soif d’émerveillement, et pour nourrir le Jardin Extraordinaire, émission phare de la RTBF qu’il a redynamisée il y a 10 ans. Comment perçoit-il le monde de demain ? Quel espace sommes-nous prêts à laisser à la nature sauvage ? Le quadra brabançon nous répond, sans langue de bois.
Gamin, qu’est-ce que la nature évoquait pour vous ? Mes parents n’avaient pas de jardin, en revanche, nous habitions à côté de la forêt de Soignes qui est rapidement devenu mon terrain de jeu et d’évasion. Quand je faisais l’école buissonnière, je courais en forêt. J’avais 10, 12 ans et je m’y rendais seul. Une chance, car j’ai pu découvrir par moi-même la nature, apprendre à ne pas me perdre, à ne pas avoir peur, à ne pas m’ennuyer seul. Je faisais régulièrement le même tour mais chaque jour m’apportait son lot de découvertes, des écureuils, des oiseaux, des chevreuils, des renards. Cela peut sembler paradoxal, mais si j’avais eu un petit jardin, j’aurais peut-être moins exploré la forêt…
Auriez-vous pu travailler toute une vie dans un bureau ou un studio TV ? Oh, non. Je l’ai pourtant fait quelques années (Tanguy a présenté le journal télévisé du soir, le 12 minutes, sur la Deux/RTBF, de 2005 à 2010 – nda) mais j’aspirais déjà à travailler en extérieur. C’est sur le terrain que je suis le plus heureux.
En 2014, il y a 10 ans exactement, la RTBF vous propose de succéder à Claudine Brasseur. Vous avez alors 34 ans. Vous acceptez pourtant ce poste qui à l’époque était sédentaire… Oui, mais il y a 10 ans, je tournais déjà des documentaires animaliers. Je n’ai pas envisagé un seul instant de devenir présentateur du Jardin Extraordinaire et de renoncer à ce qui m’anime toujours aujourd’hui : aller à la rencontre de la faune sauvage et la filmer. La télévision était en train de changer : la RTBF achetait beaucoup de contenu et en produisait peu ; moi, je leur ai proposé un catalogue de productions propres et des coproductions. Le terrain, c’était ma condition. La direction m’a donné son go.
Le Jardin Extraordinaire, la plus vieille émission de la RTBF (avec le JT) fêtera ses 60 ans en 2025. Ce programme n’a non seulement pas pris une ride mais a réussi également à évoluer, notamment grâce aux avancées technologiques. Exactement. Aujourd’hui, je peux partir seul, avec une petite caméra, achetée à moindre coût, plus légère, plus maniable, avec des drones également, ce qui apporte beaucoup de souplesse au tournage.
Seul au bout du monde, avez-vous parfois souffert de solitude ? Non, jamais. Mais partir avec une petite équipe, de deux, trois personnes, c’est nettement plus agréable, plus sécurisant et moins fatigant. Je suis parti seul, un mois en Antarctique. Je me suis levé tous les jours aux aurores, j’ai dormi après avoir fait le back up des images, j’ai cumulé plusieurs jobs dans la journée. Une expérience éreintante.
Quelle est la qualité principale d’un réalisateur de films animaliers ? Arriver à se plier au contexte. Le caméraman ne décide pas quand l’ani-mal va se présenter devant son objectif. On peut évidemment, à force de l’observer, espérer qu’il se présente à tel ou tel moment. Mais c’est l’animal qui décide. Le documentaire animalier, c’est une école de la patience et de l’humilité.
Comment se fait la sélection des destinations et de la faune à (dé)couvrir ? Les sujets ne manquent pas, mais il faut composer avec une réalité économique. Si le sujet a déjà été couvert par une grosse société de production de films animaliers qui peut se permettre de rester six mois sur place, je ne peux pas la concurrencer. L’accessibilité du lieu en fonction du budget qui m’est alloué entre également en jeu. Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut pouvoir raconter une histoire. J’ai fait un reportage en Equateur au pied de la cordillère des Andes au plus profond d’un canyon, à la rencontre de l’ours andin, l’ours à lunettes, le plus rare et le plus menacé de la planète. J’ai pu suivre Yoyo, un ourson d’un an et demi, grâce à Danilo, un fermier et grand protecteur de ces ours. Le déclic du voyage en Equateur, c’est Danilo. Il faut connaître quelqu’un sur place pour raconter une histoire qui mêle le plus souvent, la vie des hommes et des animaux.
Une bonne raison de partir voyager autour du globe ? L’excitation face à l’inconnu. L’émerveillement. Comprendre comment la vie s’est adaptée à certains milieux, me fascine littéralement.
Peut-on encore prendre l’avion ou le bateau pour voyager ? Voyager ouvre l’esprit et cette curiosité est saine mais le voyage lointain est presque toujours polluant. C’est une contradiction avec laquelle je vis, je ne me voile pas la face. Je me suis rendu jusqu’en Antarctique à la rencontre des baleines et des manchots, à bord d’un voilier dont l’impact carbone est dérisoire par rapport à un ferry. Voyager écoresponsable est possible. Mais comment supprimer tout impact du voyage sur l’environnement, à cette question, je n’ai malheureusement pas la réponse.
Qu’auriez-vous envie de dire aux politiciens en termes d’enjeux environnementaux ? On parle beaucoup de l’impact du changement climatique sur notre espèce. Et sur le monde animal sauvage. Quel espace l’homme est-il prêt à laisser à la nature sauvage, pour qu’elle puisse continuer à vivre, à se développer, à cohabiter avec nous sur terre ? En Tasmanie, par exemple, la moitié de l’île est constituée de parcs nationaux et de réserve naturelle. Chez nous, en Europe, ce n’est plus possible certes, mais comment va-t-on demain cohabiter avec la faune sauvage ? Les bonnes intentions ne suffiront plus. On va planter des haies pour la biodiversité ? En parcourant le monde, j’ai vu plus de haies détruites, que de haies plantées ! Est-on conscient du bien-être qu’apporte la cohabitation avec d’autres espèces ? Et que va-t-on faire pour la maintenir ? Toutes ces interrogations doivent également faire partie des enjeux environnementaux de demain.
Comment percevez-vous le monde de demain ? En tant qu’observateur de la faune, je ne peux malheureusement pas être très optimiste. Prenons les loups, chez nous. Leur présence entraîne des tensions avec les éleveurs notamment. L’être humain a oublié comment cohabiter avec le loup. Le rôle du Jardin Extraordinaire, c’est de transmettre la connaissance sur la nature et sur la faune sauvage, l’envie de la comprendre, de la respecter, de renouer avec elle. Et quand tel reportage incite à l’expérience personnelle de la nature, j’en retire, oui, une certaine fierté.
