Helena « Je n’avais pas envie d’être une pop star »
Helena
« Je n’avais pas envie d’être une pop star »
Mots : Jason Vanherrewegge
Photos : Jon Verhoeft
Make-up Artist : Luc Depierreux
Stylisme : Jules Depierreux
Nouvelle reine de la pop belge, Helena nous invite à entrer encore un peu plus dans son intimité avec son tout premier album intitulé « Hélé ». Un surnom qui lui colle à la peau depuis toujours et qui renforce l’idée de proximité que l’artiste de 23 ans veut conserver à la fois avec son public et avec ses proches.
Comment êtes-vous passée de la petite fille qui chantait à l’abri des regards à l’artiste assumée depuis son passage à la Star Academy qui s’apprête à faire la tournée des Zénith, à se produire à l’Ancienne Belgique et, surtout, à Forest National ? Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi j’ai voulu m’ouvrir aux autres et au public du jour au lendemain alors que j’ai toujours trouvé ça très intime. Ma passion pour le chant, je l’ai toujours tellement gardée pour moi. Mais, au final, c’est un peu ce qui fait mon histoire. Je ne peux pas passer à côté. Même les gens qui ont suivi la Star Academy ont vu mon évolution entre le moment où je suis rentrée au château et le moment où j’en suis sortie. Je trouve que mon histoire, si je la raconte à une petite fille de six ou dix ans, ça fait trop rêver. Moi qui n’ai jamais osé rêver, je trouve ça complètement fou. Parfois, je me dis que c’est un storytelling digne d’un film. Autant continuer à faire rêver les gens et à leur faire comprendre que, oui, j’ai changé de vie et elle n’est plus comme avant mais je reste une fille complètement normale de 23 ans comme les autres. C’est ce qui me permet de rester proche des gens. Je n’avais pas envie d’être une pop star.
Vous exprimez ce sentiment dans « Tout a changé (Rien n’a changé) ». Pourquoi cette crainte de voir la notoriété vous changer ? On vit dans un monde complètement bizarre maintenant. On est invité à des événements incroyables, on reçoit énormément de cadeaux… Il y a quelque chose qui se passe et tu te dis que tu dois te rendre compte de la chance que tu as parce que tu aurais rêvé d’avoir tout ça par le passé. Mais, en fin de compte, c’est un monde ultra-superficiel. C’est hyper cool en soi mais il ne faut pas vivre à travers ce monde-là et que ça devienne ton monde réel à toi. Dans la chanson, je dis que j’ai besoin d’avoir mes proches et ma famille avec moi. C’est un besoin vital pour moi et, grâce à eux, je garde toujours les pieds sur terre. Et si jamais un jour ça tourne mal, je sais qu’ils seront là pour me taper sur les doigts.
Dès l’entame de l’opus et « Mon piano et moi » difficile de ne pas faire un parallèle avec une certaine Angèle qui a débuté également très jeune en solitaire avec son instrument de prédilection. On entend d’ailleurs son nom et l’un de ses titres phares « Balance ton quoi » dans votre morceau. C’est une artiste que j’adore, je ne m’en suis jamais cachée. Ça fait partie des premiers concerts que j’ai pu aller voir avec mes copines. Angèle, quand je la voyais sur scène, je rentrais chez moi et je me disais que ça ne m’arriverait jamais. J’étais presque nostalgique et un peu frustrée. Mais ça reste un honneur d’être comparée à elle. Je l’ai fait pendant tout un temps aussi. Aujourd’hui, je l’ai rencontrée, elle m’a envoyé des messages et je trouve ça dingue.
Votre premier album comporte 13 chansons, un chiffre qui a toujours une haute valeur symbolique. La chanson « Karma » est là pour le rappeler, vous êtes quelqu’un qui croit très fort au destin. À mes yeux, tout arrive pour une raison. Que ce soit positif ou négatif, on apprend toujours de nos épisodes. Le destin m’a aussi beaucoup sauvé dans la perception que j’avais de la vie. C’est une manière de penser que j’adore car on peut vite être rongé par les remords ou les regrets dans le cas contraire.
Vous invitez dans « Hélé » à vous écouter dans l’ordre de la tracklist. Avec « Karma », l’ovni « Mauvais Garçon » ou même « Gentil Garçon », vous montrez que vous n’êtes pas réduite aux ballades et que vous êtes également prête à faire bouger le public sur des beats et sur des thématiques fortes comme les relations et la masculinité toxiques. Je me suis cassée la tête sur la tracklist car je voulais que l’on écoute mon histoire. Pas que l’on se prenne quatre ballades et puis un up. À la base, je voulais faire une tracklist chronologique mais ça ne collait pas. J’ai donc trouvé ma ligne directrice en jouant avec les sonorités et la musicalité des chansons.
Pourquoi ne pas avoir mis votre tout premier succès « Aimée pour de vrai » et « Nouveau cœur » sur l’album ? À la base, elles y étaient mais je trouvais qu’on sortait de l’album. C’est une autre époque. « Aimée pour de vrai », c’est le single after Star Ac. J’ai essayé de mettre ma patte dedans mais c’est compliqué comme la chanson existait déjà. Elle a des sonorités plus variété alors que l’album est assez pop. Je n’arrivais pas à les mettre dans la tracklist mais ce n’est pas parce qu’elles n’y sont pas que je ne les aime pas. Je sais que « Nouveau cœur » on l’appelle « l’enfant du milieu » sur les réseaux sociaux et il faut aussi le respecter.
L’auteur-compositeur Vincha (connu pour son travail sur certains titres de Mentissa, Ben Mazué ou encore Barbara Pravi – nda), avec qui vous avez co-écrit l’album, désigne votre style comme une mélancolie heureuse. Qu’en pensez-vous ? C’est un super terme ! Je ne l’utiliserai cependant pas pour toutes les chansons. Il y a des titres sur l’album qui sont hyper pop et joyeux. Mais c’est vrai qu’il y a des textes un peu deep.
Écrirez-vous à terme en solitaire ? Vincha et moi, nous sommes vraiment sur un travail en commun hyper efficace. Je le considère comme mon co-auteur. Mais c’est vrai que j’adorerai, un jour, voir juste « Helena » sur un titre. C’est mon objectif personnel. Il faut toutefois que je m’améliore à ce niveau-là. Après, ça fonctionne trop bien pour l’instant donc je ne vois pas pourquoi je changerai.
Sur « Boule au ventre » et « Mélatonine », vous faites part de vos angoisses. Avez-vous des astuces pour y faire face ? Quand j’écris ces chansons, je découvre l’anxiété. Je ne suis pas une personne anxieuse à la base, j’ai très rarement fait des crises d’angoisse. C’est vraiment à un moment précis de ma vie où elles se sont enchaînées assez fréquemment. C’était très compliqué pour moi de réguler tout ça. Ma manière de faire, c’est d’être bien entouré. De peut-être en parler autour de soi aussi et de l’extérioriser avec, pourquoi pas, des pleurs.
