Pierre Marcolini
30 ans d’excellence
Mots : Servane Calmant
Photos : Jon Verhoeft
Pierre Marcolini, un artisan à la fulgurante carrière ! En 1995, il remporte le titre de Champion du Monde de Pâtisserie. En 2020, il est élu Meilleur Pâtissier du Monde. En 2025, il s’apprête à fêter les 30 ans de la Maison Marcolini. Le plus célèbre ambassadeur du chocolat d’auteur belge à l’international nous ouvre les portes de son domicile ixellois et de son nouvel atelier de production à Haren.
Trente ans à la tête de la Maison Marcolini, fondée en 1995. Quel gâteau pourrait marquer cet anniversaire ? J’ai 30 ans de Maison, mais déjà 45 ans de métier. Je pourrais être à la retraite ! Mon gâteau préféré ? Sans hésitation: le merveilleux. C’est ma Madeleine de Proust. Dans les années 60, 70, il dénotait parmi les pâtisseries classiques alcoolisées, comme le baba au rhum ou le gâteau au kirsch. Intemporel et irrésistible, le merveilleux a tout pour me charmer : le craquant de la meringue, la douceur de la chantilly, la gourmandise des copeaux de chocolat. Et cet instant où les différents ingrédients fondent et s’abandonnent – j’adore ! Enfant, j’étais prêt à échanger mes petites voitures contre une part de ce gâteau. Alors, soit mes parents m’emmenaient voir un psy (rires), soit je faisais de la pâtisserie mon métier… Vous connaissez la suite.
Pierre, vous êtes un pâtissier mondialement acclamé et un chocolatier de renom, mais êtes-vous également un bon cuisinier ? L’important, ce n’est pas l’assiette, même si elle semble plaire à mes invités, mais l’attention et le soin qu’on y apporte. Quand j’organise un repas, je réfléchis au menu une semaine à l’avance : je dessine chaque plat, accroche mes esquisses au-dessus du plan de travail, et passe une bonne partie de la soirée en cuisine… Préparer un repas dans les règles de l’art, ça prend du temps.
En 1995, à 31 ans, vous avez été sacré Champion du Monde de Pâtisserie à Lyon. Il fallait du mérite, mais aussi de la niaque pour réussir ! Dans les années 90, j’étais une vraie bête de concours : j’ai participé à une quarantaine de compétitions régionales, nationales et internationales. Mais il faut replacer l’insatiabilité dans le contexte de l’époque : en 1995, internet n’en était qu’à ses débuts et les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Les concours étaient les seuls lieux de rencontre et d’échange pour les professionnels du métier. En 1989, j’obtiens mon diplôme de pâtissier, glacier et chocolatier au Ceria. Deux ans plus tard, je suis désigné meilleur pâtissier glacier de Belgique et, en 1992, je suis sacré vice-champion du monde à Tokyo, puis en 1993 à Lyon… Tous ces concours m’ont poussé à me surpasser, à mesurer mes compétences techniques. L’esprit de compétition était sain, même si chaque épreuve exigeait un investissement colossal. Quand, en 1995, je décroche le titre de Champion du Monde de la Pâtisserie, ce prix récompense avant tout un travail d’équipe : Rik De Baere, Gunther Van Essche, Marc Debailleul, notre coach, et moi-même, le capitaine. Mais ce titre m’a également permis d’acquérir une visibilité exceptionnelle en Belgique. Imaginez : en 1997, je m’installe au Sablon, presque en face de Wittamer, la référence de la pâtisserie à l’époque, mais également mon ancien employeur… Quelle outrecuidance ! (rires)
Ce titre de Champion du Monde de la Pâtisserie, aucun autre Belge ne l’a décroché depuis. Pourquoi, d’après vous ? En Belgique, l’enseignement technique et professionnel accuse un certain retard. Et l’artisanat y est moins valorisé que dans les pays voisins comme la France. Certes des efforts sont faits aujourd’hui pour revaloriser les métiers artisanaux, mais n’est-ce pas trop tard ?
