Les œuvres d’âme de Renato Nicolodi
Mots : Barbara Wesoly
Photos : Renato Nicolodi
Ses sculptures et installations évoquent un autre temps. Un temps qui résonne de l’écho de la guerre et de ses vestiges collectifs, autant que des récits qui ont marqué son enfance. Par une réappropriation de l’architecture, Renato Nicolodi mêle la rationalité au sensible et invite, avec une profonde humanité, à une réflexion sur le rôle de la mémoire.
Votre travail est en lien direct avec l’histoire. Celle qui s’écrit avec un grand H comme celle, plus personnelle, de votre famille. Où ces deux récits se rencontrent-ils ? Pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est elle qui a déterminé le destin de mes grands-parents et imprégné ma vie par la même occasion. J’ai grandi en les écoutant raconter cette période dramatique. Mon grand-père paternel italien était orphelin et a connu la dictature de Mussolini avant de rejoindre la Belgique. Il y fut fait prisonnier par les Allemands, placé dans des camps de concentration puis de travail, avant de finalement s’évader et intégrer la Résistance. Ma grand-mère maternelle était belge et a été victime d’un voisin dont elle avait refusé les avances et qui, après la guerre, l’a dénoncé pour collaboration. Elle s’est retrouvée enfermée pendant un an, par pure injustice. Ils en parlaient librement, même au petit garçon que j’étais. Avide de comprendre, je leur ai posé mille questions. Très tôt, j’ai craint que leurs mots m’échappent et, à 12 ans, je les ai donc enregistrés sur des cassettes audios. J’ai aussi couché leur témoignage sur papier. A travers eux, j’essayais de donner un sens à la vie et d’y trouver ma place.
Ce besoin de transcrire le passé sous forme de création vous est également venu très tôt. D’abord par la peinture. Quand a-t-elle laissé la place aux installations architecturales ? J’ai toujours beaucoup dessiné. A 13 ans, j’entrais à Saint-Luc, à Bruxelles, pour suivre une formation artistique. C’est ce qui m’a amené à la peinture, que j’ai continué à pratiquer durant mes études. Et puis, vers la fin de mon cursus, je me suis retrouvé face à des bunkers des années 40, lors d’un voyage en France. Ils m’ont rappelé les récits de mon grand-père, forcé d’y travailler comme main-d’œuvre. J’ai ressenti le besoin de les raconter. Mais pour cela, il me fallait une technique à même d’en représenter toute la dimension. Ça a marqué le point de départ de mon travail actuel.
Vous créez des bunkers, mais aussi des sanctuaires, des temples ou encore des atriums, qu’est-ce qui amène à leur choix ? Mes œuvres sont souvent conçues pour des expositions ou pour être le rappel d’un fait historique ou culturel. Elles sont fondamentalement archétypales et font du passé un fil conducteur. Les références y sont présentes partout, à commencer par leur titre, souvent en latin, comme De Profundis ou Mausoleum. Elles sont empreintes d’une profonde dualité, célébrant une architecture monumentale, tout en en rejetant la mégalomanie nazie à l’origine de celle-ci. Mais aussi de contrastes, entre ombre et lumière, dont les différents degrés de lecture poussent à l’introspection.
Votre travail évoque la pureté et la sobriété à leur extrême, notamment par l’utilisation du béton. Et possède pourtant une forme de mélancolie. Quelle y est la place de l’humain ? Partout. Dans ma recherche d’une forme de langage universel. Tout comme une critique silencieuse de l’humanité. J’espère tendre aux spectateurs un miroir les mettant face à leurs choix comme à leur impuissance. Un principe que les nombreux corridors, escaliers, passages clos et ouverts viennent renforcer. C’est une exploration intérieure à travers le prisme du passé. Le trou noir présent dans nombre de mes créations se veut d’ailleurs un espace réflectif. Certains spectateurs y voient la mort. Mais ce néant a au contraire à mes yeux, une signification positive, puisqu’il peut être comblé par les idées et la mémoire. C’est un lieu où tout peut s’écrire.
Aimeriez-vous continuer cette démarche d’une documentation créative ou vous imaginez-vous emprunter une autre voie ? Nous avons le devoir à veiller à ce que les erreurs dramatiques du passé ne se reproduisent pas, y compris en préservant leur souvenir via l’art. J’ai publié il y a quelques années un livre noir, qui tout en présentant mes œuvres était un hommage, puisqu’il contenait des reproductions des trois carnets où mon grand-père écrivait pendant la guerre et des photos des cassettes d’enregistrement de ma grand-mère. On y retrouvait également des textes d’auteurs abordant l’architecture et l’histoire. Le prochain, sur lequel je travaille actuellement, sera blanc. Il exposera les créations que j’ai réalisées depuis, mais aussi une démarche plus politique et engagée. Je ne me vois pas dans autre chose, tout comme on ne peut changer son passé. Mais plus que tout, c’est une philosophie de paix que je souhaite propager. Au-delà de la douleur de la guerre, c’est cet espoir d’un lien profondément humain qui doit être préservé.

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