« Mauvais Garçon », « Bonne Maman », « Summer Body » ou encore « Adieu mon amour » abordent également des thématiques très fortes. Comptez-vous changer votre ligne directrice par la suite ou rester dans ce registre ? J’avais 22 ans quand j’ai commencé l’écriture de mon tout premier album. J’ai donc 22 ans de ma vie à raconter et je n’ai jamais écrit de chanson. Je vais aller forcément prendre les épisodes les plus marquants. Et si c’est marquant, c’est parce que c’est deep. À long terme, j’essayerai d’aller chercher des moments de vie un peu plus joyeux (rires).
Les œuvres d’âme de Renato Nicolodi
Les œuvres d’âme de Renato Nicolodi
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Renato Nicolodi
Ses sculptures et installations évoquent un autre temps. Un temps qui résonne de l’écho de la guerre et de ses vestiges collectifs, autant que des récits qui ont marqué son enfance. Par une réappropriation de l’architecture, Renato Nicolodi mêle la rationalité au sensible et invite, avec une profonde humanité, à une réflexion sur le rôle de la mémoire.
Votre travail est en lien direct avec l’histoire. Celle qui s’écrit avec un grand H comme celle, plus personnelle, de votre famille. Où ces deux récits se rencontrent-ils ? Pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est elle qui a déterminé le destin de mes grands-parents et imprégné ma vie par la même occasion. J’ai grandi en les écoutant raconter cette période dramatique. Mon grand-père paternel italien était orphelin et a connu la dictature de Mussolini avant de rejoindre la Belgique. Il y fut fait prisonnier par les Allemands, placé dans des camps de concentration puis de travail, avant de finalement s’évader et intégrer la Résistance. Ma grand-mère maternelle était belge et a été victime d’un voisin dont elle avait refusé les avances et qui, après la guerre, l’a dénoncé pour collaboration. Elle s’est retrouvée enfermée pendant un an, par pure injustice. Ils en parlaient librement, même au petit garçon que j’étais. Avide de comprendre, je leur ai posé mille questions. Très tôt, j’ai craint que leurs mots m’échappent et, à 12 ans, je les ai donc enregistrés sur des cassettes audios. J’ai aussi couché leur témoignage sur papier. A travers eux, j’essayais de donner un sens à la vie et d’y trouver ma place.
Ce besoin de transcrire le passé sous forme de création vous est également venu très tôt. D’abord par la peinture. Quand a-t-elle laissé la place aux installations architecturales ? J’ai toujours beaucoup dessiné. A 13 ans, j’entrais à Saint-Luc, à Bruxelles, pour suivre une formation artistique. C’est ce qui m’a amené à la peinture, que j’ai continué à pratiquer durant mes études. Et puis, vers la fin de mon cursus, je me suis retrouvé face à des bunkers des années 40, lors d’un voyage en France. Ils m’ont rappelé les récits de mon grand-père, forcé d’y travailler comme main-d’œuvre. J’ai ressenti le besoin de les raconter. Mais pour cela, il me fallait une technique à même d’en représenter toute la dimension. Ça a marqué le point de départ de mon travail actuel.
Vous créez des bunkers, mais aussi des sanctuaires, des temples ou encore des atriums, qu’est-ce qui amène à leur choix ? Mes œuvres sont souvent conçues pour des expositions ou pour être le rappel d’un fait historique ou culturel. Elles sont fondamentalement archétypales et font du passé un fil conducteur. Les références y sont présentes partout, à commencer par leur titre, souvent en latin, comme De Profundis ou Mausoleum. Elles sont empreintes d’une profonde dualité, célébrant une architecture monumentale, tout en en rejetant la mégalomanie nazie à l’origine de celle-ci. Mais aussi de contrastes, entre ombre et lumière, dont les différents degrés de lecture poussent à l’introspection.
Votre travail évoque la pureté et la sobriété à leur extrême, notamment par l’utilisation du béton. Et possède pourtant une forme de mélancolie. Quelle y est la place de l’humain ? Partout. Dans ma recherche d’une forme de langage universel. Tout comme une critique silencieuse de l’humanité. J’espère tendre aux spectateurs un miroir les mettant face à leurs choix comme à leur impuissance. Un principe que les nombreux corridors, escaliers, passages clos et ouverts viennent renforcer. C’est une exploration intérieure à travers le prisme du passé. Le trou noir présent dans nombre de mes créations se veut d’ailleurs un espace réflectif. Certains spectateurs y voient la mort. Mais ce néant a au contraire à mes yeux, une signification positive, puisqu’il peut être comblé par les idées et la mémoire. C’est un lieu où tout peut s’écrire.
Aimeriez-vous continuer cette démarche d’une documentation créative ou vous imaginez-vous emprunter une autre voie ? Nous avons le devoir à veiller à ce que les erreurs dramatiques du passé ne se reproduisent pas, y compris en préservant leur souvenir via l’art. J’ai publié il y a quelques années un livre noir, qui tout en présentant mes œuvres était un hommage, puisqu’il contenait des reproductions des trois carnets où mon grand-père écrivait pendant la guerre et des photos des cassettes d’enregistrement de ma grand-mère. On y retrouvait également des textes d’auteurs abordant l’architecture et l’histoire. Le prochain, sur lequel je travaille actuellement, sera blanc. Il exposera les créations que j’ai réalisées depuis, mais aussi une démarche plus politique et engagée. Je ne me vois pas dans autre chose, tout comme on ne peut changer son passé. Mais plus que tout, c’est une philosophie de paix que je souhaite propager. Au-delà de la douleur de la guerre, c’est cet espoir d’un lien profondément humain qui doit être préservé.
