Ado Chale
Le poète devenu designer
Mots : Agnès Zamboni
Photos : Gilles van den Abeele
A 93 ans, ce créateur iconoclaste reste un précurseur dans son inspiration naturaliste, sa liberté d’expression… ses techniques innovantes, sa fille Ilona évoque son travail, son évolution et son parcours singulier…
Pourquoi est-il si difficile de cerner votre père ?
Mon père est un artiste complet, un amoureux de la nature et des matières. Il a conservé son âme rêveuse et curieuse de chercheur tout au long de sa carrière. Grâce à sa singularité, je pense qu’il a été le chef de file d’une nouvelle génération de créateurs, qui a émergé il y a une vingtaine d’années. Avec son indépendance d’esprit, son expérience d’autodidacte qui n’a subi aucune influence, il a suivi son intuition, sans s’associer à aucun mouvement esthétique. Le terme de designer, on ne l’employait même pas à ses débuts. Artisan créateur et chineur, il a voyagé, ramassé et stocké des lots de matériaux durant de longues années. En Arizona, il a débusqué des matériaux rares comme le bois pétrifié de séquoia. En France, sur les plages du Pas-de-Calais, il a ramassé des marcassites. Aujourd’hui, le site est protégé.
Son style a-t-il évolué ?
Il n’est parti de rien et son talent est inné. Il a commencé à faire des essais pour inclure des pierres dans le ciment mais le poids de ce matériau était trop important et le résultat ne le satisfaisait pas au niveau esthétique. Avec la résine, il a trouvé l’élégance qui se mariait avec la beauté minérale. Le travail des tables au piètement tripode reste emblématique. Les lignes rondes et carrées des plateaux ont évolué vers des formes plus organiques. Le succès est venu assez vite dans les années 70’. Ado a aussi créé en collaboration avec des ébénistes et des artistes, pour réaliser notamment des meubles, comme le modèle « Boule » recouvert de schiste. Il a travaillé avec le sculpteur Koenraad Tinel pour fabriquer le bureau qui est toujours dans notre show-room. Il a dessiné des bijoux, une montre en forme de galet… Dans les années 90’, à un moment où le succès n’était plus au rendez-vous, il a fabriqué des objets de petites dimensions, comme des poignées de porte, en utilisant des matériaux moins précieux et coûteux. Pendant cette traversée du désert, il s’est montré encore plus créatif. Il a réalisé des tableaux, des collages avec des papiers déchirés, des coupes vide-poches… A un moment, il s’est mis à chiner des dentelles et a conçu une table au plateau vitré en y intégrant une de ces pièces anciennes… Son désir d’expérimenter était insatiable. Dans sa galerie, à la façade recouverte de céramiques signées Pierre Culot, il a montré son art d’associer les objets, les couleurs et les matières à la façon d’un décorateur. La monographie (par Ilona Chale, édition Aparté, éditée en 2017) rend compte de la diversité de sa production et de l’ampleur de sa passion. Et 5 ans ont été nécessaires pour organiser et concrétiser l’exposition à Bozar de septembre 2017. Ayant toujours été attentive à l’œuvre de mon père, j’ai remonté le temps pour retracer le fil rouge de son cheminement très personnel ».
Comment l’atelier fonctionne-t-il aujourd’hui ?
L’atelier actuel est resté une structure familiale et artisanale qui produit des modèles imaginés depuis les années 60’. Il est installé depuis 2007 dans les écuries de la maison musée de l’Hôtel Solvay, construction emblématique de Victor Horta. Tous les nouveaux modèles réalisés ces dernières années sont des dessins et projets imaginés durant les années 60’ et 70’ qui n’avaient pas encore été réalisés, comme le modèle « Joséphine » en mémoire de sa mère qui a fait l’objet d’une édition limitée à 50 exemplaires . Les nouveaux modèles sont tous issus de dessins réalisés par la main de mon père. Si le modèle phare, que nous avons produit dans différentes dimensions, depuis sa création fin 60’ et jusqu’à aujourd’hui, avec un plateau en fonte de bronze ou d’aluminium, reste « Goutte d’eau », nous mettons aussi en valeur les pièces en mosaïque de pierre (lapis-lazuli, agate, turquoise…) mais aussi de boutons de nacre ou de grains de poivre, une spécificité d’Ado Chale. Tout est réfléchi et décidé avec un respect très rigoureux pour ne pas dénaturer son œuvre. Notre site rend compte de la variété de la production actuelle.
La fabrication est-elle fidèle aux origines ?
Tous les modèles sont réalisés sur commande, en fonction d’une déclinaison de tailles et dimensions que nous avons définie. Enfant, je me souviens encore de la surprise de découvrir le résultat final, de retour du polissage fait à la main. Le travail de fonderie et de polissage est confié à des ateliers externes. Cela fait environ 10 ans que je gère l’entreprise, créée par mon père, avec l’aide de mon frère Pierre qui est aussi un créateur. Quant à moi, j’ai fabriqué des bijoux avant de m’occuper plus spécifiquement des œuvres de mon père. Nous avons aussi la responsabilité d’authentifier les œuvres plus anciennes présentées dans les ventes aux enchères. Pour chacune d’elles, nous produisons un descriptif précis et un certificat d’authenticité. Nous assurons aussi leur rénovation éventuelle. Depuis les années 60’, les tables d’Ado Chale sont signées avec un rubis de Ceylan cerclé d’or, inséré dans l’épaisseur du plateau.
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