Tanguy Dumortier
Grands espaces sur petit écran
Mots : Servane Calmant
Photos : DR
Globetrotter et reporter dans l’âme, Tanguy Dumortier a arpenté les quatre coins de la planète par soif d’émerveillement, et pour nourrir le Jardin Extraordinaire, émission phare de la RTBF qu’il a redynamisée il y a 10 ans. Comment perçoit-il le monde de demain ? Quel espace sommes-nous prêts à laisser à la nature sauvage ? Le quadra brabançon nous répond, sans langue de bois.
Gamin, qu’est-ce que la nature évoquait pour vous ? Mes parents n’avaient pas de jardin, en revanche, nous habitions à côté de la forêt de Soignes qui est rapidement devenu mon terrain de jeu et d’évasion. Quand je faisais l’école buissonnière, je courais en forêt. J’avais 10, 12 ans et je m’y rendais seul. Une chance, car j’ai pu découvrir par moi-même la nature, apprendre à ne pas me perdre, à ne pas avoir peur, à ne pas m’ennuyer seul. Je faisais régulièrement le même tour mais chaque jour m’apportait son lot de découvertes, des écureuils, des oiseaux, des chevreuils, des renards. Cela peut sembler paradoxal, mais si j’avais eu un petit jardin, j’aurais peut-être moins exploré la forêt…
Auriez-vous pu travailler toute une vie dans un bureau ou un studio TV ? Oh, non. Je l’ai pourtant fait quelques années (Tanguy a présenté le journal télévisé du soir, le 12 minutes, sur la Deux/RTBF, de 2005 à 2010 – nda) mais j’aspirais déjà à travailler en extérieur. C’est sur le terrain que je suis le plus heureux.
En 2014, il y a 10 ans exactement, la RTBF vous propose de succéder à Claudine Brasseur. Vous avez alors 34 ans. Vous acceptez pourtant ce poste qui à l’époque était sédentaire… Oui, mais il y a 10 ans, je tournais déjà des documentaires animaliers. Je n’ai pas envisagé un seul instant de devenir présentateur du Jardin Extraordinaire et de renoncer à ce qui m’anime toujours aujourd’hui : aller à la rencontre de la faune sauvage et la filmer. La télévision était en train de changer : la RTBF achetait beaucoup de contenu et en produisait peu ; moi, je leur ai proposé un catalogue de productions propres et des coproductions. Le terrain, c’était ma condition. La direction m’a donné son go.
Le Jardin Extraordinaire, la plus vieille émission de la RTBF (avec le JT) fêtera ses 60 ans en 2025. Ce programme n’a non seulement pas pris une ride mais a réussi également à évoluer, notamment grâce aux avancées technologiques. Exactement. Aujourd’hui, je peux partir seul, avec une petite caméra, achetée à moindre coût, plus légère, plus maniable, avec des drones également, ce qui apporte beaucoup de souplesse au tournage.
Seul au bout du monde, avez-vous parfois souffert de solitude ? Non, jamais. Mais partir avec une petite équipe, de deux, trois personnes, c’est nettement plus agréable, plus sécurisant et moins fatigant. Je suis parti seul, un mois en Antarctique. Je me suis levé tous les jours aux aurores, j’ai dormi après avoir fait le back up des images, j’ai cumulé plusieurs jobs dans la journée. Une expérience éreintante.
Quelle est la qualité principale d’un réalisateur de films animaliers ? Arriver à se plier au contexte. Le caméraman ne décide pas quand l’ani-mal va se présenter devant son objectif. On peut évidemment, à force de l’observer, espérer qu’il se présente à tel ou tel moment. Mais c’est l’animal qui décide. Le documentaire animalier, c’est une école de la patience et de l’humilité.
Comment se fait la sélection des destinations et de la faune à (dé)couvrir ? Les sujets ne manquent pas, mais il faut composer avec une réalité économique. Si le sujet a déjà été couvert par une grosse société de production de films animaliers qui peut se permettre de rester six mois sur place, je ne peux pas la concurrencer. L’accessibilité du lieu en fonction du budget qui m’est alloué entre également en jeu. Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut pouvoir raconter une histoire. J’ai fait un reportage en Equateur au pied de la cordillère des Andes au plus profond d’un canyon, à la rencontre de l’ours andin, l’ours à lunettes, le plus rare et le plus menacé de la planète. J’ai pu suivre Yoyo, un ourson d’un an et demi, grâce à Danilo, un fermier et grand protecteur de ces ours. Le déclic du voyage en Equateur, c’est Danilo. Il faut connaître quelqu’un sur place pour raconter une histoire qui mêle le plus souvent, la vie des hommes et des animaux.
Une bonne raison de partir voyager autour du globe ? L’excitation face à l’inconnu. L’émerveillement. Comprendre comment la vie s’est adaptée à certains milieux, me fascine littéralement.
Peut-on encore prendre l’avion ou le bateau pour voyager ? Voyager ouvre l’esprit et cette curiosité est saine mais le voyage lointain est presque toujours polluant. C’est une contradiction avec laquelle je vis, je ne me voile pas la face. Je me suis rendu jusqu’en Antarctique à la rencontre des baleines et des manchots, à bord d’un voilier dont l’impact carbone est dérisoire par rapport à un ferry. Voyager écoresponsable est possible. Mais comment supprimer tout impact du voyage sur l’environnement, à cette question, je n’ai malheureusement pas la réponse.
Qu’auriez-vous envie de dire aux politiciens en termes d’enjeux environnementaux ? On parle beaucoup de l’impact du changement climatique sur notre espèce. Et sur le monde animal sauvage. Quel espace l’homme est-il prêt à laisser à la nature sauvage, pour qu’elle puisse continuer à vivre, à se développer, à cohabiter avec nous sur terre ? En Tasmanie, par exemple, la moitié de l’île est constituée de parcs nationaux et de réserve naturelle. Chez nous, en Europe, ce n’est plus possible certes, mais comment va-t-on demain cohabiter avec la faune sauvage ? Les bonnes intentions ne suffiront plus. On va planter des haies pour la biodiversité ? En parcourant le monde, j’ai vu plus de haies détruites, que de haies plantées ! Est-on conscient du bien-être qu’apporte la cohabitation avec d’autres espèces ? Et que va-t-on faire pour la maintenir ? Toutes ces interrogations doivent également faire partie des enjeux environnementaux de demain.
Comment percevez-vous le monde de demain ? En tant qu’observateur de la faune, je ne peux malheureusement pas être très optimiste. Prenons les loups, chez nous. Leur présence entraîne des tensions avec les éleveurs notamment. L’être humain a oublié comment cohabiter avec le loup. Le rôle du Jardin Extraordinaire, c’est de transmettre la connaissance sur la nature et sur la faune sauvage, l’envie de la comprendre, de la respecter, de renouer avec elle. Et quand tel reportage incite à l’expérience personnelle de la nature, j’en retire, oui, une certaine fierté.
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