Mara Taquin - « Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mara Taquin
« Je refuse de me laisser enfermer dans une case »
Mots : Servane Calmant
Photo : Guillaume Kayacan
Sélectionnée parmi les révélations des Césars 2024, Mara Taquin s’apprête à défendre plusieurs longs métrages en 2025, dont le très attendu Nino dans la nuit, film belge adapté du roman éponyme à succès. A 27 ans, l’actrice bruxelloise a tout d’une grande, dont une farouche envie d’aborder chaque nouveau projet comme si c’était le premier…
Si Mara Taquin avoue s’être lancée dans le cinéma un peu par hasard, « la réalisatrice, Camille Mol, m’a remarquée devant mon école… », son parcours l’a rapidement conduite à multiplier les rôles marquants dans plusieurs séries télévisées (Ennemi Public, Fils de, Sambre) et à côtoyer les grandes figures du cinéma, Vincent Cassel (Hors normes), Adèle Exarchopoulos (Rien à foutre), Isabelle Huppert (La Syndicaliste) ou encore Fabrice Luchini (La Petite)…
En seulement cinq ans, vous êtes passée de « révélation prometteuse » à celui d’actrice confirmée. Aujourd’hui, on vous voit partout ! Comment vivez-vous cette ascension remarquable ? C’est surtout le calendrier de sortie des films qui donne cette impression d’omniprésence …Tant mieux, car chaque film est enrichissant. Mais rassurez-vous, j’ai encore du temps libre. Et lorsque je ne tourne pas, il m’arrive de douter et de douter encore …
Douter de quoi ? Rien n’est jamais acquis. Mais le temps que je passe à douter me permet d’apprécier encore davantage les opportunités qui s’offrent à moi … (rires). Je n’étais pas vraiment préparée à ce que je vis en ce moment, alors je ressens une profonde reconnaissance envers le monde du cinéma qui continue de me solliciter. J’essaye également de préserver une certaine fraîcheur, afin d’aborder chaque nouveau projet avec le même enthousiasme que le tout premier…
A quel moment votre carrière a-t-elle pris son envol ? Projeté au Festival de Cannes, le film Hors normes réalisé par Olivier Nakache et Eric Toledano (les mêmes réalisateurs que Intouchables – nda) m’a permis de me faire connaître en France, en m’ouvrant les portes de nouveaux castings. Avant, je passais des auditions où se rendaient 500 comédiennes; aujourd’hui, j’ai accès à des castings plus ciblés…
Pour se faire connaître, il faut passer par la case Paris … C’est vrai. Il y a plus d’opportunités à Paris qu’à Bruxelles. Pour autant, je ne compte pas faire une croix sur le cinéma belge ! Bien au contraire…
Et que dit-on aujourd’hui sur les Belges, dans les castings parisiens ? « Vous êtes trop mignons, trop gentils, adorables… » (Rires). Tant de clichés ! En Belgique, l’absence de star-system et de culte de l’image pousse sans doute les acteurs à se concentrer davantage sur le jeu …
Vous venez d’achever le tournage de Nino dans la nuit, réalisé par le Belge Laurent Micheli. Il s’agit de l’adaptation d’un premier roman générationnel français qui a rencontré un vif succès … Comme le roman (signé Capucine et Simon Johannin – nda), le film plonge dans l’univers d’une jeunesse en marge, ces laissés-pour-compte du système qui enchaînent les petits boulots précaires et cherchent leur place dans une société qui leur en offre peu. Laurent Micheli, auquel on doit Lola vers la mer, impose un point de vue fort, destiné à interpeller, bousculer, chambouler le public. C’est un film belge qui ne laissera personne indifférent. Sa sortie chez nous sera calée sur le calendrier des festivals. Parallèlement, j’ai tourné Au bord du monde, réalisé par le duo belge Sophie Muselle et Guérin Van de Vorst, qui explore les conditions d’accueil, de soin et de traitement des patients en psychiatrie.
Quels sont vos critères pour choisir un rôle ? Je ne suis jamais dans le calcul, je marche à l’instinct, et cela me réussit plutôt bien. L’important, c’est la rencontre avec le personnage. Si je sens que ce personnage fait sens, que je peux lui apporter quelque chose, alors je signe des deux mains. En revanche, je pourrais rejeter un scénario qui me propose un rôle trop proche d’un personnage que j’ai déjà campé. Je refuse de me laisser enfermer dans un rôle, d’être figée dans une case. Je veux surprendre, continuer à prendre des risques.
Vous travaillez souvent à Paris, mais vous êtes toujours attachée à Bruxelles, votre lieu de vie … Mon métier m’amène à voyager fréquemment et à côtoyer beaucoup de personnes. Quand je rentre chez moi, j’apprécie de retrouver mes proches, ma famille et mes amis d’enfance qui ne sont pas dans le milieu du cinéma. C’est ma petite bulle, un espace qui me protège et m’aide à garder un certain équilibre.
Avec quel réalisateur belge souhaite-riez-vous tourner prochainement ? Sans vouloir faire de jaloux : Michaël R. Roskam (réalisateur de e.a. Bullhead – nda), Delphine Girard (Quitter la nuit) et le couple Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une Vie démente). Même si je suis plus attachée au projet, qu’au réalisateur…
Julien Leclercq - L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Julien Leclercq
L’aventurier belge fasciné par l’Islande
Mots : Olivia Roks
Photos : Julien Leclxercq
Depuis toujours, Julien Leclercq nourrit un rêve d’évasion. À seulement 24 ans, il quitte la Belgique pour partir à la découverte du monde. Dix ans plus tard, il vit en Islande, subjugué par la nature à l’état brut. Aujourd’hui guide et photographe, il mène une vie qu’il ne troquerait pour rien au monde. Rencontre avec cet aventurier moderne au parcours inspirant.
À 34 ans, vous avez déjà parcouru un chemin extraordinaire. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la Belgique pour explorer le monde ? J’ai toujours été attiré par l’idée de voyager. À l’école, je n’étais pas un élève modèle : rester assis derrière un bureau me semblait insupportable. Mon adolescence n’a pas été facile : le divorce de mes parents a été un coup dur. J’ai sombré dans la dépression et j’ai développé des comportements autodestructeurs. Un matin, j’ai eu une révélation : je devais tout laisser derrière moi et partir.
En regardant un globe terrestre, j’ai cherché le point le plus éloigné de la Belgique et je suis tombé sur la Nouvelle-Zélande. Là-bas, j’ai travaillé dans une ferme entourée de vergers et de chevaux. Ironiquement, j’avais une peur bleue de ces animaux. Mais le destin m’a mis au défi : on m’a confié la mission de prendre soin d’une jument affaiblie. Cette expérience a bouleversé ma perception. J’ai non seulement vaincu ma peur, mais je suis tombé amoureux des chevaux.
De là, l’aventure s’est poursuivie en Australie : j’ai été cowboy dans un ranch, gardien de zoo où j’avais la responsabilité de m’occuper du plus grand crocodile du pays. Je découvrais ces emplois grâce au concept du « woofing » (via helpx.net), un système fondé sur l’échange et le partage. Il s’apparente à du volontariat : en échange de mon travail, on m’offrait le gîte et le couvert.
De retour en Belgique après l’expiration de mon visa, je n’ai tenu que trois semaines avant de repartir, cette fois pour la Suède, où j’ai découvert la vie dans une ferme western. Ensuite, près d’Oslo, j’ai appris à murmurer à l’oreille des chevaux auprès des Indiens Lakotas. J’ai continué mon aventure en Norvège, où j’ai pratiqué la pêche. C’est là que j’ai rencontré un Islandais qui cherchait de l’aide pour sa ferme. Sans hésiter, je l’ai suivi.
L’Islande, ce pays de glace qui m’a envoûté, est aujourd’hui le cadre de ma vie. Après avoir enchaîné des expériences variées dans des fermes et des ports, j’exerce désormais un métier qui me comble : guide (conduite et glacier) pour Ice Pic Journeys et photographe. Chaque jour, je capture la magie unique de cette terre fascinante. Je ne pouvais pas rêver mieux.
