Philippe Geluck
Le Belge derrière le Chat
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : ANTHONY DEHEZ
MAKE-UP ARTIST : LUC DEPIERREUX
Double actu pour Philippe Geluck avec la sortie de la BD, « Le Chat et les 40 bougies », et l’expo « Le Chat déambule » qui joue les prolongations au Parc royal de Bruxelles. Au fait, le Chat aurait-il pu être un lapin ? Qui de Geluck ou du Chat est-il le moins consensuel ? Qui a déjà fait taire Le Chat ? Le musée du Chat, est-ce comme le RER, un mirage lointain ? Notre invité, auteur prolifique de dessins d’humour, comédien, homme de radio et de télévision, entrepreneur aussi, se confie.
À 16 ans, votre premier dessin publié. à 18 ans, votre première expo. Philippe, vous êtes un précoce ! Ado, avez-vous emballé des filles avec vos dessins d’humour ? à 14 ans, je portais des lunettes de la mutuelle et j’avais les cheveux gras… Quand j’ai commencé à séduire les filles, mes dessins leur plaisaient : je les faisais rire. Mais rien n’a changé, tous les jours, je fais rire Dany, mon épouse.
Votre père était dessinateur de presse sous le pseudonyme de Diluck. Votre mère, soprano. Ils se sont rencontrés en faisant du théâtre amateur. Leur devez-vous beaucoup ? Quand maman était enceinte, elle se massait le ventre en pensant : pourvu que mes enfants deviennent des artistes. Je leur dois énormément, parce qu’ils m’ont ouvert les yeux sur l’art. Si mon frère aîné et moi avions voulu être avocat ou comptable, nos parents ne nous auraient plus adressé la parole ! (rire)
Le dessin d’humour devient donc très vite une évidence … Oh oui ! Mon fantasme n’a jamais été de devenir dessinateur de BD mais dessinateur d’humour. Mes références étaient et sont toujours : Sempé, Siné, Reiser, Wolinski, Steinberg …
Pourquoi un chat et pas un chien ou un lapin ? Vous allez rire : pour le faire-part de mon mariage, j’avais fait des croquis préparatoires. J’avais d’abord dessiné deux lapins, puis deux chiens, puis deux chats. Fondamentalement, je me sens plus chat que chien : même indépendance. Et si on me lance une baballe, jamais je n’irai la chercher !
Ce faire-part de mariage, vous venez de me le montrer : le chat a déjà un gros nez. Pourquoi ? Je ne sais pas, je vous le jure ! Beaucoup de dessinateurs de BD vous répondront la même chose : on ne se rend pas toujours compte de ce que l’on dessine. Nous le faisons instinctivement, puis le personnage évolue d’année en année, et il acquiert progressivement une forme plus ou moins définitive.
Il a du pif ce Chat, donc… Ah ah, c’est peut-être en effet un hommage sublimi-nal à Pif le chien … Le Chat a du flair et surtout, il nous regarde : c’est ça l’essentiel. Il est le miroir de nos travers et des absurdités du monde.
Le Chat est belge, il n’est pourtant pas empreint de belgitude… C’est vrai, Dans La Minute du Chat, la série animée, le Chat n’a pas l’accent belge. Mais si je n’étais pas né en Belgique, Le Chat aurait été probablement différent.
Vous êtes le papa du Chat, du Fils du Chat (à destination des enfants) mais aussi de Geluck se lâche, de Geluck enfonce le clou… Le Chat est-il plus consensuel que Philippe ? Je suis plus con et lui plus sensuel, qui sait ? (rire). Le Chat est plus bonhomme, plus familial. Il est apparu la première fois, en 1993, dans le quotidien Le Soir… Avec Le Chat, je me suis apaisé, en effet. Mais quand Siné m’appelle pour Siné Hebdo, je me lâche davantage. Casterman en publiera un recueil où j’avertis d’ailleurs le lecteur qu’il va découvrir des textes et des dessins impolis…
Le Chat a 40 ans. 40 ans de liberté ? Combien de fois a-t-il été censuré ? Trois fois. Un dessin sur les risques de rouler à moto n’a pas été publié dans Le Soir, car le journal avait un gros annonceur moto. Un dessin d’un sexe entre deux siamois ; motif invoqué : pas de zizi dans Le Soir. Et un dessin dans VSD au moment de l’affaire DSK : Le Chat tenait un journal sur lequel j’avais écrit « Le coup de bite qui a changé l’histoire de France ». (rire)
Et Philippe, il se contient parfois ou souvent ? Je récuse l’idée selon laquelle je pourrais m’autocensurer à cause de l’époque ou de la peur. Le seul tabou reste la représentation de Mahomet. Ceux qui l’ont fait l’ont payé de leur vie et plus aucun dessinateur depuis n’ose le faire. Par contre, je continue à parler des religions, à dessi-ner les intégristes et la burqa. Et je continuerai à le faire.
