Pascale Sury, reporter solitaire
Mots : Servane Calmant
Photos : Pascale Sury
Reporter solitaire, photographe émerveillée, passeuse d’émotions, guide polaire écoresponsable, notre compatriote Pascale Sury a baroudé sur les six continents (l’Antarctique étant le 6e), la beauté du monde dans le viseur de son appareil photo. On a profité de son court séjour en Belgique où cette grande voyageuse a gardé un pied-à-terre temporaire, pour la rencontrer…
Pascale, nous nous rencontrons entre deux escales en Belgique… En effet, je rentre de Svalbard, un archipel norvégien situé dans l’océan Arctique et je repars pour quatre mois sur le Ponant, pour une mission de guide naturaliste généraliste en Antarctique.
On rembobine votre vie. En 2017, à 39 ans, vous larguez les amarres et revendez votre maison dans le BW pour effectuer un tour du monde avec votre compagnon, Jonathan Bradfer, journaliste à la RTBF. S’en suivront des reportages, une cinquantaine de conférences, la série documentaire « Un Monde positif » et un livre au titre éponyme. Vous qui aimez la solitude, vous n’avez jamais été autant exposée ! (rire) En effet ! Mais ce n’était pas mon projet. La RTBF avait donné son go pour les documentaires que nous réaliserions à l’occasion de ce voyage. Financièrement c’était un bon deal, je ne regrette rien, mais ce n’était pas le but recherché. Moi, je souhaitais surtout voyager, sans pour autant faire partie de ce projet.
Vous n’en étiez pas à votre premier voyage… De fait, en 2014, Jonathan et moi-même avons pris un congé sabbatique de quatre mois. J’ai alors gouté à la liberté comme jamais auparavant. Au bout de l’aventure, je ne pouvais pas me résigner à revenir en Belgique pour travailler devant un ordinateur. J’ai donc donné ma démission à l’ONG qui m’employait. En 2015 et 2016, je suis repartie plusieurs mois avec mon appareil photo pour seul compagnon. J’avais suivi une formation « Azimut » pour tester la viabilité du métier de reporter-photographe… Me savoir au bout du monde a donné envie à Jonathan de partir également. En 2017, la RTBF a marqué son intérêt pour les chroniques et les documentaires que nous réaliserions à l’occasion de ce voyage… Nous avons donc travaillé et vécu 24h sur 24h ensemble, comme deux collègues. Notre couple en a évidemment souffert. Ensuite, nous avons projeté de partir pour cinq ans, mais en 2019, nous nous sommes quittés. La Covid est arrivée dans la foulée et m’a coupé les ailes. Temporairement.
Partir pour parcourir le monde ou le fuir ? Les deux. J’ai de mauvais souvenirs en Belgique, ce n’est pas pour moi une terre de ressourcement. Voyager peut donc être considéré comme une fuite en avant, dans un premier temps seulement. Par ailleurs, je ne suis vraiment pas matérialiste, revendre ma maison a même été une forme de libération. Je suis fondamentalement solitaire, peut-être même ermite. J’aime rentrer en Belgique pour retrouver ma famille et mes amis, mais j’aime plus encore prendre le large…
La nature, c’est donc votre refuge ? La nature et les rencontres. La routine du quotidien, ce n’est pas pour moi. J’ai besoin de m’immerger dans les cultures et de me reconnecter au vivant. Je ne gagne pas ma vie comme reporter-photographe, mon boulot alimentaire, c’est guide polaire. Un travail qui, comme la photo, me permet de sensibiliser les gens à la beauté de notre planète.
Est-ce la photo qui vous donne le plus de satisfaction ? Oui, j’adore écrire mais je n’ai pas la plume facile. Le pouvoir de l’image me subjugue, car il peut être source d’inspiration pour l’avenir en termes de préservation de nos écosystèmes. Sensibiliser à la beauté du monde nous pousse à vivre plus en harmonie avec la nature et le vivant qui nous entoure. À travers mon objectif, je veux émerveiller, montrer que la beauté sauvera le monde et sensibiliser à l’importance de l’environnement dans notre bien-être.