Une aventure fabuleuse ! Les chevaux semblent avoir une place spéciale dans votre parcours. Ils vous ont aidé à surmonter des épreuves ? Absolument. Les chevaux sont comme des meilleurs amis, capables de ressentir nos émotions. Leur tendresse et leur capacité à communiquer presque télépathiquement m’ont sauvé. Je suis quelqu’un d’introverti, souvent en proie à la dépression. Sans eux, je ne serais probablement plus là aujourd’hui. Cette connexion avec les chevaux et la nature me nourrit et m’apaise au quotidien.
Vous semblez épanoui en Islande. Parlez-nous de votre passion pour la photographie. Depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande jusqu’à aujourd’hui en Islande, j’ai capturé de nombreux moments avec mes téléphones Samsung. Un jour, en échangeant sur Instagram avec Samsung Iceland, j’ai partagé quelques-unes de mes photos. Ils les ont adorées. Depuis, l’entreprise me fournit du matériel, et je réalise des prises de vue pour eux. Cette collaboration m’a non seulement permis de gagner en confiance, mais elle a aussi transformé ma photographie, qui a considérablement évolué grâce à leur soutien.
J’aime capturer des détails de la nature, faire des photos qui semblent irréelles alors qu’elles sont authentiques et à peine retouchées. Je photographie surtout des glaciers, des animaux, et des volcans en éruption. L’Islande est un véritable terrain de jeu pour un photographe : tout y est vivant, en perpétuel mouvement. C’est magique !
Qu’est-ce qui vous manque le plus de la Belgique ? Mes parents savent que je suis heureux ici, et quand ils veulent me voir, ils viennent me rendre visite. Franchement, c’est plus fun qu’un voyage en Belgique ! Ce qui me manque, c’est un magasin Décathlon ! Le plus proche est au Danemark, et en Islande, le matériel sportif coûte une fortune.
Comment envisagez-vous votre avenir dans dix ans ? J’aimerais créer ma propre entreprise de tours sur mesure. Mon idée est de proposer des expériences privées, limitées à quatre participants, pour favoriser des échanges sincères et authentiques. J’ai déjà trouvé un collègue et un véhicule ; il ne me reste plus qu’à continuer d’économiser (rires).
Quelles expériences incontournables recommanderiez-vous de vivre en Islande ? Une randonnée à cheval avec Mister Iceland, avec nuit en cabanes pittoresques et dîner viking, une expérience unique ! Il y a aussi l’observation des baleines à bosse et des orques qui offre un spectacle fascinant ou encore une expédition sur un glacier, que je peux organiser et qui permet d’explorer des paysages glacés uniques. Enfin, les aurores boréales et les volcans en éruption, bien que dépendants des conditions naturelles, sont des moments incroyables.
Mustii - Sans filtre
Mustii
Sans filtre
Mots : Servane Calmant
Photos : Lennert Madou
The Maze, le nouvel album de Mustii, porte le nom d’une boîte de nuit imaginaire qui exprime l’état d’esprit de Thomas Mustin. En se recentrant sur ses propres expériences, l’artiste rend un vibrant hommage à la communauté queer, tout en assumant un engagement plus personnel que jamais. Confessions.
Ce nouvel album s’intitule The Maze. Que signifie ce mot, labyrinthe, pour vous ? J’aime le paradoxe induit par le labyrinthe car il cristallise la quête initiatique de l’humain et la connaissance, mais il évoque également la perdition, la désorientation, l’obscurité, les extrêmes. Cette dualité trouve écho dans une longue nuit de fête : The Maze étant également le nom d’une boîte de nuit imaginaire, dans laquelle se déroulent les expériences de début et de fin de soirée, de l’euphorie à l’abattement. Une métaphore de mon ressenti, de mon vécu, où j’assume désormais pleinement mon côté queer.
C’est votre album le plus personnel… Oui, clairement. Dans mes deux premiers albums, il y avait toujours un personnage intermédiaire entre moi et le public. 21st Century Boy a pour fil rouge un jeune ado fictif et It’s Happening Now rend hommage à la vie de mon oncle schizophrène disparu. A travers The Maze, j’ose exprimer pour la première fois mon identité personnelle et mes émotions. L’aventure Eurovision a provoqué un électrochoc : j’ai réfléchi aux raisons qui me motivaient à faire ce métier. Pendant deux mois, je me suis enfermé dans un studio et j’ai pris du plaisir à explorer les genres musicaux que j’aime : pop-rock, post-punk, glam-rock, tempo techno. Les textes sont également plus radicaux, je ne cherche plus à me cacher. Cet album est l’expression de ma prise de liberté, d’identité, d’assurance.
Queer signifie étrange, bizarre. Ce qui pourrait s’apparenter à un terme stigmatisant est en fait un pied de nez à la norme identitaire dominante… Queer est un terme très réconfortant qui suscite l’imaginaire, et qui permet d’éviter de ranger les gens dans une multitude de petites cases. Nous sommes tous sujets à nous transformer, à explorer les multiples facettes en nous. Encore faut-il vouloir expérimenter nos propres zones d’inconfort.
A sa création dans les années 50, le mouvement queer belge était plus concentré sur la socialisation que sur le militantisme de ses membres. Qu’en est-il aujourd’hui ? Notre société aborde plus facilement qu’avant les thématiques LGBTQIA+, il suffit de voir le succès TV de Drag Race, mais le backlash (le retour de bâton conservateur – nda) existe toujours ! Un nombre croissant de personnes choisissent de vivre ouvertement leur identité et en même temps, elles sont davantage confrontées à la violence qu’auparavant. La lutte pour la diversité des identités de genre et orientations sexuelles n’est pas linéaire, chaque victoire est chèrement acquise face aux réactionnaires…
Etes-vous un artiste militant ? Je ne suis pas le porte-drapeau de la communauté queer. Il existe des artistes ouvertement activistes, ce n’est pas mon cas. J’ai fait un album pop, fun, mais si The Maze arrive à sensibiliser les foules sur les préjugés et les violences à l’encontre de cette communauté alors, oui, je pose un acte politique, mais je le fais indirectement …
La chanson Silly Boys parle de frustration. Peut-on y faire un parallèle avec votre état d’esprit durant l’Eurovision ? Oui, j’y évoque la frustration de se sentir un peu aliéné, de faire partie d’un cirque qui tourne mal pour diverses raisons…
La perdition, un acte conscient ou inconscient ? Pour trouver son centre, il faut peut-être entrer en perdition. Expérimenter les extrémités, emprunter des chemins de traverse, prendre des sens uniques, des murs en pleine face, m’ont permis de grandir et, in fine, de me trouver.