NOÉ PRESZOW « Je partage cette pensée du philosophe Benjamin Fondane : la poésie cherche des amis, non du public »
NOÉ PRESZOW
« Je partage cette pensée du philosophe Benjamin Fondane : la poésie cherche des amis, non du public »
Mots : Servane Calmant
Photos : Victor Pattyn
Après « À nous », soldé par une nomination aux Victoires de la Musique, le Bruxellois Noé Preszow, 29 ans, nous revient avec [prèchof ], treize titres de chanson française batailleuse à l’énergie sincère. Rencontre.
Votre premier album, « À nous » vous a amené loin en termes de recon- naissance, notamment aux Victoires de la Musique. Un deuxième album, est-ce plus facile ou au contraire, plus stressant, plus pressant, qu’un premier ? Chaque chanson, c’est une première fois. Depuis que j’ai 13 ans, je ressens cette même urgence d’écrire, de composer. Le plus compliqué reste d’agencer les titres car j’ai toujours trop de matière ! Alors, à la manière d’un cinéaste, j’écoute les rushes avant de procéder au montage. Choisir telle chanson plutôt qu’une autre, alterner les rythmes, rapides, lents, sélectionner un titre guitare voix, et donner un sens à cet assemblage. Ce bout à bout est une phase que j’apprécie particulièrement.
À quel rythme écrivez-vous ? Je ne termine pas une chanson chaque jour mais je suis traversé au quotidien par des idées qui, à terme, peuvent déboucher sur des textes. Tous les jours également, j’allume mon micro, je prends ma guitare, je fais des démos, une maquette en amène une autre… Si j’ai un bout de texte, je le mets immédiatement en musique, puis d’autres mots et d’autres rythmes se font échos, avec toujours pour objectif d’enregistrer rapidement une nouvelle chanson.
En studio, vous avez retrouvé Romain Descampe et Ziggy Franzen, de Puggy. On ne change pas une équipe qui gagne. Exactement. J’ai également travaillé avec Ambroise Willaume qu’on connaît également sous le nom de Sage, et qui a notamment écrit pour Clara Luciani. Nous avons composé ensemble plusieurs chansons de ce nouvel album. Ensuite, je suis « retourné à la maison », comme dit Romain Descampe, dans le studio de Puggy, pour profiter de leurs propositions harmoniques. Je leur ai demandé de jouer comme s’ils avaient toujours 17 ans dans leur chambre d’ado. Et j’ai ressenti de manière très intense leur créativité. Romain et Ziggy sont d’une rare générosité dans le travail.
Lors de notre première rencontre, vous aviez insisté sur l’importance pour vous de marier les mots et les sons et vous aviez fait la moue quand je vous cataloguais de chanteur à texte. Mais, Noé, si je vous qualifie de chanteur engagé, vous n’allez quand même pas me contredire ! (Rire). Je suis d’accord ! Bob Dylan, Léonard Cohen, Hubert-Félix Thiéfaine, Brigitte Fontaine, Patti Smith, tous les artistes que j’affectionne questionnent le monde comme je le fais. Par chance, la musique n’est pas un discours plombant, c’est de l’énergie, de l’émotion, de la matière, des prises de positions donc de risques. C’est aussi et surtout une intention.
Votre public connaît-il les paroles de vos chansons ? Oui, j’ai la chance d’avoir un public qui partage mes valeurs. Le poète Benjamin Fondane a écrit : « La poésie cherche des amis, non du public ». Ces amis-là viennent à mes concerts. C’est très émouvant. En live, quand je joue « Le monde à l’envers » qui dénonce les violences policières, le public partage ma rage contenue, je le sens, je sens leur « fièvre vissée au poing » et leur besoin de « gueuler debout pour qu’enfin se retourne ce monde à l’envers ».
En tant qu’artiste engagé, êtes-vous le sujet de critiques sur les réseaux ? Jusqu’à présent non, et je ne suis pas pressé que cela change ! A l’évidence, je n’inspire pas la haine. Sur mon nouvel album, le titre « Juste devant » condamne la montée de l’extrême droite sans ambiguïté aucune. Pour autant, je refuse de stigmatiser les gens qui votent extrême droite. Je préfère leur dire que j’ai entendu leur détresse mais que voter extrême droite n’est pas la solution. Je n’ai absolument pas peur de la confrontation.
Qui est la Charlotte à laquelle vous dédiez une chanson ? Je chante ce titre sur scène depuis la première tournée, avant même que sorte ce nouvel album. Très rapidement, le public s’est identi- fié au personnage de Charlotte. Est-ce pour autant une histoire d’amour ? Pas dans ma tête. Mais libre à chacun de percevoir cette chanson comme il l’entend. Pour ma part, Charlotte fait référence à tous ces gens qui partagent un moment de notre vie, durant l’ado- lescence notamment, et que l’on perd ensuite de vue.
Ce nouvel album porte votre nom, [prèchof ] en phonétique. Un nom de famille pour témoigner de vos origines diverses (moldave, grecque, polonaise) et vous affirmer ? Oui. Lors du premier album, j’étais un peu timide par rapport à mes origines. Je ne souhaitais pas forcément en parler. Aujourd’hui, je veux témoigner des traumas que le déracinement engendre et dénoncer la haine de l’autre, en toute lucidité, sans aspect moralisateur pour autant.
Que représente la musique pour vous ? J’ai besoin de musique pour continuer à avancer, à créer, à exprimer mes révoltes et mes espoirs. Pour rien lâcher. C’est vital.
En live, notamment : Cigale à Paris, Cirque Royal à Bruxelles, Francofolies de Spa, Les Solidarités à Namur.
LYLAC Des rêves d’ailleurs pour mieux s’ancrer dans le présent
LYLAC
Des rêves d’ailleurs pour mieux s’ancrer dans le présent
Mots : Servane Calmant
Photo : Lincoln Paradox Photography
Depuis une dizaine d’années, l’auteur-compositeur- interprète bruxellois, Amaury Massion, parcourt des contrées lointaines, sa guitare sur le dos, l’esprit ouvert aux rencontres. Sous la bannière Lylac, il chante ses rêves d’ailleurs sur « The Holy And The Free », un cinquième album de folk indie à la sensibilité désarmante. Rencontre avec un quadra attachant au parcours éclectique.
Comment êtes-vous tombé dans le chaudron de la musique ? Chorale dès 12 ans, puis le Conservatoire où j’ai suivi deux cursus différents, jazz et composition classique. Mais je suis un enfant du rock, j’ai eu deux groupes, My TV is Dead et Attica, avant d’entamer le projet solo de Lylac.
Lylac chante de la pop folk nomade. Le voyage forme l’artiste ? Et comment ! Le voyage s’oppose à l’ethnocentrisme. Il est source de découvertes, de rencontres, d’échanges, il enrichit l’homme et lui permet également, à terme, de mieux se connaître.