2001 marque un tournant décisif dans votre carrière, puisque vous décidez de transformer vous-même les fèves de cacao en chocolat. Pour autant, le terme de cacaofèvier vous fait bondir … Evidemment ! Chocolatier signifie celui qui fabrique le chocolat. Alors, pourquoi inventer le terme cacaofèvier? C’est ridicule. Aujourd’hui, 99% des chocolatiers ne font pas du chocolat, ils travaillent du chocolat de couverture, un produit semi-fini, nuance ! De 1995 à 2000, je faisais comme eux, puis un jour, tout a changé… A l’occasion des concours de pâtisserie à Lyon, j’en profite pour rendre visite à plusieurs confrères chocolatiers, dont Maurice Bernachon, le père de Philippe, l’actuel propriétaire. Dans les ateliers Bernachon, je découvre une odeur jusque-là inconnue : celle de la torréfaction. C’est une révélation ! Une phrase devient alors mon credo : entre le rêve et la réalité, la seule porte qui les sépare, c’est le courage. A partir de l’an 2000, je choisis de redonner ses lettres de noblesse au métier de chocolatier, en valorisant l’excellence de la fève, soigneusement sélectionnée auprès de producteurs indépendants à travers le monde, l’excellence du chocolat et l’excellence de la tablette. Ma nouvelle tablette Congo, par exemple, séduit par une note de fèves de cacao très intense. Je crée ce que j’appelle un chocolat d’auteur qui ne laisse personne indifférent. Et j’en suis fier.
Avez-vous déjà envisagé d’acquérir une plantation de cacao ? Non. Je pourrais éventuellement imaginer développer des partenariats avec des planteurs, mais déposséder la terre de ses habitants, non, je ne pourrais pas m’y résoudre…
Quel trait de caractère dominant vous a guidé tout au long de votre parcours ? Je pourrais vous parler d’émotion, de passion, de conviction. Mais c’est la curiosité, mon principal moteur. La Maison Marcolini a été la première à faire du chocolat à base de thé, à redimensionner la taille des ganaches, pour privilégier l’expérience de dégustation. Je demande régulièrement à mes équipes d’adapter telle ou telle recette à la faveur d’une découverte. J’ai hâte de goûter la vanille du Kerala, en Inde qui est, paraît-il, ultra gourmande…
Où puisez-vous votre inspiration ? Voyages, rencontres, belle maroquinerie, porcelaine japonaise, tout est source d’inspiration. Un lapin vu à la Fondazione Pirelli à Milan a influencé une de mes collections à Pâques…
En tant que directeur de création, vous êtes le premier testeur de vos nouveautés. Vous faites ensuite appel à l’équipe. Mais faites-vous également confiance à l’avis de vos proches ? Vous allez rire : mon épouse n’aime pas le chocolat ! Mais mon fils, avocat, est un fin connaisseur et un excellent goûteur. Je suis à l’écoute de son avis. Mais les meilleurs testeurs sont mes clients : ils aiment ou ils n’aiment pas. La sanction est sans équivoque.
Aujourd’hui, Pierre Marcolini compte plus de 60 boutiques à travers le monde. Et en Belgique, vous venez d’agrandir votre atelier de production… Exact. J’ai considérablement agrandi en octobre dernier mon atelier de production à Haren. A l’avenir, nous pourrons tripler notre production.
L’artisanat n’est donc pas une question de taille… Non, c’est un état d’esprit, une philosophie d’entreprise.
Il y a deux ans, vous avez repris la présidence du Brussels Expertise Labels. De quoi s’agit-il ? C’est un regroupement inspirant qui sert à préserver la mémoire de Bruxelles, à travers le savoir-faire et l’expertise de grandes maisons et créateurs Made in Brussels. Ces joailliers, tailleurs, couturiers, tables gastronomiques, hôtels … participent au rayonnement de Bruxelles à l’étranger. Le Bel a également créé les Bel Prizes pour mettre Bruxelles en lumière à travers ses talents.
Bruxelles semble avoir une place importante dans votre cœur… J’adore Bruxelles même si je la trouve meurtrie, notamment en termes de mobilité. Il faudrait un projet fédérateur qui parle au nom de tous les Bruxellois, pour la sortir de cette impasse. Réfléchir ensemble à la ville de demain.
Pourriez-vous néanmoins quitter Bruxelles pour le Japon, votre pays de coeur ? Pas pour l’instant. Mais c’est un pays qui me fascine depuis longtemps, je m’y rends trois fois par an depuis 20 ans. C‘est le premier marché de la Maison Marcolini.
Comment expliquez-vous votre succès retentissant au Japon ? Au Japon, la célèbre maison Toraya, spécialisée dans les sucreries japonaises, est en activité depuis près de 500 ans… Si les Japonais sont des inconditionnels de la Maison Marcolini, c’est parce qu’elle défend un même savoir-faire artisanal.
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