Massive Love Infection évoque la solitude dans le milieu queer. Cette chanson, à l’image de l’album, est une main tendue aux gens stigmatisés car « hors normes » … Ce nouvel album, élan d’amour et hommage aux queers, se veut également une main tendue à celles et ceux qui sont fragiles et qui ont des parcours de vie compliqués. Les thèmes de la normalité et de l’acceptation de soi traversent d’ailleurs mes trois albums…
Musicalement, ce nouvel album ne cache pas ses références à, notamment, un certain Bowie, lui-même considéré comme un queer à l’époque… Il a en effet créé l’événement quand il a déclaré être gay dans les années 70. C’est un homme qui a exploré de nombreuses facettes de sa personnalité. Un artiste kaléidoscopique, ultime.
2024, l’année Mustii : Eurovision, nouvel album, The Maze, et cinéma avec La nuit se traîne, thriller belge au succès fulgurant … S’il vous fallait faire un choix, musique ou cinéma ? L’acting est ce qui me définit en premier.
1 février 2025, vous serez à Forest national. C’est une première ! The Maze est un véritable labyrinthe musical taillé pour le live et Forest national, un rêve éveillé et une première en effet. J’ai un peu de mal à réaliser ma chance !
Hakim Benbouchta - L’art de divertir
Hakim Benbouchta
L’art de divertir
Mots : Ariane Dufourny
Photos : Didier Vandenbosch
Après une brillante carrière dans la publicité, Hakim Benbouchta a réussi une reconversion remarquable en tant qu’auteur et scénariste. Son premier roman, Le Pseudo, a été un succès, adapté en téléfilm sous le titre Noël… et plus si affinités. En 2022, il a poursuivi avec Le Plus Beau Cadeau. Son prochain roman, Le Billet de Cinq, prévu pour le 16 janvier 2025, promet de confirmer son statut d’auteur incontournable dans l’univers du divertissement littéraire.
Le billet de cinq euros, un objet du quotidien, occupe une place centrale dans le récit. Pourquoi avez-vous choisi cet élément comme pivot de l’histoire ? Chaque fois que je tiens un billet dans la main, je me demande d’où il vient et quelle a pu être sa trajectoire. Fasciné par ce questionnement, j’ai imaginé le parcours d’un billet de cinq euros, passant de main en main, de personne en personne, entre des gens qui ne se connaissent pas. Pour structurer le récit, j’ai choisi de les rassembler dans un lieu unique : Paris. J’ai trouvé amusant de placer ces personnages au même endroit, reliés par cet objet anodin, qui porte pourtant en lui des histoires entrecroisées.
Votre roman explore des sujets variés et profonds : le handicap, les migrants, la transition culturelle, ou encore la solitude des seniors. Qu’est-ce qui vous touche ou vous émeut dans le fait de raconter ces histoires ? J’ai toujours éprouvé une tendresse particulière pour les personnes trisomiques, qui agissent sans calcul, qui sont d’une pureté inaltérée, incapables d’imaginer la méchanceté et la fausseté qui nous entourent. Leur fragilité m’émeut, car ils ne disposent pas de ce mécanisme de défense ni de cette capacité à percevoir le mal chez les autres. À mes yeux, ce sont des fleurs précieuses dans notre société actuelle.
Avec ma femme, j’ai aidé des migrants du Parc Maximilien en leur offrant un repas, une douche et un endroit pour dormir. Leurs histoires étaient dramatiques : maltraitance, exploitation, souffrances en Libye ou en Turquie. Malgré tout, ils faisaient preuve d’une grande gentillesse et de respect. Même si nous ne pouvions pas les héberger indéfiniment, chaque petit geste comptait. Ce n’est pas parce qu’on ne peut pas tout faire qu’on ne doit rien faire. Même un petit acte a son importance, et qui sait, peut-être qu’ensuite d’autres en accompliront à leur tour. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, mais peut-être qu’au final, cela aboutira à une belle histoire.
Le poids de ma culture d’origine a toujours été présent, surtout à travers mon nom : Benbouchta. Cela m’a poussé, de manière consciente, à penser que c’était à moi de faire le premier pas vers les autres, car je me percevais comme « différent ». Je tiens toutefois à préciser que je n’ai jamais ressenti de rejet ou de discrimination. Dans les années 70-80, j’étais bien intégré avec mes amis. Mais malgré cela, j’avais toujours en tête que je n’étais pas tout à fait comme eux.
La solitude des seniors trouve un écho particulier en moi, car elle m’a été inspirée par ma mère, aujourd’hui âgée de 85 ans. Mes parents se sont séparés quand j’avais 13 ans. Mon père est parti vivre en Suisse, où il est décédé trois ans plus tard. Depuis leur séparation, ma mère n’a connu qu’une brève histoire avant de choisir de ne plus jamais se remettre en couple. C’était un sujet que nous abordions parfois. Elle me confiait que cela ne lui manquait pas, qu’elle était heureuse ainsi, entourée de ses animaux et de ses amis. L’important est de la savoir heureuse. Je continue cependant à me demander si elle aurait souhaité vivre autre chose.
Vos romans explorent des thèmes sociaux profonds avec une légèreté teintée de tendresse et d’humour. Êtes-vous, malgré les défis du monde, un éternel optimiste ? J’ai toujours pensé que, face à la vie, nous sommes responsables de notre propre état d’esprit. Je suis convaincu que le cerveau peut être « programmable ». En choisissant de focaliser son attention sur le positif, tout en restant conscient du reste, on peut parvenir à se sentir mieux.
Avez-vous envisagé une adaptation cinématographique pour Le Billet de Cinq, à l’image de vos précédents romans ? J’ai écrit un scénario basé sur la quatrième histoire du livre, qui explore le thème de la solitude des seniors : une grand-mère, éprise d’un amour platonique pour son voisin de palier, demande à sa petite-fille de lui servir de coach en séduction. Ce projet a été vendu à une société de production française, et nous sommes actuellement en phase d’ajustements pour en faire un long-métrage.
Avez-vous déjà des idées pour un prochain projet d’écriture ? Je viens tout juste de terminer mon quatrième roman qui me tient particulièrement à cœur. Il s’inspire d’un événement tragique : le suicide de mon meilleur ami Harold. L’histoire suit un homme de 55 ans, au bord du gouffre et prêt à en finir, qui retrouve peu à peu une raison de vivre grâce à l’intervention dévouée d’un ami. C’est une histoire de liens humains salvateurs et d’espoir là où tout semble perdu et rappelle qu’il ne faut jamais renoncer.
Nicolas Michaux - En prise avec la vie
Nicolas Michaux
En prise avec la vie
Mots : Servane Calmant
Photos : Anaïs Ramos
Nicolas Michaux, chanteur, auteur-compositeur et producteur belge, présente Vitalisme, collection de douze chansons pop lumineuses qui, sous leur apparente légèreté, sont imprégnées de la gravité des temps troublés que nous vivons. Une dualité qui dessine un univers singulier et sincère, porté par un activisme artistique optimiste…
Rencontre avec un auteur lucide.