La guitare sur le dos, pour gagner le cœur des gens ? En quelque sorte. En 2012, je suis parti plusieurs mois en Asie du Sud-Est, Thaïlande, Cambodge, Laos, avec ma guitare sur le dos, en mode backpacker. J’ai assisté au fin fond du Cambodge, près du fleuve Mékong, à une course de pirogues pour la Fête de l’eau. J’ai été invité à me joindre aux villageois pour baptiser les bateaux. Ils ont allumé des feux. J’ai pris ma guitare et j’ai chanté des morceaux que je venais juste de composer. Cette rencontre fut pour moi un déclic. Une voix, une guitare, sans filtre, en toute sobriété, cela suffit pour communiquer et aller vers l’autre, même quand on ne parle pas la même langue. Et j’ai monté le projet Lylac.
Lylac ? Une référence à « Lilac Wine » de Nina Simone, the Queen (rire). Cette chanson évoque un amour doux et amer à la fois. Un peu comme ma musique qui s’apparente à une caresse, mais dont les textes ne sont jamais naïfs. J’aime cette contradiction.
«Outinthewild»et«TheSpiritsof the wild », deux titres de votre nouvel opus font référence à la vie sauvage. Que vous inspire-t-elle ? Le paradis est sur terre. Cela peut paraître cliché à dire, mais j’en suis convaincu. La Terre est un petit bijou que l’on malmène. Chacun de mes albums s’apparente à un carnet de voyage. Celui-ci exalte le retour et la reconnexion à la nature sauvage, à la terre des anciens. Il m’a été inspiré par un voyage dans la province cambodgienne du Mondolkiri au sud-est, à la rencontre des Buongs, une tribu animiste qui vit en symbiose avec la nature sauvage dont ils sont totalement tributaires. C’est une leçon de vie pour « Les Animaux dénaturés » (référence à un roman de Vercors – nda) que nous sommes devenus.
Vous êtes en quête de déconnection. Pour autant, vous vivez à Bruxelles… Je suis un homme de paradoxes. (Rire). J’habite en effet Ixelles, à deux pas du quartier Matongé, où j’ai mon propre studio d’enregistrement. C’est un quartier vivant, sa multiculturalité me stimule énormément. Mais j’ai également besoin de voyager pour nourrir mes compositions, pour me charger en énergie des lieux que je visite et des rencontres qui rythment mes périples. Par exemple, « Buffalo Spirit », mon troisième album, a été composé après un voyage exceptionnel dans l’Ouest américain. Cela dit, le voyage est avant tout un état d’esprit, la micro-aventure est parfois au coin de la rue.
Le titre « California Heaven » s’aventure dans les collines de Los Angeles, à la recherche du mythe ultime : l’âge d’or du Laurel Canyon qui a notamment vu défiler Neil Young, Jim Morrison, les Mamas And The Papas. Etes-vous passéiste ? Je n’espère pas forcément un retour à la vie d’avant. Mais j’aime analyser des éléments du passé pour mieux m’ancrer dans le présent.
Qui accompagne Lylac sur scène ? Merryl Havard, une violoncelliste virtu- ose, Jérôme Van den Bril à la guitare et Didier Van Uytvanck à la batterie. Sur mes précédents albums, j’ai invité Joachim Lacrosse, joueur de sitar indien, Carlo Strazzante, percussionniste, … J’ai joué avec plein d’artistes, au gré de mes envies. Et comme j’ai des goûts éclectiques, mon public s’avère relativement varié.
Eclectisme encore puisqu’après ce cinquième album, une tournée de concerts en 2024, vous remontez sur la scène de la Monnaie en 2025 pour le rôle-phare du dernier volet d’un pop-requiem … C’est le compositeur belge Jean-Luc Fafchamps qui est venu me chercher, après avoir vu un de mes concerts. Il a monté l’opéra « Is this The End ? », un projet ambitieux qui interroge les états de conscience entre la vie et la mort et qui prend la forme d’un triptyque. Sur la scène de la Monnaie : trois solistes, deux chanteuses lyriques et moi, un chanteur populaire. Les deux premiers volets ont été présentés respectivement en 2020 (en pleine pandémie, sous la forme d’un film vidéo – ndr) et 2022. Le dernier volet sera centré sur l’Homme, mon personnage, et présenté en 2025. Je chante avec un orchestre symphonique et un chœur de vingt personnes ! Une expérience extraordinaire.
En live : Fête de la Musique à Namur, Piano-bar à La Spirale à Natoye, Les Francofolies de Spa. La Monnaie pour un pop-requiem en 2025.
VALENTINE DE LE COURT “ Je suis composée d’écriture ”
VALENTINE DE LE COURT
“ Je suis composée d’écriture ”
VALENTINE DE LE COURT
“ Je suis composée d’écriture ”Mots : Barbara Wesoly
Photo : DR
C’est dans les allées d’un jardin à l’atmosphère ésotérique et ensorcelante que nous entraîne Valentine de le Court dans son 5e roman. Une exploration aux allures de quête initiatique, dont les créatures divines entre en résonnance avec notre humanité.
“ Au Jardin des Immortels ”, votre nouvel ouvrage, est imprégné par la mythologie antique. Vous semblez captivée par l’idée d’explorer les failles de ces êtres divins. Cet univers me fascine. Depuis l’enfance, je suis passionnée par les religions et la mythologie gréco-romaine. Ces dieux antiques sont mes amis depuis plus de 30 ans. J’ai beaucoup de tendresse pour eux. Nos croyances monothéistes actuelles célèbrent un créateur angélique et bienveillant, à l’opposé finalement de notre humanité. Les figures divines de la mythologie ont-elles autant, si pas plus, d’imperfections que les humains. Cet aspect m’amuse beaucoup.
Elles donnent aussi le sentiment qu’immortalité rime avec ennui et vacuité. De votre côté, cette éternité serait-elle un fantasme ? Je crois à la vie après la mort. Être voué à cette fin me pose donc moins de problèmes. D’autant que je pense que la perpétuité conduirait à un grand ennui. Plus que l’éternité, c’est le contrôle que nous voudrions conserver. Ce qui est difficile, ce n’est pas l’anéantissement, c’est la perte d’énergie, l’impuissance du corps qui s’enraye, nous qui évoluons dans une société d’extrême maîtrise. C’est plus l’interrogation qui m’anime. Dans mon premier roman, par exemple, je me demandais ce que l’on ressentirait si l’on pouvait assister à son propre enterrement. Dans “ Vacances obligatoires en famille ”, comment l’on réagirait à devoir retomber chaque année, le temps d’un voyage, sous l’autorité parentale. Avec ce nouveau récit, la question fondamentale est qu’est-ce qui se passerait si l’on ne mourait jamais? Alors que cette briéveté sur terre donne toute sa dimension à notre existence.