Comment devient-on guide polaire ? En 2019, en voyageant avec Oceanwide Expeditions, j’ai découvert les manchots empereurs sur l’île de Snow Hill en Antarctique. Il y avait huit guides à bord du bateau et j’ai littéralement flashé sur ce travail et ces régions éloi- gnées du monde. Je me sens vivante dans cet environnement vierge de tout. Au Népal, pour prendre un exemple parmi d’autres, j’ai fait des rencontres magnifiques, mais il y a trop de touristes. En Antarctique, en revanche… Evidemment, on ne devient pas guide polaire du jour au lendemain, alors j’ai suivi plusieurs formations brevetées : maniement d’une arme, premiers secours, gestion de foule. Les sorties en Zodiac également qui nécessitent beaucoup de formations différentes. Pour l’heure, je travaille pour Ponant, mais je suis en contact avec d’autres compagnies, Albatros Expeditions et Oceanwide Expeditions.
L’augmentation du tourisme polaire en Antarctique ne fragilise-t-elle pas cette région ? La place de l’homme n’est pas là et je ne me prive pas de le dire aux voyageurs, d’autant que le tourisme polaire est devenu une forme de « mode ». Et ce constat me pose un problème éthique évidemment, puisque je participe moi aussi à ce tourisme polaire. Je tente de vivre avec cette ambiguïté. Très concrètement, j’accepte de travailler sur des bateaux de maximum 250 personnes. Ce chiffre peut paraître élevé pour une destination aussi fragile du point de vue écolo- gique, mais l’Association internationale des touropérateurs de l’Antarctique (IAATO) et l’AECO en Arctique définissent des protocoles de conservation stricts afin de limiter les dégradations. Les bateaux d’expédition sur lesquels je travaille permettent aux voyageurs de rendre leur visite aussi écoresponsable que possible. Lors d’un Landing (une sortie sur terre), je balise le terrain avec des drapeaux : hors de question que les touristes piétinent la toundra ou des œufs d’oiseaux ! L’Expedition Leader ne fait pas ce qu’il veut, le cas échéant, les guides sont là pour lui rappeler les règles…
Si vous deviez donner un conseil à nos lecteurs : quel bout du monde privilégier, l’Antarctique au Sud ou l’Arctique au Nord ? Il y a un monde entre les deux ! Au Sud, on ne compte que des équipes scientifiques. Les contacts avec les humains étant limités, les animaux, notamment les manchots, sont plutôt confiants et très curieux. Les routes maritimes sont moins fréquen- tées également, les îles plus sauvages et inhabitées. L’Antarctique, c’est un monde de roche et de glace. Les plus grands icebergs du monde se trouvent d’ailleurs au pôle Sud, le spectacle est à peine croyable.
Au pôle Nord, vivent des populations autochtones, les routes maritimes sont plus fréquentées, les animaux plus peureux. En revanche, si vous souhaitez voir un ours, le Nord est sa terre sacrée, il y règne en grand prédateur. J’ai ressenti beaucoup d’émotions en le voyant. Enfin, pour faire court, l’Antarctique est beau- coup plus cher que l’Arctique et beaucoup plus froid également : les températures peuvent atteindre -55° à l’Est, -11° au Nord-Ouest. Il faut y penser quand on boucle sa valise
L’Antarctique, est-ce le voyage d’une vie ? Oui, car c’est un émerveillement de chaque instant. Je le dis et le redis : l’homme n’a pas sa place en Antarctique mais il faut avoir vu cette région une fois dans sa vie pour deve- nir ambassadeur de sa beauté. Et, malheureusement, du drame qui s’y joue : en Arctique, voir fondre l’espace de vie de l’ours polaire m’a brisé le cœur.
Que vous ont appris vos voyages ? Qu’il faut préserver la beauté de la planète. Que la vie ne fait pas de cadeau mais qu’il faut croire en la résilience et la régénération de l’être humain.
Des projets ? Guide polaire est une étape. J’aimerais donner plus de sens à ma vie, par exemple travailler sur un bateau de Greenpeace. Et j’ai l’archipel des Seychelles et la Polynésie française dans le viseur.
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