PAUL COLIZE,
échos d’histoire
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : IVAN PUT
Le romancier belge maîtrise à merveille l’art d’anéantir les certitudes et de troubler les consciences, au service d’une intrigue brûlante. « Devant Dieu et les hommes », son dix-huitième ouvrage, s’articule en chronique judiciaire d’un meurtre perpétré dans l’enfer souterrain de la catastrophe minière du Bois du Cazier. Et nous laisse à bout de souffle.
Dans “Devant Dieu et les hommes”, vous empruntez les traits d’une jeune journaliste des années 50, évoluant dans un univers presque exclusivement masculin et victime constante de sexisme. Était-il complexe d’en- trer dans sa peau ? Pas vraiment. J’ai grandi les années 60, où des sphères comme celles de la justice et des affaires étaient presque uniquement dévolues aux hommes. Mais, surtout le vécu de Katarzyna, mon héroïne, est fortement inspiré de celui de ma mère. L’invasion de sa Pologne natale par les nazis, la Belgique pour terre d’asile et les traumatismes du déracinement et de la violence de la guerre sont des parts de notre héritage familial que j’avais déjà évoquées dans « Un long moment de silence ». La choisir pour personnage principal offrait l’occasion de faire entrer son passé en résonance avec l’histoire des deux accusés dont nous suivons le procès, inventé de toute pièce, et celle, bien réelle, du Bois du Cazier.
Justement, ressent-on une certaine pression à traiter d’un évènement qui a marqué à vif tout un pays, comme ce fut le cas de la catastrophe minière du Bois du Cazier ? Au contraire, cela m’a boosté. Je désirais évoquer un drame dans un autre, un désastre personnel au sein d’une tragédie bien plus vaste. Étant Belge, les images du Bois du Cazier mais aussi de l’incendie de l’Innovation se sont tout de suite imposées à moi. Mais le premier m’inspirait particulièrement, pour la dimension et le contexte social qui y étaient reliés. Je me suis donc rendu sur place, pour me laisser inspirer par les lieux. Un homme y déambulait également. Je me suis dirigé vers lui, sentant qu’il me fallait lui parler. C’était Urbano Ciacci, l’un des derniers survivants et considéré comme passeur de mémoire. Il était présent le jour de la catastrophe, mais revenant tout juste de son mariage, il n’était pas dans la mine. Suite à sa rencontre, témoigner de cet évènement est devenu une évidence.
D’autant que, 65 ans plus tard, les thématiques du livre demeurent toujours brûlantes d’actualité. L’immigration italienne au sortir d’une guerre, les conditions de vie et de travail des mineurs et le rejet de la population à leur égard, tout cela trouve beaucoup de résonance avec la crise des migrants et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’exploitation au profit de la productivité et l’inhumanité qui en découle aussi. C’était une manière de remettre en lumière tout le fonctionnement d’une époque, finalement pas si éloignée de la nôtre. Avant d’être un roman, « Devant Dieu et les hommes » a d’abord été une pièce de théâtre qui plaçait les spectateurs dans le rôle des jurés. En fin de procès, il leur revenait de voter pour définir la culpabilité des accusés. Le public était électrisé par ces enjeux et les rebondissements comme les injustices abordées par l’histoire. Cela a achevé de me convaincre de la force de ce sujet, encore aujourd’hui.
Ce n’est pas la première fois que vous mettez en scène un journaliste. C’était notamment déjà le cas dans « Zanzara », avec Fred, jeune pigiste web. Ce métier vous inspire ? Je trouve le journalisme d’investigation extraordinaire. C’est palpitant de recouper et disséquer les informations. Et c’est un principe que je développe également dans mes livres, surtout lorsqu’ils comprennent une dimension historique. J’adore plonger sous la surface des évènements pour livrer à mes lecteurs des éléments qu’ils ne trouveront nulle par ailleurs. Mais, plus encore que le métier de journaliste, j’aime mettre en scène des personnages qui tout en étant au cœur de l’action, ne sont pas des policiers et n’ont pas pour vocation de chercher un coupable.
Après « Un monde merveilleux », qui nous conduisait en 1973 à travers l’Europe et l’histoire, et « Devant Dieu et les hommes », qui faisait de nous les témoins d’un crime dans les charbonnages, quel sera le sujet de votre prochain livre ? Il s’agira d’un changement total de style, puisque je suis en train d’achever un roman policier classique. Après plusieurs romans assez sombres, j’avais envie de légèreté et de m’amuser.
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