Quoique très différents dans leur cadre et leur contexte, vos récits sont toujours entourés d’un certain mystère. L’énigme vous électrise-t- elle? Je pense qu’on écrit avant tout les ouvrages qu’on rêverait de lire. J’aime les histoires que j’attends fiévreusement de retrouver le soir, que je dévore et ne veux plus quitter. Au-delà de son côté divertissant, un ouvrage doit laisser également une réflexion et des questions, en filigrane dans mon esprit. Je remarque d’ailleurs qu’inconsciemment, trois thèmes sont une constante dans mes romans. Les liens familiaux, qui m’ont toujours passionné. La maison, en tant que personnage central de mes récits, sûrement par son rôle de foyer des émotions et des gens. Et puis la mort, ou dans le cas de “ Au jardin des Immortels ”, son absence. Des sujets qui se retrouveront aussi dans le roman humoristique que je suis en train d’achever. Et qui possèdent leur part de mystère.
Avant la publication de votre premier roman “ Explosion de particules ” en 2014, vous avez été juriste durant 10 ans. Qu’est-ce qui vous a donné l’impulsion de vous changer de voie? Je suis composée d’écriture, c’est toute ma vie. J’ai toujours écrit. Petite, je composais des poèmes, puis plus tard des pièces de théâtre. Je griffonnais des mots d’amour pour les garçons de ma classe, afin qu’ils les offrent à leurs copines et en échange me fassent mes devoirs de latin. À 15 ans, je voulais être comédienne de théâtre et écrire mais mes parents pensaient que je mourrais de faim si j’empruntais cette voie. J’ai donc suivi celle du droit. Et puis, à la naissance de mon deuxième enfant, j’ai pris une année sabbatique pour m’occuper de mes deux touts petits qui n’étaient pas encore scolarisés. Je me suis dit que c’était le moment parfait pour écrire. Deux fois par semaine, je confiais mes enfants à mes deux tantes adorées et j’allais commander une crêpe dans un café tout en rédigeant mon roman. “ Explosion de particules ” a été publié dans la foulée de l’écriture et je ne suis plus jamais retournée au barreau.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui ? La fierté de pouvoir dire à l’adolescente que j’étais que j’ai accompli ses rêves. Que j’ai suivi sa voie. J’ai d’ailleurs repris le théâtre et je serai sur les planches en avril et en juin. J’ai également écrit une pièce de théâtre avec trois autres femmes, que nous jouerons au théâtre Mercelis en novembre. Et puis une véritable quête de sens, des deuils et de la peine comme des joies. Je crois très fort à l’histoire du colibri minuscule qui de son bec jette quelques gouttes d’eau pour tenter d’éteindre l’incendie de la forêt. Je m’efforce, à mon niveau, de contribuer au monde. En étant en paix avec les autres, en élevant des enfants dans une vraie humanité, en partageant la bonté et la culture et en propageant la philanthropie, en allant dans les écoles pour communiquer ma passion de la lecture et de l’écriture. Eveiller, protéger, trans- mettre. C’est ce qui fait sens.
Au jardin des Immortels, de Valentine de le Court, Editions Mols.
PUGGY « Nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis... »
PUGGY
« Nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis... »
Mots : Servane Calmant
Photos : Victor Pattyn
Pour écouter Radio Kitchen, leur nouvel EP, il nous aura fallu patienter sept ans. Matthew Irons, Romain Descampe et Egil ‘Ziggy’ Franzen n’ont pas chômé pour autant. Au menu de cette rencontre : leur nouvel opus évidemment, mais aussi leur studio d’enregistrement, lieu d’échanges avec d’autres artistes, et la confirmation de nombreux concerts et festivals où les voir cet été …
Sept ans entre deux albums. Elle fut longue l’attente. Pourtant, vous n’avez pas cessé de turbiner… Matthew. Exactement. Le nom de Puggy était moins présent dans les médias, mais nous n’avons jamais arrêté de composer pour le groupe. Parallèlement, nous avons saisi d’autres opportunités artistiques : nous avons composé quatre musiques de films (notamment Bigfoot Family du Liégeois Ben Stassen – nda), moi j’ai participé à une émission de télé (coach à The Voice Belgique et The Voice Kids – nda), Romain et Ziggy se sont occupés de la production d’artistes belges, nous avons également coécrit pour d’autres et nous avons acquis et investi, à nous trois, notre propre studio et créé notre propre maison de disque…
Je lance un pavé dans la mare : Puggy, sous la forme du trio, aurait-il pu ne jamais revenir au devant de la scène ? Romain. Oh non. Nous nous voyons tous les jours, dans notre nouveau studio. Nous avons diversifié nos activités certes, mais le besoin de remonter sur scène s’est fait ressentir petit à petit … D’où ce nouveau EP et ce retour en force.
Pensez-vous parfois que c’était mieux avant ? Romain. Jamais. (rire) Sincèrement, nous préférons aller de l’avant. Nous sommes des curieux, tou- jours tentés par de nouvelles expériences. Sur ce Radio Kitchen, nous avons poussé le curseur plus loin, bien au-delà de nos acquis, en exploitant la liberté créative que nous offre ce nouveau studio d’enregistrement.
Radio Kitchen, c’est le nom de votre EP, de votre label et de ce studio d’enregistrement dont la cuisine, une véritable cuisine avec casseroles, machine à laver et frigo, est devenu le centre
névralgique. Cet endroit, vous l’avez pensé comme un lieu de vie ? Ziggy. Pas forcément. Au début, nous cherchions un endroit où répéter et poser tout le matériel du live. Mais petit à petit, la cuisine qui servait tout naturellement d’endroit où luncher entre nous, a pris une autre dimension. C’est devenu un terrain de jeu créatif où entre le frigo et la machine à café, nous créons de nouveaux morceaux et enregistrons de manière décomplexée, indépendante et forcément spontanée.
Ce studio, c’est un labo inclusif…
Romain. Oui et non. Ce n’est pas un studio d’enregistrement classique disponible à la location, nous ne sommes pas des ingénieurs du son. Je préfère le définir comme un laboratoire qui accueille également des collaborations entre Puggy et d’autres artistes.
Les Puggy plus indépendants que jamais ? Romain. Oui, en créant notre propre label, nous nous sommes offert beaucoup de liberté. Mais cela exige de savoir prendre du recul, pour ne pas nous précipiter et sortir n’importe quel morceau dans le feu de la spontanéité. Par chance, nous sommes bien entourés !
Parlons de vos collaborations. Vous avez travaillé avec Angèle, Noé Preszow, Charles, Alice on the Roof, Yseult. Que vous a-t-elle apporté cette nouvelle génération d’artistes ? Matthew. Ils nous ont apporté leur connaissance des nouvelles technologies, des nouveaux modes de communication. Une connaissance intuitive, naturelle, puisqu’ils ont grandi avec internet et les réseaux sociaux. Cette génération « Do It Yourself » a beaucoup à nous apprendre car le métier d’artiste implique désormais d’utiliser de la technologie, d’intégrer les nouveaux codes de la diffusion musicale, de se diversifier. Chez les plus jeunes, cette orientation est quasi innée…
Quand Puggy n’écoute pas Puggy, qu’écoute chaque membre du groupe ? Matthew. Mais Puggy n’écoute jamais Puggy. (Rire). La scène musicale belge est très active et très éclectique. Nous aimons beaucoup Stromae, Angèle, Noé Preszow, Illiona, Charles, Rori… Ils sont tous incroyables.