Vous vous souvenez d’Eté 67, ce groupe rock liégeois qui a rencontré le succès fin des années 90 ? Nicolas Michaux en était le chanteur, avant de se lancer dans une carrière solo… Son premier album, A la vie à la mort, sort en 2016, suivi d’Amour colère en 2020 et d’une compilation, Les chutes. Vitalisme, son quatrième opus, dévoilé en octobre dernier, inclut notamment Chaleur humaine, single envoyé en éclaireur, désigné « Coup de cœur des médias francophones publics ». On ne se lasse pas de l’écouter…
Vous partagez votre temps entre le Danemark où résident vos filles, et Bruxelles qui héberge votre label … Le cœur entre deux chaises ? Je suis séparé de la maman de mes deux filles, qui est Danoise. J’ai vécu 10 ans au Danemark et j’y passe désormais six mois par an. J’habite dans un chalet niché sur l’île de Samsø. Un lieu où je vis en communion avec la nature et la mer. Cette dualité géographique me permet de prendre du recul par rapport à la scène musicale bruxelloise et mon cercle professionnel. Une situation qui me convient parfaitement et qui imprègne ma méthode de travail. Vitalisme, mon nouvel album, a été composé dans mon chalet danois, mais les arrangements musicaux ont été faits dans mon studio bruxellois…
Vous avez dédié ce nouvel album à Jeanine Dubois, votre grand-mère communiste qui a passé sa vie à se battre pour un monde plus juste. Et vous, quel est votre combat ? On a souvent opposé la culture de masse aux niches culturelles. Or il y a moyen de faire de l’art populaire – à l’instar de la musique pop que je défends ou des films de Sergio Leone, pour citer un réalisateur dont je suis fan – qui ne prend pas les gens pour des imbéciles ! Il est là mon combat. Je m’inscris dans une pop d’auteur, avec une démarche artisanale. J’ai d’ailleurs co-fondé mon propre label indépendant (Capitane Records – nda) pour montrer qu’il y a moyen d’évoluer dans le music business sans le financement ou la distribution des majors de l’industrie musicale. Ce label a hébergé une quinzaine d’artistes (Juicy notamment – nda). Le DIY/ « fais-le toi-même » et l’esprit de fraternité musicale sont en parfaite adéquation avec mes valeurs personnelles. Dans cet esprit, Capitane Coop a vu récemment le jour. Cette coopérative regroupe des musiciens, techniciens, passionnés de musique, et appartient à ses membres. Ce modèle se distingue nettement des sociétés cotées en bourse !
Etes-vous un artiste engagé ? Je suis de gauche et favorable à un nouveau projet de société qui nous évitera d’aller droit dans le mur. Mais je ne me revendique pas artiste militant. Je progresse doucement vers l’artivisme, l’activisme artistique, notamment avec la création de Capitane Coop.
Vitalisme, le titre de l’album est un hommage à Gilles Deleuze, grande figure intellectuelle emblématique de l’esprit 68… Mais quelle est votre propre définition de ce mot ? C’est un terme polysémique, en effet. Dans la conception deleuzienne, la vie peut transpirer d’un poème, d’une pièce de théâtre, d’une chanson. J’essaie donc que les paroles que j’écris et la musique que je compose, soient en prise avec la vie. J’aime beaucoup d’artistes différents, mais j’affectionne particulièrement ceux qui parlent du réel, qui racontent une époque, comme le faisait Lou Reed.
La chanson Chaleur humaine, coup de cœur des médias francophones publics, est imprégnée d’une forme de fausse légèreté… Elle vous ressemble. (rires). C’est pas faux. J’essaie de dire des choses mais sans plomber l’ambiance. L’exemple du single Chaleur humaine l’illustre parfaitement : voilà une chanson pop solaire, lumineuse, qui a été diffusée en radio tout l’été, et qui parle de réchauffement climatique, un problème environnemental préoccupant évidemment.
« J’étais l’enfant qui joue à côté du fumoir. Et reçoit un cadeau quand il est courageux ». Dans Peace of Mind #2, vous vous mettez à nu… Il s’agit en effet d’un morceau autobiographique basé sur un poème, IRM, que j’ai écrit il y a deux ans. Ado, entre 13 et 19 ans, j’ai passé pas mal de temps dans les hôpitaux, pour des tumeurs sur le système nerveux central. Depuis, je me suis retapé !
Dans Watching The Cars, vous nous interpellez : « will they kill another kid ? » … Je parle des choses que je vois. Dans un monde merveilleux, je chanterais l’amour et les oiseaux. Mon seul désir : écrire des chansons qui touchent le public, qui résonnent en lui. Même quand tout va mal, il ne faut pas se laisser gagner par l’obscurité. J’ai écrit et composé un album lumineux car l’espoir doit prévaloir. J’ai la lucidité du constat mais je crois en l’optimisme de l’action. Tous les Trump du monde ne peuvent pas gagner. Nous devons agir, à quelque niveau que ce soit.
Vous écrivez et chantez en français et en anglais, à la croisée de deux traditions… En effet. Je rencontre un franc succès en France notamment, car le Français défend l’expression de sa culture. Et le fait que je chante en anglais également confine, à ses yeux, à un certain exotisme…(rires).
Lubiana « Je considère mon métissage comme un cadeau »
Lubiana
« Je considère mon métissage comme un cadeau »
Mots : Servane Calmant
Photos : Diane Moyssan
Fruit de deux ans de voyages en Afrique, Terre rouge, le nouvel album de la chanteuse belgo-camerounaise Lubiana, sonne comme un message d’espérance et d’amour. « La Blanche », comme on la surnomme au Cameroun, se confie sur sa double culture, sur le lien qu’elle entretient avec la kora, cet instrument traditionnellement réservé aux hommes, et sur son parcours musical, aussi élégant que singulier…
Lubiana signifie bien-aimée. Tout le monde n’a pas la chance de porter un prénom aussi poétique que le vôtre ! C’est un prénom qui fait en effet écho à l’amour. L’amour que l’on donne, l’amour que l’on se donne aussi. C’est un héritage précieux qui m’accompagne tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Je mesure chaque jour la chance de porter un nom qui parle d’amour…
Vous êtes née en Belgique, d’un père camerounais et d’une mère belge. Que vous a transmis ce métissage ? J’ai grandi dans une maison qui cultivait une double culture. Ma mère écoutait Mozart et Beethoven ; mon père, Manu Dibango et Youssou N’Dour. Mais au-delà de cet éclectisme musical qui m’a nourrie, mon métissage m’a offert une vision plurielle du monde qui inspire la tolérance. J’ai appris à voir la richesse dans les différences. Pourtant, à 16 ans, j’ai rejeté le Cameroun, ce pays où je passais tous mes étés sans jamais m’y sentir vraiment chez moi. Pendant dix ans, je n’ai plus mis les pieds en Afrique …
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y retourner ? Mon grand-père disait souvent : pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. En 2019, j’ai ressenti ce besoin de retour aux sources. Depuis, je m’y rends chaque année. C’est là-bas que reposent mes ancêtres. J’ai d’ailleurs appris le Bangoua, la langue de mon grand-père et de ma famille camerounaise, pour me rapprocher davantage de mes racines. Longtemps, je n’ai pas compris la valeur de mon métissage, mais désormais, je le considère comme un cadeau.
