VICTOIRE DE CHANGY
Face à l’immensité
Mots : Barbara Wesoly
Photo : Morgane Delfosse
Au gré des pages, elle effleure mais aussi ébranle les instants de vie et les individus. Et touche du doigt leur essence la plus volatile comme la plus concrète. Avec Immensità, Victoire de Changy évoque la reconstruction d’une terre imaginaire, dévastée par un séisme, avec une écriture à la poésie toujours sensorielle. Et nous laisse à bout de souffle.
Qu’est-ce qui vous a mené à Immensità, cette cité utopique où la nature tient un rôle prégnant ? Comme à chaque fois que j’écris un texte de fiction, le propos m’échappe rapidement. Je n’ai pas de plan, je me laisse guider par un point de départ, un titre ou une scène. Pour l’île longue, c’était la vision d’une jeune fille lançant rageusement un répondeur sur le mur, qui contient un message de sa mère défunte, qui se fracasse sur le mur en perdant cette trace à jamais. Pour Immensità, je me suis réveillée un matin avec l’envie d’imaginer les sensations qui s’imposent à nous lorsqu’on se retrouve coincé sous les gravats. Je ne sais pas exactement d’où m’est venue cette idée. En réfléchissant bien après à la genèse de ce projet, je me suis rappelé un voyage au Japon, il y a quelques années. J’y avais lu un article racontant l’exode d’habitants, déplacés en masse suite à une catastrophe et relogés dans des préfabriqués. Inconsciemment, les idées et les influences suivent leur chemin dans mon esprit. Quant à cette évocation de la nature, elle est, je pense, reliée à mes appétences actuelles, et précisément au moment de l’écriture du texte. J’ai énormément lu et écouté le paysagiste et botaniste Gilles Clément, ainsi que l’incroyable poète et jardinier Marco Martella, beaucoup lu sur le jardin. L’architecture est un sujet qui me passionne particulièrement en ce moment ; elle est devenue partie intégrante de la construction d’Immensità.
Le jardin revêt d’ailleurs une dimension très philosophique dans ce récit. Oui, aussi bien du vivant des habitants que dans leur mort. Cela lui donne une symbolique à part et un double visage. C’est le principe même de l’utopie et de la dystopie ouvrant sur un univers fantasmé. Et puis, prendre tous ensemble soin d’un territoire commun fait sens. J’ai commencé ce roman il y a trois ans et si les questions environnementales étaient évidemment très présentes à l’époque, j’ai l’impression que nous conscientisons aujourd’hui un effondrement global, mondial, qui amène cette histoire à résonner autrement.
Par certains aspects, vous retrouvez-vous en Mauve, héroïne de cet ouvrage ? Je ne me suis pas identifiée à elle, non. En revanche, la dimension sensorielle du texte m’a, en quelque sorte, obligée à me mettre dans sa peau. Je me suis donc vrai- ment imprégnée de ces évènements, de cet ébranlement. Avec le temps, j’ai compris que je suis moins une cérébrale qu’une passeuse de sensations, dans tout ce qui compose mes personnages et ce qu’ils vivent, mais aussi à travers les éléments du récit, ce qui le touche, le frôle. C’est intimement lié à la personne que je suis, pour qui les sens sont fondamentaux. Par la vue en particulier, avec le besoin obsessionnel de regarder, d’admirer, de collectionner les images. Mais aussi les parfums, les sons, le toucher ; j’ai une obsession des mains, parce que c’est avec elles qu’on appréhende le monde en tout premier.
Vous citez, en début de livre, la chanson Immensità d’Andrea Laszlo De Simone. A-t-elle été source d’inspiration du roman ? Cette chanson m’a bouleversée dès la première écoute, et je l’écoutais en boucle au moment de l’écriture du texte. Son refrain dit “dès demain, commencera une nouvelle immensité”. J’ai trouvé ça porteur, prometteur. Immensité, à lui tout seul, est un mot puissant. En italien, Immensità sonne comme un mantra.
L’autrice d’Immensità est-elle toujours la même que celle d’Une dose de douleur nécessaire ? Fondamentalement la même, en beaucoup plus sereine et assurée. Je ne demande aujourd’hui qu’à pouvoir continuer à faire ce que je préfère, écrire.
Vous penchez-vous déjà sur de nouveaux projets ? Oui, plusieurs. Notamment un ouvrage pour adultes, qui sortira du cadre de la fiction, à la manière de Subvenir aux miracles, le livre que j’ai préféré écrire, une déambulation entre expériences et connaissances. Il sera cette fois question du corps, un sujet devenu très prégnant en moi aujourd’hui. Je prépare également un second recueil de poèmes. Et plusieurs projets jeunesse : un de mes créneaux préférés, pour sa grande liberté, notamment parce que la vraisemblance n’y est jamais questionnée.
Immensità de Victoire de Changy
Éditions Cambourakis
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