On l’a dit, entre ce nouvel EP et les précédents albums de Puggy, de l’eau a coulé sous les ponts. Pourtant, la fraîcheur de votre pop est restée intacte. Comment conserve-t-on cet éclat, tout en prenant de la bouteille ? Matthew. Tout musicien reste en contact avec sa part d’enfance. Ensuite, la curiosité, l’en- vie d’apprendre, l’ouverture aux autres et au monde influencent forcément la capacité d’observation et de créativité du groupe et nous stimulent à aller de l’avant.
Je devine que vous avez hâte de remonter sur scène … Romain. Oui, c’est la principale raison de ce EP : retrouver le public pour revivre des moments de partage avec, notamment, ces nouveaux titres. Le studio est plus studieux ; la scène, en revanche, c’est la folie, le lâcher-prise, la liberté, les rencontres, les voyages. Oui, le live nous a manqué.
A voir : Forest National, Dour Festival, Francofolies de Spa, Les Solidarités à Namur, AB Bruxelles …
NICOLAS LACROIX Humoriste humaniste 2.0
NICOLAS LACROIX
Humoriste humaniste 2.0
Mots : Olivia Roks
Photos : Thomas Leonard, Romain Garcin
Alors qu’on déprimait durant la pandémie, Nicolas Lacroix, alias Nico en vrai, ne cessait de nous divertir et de nous faire rire via ses réseaux sociaux qui comptent désormais des millions d’abonnés. Ce jeune Namurois a concrétisé son rêve : faire rire et en vivre. Actuellement, il sillonne le Belgique et la France pour son spectacle « Nicolas trop gentil ». Une merveilleuse success-story.
Nico en vrai nous fait rire sans répit, mais du haut de vos 27 ans, qui est Nicolas Lacroix ? C’est quelqu’un qui a toujours aimé faire rire les gens. Je puise mon énergie là-dedans. J’adore aussi rendre service. J’aime rendre la personne heureuse et si elle est heureuse, je le suis également. Si il y existait un génie, je ferais le vœu de ne jamais être fatigué de tout cela et faire plaisir à tout le monde. Je me rends compte que faire rire est une arme, c’est d’ailleurs la seule que j’aie. Avant l’humour, j’ai fait des études d’infographie mais en parallèle je faisais partie de la ligue d’impro, j’ai également fait un petit conservatoire dans la région de Ciney, des stages… Le graphisme m’a amené à travailler avec les frères Taloche durant près de cinq ans. J’ai effectué à leurs côtés d’autres missions comme de la production, de la promotion, etc. J’ai commencé un peu à toucher à tout… Je connais donc la scène mais tout aussi bien l’envers du décor.
L’humour, j’ai entendu dire que vous l’aviez déjà très jeune… Saviez-vous déjà ce que vous vouliez faire plus tard ? Oui, vers 6 ans, je savais déjà que je voulais faire cela de ma vie. Tout a commencé en classe, les vendredis après-midi je pouvais faire des sketchs au tableau devant la classe. Des sketchs de François Pirette. Pourtant, j’étais un enfant timide et je le suis encore. Et quand il y avait une mauvaise ambiance, je cherchais à faire rire pour désamorcer cette négativité, très souvent j’y arrivais. C’est important pour moi que tout le monde se sente bien.
Tout a commencé pendant la pandémie Covid et le confinement… J’avais envie de faire de la scène mais je trouvais ça délicat de me lancer sur un coup de tête. Le confinement était là et je me suis dit que c’était l’occasion d’essayer de faire rire à distance. J’ai posté une vidéo sur TikTok car peu de monde utilisait ce réseau, surtout dans mes connaissances. Personne ne me connaissait et ça m’arrangeait. Si ça fonctionnait tant mieux, si pas, tant pis personne ne le saurait. Cette vidéo a fait 60000 vues. Une vidéo basique avec un filtre d’enfant où je faisais Claude François dans le « Téléphone pleure ». Et de fil en aiguille ma communauté s’est agrandie et les capsules ont eu de plus en plus de succès.
Et aujourd’hui, après avoir enflammé les réseaux sociaux, vous nous livrez un premier one-man show « Nicolas trop gentil », à quoi peut-on s’attendre ? Si vous êtes trop gentil, vous allez vous reconnaître ! Autant faire une thérapie tous ensemble (rires). Je parle de ce qu’il m’arrive dans la vie de tous les jours, des situations farfelues dans lesquelles je me trouve car je ne sais pas dire non. J’aime aussi parler de la jeunesse d’aujourd’hui et des générations passées. J’assume mon côté un peu vieux jeu façon « c’était mieux avant ». Un jeune homme finalement un peu nostalgique dans un monde trop rapide. C’est un spectacle d’1h30 où je suis en stand-up mais j’incarne également parfois des personnages. Je parcours la Belgique et la France dans les deux années à venir. Et cet été, je serai au Festival d’Avignon !
Vous êtes vraiment trop gentil ?
Il paraît. C’est Guillaume (ndlr : GuiHome vous détend, autre jeune humoriste belge) avec qui j’ai écrit le spectacle qui me disait que ma vie était un vaudeville, que j’étais trop gentil… Le titre du spectacle se trouvait sous nos yeux. Guillaume est devenu un véritable ami, il est le producteur de mon spectacle, on a tout mis en place ensemble.
Comment décririez-vous votre style d’humour, vos sketchs ? Je dirais que c’est un peu potache mais bien vendu ! Un peu old school me dit-on parfois. L’air de rien j’en dis beaucoup sur le monde actuel, sur la nouvelle génération. Je souhaite sortir les gens de leur quotidien, c’est si difficile aujourd’hui ! Avec ce spectacle, je remarque que j’attire d’ailleurs aussi bien les jeunes que les plus âgés, c’est chouette !
Un humoriste que vous aimez particulièrement ? Virginie Hocq ! Je suis tombé amoureux artistiquement. Cela fait douze ans que je la suis un peu partout. Je l’adore, elle a un pouvoir comique énorme, c’est une bulle de fraîcheur, un vrai talent. Ses personnages, les situations dans lesquelles elle les met, tout me plaît !
Une question que l’on doit vous poser souvent : peut-on rire de tout ? Je dirais non, mais c’est dommage, j’aimerais bien. Je pense qu’on ne peut pas rire de tout sur les réseaux sociaux par contre bien sur scène. Sur scène, on vient pour moi, le spectateur se déplace, on connaît mon humour, mon univers. Or, sur les réseaux, souvent on n’a pas choisi de voir ma tête. C’est pour ça que parfois, dans mes vidéos, je ne parle pas, je fais mon sketch avec des gestes ou un montage vidéo.