Qu’est-ce qui fâche parfois le lecteur ? Depuis le début, Dieu, toute croyance confondue. Aux lettres qui me reprochent son évocation, je réponds : si Dieu nous a créés, il m’a créé aussi, doté du sens de l’humour. Je n’ai jamais reçu de menaces, par contre, j’ai récolté des milliers de remerciements et notamment de la communauté musulmane. En Belgique et en France, il n’y a pas de répression du blasphème, mais ce droit au blasphème va de pair avec un devoir de respect, ne l’oublions pas.
Lollipop, L’Esprit de famille, La Semaine infernale, le Jeu des dictionnaires… Vous avez marqué la télé et la radio belges des années 80. Ah, les années 80… C’était mieux avant ? Avant, nous étions plus jeunes mais vieux, c’est pas mal non plus ! Avant, nous avions l’impression que la démocratie se portait bien ; aujourd’hui, la montée des nationalismes la fragilise. Je regrette l’appétence culturelle d’hier et la déculturation actuelle sous l’influence des réseaux.
Depuis 1990, vous travaillez avec le même coloriste, Serge Dehaes. Etes-vous un homme particulièrement fidèle ? Et comment ! Je viens de fêter 47 ans de vie commune avec Dany, mon épouse. Fidèle, c’est un joli mot. Je suis fidèle à mon Chat, à mes amis – dans la bande à Ruquier, je suis le plus ancien -, à mes opinions, à mes engagements. J’ai pu abandonner des projets mais jamais des personnes. Patrick Chaboud (le créateur et animateur de la marionnette Malvira – ndlr) est un ami pour la vie.
Comment trouvez-vous vos gags ? Debout, assis, en marchant, au soleil ou sous la pluie. Mais si je ne saisis pas le gag dans un petit carnet ou sur mon smartphone, il s’envole. Deuxième méthode de travail : je m’assois devant une feuille blanche et j’attends 2’30 avant d’avoir une première idée, rarement plus.
Vous n’avez pas de mode d’emploi ? Non, mes gags sont toujours intuitifs.
Avec Le Chat déambule, vous investissez l’espace public avec des sculptures monumentales de Chats en bronze. La folie des grandeurs ? Non, une nécess ité ! Le projet d’un musée du Chat été lancé en 2012. J’ai alors commencé à réunir des sponsors privés, mais deux d’entre eux, et non des moindres, m’ont laissé tomber. J’ai donc cherché un moyen d’alimenter la cagnotte qui servira à aménager le musée du Chat. J’ai imaginé des sculptures monumentales de Chats en bronze, la fonderie Van Geert d’Alost a joué le jeu, et j’ai annoncé leur mise en vente : 27 ont trouvé acquéreurs, 18 sont toujours exposées au Parc royal de Bruxelles.
Pour terminer : une réalité qui fâche ! Evoqué en 2014, prévu en 2024, le musée du Chat est retardé à 2026… Pour faire court : la Région bruxelloise construit un nouveau bâtiment dont elle sera propriétaire, le musée du Chat lui paiera un loyer et financera les aménagements. Ce musée du Chat sera en réalité un musée du Chat et du dessin d’humour, avec des expositions temporaires consacrées aux grands noms du secteur, Sempé, Siné, Kroll, Chaval… J’ai visité le chantier fin novembre, il est à nouveau à l’arrêt. C’est insupportable, d’autant que je ne sens malheureusement pas de réelle volonté politique derrière le projet…
BD « Le Chat et les 40 bougies », Casterman Editions
Expo « Le Chat déambule », au Parc royal de Bruxelles, jusque février 2024.
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