Amélie nothomb
« Il nous appartient de nous délivrer d’une malédiction verbale de notre jeunesse »
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Niko Aliagas
Pas de rentrée littéraire sans une Amélie Nothomb d’une régularité métronomique. L’auteure belge qui vient de fêter ses 55 ans poursuit son exploration des rapports familiaux avec « Le livre des sœurs », un 31e roman consacré à l’amour sororal. Une fiction qui nous renvoie à sa relation très forte avec son aînée, Juliette Nothomb, dont le nouveau roman sort au même moment.
« Le livre des sœurs » sort en même temps que « Éloge du cheval », le roman de votre sœur. Hasard du calendrier ou amour coordonné ? Quand j’ai su qu’Albin Michel, mon éditeur, publierait mon livre à la date habituelle, c’était l’occasion pour Juliette de publier son chef-d’œuvre « Éloge du cheval ». Ça nous donne l’immense plaisir de participer ensemble à de nombreuses émissions et séances de dédicace. C’est parfait !
Vous avez consacré « Premier sang » à votre père adoré. Sont-ce les déracinements liés à son métier de diplomate qui ont fait de vous des sœurs si proches ? Juliette a été très souvent ma seule compagnie dans des pays politiquement ou économiquement compliqués, où ne pouvions pas aller à l’école, où nous n’avions pas d’amis. On s’entendait déjà magnifiquement bien, mais ça nous a encore plus soudées.
A l’image de vos protagonistes, vous êtes-vous sentie délaissée par vos parents ? Non, mes parents, par leur métier, étaient tenus de sortir le soir. Ma sœur et moi, toutes les soirées de notre enfance, nous étions seules. Ça ne fait pas de nous des enfants délaissées mais le regard de nos parents sur nous, n’était pas aussi fréquent que nous pouvions l’espérer.
Tristane est une enfant surdouée passionnée par la littérature. Pourtant, elle vit le drame d’apparaitre comme une petite fille terne ? Avez-vous eu le même ressenti ? On ne m’a jamais traité de petite fille terne, en revanche de jeune fille laide, oui. La première fois que ma grand-mère m’a vue, elle m’a dit « ma petite, j’espère que tu es intelligente parce que tu es tellement laide ». Croyez-moi, ce n’était pas pour rire ; d’ailleurs, je n’ai pas ri du tout. Ça m’a beaucoup fait souffrir pendant mon adolescence.
En quatrième de couverture, on peut lire ceci: « Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne ». Des mots peuvent être assassins ou marquer notre futur. Comment y échapper ? Nous avons presque tous connu, dans notre enfance ou notre adolescence, un épisode ou un mot qui nous est apparu comme une condamnation. Un mot maladroit, mal interprété, parfois réellement malveillant. Après de longues années de souffrance intense, cette parole n’était-elle pas simplement dite par inadvertance ? Était-ce finalement si négatif ? N’était-ce pas juste une idiote qui a formulé une bêtise? Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne et il nous appartient, à l’âge adulte, de nous délivrer d’une malédiction verbale de notre jeunesse.
Cosette, la cousine de vos héroïnes, souffre d’anorexie. Une maladie que vous avez traversée durant votre adolescence. Qu’est-ce qui vous a permis de la surmonter ? Un miracle très violent ! A quinze ans et demi, je sentais vraiment que j’étais en train de mourir. A un moment, mon corps s’est séparé de mon âme. Celle-ci poussait des hurlements disant « Hors de question que tu manges. Je t’interdis de manger ». Mon corps n’a pas obéi à mon âme et est allé manger, tous les jours. Ca m’a guéri, en même temps, ce fut une énorme souffrance de vivre le corps séparé de l’âme. C’est grâce à l’écriture que j’ai pu, peu à peu, réintroduire mon âme dans mon corps.
L’étymologie de Tristane, votre héroïne, est dérivée de « tristis » qui signifie « triste. Celle de Laetitia, sa cadette, « joie ». A l’image des sœurs Nothomb ? Paradoxalement, on dirait que je suis très joyeuse et ma sœur a facilement l’air mélancolique, alors que c’est exactement le contraire. Mais ça ne se voit pas sur nos visages.
Tristane apprend à parler et à écrire précocement. Fut-ce également votre cas ? J’ai appris à lire quand je n’avais pas trois ans avec « Tintin en Amérique ». Au moment où la vache ressort de l’usine sous forme d’une saucisse, je me suis aperçue que je savais lire et que j’avais appris toute seule !
Vous êtes la petite sœur de Juliette. Trois ans vous séparent. Tristane se sent comme la cadette de Laetitia. Inversement, vous sentez-vous le moteur de votre fratrie ? A l’adolescence, j’ai eu l’impression que je devenais la sœur aînée, d’avoir plus d’expérience que ma sœur et le besoin de la protéger.
Votre succès a-t-il été un frein à l’amour qui vous unit à votre grande sœur ? Non, il n’y a jamais eu aucune forme de jalousie entre Juliette et moi. C’est formidable !
Du tac au tac avec Amélie
Quels sont vos points communs les plus flagrants ? Les souvenirs et la gourmandise.
Quelle est la plus grande qualité de votre sœur ? C’est une personne d’une gentillesse inimaginable.
Son plus grand défaut ? Elle est tout le temps dans la lune.
Vous appelez-vous souvent ? Elle est la première personne que j’appelle tous les matins.
A vos yeux, qu’est-ce qui rend si précieux l’amour sororal ? C’est le seul amour où le rapport de force est vraiment impossible.
Comment qualifieriez-vous votre relation ? Fusionnelle.
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