Dites-nous, Marie Daulne …
Mots : Servane Calmant
Photo : DR
Avec l’artiste belgo-congolaise Marie Daulne aka Zap Mama, on a parlé d’ « Odyssée », son nouvel album, d’identité, de legs culturel, des cours d’Ethno Vocal Groove qu’elle dispense, de rumba congolaise aussi. Rencontre avec une femme inspirante, pilier du circuit des musiques du monde depuis plus de 25 ans.
Vous avez neuf albums à votre actif, « Odyssée » est cependant votre premier album 100% francophone. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Le public de Zap Mama était plus anglo-saxon que francophone (aux États-Unis, le premier album du groupe est resté onze semaines en tête des ventes du classement Musiques du monde du Billboard – ndlr). Un public plus flamand que wallon également, allez savoir pourquoi ! Ensuite, en abordant l’aventure musicale en solo avec le nom originel du groupe, j’ai continué sur ma lancée. Puis, en 2000, je me suis installée à New York, chanter en anglais s’imposait également…
Que vous inspire la francophonie ? Mon enfance. Mes racines sont francophones; ma mère, congolaise, nous parlait exclusivement en français. Mes références culturelles le sont aussi. Mama était fan d’Adamo, il a d’ailleurs accepté de signer les paroles d’une chanson sur mon nouvel album.
« Odyssée », le titre de ce nouvel opus, « reflète parfaitement votre état d’esprit actuel », dites-vous … Oui. Je suis dans la belle cinquantaine avec, derrière moi, 9 albums, une carrière riche et mouvementée dont je suis très satisfaite, mais très sincèrement, je me vois mal continuer à faire des tournées de ville en ville pendant encore des années. Alors, j’ai réfléchi à mon legs, à la manière dont je pourrais devenir une sorte de référence pour toutes les femmes issues de deux cultures, notamment belges et congolaises, souvent en quête d’identité. « Odyssée », c’est une invitation musicale à trouver le bon chemin de la vie même s’il est parsemé d’embûches – le contentieux belgo-congolais pour preuve. Cet album est imprégné de ma philosophie de vie : si on ne sait pas changer le monde, il faut être capable d’en voir la positivité, les bonnes énergies. D’où ce cocktail sonore énergisant qui se métisse dans une belle aventure afropéenne …
Votre univers emprunte à nouveau tous les chemins musicaux du monde, afro, latino, hip-hop, jazz, urban, et même de la rumba congolaise… Enfin reconnue comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO ! Là encore je fais référence à mes racines belgo-congolaises. Honneur à la rumba oui, mais métissée avec des sonorités occidentales, ce qui donne presque de la salsa … Stromae s’est également inspiré de la culture musicale du Congo avec le succès qu’on lui connaît.
Il y a toujours beaucoup de groove dans vos albums, comment ça se travaille ? Sans être trop technique, on choisit des ondes sonores qui s’adressent directement au corps, plutôt qu’au mental. Ensuite, on construit un ensemble rythmique qui donne envie de bouger !
Dans « A mi », votre deuxième single envoyé en éclaireur, vous chantez ce refrain « mi joy, mi pain », presqu’un cri. La vie, c’est mi-joie mi-peine ? Je reviens d’une mission au Congo où j’ai été rejoindre l’équipe du médecin Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » (et Prix Nobel de la paix 2018 pour son combat contre les violences faites aux femmes – ndlr) pour animer un atelier de musicothérapie. J’ai été impressionnée par le travail de la musique sur ces jeunes « survivantes ». Chanter leur permet d’échapper, un instant, à leurs tragiques souvenirs et sert surtout à briser l’isolement social dont souffrent beaucoup de victimes de viol. Ces femmes, je les ai vues revivre, chanter, sourire, rire. Je leur ai notamment appris des mélodies qu’elles peuvent chanter à tue-tête ou intérieurement à l’instar des berceuses. A cet effet, j’ai développé une méthode, l’Ethno Vocal Groove, inspirée de la culture congolaise de ma mère qui m’enseignait à rester positive grâce au chant, qui s’inscrit parfaitement dans la musicothérapie. Mon souhait est de former des filles sur place, au Congo, pour enseigner cette méthode.
Votre fille, K-Zia, emprunte le même chemin que vous puisqu’elle a décidé de s’exprimer en musique. Quel a été votre premier conseil de mère ? Comme ma fille a toujours baigné dans la musique, je lui ai conseillé d’avoir d’autres outils en main. Elle a décroché un diplôme en communication. Toute ma vie, je l’ai mise en garde : si tu vois ta mère heureuse, ce n’est pas parce que la musique rend heureux/se, c’est parce que j’ai choisi ma voie. Trouve la tienne. Aujourd’hui, elle chante et elle vient tout récemment de réaliser un rêve d’enfant en décrochant un rôle dans un film français.
25 ans de carrière. Un souvenir musical inoubliable ? Une rencontre plus marquante que d’autres ? Il y en a plein mais puisque vous me demandez de choisir. Mémorables : les quatre concerts au Hollywood Bawl à Los Angeles. Importante : la rencontre musicale avec Erykah Badu. J’ai beaucoup de respect pour la chanteuse – il n’y a jamais eu de rivalité entre nous, au contraire, plutôt de l’amitié – et beaucoup de respect pour la femme, la militante, qui a aidé les Afro-Américaines à sortir de leur ghetto.
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