Jean-Dominique BURTON
50 ans sur le terrain
Mots : Servane Calmant
Photos : JEAN-DOMINIQUE BURTON
S’il est devenu photographe, c’est parce qu’il voyage le cœur ouvert. S’il aime les portraits, c’est parce qu’il provoque la rencontre. Quant à sa plus belle photo, c’est celle qu’il n’a jamais osé prendre, de peur de briser l’instant présent. Grand nom de la photographie belge, Jean-Dominique Burton est un doux rebelle, intarissable sur les anecdotes de sa vie de globe-trotter. Il se raconte en images à travers « Visions », beau livre qui condense 50 ans de terrain et une expo à l’Hospice Pachéco.
On rencontre Jean-Dominique Burton dans son loft, sous les toits des anciennes papeteries de Genval. Son chez-lui, on l’a imaginé comme une invitation à voyager. Bien vu. Des étagères garnies de statuettes africaines et asiatiques, des drapeaux de prières tibétains pour apaiser l’atmosphère et, aux cimaises, des photos en grand format. Ainsi celle de ce roi du Burkina Faso qui nous fixera durant toute l’interview. Autour de la table, nous serons trois : Jean-Dominique a invité son chat, un somptueux Maine Coon. « La nuit, il s’aventure jusqu’au lac de Genval. On me l’a volé. Je l’ai récupéré. Je pourrais lui interdire de sortir la nuit. De quel droit. Il est libre. » A l’image de son maître ?
Vous souvenez-vous du jour où tout a commencé… Oh oui, j’avais 13 ans, j’étais dans un Centre PMS (psycho-médico-social) et la psychologue me demandait : que voulez-vous faire plus tard ? J’ai répondu : parcourir le monde pour apprendre des autres. Elle a rétorqué: tu rêves d’être Tintin, mais il n’existe pas ; reporter, ce n’est pas un métier.
Le voyage vous a conduit à la photographie, pas l’inverse… En effet. Mon grand-père et mon père étaient photographes amateurs, mais comme ils représentaient l’autorité, j’ai refusé qu’ils m’initient à leur passion. Je voyageais beaucoup, mais toutes mes impressions et mes rencontres de l’époque, je les couchais sur un carnet de voyage. Plus tard, j’ai entamé des études d’imprimerie et de graphisme, la sérigraphie m’a donné envie de m’intéresser à la photo. Mais sans les voyages, je ne serais probablement pas devenu photographe.
L’appareil photo, un sésame qui vous a pourtant ouvert beaucoup de portes… Il m’a surtout permis, dans un premier temps, de gagner ma vie ! J’ai été photographe des Halles de Schaerbeek pendant 10 ans, animateur d’ateliers de photo au sein du Groupe Instant avec lequel j’ai créé un café- galerie, « Trompe l’œil », pour montrer les photographes qui nous intéressaient et non ceux qui payaient pour y être exposés. J’avais un esprit très libre, très indépendant. Que j’ai conservé. (rire). Petit à petit, j’ai ramené des photos de mes voyages, et monté mes premières expositions…
Esprit libre, doux rebelle, vous être notre John Lennon ! (rire). Lennon, c’est mon Dieu !
Photographe en agence de presse, y avez-vous pensé ? Non. Ni travailler pour un magazine. Je me vois mal me couler dans un moule. Au contraire, je me suis offert du temps. C’est fondamental à l’exercice de ma passion. Quand je décide de rester trois mois dans un pays, pour m’immerger complètement dans sa culture, je m’offre ces trois mois, je mange local, je dors local, je rencontre local. C’est mon luxe.
Comment vous y prenez-vous pour aller chercher l’autre ? C’est un long apprentissage. Il faut éviter que se pose d’emblée la question de l’argent, car je ne paie pas la personne que je prends en photo. Mais par ricochet, l’exposition que je vais monter va profiter à tel village ou à telle collectivité. Alors, j’ai mis au point un petit rituel : je pose mon sac photo par terre, je dépose mon boitier sur ce sac, bien en vue, et je fais connaissance. Arrive un moment où les personnages qui font autorité dans le village se demandent pourquoi je ne fais pas de photos. La demande est alors inversée. Et tout rapport d’argent a disparu. Mitrailler vite fait bien fait des sujets, ce n’est pas mon truc. Je refuse d’être vu comme un « violeur ». Avant de prendre une photo, je dois installer un climat de confiance propice aux échanges entre le modèle et moi.
