Kevin Douillez
L’urgence de peindre
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Estelle Parewyck
Des œuvres qui transpirent l’énergie, des couleurs qui claquent, une virilité en demi-teintes affichant les contradictions de l’être. Entre la douceur des tons et la brutalité du geste, Kevin prend le risque de se dévoiler pour manifester sa vérité.
Quel a été votre parcours avant la peinture ? Je suis né en 1990 près de Binche. J’ai développé une connexion très forte avec mon frère jumeau. Nous ne nous sommes jamais séparés durant notre adolescence. Sur les bancs de l’école, où l’ennui s’est très vite installé, une seule chose était capable de retenir mon attention : la création. Hypersensible, je développe depuis toujours une sensibilité au monde de l’art et à la majesté culturelle qui en émane. Je me suis refusé aux sports virils propres à ma génération pour commencer la poterie et ensuite la peinture qui m’ont amené à une maîtrise du geste et à son lien avec le mental. Le goût de la liberté l’a emporté sur mes études et, très vite, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale comme paysagiste, un métier qui utilise les 5 sens. Puis j’ai déménagé à Bruxelles pour me lancer dans l’entrepreneuriat, j’ai ouvert un restaurant à Bruxelles. Très rapidement, le côté créatif de mes activités a disparu pour laisser place au stress lié à la recherche de la rentabilité et j’ai décidé de revendre l’établissement. Aujourd’hui, je prends conscience de l’importance de ma rencontre avec l’antiquaire Stéphane Cauchies qui m’a appris à chiner les beaux objets, à les repérer place du Jeu de Balle et à les revendre sur un second marché. Au courant de mes ambitions de revenir à la conception, c’est lui qui m’a proposé de partager un atelier à Forest…
Comment se sont déroulés vos débuts ? Autodidacte, j’ai commencé à peindre car c’était, pour moi, comme une forme de thérapie. Chaque coup de pinceau, chaque tableau commencé et terminé me permettait d’extérioriser. D’une certaine façon, je n’avais rien à perdre puisque j’avais tout perdu. De toute mon âme de toutes mes forces, j’ai commencé à peindre avec rage et détermination. Mon entourage unanime m’a poussé à me surpasser et à me diriger dans cette voie. En janvier 2020, j’ai été remarqué par l’agent d’artistes Ohana Nkulufa avec laquelle j’ai organisé ma première exposition dans une galerie bruxelloise rue Saint-Georges. Elle s’intitulait Thérapie : tout était dit. Et le succès était au rendez-vous. Puis il y a eu la pandémie et le premier confinement qui m’ont poussé à renforcer ma maîtrise dans les réseaux sociaux pour permettre à mes toiles de rencontrer leur public. 40 % de mes toiles sont désormais dans des collections à l’étranger. En mars 2021, la galerie Nardone m’a proposé un solo show, avec 23 de mes toiles, qui s’est terminé par un sold out. Pris dans cette dynamique, j’ai monté ma société et engagé une équipe. Puis j’ai été remarqué par l’agent et marchand d’art Nathan Wisniec Brachot qui me représente aujourd’hui et notamment dans le cadre de l’exposition « The Colorful Thruth ».
Quelles sont les particularités de votre technique ? Je mixe les techniques et les outils, peinture à l’huile, à l’acrylique, crayon, pastel. Je travaille avec des chiffons, des bouts de bois, des pinceaux, tout ce que je trouve sous la main… Je peins dans l’amour et la haine. Je laisse parler mes émotions, mon ressenti et mon intuition et laisse ma vérité se déclarer. Je construis et je déconstruis en permanence. J’accroche et décroche mes émotions sur la toile, j’explore plusieurs approches picturales qui ont toutes un point commun avec ma démarche : l’authenticité. Je gratte, j’enlève, je rajoute des morceaux. Je retourne la toile tout en travaillant avant de lui donner son sens définitif. J’exprime ainsi toute la difficulté intérieure, de faire des choix et d’assumer notre vulnérabilité. J’interroge les tiraillements et les questionnements inconscients qui nous rallient au principe de décision et d’acceptation dans une quête d’équilibre. Je suis porteur d’une particularité neurologique rare, la synesthésie. Elle permet d’associer plusieurs sens, des couleurs à des goûts, des sons à des formes géométriques, et vice versa. On aperçoit d’ailleurs, dans certaines de mes toiles, des personnages, des formes géométriques qui s’élèvent, nés de cette combinaison des facteurs sensoriels…
Quelle a été votre évolution esthétique en 2 ans ? J’ai peint plus d’une centaine de toiles à ce jour et cette pratique est désormais une philosophie thérapeutique. Au début, mes tableaux se dirigeaient plus vers un style figuratif comme les portraits de mon frère jumeau et de moi-même, parmi mes premières œuvres, vendues aussi à un homme qui avait une jumelle. Aujourd’hui, je trouve cela trop plat car je suis à la recherche de matières, de textures. Je rêve de manier un jet à haute pression ou de brûler mes toiles au chalumeau pour aller plus loin. Toujours rien à perdre, j’ai envie de tester plein de choses, la sculpture, la performance. Mon absence d’enseignement théorique me donne toute la liberté d’aller où j’ai envie et de me lâcher. J’écoute les conseils pour ne pas les suivre, je fais le tri dans les critiques. Mes œuvres sont d’abord appréciées pour le dynamisme et la joie de vivre qu’elles véhiculent et cela doit rester important.
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