Maxime Ullens
La saveur de l’authenticité
Mots : Barbara Wesoly
Photos : DR
Lorsqu’il raconte son métier, le regard de Maxime Ullens s’éclaire du rayonnement qui habite les passionnés. C’est au Domaine de Marzilly que le plus belge des vignerons champenois crée depuis 2016 des cuvées d’excellence et d’éblouissants millésimes.
D’où provient votre attrait pour le champagne ? Tout a débuté par le vin. Il m’a séduit dès les premiers verres que j’ai pu goûter. Je trouvais également passionnant le métier de vigneron et sa possibilité de gérer l’entièreté du processus, de décider où planter, comment travailler la vigne et la tailler, vendanger, vinifier, assembler et enfin commercialiser et faire déguster. Mais depuis tout petit, je suivais mon père entrepreneur sur ses chantiers et je me suis naturellement dirigé vers des études en rénovation du bâtiment, afin de le rejoindre au sein de sa société. Et puis, fin 2012, le hasard m’a amené à découvrir le château de Marzilly, en Champagne, une superbe bâtisse devenue une ruine au fil du temps. Nous avons décidé avec mon père de le racheter et de le réaménager, charmés par son cachet et son patrimoine, en vue d’y vivre ensuite ma femme et moi. Ce n’est qu’une fois devenus acquéreurs que nous avons découvert que ces terres abritaient un ancien domaine viticole, ayant perdu son droit de faire du vin en 1920. Plus les travaux avançaient et plus se réveillait en moi le désir de voir renaître pleinement les lieux, y compris ses vignes. Jusqu’à m’amener à quitter la Belgique pour reprendre des études en France, afin d’obtenir un brevet responsable d’entreprise agricole, obligatoire pour avoir le droit de créer du vin.
Comment à un peu plus de vingt ans, ose-t-on se lancer dans une aventure comme celle-là ? En ayant la certitude que c’est en mettant son cœur dans ce qu’on entreprend qu’on le fait vraiment bien. C’est ce qui me permet d’aujourd’hui de n’avoir pas un seul instant l’impression de travailler, même alors que je me lève à 5h du matin pour dégorger le vin. De l’élaborer, le toucher, le ressentir. Le vivre pleinement. Mais cela n’a pas été simple. La grande majorité des vignes de Champagne sont des héritages, transmis au sein de lignées familiales. Il n’y avait donc plus eu de création d’une nouvelle marque depuis les années 2000. Et jamais de reconstruction d’un ancien domaine viticole. Le comité Champagne ignorait comment procéder. Il a fallu bâtir sans précédent sur lequel se baser, pas à pas, jusqu’à notre première cuvée, sortie en 2019.
Être élu Meilleur Vigneron de l’année 2020 par le Gault et Millau, alors que vous inauguriez votre première cuvée, a dès lors tout d’une prouesse. Cette récompense a surtout été une surprise totale. Je l’ai découverte dix minutes avant de devoir monter sur scène. Je ne l’avais pas recherché, mais cela a bien sûr été une immense chance. En à peine deux jours, une centaine de restaurants étoilés souhaitaient proposer mes bouteilles. Mais j’aurais été d’autant plus fier de l’obtenir aujourd’hui qu’à mes débuts, ayant acquis de l’expérience et de la maturité. Et c’était également à double tranchant que d’être mis sur un pied d’égalité avec des sommités du domaine. Il a fallu affronter des critiques bien plus âpres.
Qu’est-ce qui fait la singularité du Champagne Ullens ? Il se compose de Meunier, un cépage noir issu du Massif de Saint-Thierry, la région la plus septentrionale de Champagne où se trouve le Domaine de Marzilly et que nous nommons La Petite Montagne. Contrairement au champagne classique, qui peut contenir des raisins en provenance de toute la région, nous n’utilisons que celui-ci. Il est plus salin, sapide, avec une forme d’amertume, une identité unique. En parallèle, notre domaine fonctionne en quasi autosuffisance. Je tenais à revenir à un artisanat dans sa version la plus pure. Le bois du domaine sert à faire nos fûts, nos moutons taillent l’herbe après les vendanges. Nos poules travaillent le sol et défendent nos ruches. C’est tout un écosystème, s’inscrivant dans un principe pérenne. Tout cela donne au Champagne Ullens une saveur différente, celle d’un retour à l’authenticité.
Quelle est la qualité suprême à posséder pour réussir un champagne d’exception ? La patience. Un champagne est comme une capsule temporelle mise en bouteille. Il faut œuvrer en sachant qu’on devra attendre 2,10 ou 50 ans avant d’en savourer le résultat. Mais aussi que si l’on commet une erreur aujourd’hui, on ne pourra en prendre conscience que des années plus tard. Il est impossible de recommencer un millésime, celui-ci n’existe qu’en un instant T. C’est émotionnellement très intense et cela entraîne d’énormes phases de doutes. Il s’agit de lancer un projet qui coûte de l’argent mais ne portera ses fruits que bien plus tard. Il faut accepter d’attendre, avec la pression des banques et des emprunts à rembourser. Et puis à côté de la rigueur, il y a ce côté artiste qui doit s’exprimer. Il s’agit d’instinct, de créativité et de passion.
Comment imaginez-vous la suite, pour le domaine comme pour vous ? On aimerait grandir, mais avec pour ligne de conduite de rester absolument sur le Massif de Saint-Thierry, ce qui limite les possibilités d’achats de parcelles. J’ai aussi très envie de m’essayer à la production de vins en Belgique, particulièrement dans les Ardennes où nous avions une maison familiale. Créer une identité de cépage totalement différente, à la maison, et goûter à une autre forme de liberté.
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