Arne Quinze réinvente l'espace public
Mots : Servane Calmant
Photos : Dave Bruel
Arne Quinze s’installe au BAM à Mons jusqu’au 29 août. My Secret Garden, exposition rétrospective de ses œuvres ces 25 dernières années, invite à voir des dessins, esquisses, maquettes de sculptures réalisées dans le monde entier, grands tableaux impressionnistes et installations qui prennent racine dans le monde végétal. Rencontre avec un artiste qui n’a pas peur de susciter des réactions. Bien au contraire.
Le public belge connaît vos constructions organiques monumentales, notamment Cityscape qui était dans le quartier Louise à Bruxelles ou encore The Passenger qui est restée six ans au cœur de la ville de Mons, avant d’être démontée en avril dernier. My Secret Garden, l’expo que le BAM vous consacre ne se résume pas à vos œuvres urbaines, mais invite surtout à découvrir un artiste aux multiples facettes, graffeur, peintre, plasticien… « Oui (un oui enthousiaste ! nda), c’est une magnifique rétrospective qui présente une sélection d’œuvres de ces 25 dernières années. J’en ai rouvert des cartons ! Et cette expo m’a même permis d’en apprendre davantage sur ma propre évolution artistique. Je remercie Xavier (Xavier Roland, le directeur du BAM, nda) qui m’a ouvert les yeux ! De fait, regardez les Nymphéas, ma série de tableaux inspirés de Monet, les toiles sont serties d’un cadre. Les tableaux que je peins aujourd’hui n’ont plus de cadre, je ne restitue plus des fleurs mais tout le jardin. C’est la nature qui m’inspire ce débordement, cette liberté sans aucune entrave ni restriction. »
Vous avez grandi à la campagne mais gamin, vous aviez déjà une idée bien précise de la ville. Quand vous avez finalement déménagé en ville, à Bruxelles, à 9 ans, vous avez dû être sacrément déçu ! « Ah oui ! Gamin, j’avais imaginé que les villes ressemblaient à un film comme Avatar. J’ai fait plusieurs fois le tour du monde et c’est partout pareil : l’homme détruit la nature pour vivre enfermé entre quatre murs, il naît à la maternité entre quatre murs, évolue à l’école entre quatre murs, se loge entre quatre murs, travaille entre quatre murs, termine sa vie entre quatre planches. Son horizon ? Quatre murs ! Il faut absolument réinventer l’espace public, nos villes, notre monde en y incluant la nature, sa beauté à travers son incroyable diversité ! »
Mais Bruxelles est une ville verte ! « Non, c’est une ville terne ! »
Le village de Laethem-Saint-Martin (pas loin de Gand, nda) où vous vivez et travaillez est nettement plus vert, c’est incontestable ! « Où je vis, je travaille et où, tôt le matin, après avoir fait une heure de sport, je prends racine dans mon jardin pour observer ce que les plantes et les fleurs ont à raconter… »
A vos yeux, quelle est la ville la plus verte, humaine, inspirante ? « Le village que je construis actuellement en Espagne : des maisons bâties autour des arbres – on ne rasera aucun arbre ; au contraire, on va en planter des milliers -, des toits végétalisés, un énorme potager, une école à la forme organique… J’y installerai ma fondation et un atelier. C’est un chantier qui va durer au moins dix ans … »
On l’a compris, le monde végétal est votre source principale d’inspiration. Son caractère éphémère, celui des fleurs notamment, ne vous dérange pas ? « Absolument pas. Mon père est décédé il y a peu. Lui, l’homme fort de la maison, était devenu, la veille de sa mort, fragile, son corps tout rabougris… Même cette fragilité-là me semblait belle. Les fleurs, même fanées, je les aime. Je suis très sensible au concept Mono No Aware, un terme japonais qui décrit la prise de conscience de l’éphémère, et inspire mon travail actuel. Je recherche en effet la fragilité visuelle de la puissante bataille que livre la nature au quotidien pour maintenir la diversité. »
En proposant des sculptures dans l’espace public, vous transformez la ville. Avez-vous rencontré des réticences voire de la résistance de la part des instances publiques ? « Evidemment. Les gens ont peur du changement, de la couleur, des projets innovants. Pourtant je note que les mentalités évoluent : il y a 25 ans, mes installations en 3D n’intéressaient personne mais j’ai continué à me battre. Aujourd’hui ce sont les grandes villes, Rio de Janeiro, Mumbai, New York, Shanghai, Moscou, Paris, qui viennent à moi ! Il y a une prise de conscience de l’importance de ramener la nature dans la ville, mais ce réveil est trop tardif et trop lent ! »
Vos œuvres urbaines sont le plus souvent éphémères… « Oui, on a fait beaucoup d’études et de recherches sur le vide que l’installation laisse quand on la démonte. Et souvent, le vide est encore plus interpellant que l’œuvre, même si je n’ai pas pour vocation de créer du vide ! Je suis par ailleurs bien conscient que tout le monde n’aime pas mon travail mais le plus important c’est de créer un dialogue et une interaction avec l’œuvre. Cela dit, je tends aujourd’hui à créer de plus en plus d’installations qui n’ont plus pour vocation d’être démontées… »
Combien de temps faut-il pour construire une œuvre comme The Passenger ? « Si on fait la somme du temps à réfléchir, à faire des recherches, à construire la maquette, à former les équipes, je dirais près de 20 ans ! »
Vos projets actuels et à venir ? « Des installations au Caire, au Brésil, à Shanghai, au Mexique… »
Un ouvrage monographique sur votre carrière est prévu pour fin juillet… « Oui, il s’inscrit dans l’expo du BAM, retracera 25 années de ma carrière et sera illustré avec plus de 500 images. »
Fin de l’entretien. Pause jardin bien méritée ? « (Rire) Non, je vais travailler dans mon atelier ! »
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