Lisette Lombé, à fleur de mots
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : Amin Ben Driss
Intenses, ardents, sensibles, Lisette Lombé transpose les mots en porteurs d’un slam émancipé et en gardiens d’un engagement humaniste. Avec Eunice, celle qui a été nommée Poétesse Nationale pour l’année 2024, dédie sa plume à un ouvrage vibrant et libérateur.
Après avoir signé quatre autofictions, pourquoi avec Eunice, vous être tournée vers l’écriture d’un roman ? C’est un texte qui est né pendant le confinement. La scène était remplacée par des captations, sans public et l’observer a fait naître en moi de multiples interrogations, notamment sur le terreau féministe qui habite mon travail et la manière d’élargir cette base de partage qu’est l’écriture. Je me sentais alors un peu corsetée dans la forme très dense que revêt la poésie et je percevais que le moment était venu d’entrer dans le territoire de la prose et de la fiction. Il reste bien sûr une part d’intime qui construit l’histoire, notamment dans les relations mère-fille, qui me ramènent au lien avec la mienne comme avec mes enfants. Mais en écrivant, j’ai eu conscience de vivre un basculement jouissif vers ce moment où l’on cesse de parler de soi pour explorer un véritable univers de fiction.
L’un des personnages du roman déclare « Le slam, on n’y arrive jamais par hasard, c’est le slam qui nous choisit, au moment où nous avons le plus besoin de transformer nos émotions en poème ». C’est ce qui s’est passé pour vous ? Oui, totalement. J’étais au seuil du burnout lorsque j’ai découvert le slam. Je n’y connaissais rien. Mais en m’avançant face au public, avec un premier texte j’ai ressenti cette force qu’amène de mettre en mots des émotions parfois douloureuses, en recevant en retour une écoute pure et bienveillante. Dans la salle, se trouvait une metteuse en scène, qui m’a ensuite amené à participer aux Prix Paroles Urbaines, le plus grand concours de slam en Belgique francophone. C’est elle qui m’a fait découvrir la scène slam et ses codes.
La biographie qui accompagne votre site clame : « Pas de vie sans poésie. Pas de poésie sans engagement ». Se nourrit-elle, pour vous, forcément de lutte ? La poésie est un rapport au monde avant d’être une écriture. La capacité, malgré la noirceur, de perce- voir la beauté, mais aussi un langage imagé et sonore. A mes débuts, on m’a beaucoup associée à la colère, à l’élément du feu, certainement en raison de ma poésie dite sociale et engagée. Mais en parallèle à la dénonciation et la lutte contre l’invisibilisation de certaines injustices, l’excision ou le viol, parfois très durs et frontaux, il y a une forme de célébration, avec des textes joyeux, lyriques et rassembleurs.
Vous vous définissez également comme une passe-frontière. Quelles sont celles que vous souhaitez fissurer ? D’abord un cloisonnement de la poésie, que je combats en créant textes, performances, collages et livres. Et en l’amenant au-delà des lieux où elle s’exprime d’elle-même. Je me rends pour cela dans des lieux aussi différents que les prisons, les entreprises et les écoles. Et puis, à 45 ans, j’ai enfin l’impression d’arriver à une forme d’alignement avec moi-même, une réconciliation avec toutes mes identités. De ne plus avoir à choisir et donc exclure.
Que représente pour vous d’être nommée Poétesse nationale de l’année 2024 ? C’est une fierté. Ce n’est pas anodin dans le milieu poétique de mettre en avant une personne issue du milieu slam et donc de la poésie orale et engagée. Si l’objectif est de créer des ponts entre les langues et les terri- toires, il s’agit aussi de rêver ce rôle. Et pour moi, cela passera par un mot : « utile ». J’ai besoin de faire sens, tout comme c’était le cas dans mon métier d’enseignante, pratiqué pendant dix ans ou encore aujourd’hui, dans mes ateliers de slams. Avec notamment, une boîte à outils pour les professeurs mais aussi une petite malle poétique pour les enfants et de l’autodéfense par le langage créatif du côté des adolescents. J’aurai jusque mars 2026 pour dévelop- per ce lien pédagogique, qui a toujours été le cœur battant de mon travail.
Ce rôle vous laissera-t-il du temps pour des projets personnels ? Oui, l’on travaille, avec la musicienne Cloé du Trèfle, sur une lecture musicale d’Eunice. Nous avons vécu l’expérience de ce dialogue texte-musique lors d’une tournée d’une soixantaine de scènes, avec de superbes retours du public. Cela nous a donné l’énergie de faire perdurer l’aventure. L’album sortira le 6 octobre avant d’être à nouveau joué lors d’une vingtaine de dates.
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