Lubiana
« Je considère mon métissage comme un cadeau »
Mots : Servane Calmant
Photos : Diane Moyssan
Fruit de deux ans de voyages en Afrique, Terre rouge, le nouvel album de la chanteuse belgo-camerounaise Lubiana, sonne comme un message d’espérance et d’amour. « La Blanche », comme on la surnomme au Cameroun, se confie sur sa double culture, sur le lien qu’elle entretient avec la kora, cet instrument traditionnellement réservé aux hommes, et sur son parcours musical, aussi élégant que singulier…
Lubiana signifie bien-aimée. Tout le monde n’a pas la chance de porter un prénom aussi poétique que le vôtre ! C’est un prénom qui fait en effet écho à l’amour. L’amour que l’on donne, l’amour que l’on se donne aussi. C’est un héritage précieux qui m’accompagne tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Je mesure chaque jour la chance de porter un nom qui parle d’amour…
Vous êtes née en Belgique, d’un père camerounais et d’une mère belge. Que vous a transmis ce métissage ? J’ai grandi dans une maison qui cultivait une double culture. Ma mère écoutait Mozart et Beethoven ; mon père, Manu Dibango et Youssou N’Dour. Mais au-delà de cet éclectisme musical qui m’a nourrie, mon métissage m’a offert une vision plurielle du monde qui inspire la tolérance. J’ai appris à voir la richesse dans les différences. Pourtant, à 16 ans, j’ai rejeté le Cameroun, ce pays où je passais tous mes étés sans jamais m’y sentir vraiment chez moi. Pendant dix ans, je n’ai plus mis les pieds en Afrique …
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y retourner ? Mon grand-père disait souvent : pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. En 2019, j’ai ressenti ce besoin de retour aux sources. Depuis, je m’y rends chaque année. C’est là-bas que reposent mes ancêtres. J’ai d’ailleurs appris le Bangoua, la langue de mon grand-père et de ma famille camerounaise, pour me rapprocher davantage de mes racines. Longtemps, je n’ai pas compris la valeur de mon métissage, mais désormais, je le considère comme un cadeau.
Cette réconciliation avec l’Afrique, elle passe par la kora … Absolument, c’est la kora, un instrument que l’on trouve partout dans l’Afrique de l’Ouest et qui se transmet oralement de père en fils, qui m’a permis de retrouver mon lien avec l’Afrique. Quand j’ai découvert la kora à 21 ans, ce fut une révélation. Je suis retournée au pays pour l’apprendre et j’ai senti l’Afrique vibrer en moi. Comme un appel, une évidence.
Etes-vous la seule femme à jouer de la kora sur scène ? Non, il y a également Sona Jobarteh, une artiste gambienne extraordinaire, qui a été la toute première femme à devenir une virtuose professionnelle de la kora. Elle a ouvert la voie. Je crois savoir que nous sommes les deux seules femmes à jouer de cet instrument en public …
Qu’est-ce qui rend la kora si spéciale ? La kora est plus qu’un instrument. Elle porte une histoire millénaire et les griots disent qu’elle vibre au rythme de l’âme du musicien et que c’est la kora qui choisit son maître. Toumani Diabaté (l’un des plus grands joueurs de la kora, récemment décédé – nda) m’a offert sa bénédiction, en me disant que la kora m’avait élue, après m’être apparue en rêve. Je pense que nous nous sommes choisies mutuellement. Les musiciens de la kora sont d’ailleurs très bienveillants avec moi ; leur plaisir de partage et de transmission est total car je suis à l’écoute de leur héritage musical…
Dans la chanson La Blanche, vous vous décrivez comme « étrangère pour vos frères », tout en célébrant ce « mélange qui tisse les liens » … Au Cameroun, on m’appelle La Blanche, partout, tout le temps. Pour beaucoup de Camerounais, ce surnom n’est pas offensant, c’est juste un constat. J’ai donc ressenti assez tôt que je serais toujours La Blanche en Afrique et la métisse en Europe où on continue de m’interroger sur mes racines. Paradoxalement, je ne suis chez moi nulle part et partout à la fois. Mais, aujourd’hui, je ressens mon métissage comme une richesse, comme un cadeau qui m’a permis d’ouvrir mon esprit, d’acquérir une véritable curiosité de l’autre et un respect profond des différences.
Votre nouvel album comporte une chanson très touchante, Farafina Mousso, sur laquelle vous avez invité l’artiste franco-rwandais Gaël Faye … Farafina Mousso signifie Femme d’Afrique en bambara, la langue principale du Mali. C’est un titre qui célèbre toutes les femmes d’Afrique : nos mères, nos sœurs, nos filles. Ces femmes sont les plus invisibilisées sur terre, pourtant elles font preuve d’une résilience incroyable ! Au Rwanda, Gaël Faye et moi-même avons rencontré des femmes extraordinaires qui font preuve d’un courage exemplaire, malgré la douleur indicible causée par les viols subis et le génocide rwandais. Nous voulions leur rendre hommage, célébrer leur force, leur beauté. En tant qu’artistes et en tant que descendants de l’Afrique, il était essentiel pour Gaël, pour Toumani Diabaté que j’ai également invité sur cet album, et pour moi, de mettre en lumière ces femmes et de porter ce message d’humanité et de reconnaissance.
Pourriez-vous vous installer définitivement en Afrique ? Non, je suis une nomade. Mais où que j’aille, mes ancêtres vivent en moi.
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