Ado Chale
De l’âme à la matière
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Gilles Van den Abeele
Durant plus de 65 ans, Ado Chale aura été un être de création. Vibrant tout entier au diapason d’un art en trait d’union du brut et du précieux, du noble et de la nature. Ce sont désormais ses enfants, Ilona et Pierre qui se font les garants de son œuvre monumentale, mais aussi le prolongement de celle-ci. L’émerveillement et la liberté en héritage, comme l’explique Pierre Barbion-Chale.
Designer, minéralogiste, forgeron, artiste… les définitions apposées à votre père et à ses créations sont nombreuses. Vous qui avez grandi aux côtés d’Ado Chale, comment raconteriez-vous son univers et son processus créatif ? Mon père est une personne profondément humble, qui s’est toujours considérée comme un artisan au service des matières nobles qu’il façonnait. Plus qu’une technique, ce qui le guidait c’était l’émerveillement et la fascination pour les choses les plus infimes, souvent invisibles aux yeux des autres. Et un regard resté brut et intègre, qui refusait les influences extérieures. Il expérimentait les formes et les matières, dessinait, sculptait et concevait des meubles et des objets, s’imposant uniquement de créer avec authenticité.
Ado Chale étant âgé de 96 ans, votre sœur Ilona et vous veillez désormais sur l’ensemble de ses réalisations. Vous considérez-vous tous deux comme les gardiens de son histoire et de son patrimoine ? Certainement. Ces rôles se sont imposés à nous naturellement. La création a toujours été partie intégrante de notre famille, son noyau. Mais j’ai la certitude que même si nous n’étions pas là y contribuer, la vision de notre père perdurerait. Les initiés distinguent d’emblée un meuble Chale. Il jouit d’une forme de reconnaissance inouïe aujourd’hui, fondé sur des décennies de travail et de passion, ayant légué une production colossale qui ne disparaîtra pas. Ses tables de pierre ou de bronze pourront résister au temps encore des milliers d’années. Et cela rend cet héritage d’autant plus émouvant.
Ilona gère la promotion de son travail et sa reconnaissance, tandis que vous êtes à la tête de la création et de la direction artistique. Souhaitez-vous aujourd’hui lui donner une autre forme ou marcher dans ses pas ? Prêtez un même outil à mille personnes et chacun l’emploiera à sa façon, tout comme nous sommes tous uniques. Mon approche est un peu différente de celle de mon père, ma sensibilité aussi. J’ai par exemple débuté en réali-sant des objets à base de mosaïque d’os. Nous avons chacun d’une certaine façon notre musique, mais je reste fidèle à sa ligne de conduite. C’est le sens même de ma démarche.
Tout comme lui, vous êtes auto-didacte. La curiosité est-elle à ses yeux et au vôtre la meilleure des écoles ? Quand je pense à mon enfance, je me rappelle ce même atelier où je continue son travail aujourd’hui. Et ma fascination en découvrant ces énormes bacs contenant des pierres de toutes formes et couleurs, des minéraux, mais aussi de la malachite, du jaspe, des cristaux, ou encore des grains de poivre, des perles et des morceaux de bois, chinés au fil de ses voyages et avec lesquels je pouvais expérimenter comme un vrai terrain de jeu. Mon père a toujours aimé partager cette aventure. Sur la façade était d’ailleurs inscrit « Atelier d’artistes » au pluriel. Son optimisme était contagieux et sa passion a nourri notre esprit créatif, à mon frère, ma sœur et moi. Une passion qui tenait plus du besoin viscéral. Il ne s’arrêtait jamais d’imaginer et de créer.
Pourquoi avoir choisi de réaliser cette rétrospective, qui sera présentée à partir d’octobre dans les écuries de l’hôtel Solvay ? Marque-t-elle un nouveau cap, après celle au Bozar en 2017 ? Mon père ayant un grand âge, nous voulons lui offrir encore une fois cet honneur de son vivant. Ce sera l’occasion de présenter l’ensemble de son travail, les nouvelles créations que j’ai faites comme les pièces iconiques façonnées il y a 50 ou 60 ans. Et permettre ainsi aux amateurs de revoir ses œuvres et à ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir la façon dont nous les inscrivons dans une continuité.
Comment votre père vit-il les hommages à ces 65 ans d’une vie dédiée à la création ? Il n’a jamais cherché à atteindre les étoiles ni couru après la gloire. Il n’imaginait pas que ce qui naissait dans son petit atelier ixellois puisse avoir une telle portée et une fois qu’il l’a compris, il en a été le premier surpris. Aujourd’hui, il n’en a hélas plus conscience. Mais sa modestie l’a toujours amenée à vouloir qu’on honore ses réalisations plutôt que lui-même.
Peut-on dire aujourd’hui que l’art d’Ado Chale s’écrit en duo ? Non, je ne crois pas. C’est lui le pilier. Je ne vais pas me substituer à mon père. Je continuerai à appréhender son travail à ma manière, en mêlant ma vision à la sienne, mais cela reste son œuvre. Et je veille à la faire vivre à travers ma main.
Exposition Rétrospective d’Ado Chale, du 18 octobre au 16 novembre 2024,
36 Rue Lens, 1050 Ixelles.
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