Arno Declercq
Une esthétique de l’âme
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Ses pièces aux allures monolithiques, tout à la fois brutalistes et organiques, s’imposent tels des livres ouverts révélant un amour et un respect profond du vivant. Sous le toucher d’Arno Declercq, bois et métal se métamorphosent en mobilier sculptural, hommage à l’architecture et à l’art ancien.
A seulement 30 ans, vos créations, meubles comme objets d’intérieurs, sont plébiscités à l’international pour leur beauté atypique et leur conception audacieuse. Mais, comment, à titre personnel, les décririez-vous ? Je dirais que mon style est un condensé de Wabi-sabi brutaliste. Il puise dans cette esthétique japonaise un côté spirituel et le désir de donner du sens à la matière, de modeler la nature pour créer des pièces qui vont durer à travers le temps et sont conçues pour habiter l’espace et la vie. Quant au brutalisme, il en a les codes de minimalisme brut ainsi que la géométrie et les volumes imposants.
Créateur autodidacte, vous avez grandi au sein d’une famille éprise d’art, d’artisanat et de mode. Le design a-t-il toujours représenté pour vous une évidence ? Ce n’était pas réfléchi. Mon père, ayant étudié à l’Académie royale des arts, nous emmenait ma sœur et moi visiter tous les musées et les galeries et se passionnait pour les arts tribaux. La boutique de mode de ma mère m’a de son côté permis de découvrir des créateurs d’exception comme Ann Demeulemeester ou Rick Owens. J’ai donc commencé un cursus en design intérieur, à Sint-Lucas, à Gand, avant de rapidement comprendre que les normes du système scolaire n’étaient pas pour moi et j’ai arrêté après un an. J’ai alors eu l’occasion de partir plusieurs mois au Brésil, créer aux côtés d’Arne Quinze et cela a enrichi mon travail bien au-delà de ce qu’aurait pu m’amener un diplôme. Au retour, j’ai ouvert une galerie d’art et de design ethnographique à Louvain, tout en travaillant dans la rénovation et la peinture de bâtiment, pour financer mon projet. Celle-ci a malheureusement dû fermer après un an, faute de moyens, mais j’ai continué à me passionner pour le design et je restais aussi face à l’impossibilité de trouver du mobilier et de la décoration que j’aimais. J’ai alors fabriqué mes propres modèles, destinés au départ seulement à mon intérieur. J’en publiais des photos sur mon compte Instagram, et ceux-ci furent rapidement repérées par des galeristes, parmi lesquels Garde, à Los Angeles, qui devint mon premier client.
Vous évoquiez le Brésil et son importance dans votre parcours. Ce fut le cas pour d’autres voyages, notamment en Afrique de l’Ouest, dont vous avez ramené l’Iroko, un bois tropical devenu votre principal matériau. Oui, en effet. J’ai beaucoup voyagé avec mon père. J’ai dormi chez le peuple Lobi au Burkina Faso, chez l’ethnie Fon au Bénin. J’y ai découvert des philosophies très pures et des objets à la symbolique exceptionnelle. Au Bénin, j’ai ainsi rencontré des menuisiers travaillant avec du bois Iroko, que l’on retrouve aussi au Cameroun, au Togo et au Burkina Faso. Un arbre tropical fascinant, surnommé « Roi de la forêt ». Les locaux l’estiment habité par leurs ancêtres et lorsqu’un guérisseur vodou doit cueillir des herbes et plantes de la forêt, il demande aux Iroko, sa bénédiction avant de poser cet acte. Je n’ai pas imaginé d’emblée créer des meubles avec celui-ci, mais je trouvais cette vision spirituelle magnifique, tout comme sa teinte noire et sa dureté mêlée à la finesse de ses veines. Je ne mets pas son histoire en avant, estimant qu’il s’agirait d’appropriation culturelle, mais elle imprègne mes pièces. En créant par exemple une table centrale, où les membres d’une famille pourront se retrouver pour parler, partager, j’espère imprégner leur maison d’une part de cet esprit. Tout comme j’utilise la technique japonaise du Sho Sugi Ban, consistant à brûler profondément le bois pour le rendre ensuite plus résistant à la combustion et aux champignons. Je tiens à ce que derrière l’esthétique il y ait une âme. La pièce dont je suis le plus fier est ainsi la Zoumey Table, un plateau de noyé africain brûlé et ciré, soutenu par une forêt de pieds en bois Iroko. Je voue un immense respect à mes matériaux, c’est pourquoi je fabrique mes créations artisanalement, en veillant à en minimiser les chutes. Je me fais le devoir préserver chaque morceau de bois.
Si vous créez toujours au sein de Zaventem Ateliers, vous avez récemment ouvert un showroom à Anvers, dans un espace industriel de 500 mètres carrés. Pourquoi ce choix ? Zaventem Ateliers est un superbe espace, mais c’est celui de l’artiste et designer Lionel Jadot, son identité. Il était temps pour moi d’avoir un lieu, une atmosphère qui me ressemble, qui puisse refléter l’essence de mes collections.
Qu’est-ce qui vous guide aujourd’hui ? J’aime créer dans la diversité, entre commandes et projets personnels, tout en conservant toujours mon intégrité artistique. On m’a déjà proposé de racheter mon studio, mais cela reviendrait à vendre mon nom et mon identité. Il n’en est pas question, pas plus que de fabriquer des objets à la chaîne. Je ne signe pas non plus mes pièces. J’espère les imprégner d’un ADN suffisamment fort que pour qu’elles soient reconnaissables, même sans cela. Aujourd’hui, je nourris aussi le rêve d’acheter des maisons et appartements à travers le monde, pour permettre à ceux qui le souhaitent d’habiter au milieu de mes meubles et objets. C’est la vie qui leur donne tout leur sens.
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