Cette réconciliation avec l’Afrique, elle passe par la kora … Absolument, c’est la kora, un instrument que l’on trouve partout dans l’Afrique de l’Ouest et qui se transmet oralement de père en fils, qui m’a permis de retrouver mon lien avec l’Afrique. Quand j’ai découvert la kora à 21 ans, ce fut une révélation. Je suis retournée au pays pour l’apprendre et j’ai senti l’Afrique vibrer en moi. Comme un appel, une évidence.
Etes-vous la seule femme à jouer de la kora sur scène ? Non, il y a également Sona Jobarteh, une artiste gambienne extraordinaire, qui a été la toute première femme à devenir une virtuose professionnelle de la kora. Elle a ouvert la voie. Je crois savoir que nous sommes les deux seules femmes à jouer de cet instrument en public …
Qu’est-ce qui rend la kora si spéciale ? La kora est plus qu’un instrument. Elle porte une histoire millénaire et les griots disent qu’elle vibre au rythme de l’âme du musicien et que c’est la kora qui choisit son maître. Toumani Diabaté (l’un des plus grands joueurs de la kora, récemment décédé – nda) m’a offert sa bénédiction, en me disant que la kora m’avait élue, après m’être apparue en rêve. Je pense que nous nous sommes choisies mutuellement. Les musiciens de la kora sont d’ailleurs très bienveillants avec moi ; leur plaisir de partage et de transmission est total car je suis à l’écoute de leur héritage musical…
Dans la chanson La Blanche, vous vous décrivez comme « étrangère pour vos frères », tout en célébrant ce « mélange qui tisse les liens » … Au Cameroun, on m’appelle La Blanche, partout, tout le temps. Pour beaucoup de Camerounais, ce surnom n’est pas offensant, c’est juste un constat. J’ai donc ressenti assez tôt que je serais toujours La Blanche en Afrique et la métisse en Europe où on continue de m’interroger sur mes racines. Paradoxalement, je ne suis chez moi nulle part et partout à la fois. Mais, aujourd’hui, je ressens mon métissage comme une richesse, comme un cadeau qui m’a permis d’ouvrir mon esprit, d’acquérir une véritable curiosité de l’autre et un respect profond des différences.
Votre nouvel album comporte une chanson très touchante, Farafina Mousso, sur laquelle vous avez invité l’artiste franco-rwandais Gaël Faye … Farafina Mousso signifie Femme d’Afrique en bambara, la langue principale du Mali. C’est un titre qui célèbre toutes les femmes d’Afrique : nos mères, nos sœurs, nos filles. Ces femmes sont les plus invisibilisées sur terre, pourtant elles font preuve d’une résilience incroyable ! Au Rwanda, Gaël Faye et moi-même avons rencontré des femmes extraordinaires qui font preuve d’un courage exemplaire, malgré la douleur indicible causée par les viols subis et le génocide rwandais. Nous voulions leur rendre hommage, célébrer leur force, leur beauté. En tant qu’artistes et en tant que descendants de l’Afrique, il était essentiel pour Gaël, pour Toumani Diabaté que j’ai également invité sur cet album, et pour moi, de mettre en lumière ces femmes et de porter ce message d’humanité et de reconnaissance.
Pourriez-vous vous installer définitivement en Afrique ? Non, je suis une nomade. Mais où que j’aille, mes ancêtres vivent en moi.
SOPHIE CLAUWAERT
SOPHIE CLAUWAERT
L’art, une alliance subtile entre émotion et investissement
Mots : Olivia Roks
Photo : Sébastien Vandenwouwer
Sophie Clauwaert, Art Advisor chez Puilaetco, oriente les collectionneurs passionnés et les investisseurs dans leurs acquisitions d’œuvres d’art. Elle les accompagne dans la recherche de l’équilibre entre émotion esthétique et acquisitions réfléchies, une approche qui séduit de nombreux Belges.
L’art est votre passion depuis toujours. D’où vous vient cet intérêt, devenu votre métier ?
L’art est dans l’ADN de ma famille. Dès mon plus jeune âge, j’ai été immergée dans cet univers. Mes parents n’étaient pas collectionneurs, mais de grands amateurs d’art. On m’emmenait dans les foires, les musées, et à la maison, j’étais entourée d’objets d’art. Cela éveille inévitablement les sens et stimule la curiosité. J’ai donc naturellement choisi d’étudier l’Histoire de l’art. Ensuite, j’ai approfondi mes connaissances avec un second master à Londres, au Sotheby’s Institute, suivi de plusieurs stages, notamment au Victoria & Albert Museum et chez Sotheby’s à Paris. En 2009, je me suis lancée comme conseillère en art indépendante, offrant mes services aux collectionneurs, galeries, bureaux de notaires et sociétés d’assurances, en les accompagnant tout au long du cycle de vie d’une collection. Après une dizaine d’années, lorsque je suis devenue maman, j’ai souhaité me recentrer sur un poste en entreprise. C’est à ce moment que je suis arrivée chez Catawiki, la plus grande plateforme d’enchères en ligne. Fin 2023, une nouvelle opportunité s’est présentée chez Puilaetco, chez qui ils recherchaient un Art Advisor. Cela tombait à point nommé.
En quoi consiste votre mission de conseillère en art au sein d’une banque privée ?
Puilaetco, en plus d’être une banque privée, possède elle-même une collection d’art. Le service auquel j’ai été rattachée existe depuis plus de 10 ans, mais il avait besoin d’être revitalisé, ce que j’ai entrepris. Mon travail repose sur trois axes principaux. Le premier, et le plus important, est la gestion des collections : de l’achat à la vente, en passant par l’assurance, la conservation, et ce jusqu’à la transmission. J’ai développé une gamme de services pour répondre à chaque étape de ce processus. Le deuxième axe est orienté vers le networking et l’organisation d’événements. Enfin, le troisième concerne la gestion et le développement de la collection d’art de la banque et du groupe Quintet auquel elle appartient.
Comment accompagnez-vous les clients dans leurs acquisitions d’œuvres d’art ?
Accompagner est vraiment le mot juste. Mon rôle est de faire le lien entre le client et des experts de confiance, qu’ils soient internes ou externes. Je les accompagne en fonction de leurs besoins, de leur profil, et du stade de développement de leur collection. Une collection d’art passe par plusieurs phases : avant l’achat, pendant la période où l’œuvre fait partie de la collection (gestion, stockage, conservation, prêt en musée, etc.), et enfin, la phase de transmission ou de revente. Bien entendu, mes clients peuvent également me poser des questions ponctuelles, à n’importe quel moment.