Comment voyez-vous l’avenir ? Des nouveautés, des rêves ? Mon rêve, il est là, il est en train de se produire. J’ai adoré participer à deux courts-métrages, donc un jour, pourquoi ne pas faire du cinéma, mais ce n’est pas ma priorité. Mais quitte à choisir, pour- quoi pas un film de Philippe Lacheau, j’adore !
JÉRÉMIE CLAES D’ombre et d’humanité
JÉRÉMIE CLAES
D’ombre et d’humanité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Philippe Matsas
Enchevêtrant les époques, croisant les lieux et les identités, L’Horloger s’affirme comme un thriller étourdissant et singulier mais aussi telle une fresque nous plongeant dans les rouages du fanatisme. Un premier roman signé avec un talent et une précision d’orfèvre par Jérémie Claes.
Ce livre, votre premier, mûrissait-il depuis longtemps ? J’y cogitais depuis vingt ans. Les thématiques du nazisme et de l’extrémisme m’ont toujours touché et passionné. Au lycée, nous avions eu la chance de recevoir la visite d’anciens déportés. Leur témoignage m’avait profondément marqué. Mais c’est la campagne ayant précédé l’élection de Donald Trump en 2015, qui en aura véritablement été le déclencheur. J’y ai perçu un réel point de bascule de nos démocraties occidentales. Une montée en puissance de la haine et des théories conspirationnistes, qui depuis, ont infusé toutes les couches de la société, y compris en Europe exacerbant les préjugés, la peur et l’aveuglement. Dans des périodes de trouble comme celle que nous vivons aujourd’hui, l’on assiste toujours au même phénomène, où l’émotion irrationnelle prend le pas sur la tolérance.
D’où l’importance, pour moi, chacun à notre modeste mesure, d’apporter notre pièce à l’édifice du souvenir comme à l’éveil des consciences. C’était mon objectif avec L’Horloger.
Votre récit parcourt les chemins de Provence comme les paysages américains, passe par Bruxelles et même la Patagonie. Ces lieux racontaient-ils une part de votre histoire ? C’est ce qui est drôle. On parle d’un thriller international, qui se déroule sur plusieurs continents et qui pourtant contient une grande part d’intime. A deux points de vue particulièrement. Le premier, c’est un petit village de Provence, appelé Gourdon. Celui où ma grand-mère est née et où j’ai passé toutes mes vacances étant enfant et adolescent. J’ai des liens très fort avec ce lieu. Des racines même. J’y suis d’ailleurs retourné pendant l’écriture du livre, en me disant que j’espérais modestement que les habitants le verraient comme une sorte de cadeau. Une déclaration d’amour à ses paysages. Le deuxième, ce sont les personnages. Par des aspects différents, je me retrouve en chacun d’entre eux. En Jacob Dreyfus, dont j’ai mis longtemps à admettre partager une part de l’obscurité, du côté torturé. Mais également en Bernard Solane, épicurien, bon vivant, féru de vin aussi, un rappel de mon ancien métier de caviste, pratiqué durant plus de 15 ans. C’est d’ailleurs grâce à cet emploi que j’ai découvert la Bodega Chacra à Neuquen, en Patagonie, que j’évoque dans le roman. Un lieu incroyable, possédant une vibration tellurique et dès lors parfait pour développer l’aspect plus mystique de cet ouvrage. J’aime explorer le côté immersif de l’écriture, l’imprégner d’odeurs, d’atmosphères palpables, habiter le récit de sensations.
Si Jacob Dreyfus en est le héros, c’est la force de vie et de mort qui en est sont au final les principaux protagonistes. Quel est votre rapport à celles- ci ? Nous évoquions Trump, mais il y a aussi le contexte climatique, l’avenir de l’humanité dans sa globalité. Je ne le réalisais pas encore en écrivant ce livre, mais je suis désormais convaincu, plus que jamais, qu’à la noirceur il faut opposer une dose de lumière. Une forme d’émergence d’espoir. C’est le rôle que j’espère jouer aujourd’hui.
Profond, haletant, bouleversant, L’Horloger est aussi dur et même douloureux, brutal. Après un tel plongeon, avez-vous le sentiment d’en être ressorti le même ? Stephen King recommande d’écrire sur ce que l’on connaît viscéralement. Et je pense que c’est le meilleur conseil que l’on puisse donner. Cet ouvrage n’était pas une forme de thérapie, mais certains éléments s’y sont inscrits naturellement. Des échos à ce que j’ai pu vivre. Je n’en suis donc pas sorti et je pense que je n’en sortirai sans doute jamais vraiment.
Ce travail d’écriture vous a-t-il plu au point de réitérer l’expérience? J’ai adoré cela. Cela a été un plaisir et au-delà, une forme d’évidence. Depuis l’âge de 12 ans, je rêvais d’être écrivain. Pour la première fois de mon existence, devant mon écran, je me sentais vraiment à ma place. Il n’y a pas de retour en arrière possible. D’ailleurs mon second roman est en voie de finition, en tout cas le premier jet de celui-ci. Il sera un peu plus local et son histoire totalement indépendante de celle de L’Horloger, même s’il marquera le retour de l’un ou l’autre des personnages. J’espère pouvoir le publier au printemps 2025.
L’Horloger de Jérémie Claes
Editions Héloïse d’Ormesson.
VICTOIRE DE CHANGY Face à l’immensité
VICTOIRE DE CHANGY
Face à l’immensité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Morgane Delfosse
Au gré des pages, elle effleure mais aussi ébranle les instants de vie et les individus. Et touche du doigt leur essence la plus volatile comme la plus concrète. Avec Immensità, Victoire de Changy évoque la reconstruction d’une terre imaginaire, dévastée par un séisme, avec une écriture à la poésie toujours sensorielle. Et nous laisse à bout de souffle.
Qu’est-ce qui vous a mené à Immensità, cette cité utopique où la nature tient un rôle prégnant ? Comme à chaque fois que j’écris un texte de fiction, le propos m’échappe rapidement. Je n’ai pas de plan, je me laisse guider par un point de départ, un titre ou une scène. Pour l’île longue, c’était la vision d’une jeune fille lançant rageusement un répondeur sur le mur, qui contient un message de sa mère défunte, qui se fracasse sur le mur en perdant cette trace à jamais. Pour Immensità, je me suis réveillée un matin avec l’envie d’imaginer les sensations qui s’imposent à nous lorsqu’on se retrouve coincé sous les gravats. Je ne sais pas exactement d’où m’est venue cette idée. En réfléchissant bien après à la genèse de ce projet, je me suis rappelé un voyage au Japon, il y a quelques années. J’y avais lu un article racontant l’exode d’habitants, déplacés en masse suite à une catastrophe et relogés dans des préfabriqués. Inconsciemment, les idées et les influences suivent leur chemin dans mon esprit. Quant à cette évocation de la nature, elle est, je pense, reliée à mes appétences actuelles, et précisément au moment de l’écriture du texte. J’ai énormément lu et écouté le paysagiste et botaniste Gilles Clément, ainsi que l’incroyable poète et jardinier Marco Martella, beaucoup lu sur le jardin. L’architecture est un sujet qui me passionne particulièrement en ce moment ; elle est devenue partie intégrante de la construction d’Immensità.
