L’envol d’ AMÉLIE NOTHOMB
Mots : Barbara Wesoly
PHOTOS : JEAN-BAPTISTE MONDINO
Ses mots résonnent comme une libération. Et nous entrainent dans l’abîme de sa souffrance puis à la genèse de sa renaissance portée par l’écriture. Avec « Psychopompe » son 32e ouvrage, Amélie Nothomb se livre avec profondeur et guide sa plume au zénith.
« Psychopompe » s’inscrit comme le troisième volet d’un triptyque, commencé avec « Premier Sang » et « Soif ». C’est aussi l’un de vos livres les plus personnels, racontant des évènements très traumatiques de votre enfance et adolescence. L’écrire s’est-il révélé une forme de catharsis ? Certainement mais plus encore, il m’a permis de comprendre énormément sur moi-même, dont cette obsession de l’oiseau, devenue consciente à l’âge de onze ans. Ce livre m’a amené à enfin percevoir le rôle qu’elle avait joué dans mon existence, notamment dans sa relation intrinsèque à la mort, elle qui m’a toujours obsédé également. Or l’oiseau est un très puissant vecteur de vie. Et avoir hautement conscience de sa mortalité ne rend pas morbide, au contraire, cela donne envie de vivre encore plus fort.
Le « Psychopompe » se définit dans la mythologie comme celui qui guide l’âme des défunts. Dans cet ouvrage vous questionnez ainsi le sens de l’existence tout autant que celui de l’après. A-t-il fait progresser vos réflexions ? Ma propre mort n’est pas du tout un problème pour moi, au contraire, c’est presque un motif de réjouissance. Je suis sure que mourir doit être une expérience très intéressante et je l’attends de pied ferme. Le départ des êtres chers c’est par contre terriblement grave. En expliquant être moi-même psychopompe, je raconte comment finalement contre toute attente, le décès de mon père s’est très bien passé. Cela a d’abord été une tragédie, dont j’ai beaucoup souffert, mais finalement, je me suis rendu compte que mon père avait parfaitement réussi sa mort. Et j’y vois un message d’espoir. J’avais de très bonnes relations avec lui de son vivant mais elles sont encore meilleures depuis qu’il n’est plus vivant. C’est prodigieux et cela prouve qu’il n’est jamais trop tard.
Votre rapport à la mort est aujourd’hui apaisé ? Je suis convaincue que la mort n’est pas une terre étrangère et c’est terriblement salvateur. J’ai perdu deux êtres que j’aimais d’un très grand amour, dont mon père, et j’ai longtemps cru que je ne m’en remettrais jamais. Or, finalement il y a un extraordinaire soulagement à s’apercevoir qu’il reste un lien dans l’après et que l’évolution de la relation ne s’arrête pas à ce départ. La mort n’est pas la cessation de l’amour, en aucune manière.
La quatrième de couverture de « Psychopompe » pose comme derni- ers mots : « Écrire c’est voler ». Au-delà de ce besoin que vous décriv- ez comme vital, on en ressent une part spirituelle. Oui, je suis définitivement une mystique. J’appartiens à une famille très catholique mais cela ne me suffit pas. J’ai besoin, non seulement de m’abreuver de toutes les croyances mais surtout de nourrir mon propre rapport à la transcendance. Je me considère comme une bricoleuse métaphysique.
Convoquer ces blessures vous amène- t-il à cultiver de la bienveillance envers vous-même ? L’écriture m’a sauvé la vie, très concrètement. Ce n’est pas une métaphore. Mais pour en atteindre un tel degré, il faut convoquer sa sensibilité et l’on en ressort forcément fragilisé. La bienveillance envers moi-même, c’est vraiment mon talent d’Achille. Mais je sais que je dois y aspirer donc je m’y contrains. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, raconter mon propre viol à l’âge de douze ans et demi est un mouvement en ce sens. Le plus grand danger était que cette épreuve soit frappée d’irréalité, ce qui correspondrait à une double peine. Ce qui m’est arrivé n’a pas été constaté. Pour moi l’écrire c’est dire « je n’ai que mon témoignage à vous apporter, mais il suffit ».
Est-il complexe d’écrire à nouveau après être allé aussi loin dans l’intime ? C’est à la fois monstrueusement difficile et totalement salvateur. On ne peut pas rester sur quelque chose d’aussi grave que « Psychopompe », il faut changer de registre, continuer à vivre. C’est indispensable. Je ne dirai par contre rien sur le livre que je suis en train d’achever. J’ai toujours affirmé ne pas pratiquer l’échographie parce qu’en l’occurrence, elle serait très dangereuse. Ce ne serait pas sans influence sur le bébé et là j’en suis au stade où je protège mon ventre de tous mes bras.
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