JACQUES-HENRI BRONCKART
« Les rencontres avec les cinéastes guident mes choix de producteur »
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOs : ANTHONY DEHEZ
Depuis 20 ans, Jacques-Henri Bronckart permet au cinéma belge et étranger d’éclore sur grand écran. Le Liégeois a le nez fin ! Assez pour produire coup sur coup « Nobody has to know » de Bouli Lanners, « Close » de Lukas Dhont et « La nuit du 12 » de Dominik Moll. Des films incontournables, multiprimés chez nous et à l’international.
Vous avez fondé Versus Production en 1999 pour produire, dans un premier temps, des courts-métrages belges, notamment ceux de Bouli Lanners et d’Olivier Masset-Depasse. A l’époque, c’est l’amitié qui guidait vos choix. En 2023, est-ce toujours le cas ? Plus de 20 ans dans la production. Quand je regarde dans le rétroviseur, j’en ai le vertige, ça passe tellement vite. La motivation est cependant restée la même, je fais toujours ce métier par amour du cinéma et des auteurs. Mais la profession a évolué : au début, nous produisions de manière plus artisanale, nous montions des projets un peu fous que nous portions sur nos épaules en rêvant de les voir se concrétiser avec une certaine naïveté. C’est toujours le cas, sauf qu’aujourd’hui, la production s’est complexifiée et les projets que nous portons ont une autre envergure. Notre back-office s’est sensiblement renforcé : pour gérer nos productions, on a besoin de nombreuses compétences qui vont de la fiscalité au juridique. Et la spécificité de la Belgique n’arrange rien ! Il faut solliciter trois niveaux de pouvoir, le Fédéral pour l’aspect fiscal (le Tax-Shelter), les Régions pour le côté économique, la Fédération Wallonie- Bruxelles pour le culturel. Bref, produire en Belgique, c’est beaucoup de paperasserie mais c’est aussi une place stimulante qui nous pousse, pour atteindre l’ambition de nos films, à coproduire avec d’autres pays.
Qu’est-ce qui guide vos choix ? Pas la paperasserie en tout cas ! (Rire) Ce sont les rencontres avec les cinéastes qui guident clairement mes choix.
Vous avez produit tous les films de Bouli Lanners, d’Olivier Masset- Depasse. Versus Production est fidèle ! Oui, la collaboration sur le long terme permet d’apprendre à connaître les auteurs et d’aller plus loin.
Et quand l’envie disparaît ? Il faut décider d’arrêter l’aventure. Ne jamais se forcer, écouter son instinct.
Versus Production montre égale- ment un goût prononcé pour les auteurs flamands à l’univers singu- lier… Nous avons en effet accompagné Tim Mielants, Fien Troch, Patrice Toye, Lukas Dhont. Et sortira bientôt le premier long-métrage de Veerle Baetens, « Débâcle », adapté du roman de Lise Spitz.
Vous êtes également gérant d’une struc- ture de distribution de films, O’Brother. Etait-ce une nécessité ? Plutôt une volonté de maîtriser également le circuit de la distribution. Cela nous permet de soigner la sortie de nos films.
Quand vous produisez un premier film, vous prenez beaucoup de risques ? Pas plus que sur un 2e ou 3e film. C’est très excitant de mettre son expérience et son regard au service d’un premier film. Le travail que j’ai initié depuis plusieurs années avec Delphine Girard est passionnant. Son court-métrage, « Une sœur », nous a amenés aux Oscars et nous venons d’achever la postpro- duction de son premier long qui est très réussi et que je me réjouis de sortir.
L’accompagnement, c’est le cœur de métier de votre travail ? Produire consiste en effet à offrir aux réalisateurs l’espace nécessaire et sécurisé pour leur permettre d’aller au bout de leur ambition. Ce qui ne signifie nullement leur donner carte blanche. Car il faut tenir compte des nombreux obstacles qui jalonnent la fabrication d’un film. Confronté aux objectifs artistiques et financiers, le producteur joue le plus souvent les équilibristes.
2022, quelle année pour Versus Production ! « Nobody has to know »,de Bouli Lanners, « Close » de Lukas Dhont, « La nuit du 12 » de Dominik Moll, tous ces films que vous avez produits ou coproduits ont été primés en Belgique et à l’étranger. Que nous réservez-vous pour 2024 ? On vient de terminer la postproduction de deux films qui devraient sortir en 2024 : « Quitter la nuit » de Delphine Girard que j’ai déjà évoqué et « Sous le vent des Marquises » de Pierre Godeau, avec François Damiens et la jeune Bruxelloise Salomé Dewaels. Une très belle histoire de réconciliation père-fille. Mais ce qui nous occupe particulièrement pour le moment, c’est le tournage de « Le prix de l’argent » d’Olivier Masset-Depasse, adapté de la BD éponyme (avec Tomer Sisley et James Franco dans les rôles principaux). C’est un film d’aventure ambitieux, avec un budget important, que nous avons financé en plein Covid, en nous heurtant de front à la frilosité d’un marché complètement déboussolé. Avec Olivier, on sort de notre zone de confort et on relève un challenge extrêmement excitant : faire un film d’aventure qui remplit le cahier des charges de la franchise « Largo Winch », tout en lui apportant une dimension actuelle et une touche assez émotionnelle. Le film sortira sur nos écrans au deuxième semestre 2024. Depuis trois ans, nous avons également collaboré avec Netflix qui a considérablement bousculé le circuit de distribution des films. Nous avons produit « Balle Perdue » et sa suite, « Balle Perdue 2 », le troisième opus est en préparation. Nous avons également produit des séries TV, notamment « La Corde » ou « No man’s land » diffusée en 2021 et 2022 sur Arte et d’autres séries sont actuellement en développement avec des auteurs maisons.
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