Le jardin revêt d’ailleurs une dimension très philosophique dans ce récit. Oui, aussi bien du vivant des habitants que dans leur mort. Cela lui donne une symbolique à part et un double visage. C’est le principe même de l’utopie et de la dystopie ouvrant sur un univers fantasmé. Et puis, prendre tous ensemble soin d’un territoire commun fait sens. J’ai commencé ce roman il y a trois ans et si les questions environnementales étaient évidemment très présentes à l’époque, j’ai l’impression que nous conscientisons aujourd’hui un effondrement global, mondial, qui amène cette histoire à résonner autrement.
Par certains aspects, vous retrouvez-vous en Mauve, héroïne de cet ouvrage ? Je ne me suis pas identifiée à elle, non. En revanche, la dimension sensorielle du texte m’a, en quelque sorte, obligée à me mettre dans sa peau. Je me suis donc vrai- ment imprégnée de ces évènements, de cet ébranlement. Avec le temps, j’ai compris que je suis moins une cérébrale qu’une passeuse de sensations, dans tout ce qui compose mes personnages et ce qu’ils vivent, mais aussi à travers les éléments du récit, ce qui le touche, le frôle. C’est intimement lié à la personne que je suis, pour qui les sens sont fondamentaux. Par la vue en particulier, avec le besoin obsessionnel de regarder, d’admirer, de collectionner les images. Mais aussi les parfums, les sons, le toucher ; j’ai une obsession des mains, parce que c’est avec elles qu’on appréhende le monde en tout premier.
Vous citez, en début de livre, la chanson Immensità d’Andrea Laszlo De Simone. A-t-elle été source d’inspiration du roman ? Cette chanson m’a bouleversée dès la première écoute, et je l’écoutais en boucle au moment de l’écriture du texte. Son refrain dit “dès demain, commencera une nouvelle immensité”. J’ai trouvé ça porteur, prometteur. Immensité, à lui tout seul, est un mot puissant. En italien, Immensità sonne comme un mantra.
L’autrice d’Immensità est-elle toujours la même que celle d’Une dose de douleur nécessaire ? Fondamentalement la même, en beaucoup plus sereine et assurée. Je ne demande aujourd’hui qu’à pouvoir continuer à faire ce que je préfère, écrire.
Vous penchez-vous déjà sur de nouveaux projets ? Oui, plusieurs. Notamment un ouvrage pour adultes, qui sortira du cadre de la fiction, à la manière de Subvenir aux miracles, le livre que j’ai préféré écrire, une déambulation entre expériences et connaissances. Il sera cette fois question du corps, un sujet devenu très prégnant en moi aujourd’hui. Je prépare également un second recueil de poèmes. Et plusieurs projets jeunesse : un de mes créneaux préférés, pour sa grande liberté, notamment parce que la vraisemblance n’y est jamais questionnée.
Immensità de Victoire de Changy
Éditions Cambourakis
BARBARA ABEL « Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »
BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »
BARBARA ABEL
« Comment aurais-je réagi à la place du personnage ? »Mots : Servane Calmant
Photo : Melania Avanzato
La reine du polar belge excelle dans l’art de mettre en scène des gens ordinaires dont le destin bascule. « Comme si de rien n’était », son nouveau roman, le 15e, interroge une famille sans histoire, contrainte d’affronter les conséquences d’un mensonge. À la lecture de ce seul pitch, on sent poindre le drame domestique. Il sera implacable, funeste, pur et dur, comme toujours chez Barbara Abel qui s’amuse à entortiller le lecteur …
Choisir des héros ordinaires permet aux lecteurs de s’identifier facilement aux personnages … Est-ce là une des clés de votre succès ? Effectivement. Lors des séances de dédicaces de mes romans, les lecteurs m’avouent être affectés émotionnellement par mes personnages, parce qu’ils ont le sentiment de les connaître, de les comprendre. Et souvent, ils s’interrogent : « comment aurais-je réagi à la place de tel ou tel protagoniste ? » Quand j’écris, c’est la question que je me pose également.
Comment un homme sans histoire peut- il se transformer en bête sanguinaire ? Cette question, vous la posez régulièrement aux lecteurs. Mais vous, Barbara, avez-vous trouvé la réponse ? Non. (rire). Je reste fascinée par les faits divers qui se passent près de chez nous. A quel moment un être humain, mon voisin, ce monsieur, cette madame Tout-le-monde que je croise chaque matin, que je salue, bascule-t-il/elle dans l’horreur ? J’aime travailler des personnages complexes, qui cachent des secrets enfouis et renferment une part d’ombre.
Votre source d’inspiration, ce sont donc les faits divers ? Non. Seul mon roman « Et les vivants autour » est inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis. Quand je me mets en quête d’une idée de livre, je lis effectivement des faits divers mais le plus souvent, ils s’avèrent d’une affligeante banalité. Et je dois bien admettre qu’il n’ y a pas là matière à roman. Pour rédiger une fiction palpitante, il faut pousser le curseur plus loin : croiser des gens ordinaires certes, mais avec des événements tragiques et néanmoins connectés à la réalité.
L’homme est-il un loup pour l’homme, par nature ? Je mets en scène les failles de l’être humain et je n’écris pas du « feel good », voilà deux certitudes. Pour autant, je dois vous avouer que j’ai rarement rencontré des gens méchants, vraiment méchants. En revanche, j’ai croisé des cons. La bêtise est peut-être pire que la méchanceté !
Dans « Comme si de rien n’était », il est question de mensonge, de manipu- lation, de femme sous influence… Si Barbara Abel n’avait pas été romancière, aurait-elle pu devenir psychologue ? La psychologie est une discipline qui me plaît beaucoup et, par chance, j’ai moi-même trouvé un bon équilibre psychologique qui me permet d’être solide par rapport aux épreuves de la vie. Mais aurais-je pu en faire un métier ? Sincèrement, je ne sais pas.
Votre personnage apprend sur le tard qu’il est père. Mais… La solitude affec- tive est également au cœur de votre nouveau roman. Cette solitude, elle va en effet dévorer le protagoniste de chapitre en chapitre, jusqu’à le pousser à revendiquer sa place, à s’imposer aux côtés d’un enfant qui a déjà une famille. La solitude est une maladie sociale. Dans nos sociétés hyper connectées, on se rapproche de ceux qui sont loin et on s’éloigne de ceux qui nous sont proches.
