La chasse à l’homme de Lucas belvaux
Mots : Ariane Dufourny
Photo : Gilles Pensart
Sacrée carte de visite ! Lucas Belvaux, acteur namurois et réalisateur de 11 longs métrages, signe avec « Les tourmentés » un premier roman noir et lumineux à la fois. A travers un style percutant, nous suivons les pensées tourmentées de Skender, Max, Madame, Manon et Dylan, pendant les six mois qui précèdent une chasse à l’homme délibérée entre adultes consentants.
« Les tourmentés », un roman choral à 5 voix où chaque personnage s’exprime. Pourquoi ce choix des soliloques ? La littérature m’a permis de me sentir plus libre même si mon expérience de l’écriture de script a probablement nourri mon écriture. Les soliloques permettent de rencontrer l’histoire et chacun des personnages sur plusieurs points de vue, mais aussi d’être au plus proche de leur intimité.
Un titre évocateur, un rythme narratif soutenu. Est-ce caractéristique de votre style ? C’est surtout révélateur d’une de mes douleurs : je panique à l’idée que le spectateur ou le lecteur s’ennuie ! Je travaille mes scénarios pour que le spectateur s’intéresse aux personnages, à leur histoire, et qu’il se sente entraîner dans une longue apnée où il oublie tout. Pareil pour le lecteur.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman noir ? L’époque, sa violence, sa dureté. A l’origine, le roman « Les tourmentés » est une idée de film. La chasse à l’homme est un genre en soi du film noir ou du film d’horreur. Au cinéma ou en littérature, ce genre confère une extrême liberté à celui qui l’écrit.
La chasse à l’homme m’évoque le film sorti en 1983, « Le prix du danger », d’Yves Boisset avec qui vous avez tourné dans « Allons z’enfants » en 1981. Une actualité plausible de nos jours ? On n’en est pas si loin, quand on voit comment certains assument le mensonge, notamment dans les propagandes. On est dans une ère d’idéologie de mensonges et les barrières tombent. Quelle sera la prochaine ? C’est plutôt inquiétant.
Le pouvoir de l’argent permet-il tout ? Oui ! Prenons, par exemple, Elon Musk qui décide de créer une galaxie de satellites qui tournent autour de la terre au détriment du bien commun…
Une chasse à l’homme : quelle proposition indécente ! Doit-on la comprendre comme un déclic nécessaire à une remise en question ? Des propositions indécentes, ce sont les gens qui vendent leurs organes vitaux. Dans mon roman, à partir du moment où Skender accepte la proposition de l’idée de mourir, il est déjà mort, en dehors du monde des vivants. Un choix tel que celui-là remet tout en question, comme une expérience de mort imminente. Ça change le point de vue.
Jusqu’où peut-on aller pour assurer le bonheur de ses enfants ? Certains sont prêts à mourir et iront très loin pour le bonheur de leurs enfants. D’autres, pas du tout. Le bonheur des enfants reste très théorique. Constatez par vous-même le nombre de crimes incestueux et d’agressions sexuelles. Ces gens-là mettent leurs enfants au service de leur propre bonheur.
Si vous deviez nommer Madame, cette femme traumatisée par une enfance volée, passionnée par l’art et la chasse ? Peut-être Agnès comme la jeune fille innocente, élevée par Arnolphe, dans « L’École des femmes ». C’est en partie cette pièce de Molière qui m’a inspiré le personnage de Madame.
Peut-on renoncer à tout par amour, comme certains de vos protagonistes ? Oui, on peut renoncer à tout par amour. Se remettre en question profondément par amour, par amitié, par changement de point de vue sur le monde.
« Les tourmentés » se veut-il un roman sombre d’apprentissage ? Oui, un roman d’apprentissage paradoxal car il ne concerne pas des enfants ou adolescents mais des adultes. Des adultes qui ont eu des enfances fracassées, des adolescences volées. Des adultes pas complètement formés, mûrs. Il faudra des événements extrêmes pour qu’ils deviennent des adultes accomplis.
Prévoyez-vous de mettre en scène votre roman ? Je l’espère, je travaille actuellement sur son adaptation pour le cinéma.
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