Vous ne photographiez jamais de « vedettes » ? Non. Ce qui m’intéresse ce sont les gens. Pas le vedettariat. Dans « Visions », apparaît Elvis Pompilio. A l’époque du portrait, il n’était pas encore le célèbre chapelier qu’il est devenu…
Le livre “Visions” qui raconte 50 années sur le terrain invite à découvrir quatre continents… L’Europe occupe une place importante dans le livre à travers les séries sur les masques et traces, les collectionneurs, les écorces, Bruxelles/Canal, les sans-papiers ; et l’Asie, une place dans mon cœur. L’Inde et le Népal représentent 20 ans de ma vie, mais mon travail a été détruit par un dégât des eaux…
L’Afrique a une saveur toute particulière pour vous … L’Afrique m’a toujours émerveillé. De nombreuses visites en famille au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren avaient éveillé mon intérêt pour ce continent. Pourtant, j’ai voyagé en Afrique sur le tard. En 2004, je me suis rendu au Burkina Faso et lors d’un périple de 6000 km en pleine brousse, avec un studio photo mobile, j’ai réalisé des portraits des chefs traditionnels burkinabés de différentes ethnies, parés de leurs attributs royaux. À partir de cette série « L’Allée des Rois », j’ai monté une exposition qui a notamment été présentée au 10e Sommet de la Francophonie à Ouagadougou, au Musée d’Afrique à Tervuren, en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Bénin également.
Quelles rencontres ont été les plus déterminantes dans votre vie professionnelle ? Il y en tellement. Mes rencontres en 78 avec le Dalaï-Lama à Dharamsala qui vont me motiver à rendre hommage à la résistance du peuple tibétain pour l’affirmation de ses droits. Mon initiation au vodoun au Bénin…
Racontez-nous ! Après la série « L’Allée des Rois », je me suis intéressé au Bénin, la terre du vodoun. On m’a d’emblée mis en garde : on ne touche pas au vodoun ! On m’a suggéré de faire une deuxième allée des rois, au Bénin cette fois. Hors de question. Après de nombreuses réticences, la Fondation Zinsou créée au Bénin a financé mon projet : photographier le vodoun que l’on ne pouvait pas voir. Il fallait donc que je sois initié, moi, un blanc. J’ai préparé mon sujet pendant deux ans et je suis parti seul voir les grands initiés à Porto-Novo. C’est la « vieille » de Cotonou, la mamy watta la plus respectée de l’univers vodoun au Benin qui m’a initié. La série Vodoun/ Vodounon est la preuve matérialisée des échanges entre moi photographe et les sujets de cette série. Des échanges forcément nourris de confiance.
Une initiation qui a changé votre rapport même à la photo… Oui, à l’instar des portraits de « L’Allée des rois » en noir et blanc, j’avais commencé la série Vodoun/Vodounon avec un appareil très ancien, un Rolleiflex, jusqu’au moment où je me suis rendu compte que la couleur était déterminante dans l’initiation au vodoun. J’ai donc alterné l’argentique et la photo digitale. Je dispose d’une imprimante grand format chez moi. Au plaisir de développer mes photos, s’est ajouté celui de les voir sortir de l’imprimante digitale !
Le sacré vous fascine car en parallèle de votre série Vodoun/Vodounon, vous poursuivez en Belgique un travail sur les rebouteux … Des rebouteux qui ont reçu un don, de mystérieux guérisseurs toujours discrets qui soulagent un mal, des arbres à clous qui extirpent le mal, dit-on … Un travail qui pourrait m’emmener à nouveau sur les routes du continent européen.
50 ans de terrain. Les clés d’une telle longévité ? L’humilité face au sujet. Et le respect et la bienveillance à son égard. Je ne m’imagine pas travailler autrement.
Exposition à l’Hospice Pachéco du 24/04 au 18/9/2023
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