La fin du monde de
THOMAS GUNZIG
Mots : Barbara Wesoly
PHOTOS : Anthony Dehez
C’est dans un univers au seuil de son anéantissement, où ne demeure de l’humanité qu’une famille retirée sur une île à distance du chaos, que nous emporte Thomas Gunzig, dans son nouveau roman « Rocky, dernier rivage ». Un fascinant huis clos à ciel ouvert, prétexte à évoquer avec le romancier belge son rapport au monde et à l’écriture.
« Rocky, dernier rivage » raconte l’effondrement de notre civilisation. Si le survivalisme est largement abordé dans la littérature, la vision d’une famille millionnaire, préservée par son argent est bien plus rare. Pourquoi ce choix ? Les récits de fin du monde sont souvent très âpres. Les gens y sont généralement affamés et en proie à la brutalité. J’avais envie de raconter une histoire où la survie est assurée, avec assez de nourriture et de confort, mais où les conditions sociales sont compliquées. De me demander ce qu’il advient de l’identité humaine, une fois devenus les derniers sur terre et alors que toute forme de culture s’est éteinte. Qui sommes-nous fondamentalement lorsqu’on retire le vernis de civilisation ? Que sont nos souvenirs, qu’est-ce qu’un lien familial ? Et qu’est- ce qui relie encore les humains quand toute société a disparu ?
Vos quatre personnages principaux, le père, la mère et les deux enfants adolescents évoluent sur cette île, dans l’enfermement profond de leurs senti- ments et du deuil de cet avenir qu’ils ne connaîtront pas. A qui vous êtes-vous identifié parmi ces survivants ? A chacun d’entre eux. Un roman se construit toujours avec des morceaux de son être, même si l’exercice qui m’intéresse le plus est d’arriver à les métaboliser pour en faire des récits qui ne sont pas les miens. J’aime ce geste qui consiste à ne pas croire que sa propre histoire soit forcément digne d’intérêt. Inventer est une des choses les plus étonnantes et extraordinaires qui soit.
La solitude y est aussi un personnage à part entière. Apportée par le silence le plus absolu, lorsque toute musique, littérature ou cinéma s’est tu. Supporteriez-vous de vivre à distance du monde ? C’était en effet l’occasion de me poser la question du rôle de la fiction et de l’art. L’imaginaire est selon moi le bien le plus précieux du survivaliste, dans son adaptation face à l’impensable. J’ai par ailleurs toujours eu un désir de solitude très fort. J’enviais presque mes personnages pour leur vie en autarcie. C’est un vieux fantasme, mais j’ai des enfants que j’aime et qui me maintiennent bien ancré ici.
Votre livre évoque les enjeux environnementaux et l’obsession du profit, de la réussite. Et rappelle ainsi votre roman « La vie sauvage ». L’histoire de cet adolescent, qui après avoir grandi dans la jungle, suite à un accident d’avion, retrouve à seize ans sa famille en Belgique et doit faire face au choc d’un univers aseptisé, pollué et nourrit à la surconsommation. Souhaitiez-vous questionner une nouvelle fois notre oubli de l’essentiel ? Oui. J’ai cette conviction que les humains ne se considèrent pas comme faisant partie du champ du vivant, mais en propriétaires de notre planète. Qu’on en dispose et qu’on l’enlaidit. D’un côté il y a ce regard d’un adolescent sur un univers dominé par l’homme et de l’autre, d’individus ultras civilisés aux prises avec un monde qui redevient dominant et qu’ils tentent encore de dompter.
L’un des héros de « Rocky, dernier rivage », y rédige un livre dont il ne sait s’il sera un jour parcouru par quelqu’un. De votre côté, écrivez-vous pour ces lecteurs qui seront au rendez-vous au-devant de ces pages, ou avant tout par plaisir personnel ? Je n’ai pas du tout sa pureté. Je pense que chez tout auteur, se mêlent deux parts. Celle qui cherche à créer le meilleur et celle qui espère être lue et appréciée par le plus grand nombre. Si l’on me disait demain que mes livres ne seraient plus lus que par ma maman et mon chat, c’est sûr, j’arrêterais. Le désir de reconnaissance, d’amour et de partage est bien trop profond.
Justement, si vous aviez un fantasme en matière d’écriture ?
J’aimerais me plonger dans un fait historique complexe ou aller à la découverte d’une profession méconnue. Mais surtout je souhaite désormais écrire sans craindre la manière dont cela sera accueil- li et seulement en fonction de mes désirs profonds. Mais d’abord, accueillir la sortie de « Rocky, dernier rivage ». Et surtout le voir adapté pour le cinéma. Les droits sont vendus à la société de production de Jaco Van Dormael. Nous travaillons à quatre mains au scénario, avant qu’il ne réalise le film. J’en suis particulièrement heureux. Nous déjà partagé de multiples projets et Jaco a cette qualité très rare d’élever les talents de ceux avec qu’il collabore et la beauté des œuvres qu’il transpose. »
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