Pascale Seys
Philosophe et conteuse
MOTS : BARBARA WESOLY
PHOTO : JY LIMET
Tisser des ponts subtils entre Histoire et présent comme entre références et questionnements. Si le dernier ouvrage de Pascale Seys, philosophe et professeure, évoque l’importance du lien fondateur qui unit la mythologie à nos existences, son œuvre tout entière rayonne d’un équilibre délicat entre humanisme et poésie.
Dans votre nouveau livre, Le Complexe du Sphynx, en écho de vos chroniques les Mythes de l’Actu, présentées jusque fin 2022 sur Musiq3, vous abordez la genèse d’expressions usuelles et de personnages mythologiques qui résonnent toujours dans notre vocabulaire. À quel point, selon vous, les mythes imprègnent-ils encore nos existences modernes et ce monde centré sur la rationalité ? À une époque où il est bon d’être hyper performant et de s’autodéterminer, nous avons tendance à oublier que nous n’avons choisi ni cet univers ni même la langue que nous parlons. L’intérêt du mythe, par rapport à la rationalité, c’est son appel à l’imaginaire. Un imaginaire qui nous permet non plus subir ce monde, mais de développer une capacité d’invention. Les comportements n’y sont pas rationnels mais soumis au destin. Le héros traverse des épreuves initiatiques et gagne en connaissance de lui-même. Les Grecs étaient convaincus que la seule façon d’acquérir l’immortalité réservée aux dieux est de marquer l’histoire par actes valeureux. C’est encore ce qui alimente nos récits contemporains comme le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter. La part de nous qui aspire à accomplir de grandes choses se nourrit de fictionnel, l’amenant ainsi à une part de véracité.
Sont-ils également une manière de relativiser le contexte actuel de nos vies, de le replacer dans une Histoire au sens large ? Et d’y puiser des clés pour nos lendemains et les défis auxquels l’humanité fait face, notamment écologiques ? Certainement. Nous vivons une ère fatiguée d’utiliser la première personne du singulier en permanence. Les mythes eux, parlent de ce qui fait un monde commun, relie les êtres. Leur analogie aujourd’hui, c’est peut-être l’écologie. Régénérer notre rapport au vivant. La nature est une force supérieure possédant ses propres lois. L’enjeu c’est le faire-monde. Ce qui fait monde. Et pour cela, il faut un récit commun. La mythologie, c’est toujours la tentation du désordre et de l’effondrement et la volonté du rétablissement d’un ordre cosmique. Trouver la sagesse, le point d’équilibre entre les extrêmes. Les Grecs condamnaient le principe de démesure, qu’ils appelaient « ubris ». Se prendre pour un dieu, de ne pas connaitre la limite et en être puni. Mais avec en parallèle cette racine commune entre le mot humain et humilité qu’est le terme « humus », qui signifie trouver sa juste place.
Vous avez écrit La poésie comme mode d’emploi du monde, questionnant sur la possibilité pour celle-ci de faire de nous des êtres meilleurs. Partage-t-elle ce dessein avec la mythologie ? Tout à fait. La mythologie est une vision poétique de l’existence, nous obligeant à nous questionner. Or rester dans un lieu de tous les possibles, c’est rendre droit à quelque chose que la rationalité a tué, à savoir la confrontation à nombre d’énigmes. Et tant mieux ! Je trouve ça plutôt enthousiasmant. Peut-être que la beauté c’est ça. Savoir qu’il y a un horizon ouvert, non établi, non maitrisé.
Vous êtes docteur en philosophie et enseignez celle-ci. Cette notion de transmission est-elle essentielle pour vous, également par le biais de vos livres ? C’est peut-être simplement cela vivre. Exister, transmettre, se reproduire. On a des enfants, on écrit des livres, on se parle. Toute prise de parole est une transmission. Et nous sommes les uns pour les autres, des courroies de transmission permanentes. Le philosophe espère que la transmission infuse toujours d’une part de vérité. Pas la vérité absolue, mais en s’accompagnant de la possibilité de douter, de faillir, d’hésiter.
Vous avez récemment été nommée Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française. Est-ce un aboutissement ? Plutôt une responsabilité. L’impression, d’une certaine façon de devoir en répondre. Or, un philosophe comme un artiste fait une proposition. Avec l’idée de ramener les choses à leur source et à ces questions qui restent en suspens. Et ce qui est propice à la question c’est d’accepter de se laisser surprendre et féconder par tout ce qui nous entoure.
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