Votre premier livre s’intitulait « L’instinct maternel ». Cette fois, il est question d’instinct paternel … À la lecture des 150 premières pages, mon éditrice me dit en riant : on va appeler ton nouveau roman « L’instinct paternel ». J’avais envie d’abandonner la maternité, qui est un thème récurrent chez moi, pour montrer le parcours semé d’embûches d’un homme qui entreprend la reconnaissance d’un enfant qui a déjà une filiation établie…
Vous excellez une fois de plus dans le jeu des fausses pistes, des cartes brouillées, des rebondissements avec, en bonus, un prologue et un épilogue en forme de pirouettes narratives. Comment met-on au point pareil mécanisme ? Si seulement je connaissais la recette (rire). Dans ce nouveau roman par exemple, prologue et épilogue sont arrivés en fin de récit. Chaque histoire, c’est une nouvelle aven- ture où il faut travailler l’intensité, trouver la pirouette finale, boucler la boucle.
Un 15e roman se rédige-t-il plus facile- ment qu’un premier ? Au contraire, c’est de plus en plus difficile ! À chaque roman, je me dois d’être originale, de surprendre le lecteur avec des trouvailles narratives et scénaristiques. Chaque roman est un nouveau défi.
Vous êtes romancière et scénariste. Laura Sepul (en cover du Be Perfect) a notamment joué dans Attraction, mini-série télévisée belge que vous avez scénarisée avec Sophia Perlé. Roman vs scénario : le travail d’écriture est-il différent ? Radicalement même. L’écrire scénaristique est factuelle, elle décrit l’action, les personnages, le décor ; l’écriture romanesque implique de communiquer des émotions aux lecteurs. Ecrire un roman est également un travail solitaire, alors que la série « Attraction » a été nourrie de nombreux échanges et brainstormings entre moi et la scénariste Sophia Perié.
Plusieurs de vos romans ont été adaptés à la TV ou au cinéma. C’est le cas de « Derrière la haine », adapté par le Belge Olivier Masset-Depasse (Duelles) qui s’offre également une version holly- woodienne, « Mothers’ Instinct ». Y a-t-il une date à annoncer ? Des personnages qui sortent de ma tête vont être interprétés par Jessica Chastain et Anne Hathaway, c’est formidable ! J’ai vu « Mothers’ Intinct » il y a un an et depuis j’attends, comme vous, sa date de sortie en Belgique, annoncée pour 2024.
Comme si de rien n’était de Barbara Abel, Editions Récamier à paraître le 11 avril.
Sophie Wouters - Vibre à l’instinct
Sophie Wouters
Vibre à l’instinct
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Johanna de Tessières
Après Célestine, un premier ouvrage bouleversant sur fond de dramatique affaire judiciaire, Sophie Wouters dresse le portrait croisé de deux familles antinomiques mais au destin partagé, de même que celui de toute une époque.
Pendant plus de vingt ans, vous avez raconté l’humain via l’art et la peinture. Ce travail d’écriture, entrepris avec Célestine en est-il le prolongement ? Ou un nouveau chapitre ? Mes peintures et collages ont en effet longtemps abordé l’individu et l’intemporalité des sentiments. Je m’y livrais également beaucoup. Mais juste avant de débuter l’écriture, je suis passée durant une année, par une phase d’abstraction. Je pense que j’avais besoin de me libérer de ces influences pour entamer un vrai recommencement. J’avais été au bout d’un processus et je ressentais le désir de m’exprimer autrement. La toile laisse une vaste place à l’interprétation, là où l’écriture est intrépide, audacieuse tant elle nous révèle. Même si un jour, un scénariste m’a affirmé que chacun de mes tableaux pourrait être une couverture de roman. Et aujourd’hui sa réflexion prend tout son sens.
Après avoir établi votre premier ouvrage dans un village de la France profonde, Esprits de Famille raconte l’arrivée dans la grisaille belge d’une famille exilée de Sicile et le réapprentissage du quotidien. Entretenez-vous un lien affectif avec l’île méditérannéenne ? Je n’ai en réalité jamais été en Sicile, mais elle m’est venue naturellement. Viscéralement. L’écriture passe pour moi par un processus très mystérieux. Des idées de romans, j’en ai eu des dizaines. Quand certains comptent les moutons pour s’endormir, je commence des histoires, tout en sachant que je ne passerai pas à l’acte et que je ne les écrirai sans doute jamais. Et puis il y a celles qui s’imposent à moi et que je ne m’explique pas. Un matin, je me suis assise devant mon ordinateur et j’ai formé sur mon clavier les mots “Antonia est morte! Antonia est morte!”, les premières phrases de ce qui est devenu Esprits de famille. Et rapidement tout m’a mené du début à la chute. Il en avait été de même pour Célestine. Je ne suis pas mystique, mais je me suis sentie guidée, instinctivement. Quant à la Sicile, elle m’évoquait la convivialité, les liens familiaux fusionnels et chaleureux, propres à mes personnages.
La famille y est en effet au coeur de l’intrigue. Ce socle qui nous construit ou au contraire nous brise. C’est le principe d’Anna Karénine. “Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon.” J’adore cette phrase. Elle raconte ce sujet si universel. Et ce livre en évoque les deux pendants. La tendresse qui guérit le déracinement et la jalousie qui consume et submerge le rapport aux autres, y compris à ses proches.
Les années 60-70 sont un lieu commun à vos deux ouvrages. Pourquoi avoir choisi de situer vos histoires à cette époque ? C’est une période que j’adore et que je trouve incroyablement photogénique. Et puis c’est celle de mon enfance. Je suis née dans un univers très machiste. Pour l’un comme pour l’autre, c’était dès lors la possibilité d’évoquer une époque où les droits des femmes étaient quasi inexistants, ce qui a façonné le destin de mes héroïnes. C’était aussi une évidence pour aborder l’immigration italienne en Belgique. Mais sans pour autant m’enfermer dans un carcan temporel. C’est pourquoi Esprits de famille se déroule entre 1969 et 1993.
Célestine a été largement encensé par la critique et complimenté, notamment par Amélie Nothomb qui affirmait vous devoir une nuit blanche, tant elle avait été bouleversée par votre texte. Si c’était une très belle consécration, a-t-elle compliqué l’écriture d’un second livre ? J’ai eu la chance d’entamer et de travailler à ce nouveau livre en parallèle à la promotion de Célestine. J’étais donc dans l’euphorie du moment, si heureuse qu’il trouve un écho auprès de la presse et des lecteurs. Cela m’a, d’une certaine façon, protégée de la peur. Alors que sort Esprits de famille, je ne sais s’il y aura un troisième, un quatrième ou un dixième roman sur ma route. Et cela me va, car c’est une part de l’authenticité de ma démarche. Je refuse toute forme de pression créative, tout comme il n’est pas question de me restreindre à une case. Je n’écrirai pas sur commande. Au-delà de l’écriture et des mots, mon adrénaline, c’est avant tout la création. Un besoin vital.
Esprits de famille de Sophie Wouters, éditions Hervé Chopin