Alain Hubert
Robin des glaces
Mots : Olivia Roks
Photos : DR
Lui est de retour en Antarctique pour plusieurs mois, moi à Bruxelles derrière mon ordinateur. Par appel video, je vois son visage et la lumière polaire éclairer ses traits qui en ont tant vu et vécu. Alain Hubert en est à sa vingtième expédition à la station belge Princesse Elisabeth. L’occasion de faire le point sur cette vie hors norme, une vie d’aventures.
Vous venez d’arriver en Antarctique, le voyage s’est bien passé ? Oui, nous sommes arrivés hier soir. On démarre depuis Cape Town, six heures de vol, 6500 km. On ne sait jamais quand on va arriver car on dépend du temps, des lois de la nature. Chaque année, la saison antarctique démarre fin octobre et se termine en général fin février. Nous sommes donc là quatre mois. Pendant l’été austral, il fait jour 24h sur 24, c’est la meilleure saison pour travailler sur le plan scientifique. Notre point de chute est la station Princesse Élisabeth, un camp de base qui permet de travailler dans un territoire qui fait à peu près six fois au moins la Belgique.
Vous êtes un véritable aventurier. Retracez-nous votre parcours, du sportif à l’homme d’aujourd’hui en Antarctique… Je suis né au bord de la forêt de Soignes, j’ai passé mon enfance dans les bois. Ce sont là mes premières expéditions. Ma première passion c’est la montagne que j’ai découverte à 15 ans. J’y ai appris énormément de choses ; en montagne, on se bat contre soi-même. A ce jeune âge, j’ai su que j’allais être alpiniste, guide de montagne ensuite. Cela a été ma première école qui m’a ensuite amené à l’Himalaya un peu plus tard. J’y suis allé régulièrement. Il y a la performance sportive certes mais aussi la persévérance, l’apprentissage du renoncement, vous savez, l’erreur est normale, on l’oublie un peu trop dans notre société. On se retrouve face à la nature qui est de toute façon toujours gagnante. On doit apprendre de nos échecs. A côté de ça, j’ai fait des études d’ingénieur en construction, j’adore construire. Un jour, un livre dans la bibliothèque de mon père a attiré mon attention, un livre sur un explorateur norvégien. Le pôle Nord me paraissait inaccessible mais je me suis quand même dit : pourquoi pas moi ? A partir de ce moment-là, je n’avais plus que ça en tête. On est parti avec un ami pour atteindre le pôle Nord géographique depuis le Canada. Des jours entiers sur un océan de glace. On a réussi à l’atteindre à une époque où il n’y avait pas de téléphone satellite, j’avais juste le premier GPS qui venait de sortir et pesait bien lourd. C’était en 1994.
Et après le pôle Nord, il y a eu le pôle Sud… Et oui, quand on fait une extrémité, on veut faire l’autre ! Mais l’Antarctique est un continent qui fait deux fois l’Europe, et en hiver, lorsque la glace et le gel sont omniprésents, sa surface double. En 1998, j’atteins le pôle Sud. Avec mon ami, décédé aujourd’hui, Dixie Dansercoer, nous avons aussi effectué la plus longue traversée du continent antarctique à l’aide entre autres d’une nouvelle sorte de voile, nous avons en quelque sorte inventé le kitesurf. Une expédition tout sauf facile et rigolote, je me demande encore comment on l’a fait aujourd’hui !
Vous avez ensuite créé la Fondation Polaire et vous gérez aussi la station antarctique Princesse Élisabeth, quel est votre rôle auprès de ces organismes ? En 2000, j’ai créé avec mon épouse la fondation polaire qui est une plateforme entre science et société afin d’expliquer pourquoi la science polaire est importante comme moteur d’action de changement dans nos sociétés aujourd’hui. J’en suis le président et en Antarctique je suis le responsable des expéditions. Quant à la station, à l’approche de l’année polaire internationale (c’est tous les 50 ans), nous sommes allés voir Charles Michel et Guy Verhofstadt en leur proposant de construire une station zéro émission pour être exemplaire. Je trouverais l’argent pour la payer avec le privé et ensuite on la donnerait à la Belgique. Plusieurs conditions bien sûr : on gardait une part, il nous fallait un petit budget de fonctionnement et la fondation restait l’opérateur de la station dans un partenariat public-privé. Le but ? Que la Belgique réassume ses engagements passés en Antarctique car aujourd’hui la science polaire est déterminante par rapport aux orientations sociales et économiques à prendre. Hélas, jaloux et voulant toute l’aura, l’administration de la politique scientifique n’a pas accepté le partenariat public-privé. Pendant des années on a voulu nous détruire. Une période de vie très difficile. De fil en aiguille, heureusement, la fondation est réinstaurée comme unique opérateur de la station. Ce modèle belge demeure la station la plus avancée au monde, on est les meilleurs au point de vue environnemental, on est un exemple, devant les Américains. L’état belge commence enfin à le comprendre… Ici, je suis le chef de la station, on y fait de la recherche scientifique. On se situe à l’est, au pied des montagnes, c’est un des plus beaux endroits…
Vous avez un beau et très gros projet à venir… Oui, on va construire une nouvelle station, non loin d’ici. On a construit un aéroport sur la glace pour pouvoir dans 9 ans ouvrir un grand centre de recherche internationale et la première université antarctique. Plus que jamais il faut s’ouvrir, permettre aux jeunes d’approcher cette source d’informations et de recherches unique. Ce sera la station du 22e siècle, un genre de station spatiale ouverte toute l’année, une initiative de notre fondation.
Vos enfants marchent dans vos pas ? Ils sont en tout cas tous de grands fervents défenseurs de la nature et c’est ça qui est important. L’été prochain, j’emmène une partie de mes petits-enfants dans l’Himalaya.
J’ose tout de même vous poser la question… Quand allez-vous vous arrêter ? Je ne sais pas vous dire ça ! D’abord, on met la nouvelle génération en place !
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