L’art peut-il être considéré comme un actif financier comparable à d’autres investissements traditionnels ?
L’art est effectivement un actif, puisqu’il immobilise du capital. Toutefois, je préfère éviter de parler d’investissement pur. C’est avant tout un investissement passionnel. Cela demande de la curiosité, du suivi, et un réel engagement. C’est bien plus qu’une question d’argent : soutenir un artiste, se plonger dans un univers créatif, profiter d’une œuvre chaque jour… J’aime dire à mes clients : choisissez avec votre cœur, mais achetez avec votre tête. Je peux les orienter dans leurs choix, mais l’art reste une affaire d’émotion, profondément personnelle.
Les Belges sont-ils particulièrement attachés à l’acquisition d’œuvres d’art ?
Absolument. Le Belge est connu pour avoir la « brique dans le ventre », mais il est aussi un collectionneur passionné. Dès le 17e siècle, les cabinets de curiosités apparaissaient à Anvers et ailleurs en Belgique. On dit même que la Belgique et Taïwan possèdent le plus haut pourcentage de collectionneurs d’art par habitant. Outre ce côté collectionneur, il y a une dimension artistique forte : depuis des siècles, la Belgique est reconnue pour son rayonnement artistique à l’international.
Quels conseils donneriez-vous à un collectionneur débutant qui souhaite investir dans l’art ?
Le marché de l’art étant complexe et souvent difficile à naviguer, il est donc essentiel de bien s’entourer. La première étape est de définir un budget clair, pour savoir quelle somme on est prêt à investir. Ensuite, il faut explorer et affiner ses goûts, ce qui n’est pas toujours évident étant donné la diversité de l’offre. Je recommande de se construire un réseau de confiance : suivre des gale- ries, des artistes et d’autres collectionneurs, visiter des expositions, et surtout prendre le temps d’éduquer son regard. Une fois que l’on a trouvé un artiste dans lequel on souhaite investir, il est crucial de ne pas tout miser sur lui : il faut diversifier ses achats, tant en termes d’artistes que de médiums. Comme en finance, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Quelles sont, selon vous, les grandes tendances actuelles du marché de l’art ?
Les artistes émergents et l’art contemporain continuent d’être très prisés. Les résultats des enchères ont explosé pendant la période du Covid, mais ils connaissent aujourd’hui un léger ralentissement. Les antiquités et les tableaux anciens sont particulièrement impactés. En revanche, on assiste à un intérêt croissant pour les artistes femmes, qui bénéficient désormais d’expositions dédiées dans les musées, ainsi que pour les artistes issus d’autres cultures, notamment africaines. Une autre tendance intéressante à suivre est celle de la céramique, un art qui mêle tradition et modernité, et qui est en plein essor.
Baptiste Cuvelier - à la croisée des époques et des univers
Baptiste Cuvelier
A la croisée des époques et des univers
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Baptiste Cuvelier
On pourrait croire certaines de ses photographies issues d’un autre siècle, ayant figé des jours depuis longtemps révolus. Tout comme on en perçoit dans d’autres des instants vibrants, vivants, semblant tout juste saisis. Alternant noir et blanc et couleurs profondes, navigant entre l’argentique et le digital, Baptiste Cuvelier magnifie l’arrêt sur image.
Vos photos paraissent jouer à pile ou face. Pile, des véhicules rétro qu’on croirait sortis d’un film d’époque. Face, des images de chevaux fougueux et de parties de polo. Révèlent-elles une dualité en vous ? Plutôt deux parts de moi qui se côtoient. Je suis passionné par les voitures de collection et tout ce qui touche aux moteurs, pourvu que ce soit vintage. Quant aux chevaux, ils m’ont accompagné toute mon existence. Je n’aurais donc pu trouver meilleurs modèles. Je suis cavalier professionnel et j’ai pratiqué très longtemps avant de lancer une société de rénovation de maisons. Aujourd’hui, je reviens à ces premières amours, puisque ma compagne et moi avons racheté une fermette avec une écurie, pour y travailler ensemble.
Vous capturez également des paysages et animaux à la beauté indomptée. Est-ce la photo qui vous a amené à la nature ou l’inverse ? J’ai eu la chance de passer mon enfance à observer des chevreuils et des sangliers. Notre maison donnait sur la forêt et les champs et après l’école, j’enfilais mes bottes et partais en courant jouer dans les bois. En grandissant, j’ai commencé à voyager en mode baroudeur, fasciné par les animaux sauvages, je les immortalisais avec mon téléphone. Puis un jour, il m’est venu l’idée d’emmener un vrai appareil. Je me suis alors formé progressivement en autodidacte. J’ai d’abord photographié des renardeaux, puis des ours, des baleines, des meutes de loups. Et cet hiver, j’ai prévu d’aller en Bosnie-Herzégovine à la rencontre de chevaux des montagnes.
Capturer ce type de clichés demande-t-il de mettre le monde en pause ? Oui, totalement. Je n’ai jamais voulu aller me poster dans des affûts, où l’on appâte les animaux pour saisir l’instant parfait. Ce qui me plaît, c’est de me fondre en toute discrétion et en solitaire dans leur environnement. J’ai ainsi déjà dormi en forêt pour ne pas quitter un spot, patienté des heures jusqu’à me faire oublier et obtenir deux minutes d’une lumière unique. Je suis parti en Norvège pour photographier des bœufs musqués, avant de devoir rebrousser chemin sous moins 40 degrés. Les souvenirs qui en ressortent sont d’une intensité rare.
Vos images sont empreintes d’une atmosphère vintage et vous en photographier une bonne part en argentique. Êtes-vous au fond un nostalgique ? Ce qui m’importe c’est de capter le véritable caractère d’un moment. Lorsque j’immortalise du sport mécanique avec des ancêtres, cet effet rétro me permet de les replacer dans leur époque. J’aime le grain de l’argentique, notamment en noir et blanc mais aussi ses tonalités pastel, un peu passées. Et même lorsque je photographie en numérique, je refuse d’accumuler des centaines de clichés. J’analyse longuement avant de presser sur le déclencheur. Je suis ainsi revenu de Suède avec seulement 5 clichés. Pour moi, c’est la rareté et l’attente qui donnent aux photos toute leur valeur.
Vous avez rejoint le catalogue des cadres photos digitaux IONNYK, pionnier belge. Une façon de proposer un autre biais esthétique pour votre travail ? La qualité en est absolument incroyable et je suis honoré de prendre part à cette collection d’artistes prestigieux. C’est aussi l’occasion de voir mes photos voyager et de concevoir d’autres formes de projets, puisque je propose désormais aux possesseurs de voitures de collection ayant un modèle IONNYK, une journée de shooting dédiée, dont ils pourront conserver le résultat unique sur leur cadre. Pour moi qui n’aime rien tant que les récits qui se rattachent aux photos, c’est une expérience exceptionnelle.
Instagram @baptiste.cuvelier
www.ionnyk.com