Un café avec un croissant et quelques confidences, s’il vous plait !
Mots : Servane Calmant
Photos : Anthony Dehez
C’est dans un troquet saint-gillois que Thomas Gunzig, chroniqueur, photographe, scénariste et écrivain belge, a rédigé son nouveau roman, Le Sang des bêtes. C’est là aussi qu’il nous a fixé rendez-vous pour une bonne heure de papote sans filtre. Thomas Gunzig nous parle de la force de l’imaginaire et de sa position d’écrivain. De ses hésitations, de ses doutes et de ses ambitions aussi, que ce nouveau chapitre devrait combler, pour sûr .
Lui : « Je vous commande un café ? » Elle : Un thé bio fera l’affaire.
Lui : « Vous êtes bobo ? » Elle : Vous n’avez pas idée, je viens même du Béwé ! Rire.
Et vous ? « J’habite au fond d’Uccle, à la limite de Linkebeek… »
Mais vous n’êtes pas sur vos terres ! « Non, je n’aime pas travailler à la maison. Quand je suis chez moi, c’est pour manger, dormir, m’occuper de mes enfants. J’ai besoin de dissocier vie privée et travail. »
Pourquoi ne pas avoir choisi un espace de coworking ? Ils sont légion à Bruxelles ! « Oh non ! Impossible ! Je déteste travailler dans un endroit dédié au travail. Voir tous ces gens en rang d’oignon qui bossent, ça me déprime vraiment ! »
Oh oh, peut-être n’aimez-vous pas le travail ? « Ah mais je me force à écrire ! »
Même pour vos chroniques matinales sur La Première (RTBF) ? « Evidemment ! Si j’avais le choix, je n’écrirais pas, je me promènerais dans les bois toute la journée ! »
Mais ça ne paie pas ! « Rien à ajouter ! »
Vous ne rêvez pas de devenir écrivain à temps plein et d’abandonner vos casquettes de chroniqueur, de scénariste, de prof ? « Evidemment ! Mais j’ai fait le choix de travailler avec une maison d’édition indépendante, Au diable vauvert, fondée par Marion Mazauric. Je suis chez eux depuis ‘Mort d’un parfait bilingue’. Marion ne me larguera jamais, même si mon roman devait être un fiasco, et je ne la quitterais pour rien au monde. Cependant, ce n’est peut-être pas la meilleure maison d’édition pour faire le buzz à Paris ! »
Vous avez soif de reconnaissance ? « Oui, sans doute ! Gamin, on m’a trop longtemps pris pour un idiot ! Pour revenir à ma chronique sur la RTBF, la seule raison qui me motive à la poursuivre – je l’ai entamée en 2010 – , ce sont les réactions positives du public, pas mes maigres défraiements ! C’est un peu comme une addiction cette reconnaissance… »
Je vous sens un peu amer ? « Non, pas du tout. Consacrer ses journées à une activité qui mêle la recherche, l’émotion, l’échange, l’expérimentation et pouvoir en vivre, c’est une chance extraordinaire. C’est vrai qu’il m’arrive de l’oublier et je me lamente alors sur la charge de travail et les sacrifices que ça représente, mais je me reprends très vite. Je n’ai vraiment pas le droit de me plaindre ».
Be Perfect a bien fait de vous offrir la cover ! Rire. « Oh, oui, merci ! »
On attaque Le Sang des bêtes, votre nouveau roman ? « Allons-y ! »
Vous dédicacez votre livre à vos parents « pour tout ce qu’ils ont fait de travers » ! C’est fort drôle ! Je sens néanmoins poindre un reproche derrière le sarcasme ? « Mes parents qui sont toujours en vie, ont toujours été très aimants mais ils ont parfois voulu trop bien faire. Toujours avec bienveillance et amour certes, mais… Je vous donne juste un exemple : très jeune, j’étais un peu dyslexique et ils m’ont placé dans l’enseignement spécialisé avec d’autres élèves qui avaient des problèmes plus graves que les miens. Et quand j’ai réintégré l’enseignement classique, je ne vous raconte pas mes lacunes…
Vous en voulez à vos parents ? « Non, ils auraient pu être démissionnaires, ils ne l’ont pas été ! Et ce qu’ils ont fait de travers compose l’homme que je suis aujourd’hui ! »
Parlons de Tom, le personnage de votre dernier roman, il est juif par son père, est sportif, a 50 ans, se demande ce qu’il a fait de sa vie. Tom, c’est vous ! « Ahaha, oui, dans tous mes romans, je projette un peu de moi et ce n’est pas toujours intentionnel. Même dans un personnage de femme, il y a parfois une part de moi… Mais dans ce dernier roman, c’est peut-être en effet plus frontal… »
Tom, c’est un anti-héros. Vous aimez particulièrement ces personnages ordinaires en prise avec un quotidien qui les dépasse … « Un anti-héros, c’est quelqu’un de normal sans cape ni pouvoirs spéciaux, ce qui donne évidemment plus de poids à son héroïsme ! »
Pas de super-héros chez Thomas Gunzig, mais des personnages bien frappadingues, comme cette femme qui pense être une vache… « Mais c’est vraiment une vache ! »
Ah ! J’y avais vu une ode à la différence ou une volonté de casser les stéréotypes de genre… « Oui, c’est ça aussi, mais dans ma tête, le personnage de N74 est vraiment une vache. Je dois bien vous avouer que je ne sais absolument pas comment le lecteur va l’appréhender ! Hormis dans ‘Feel Good’, j’ai toujours introduit des éléments décalés, étranges, noirs, dans mes romans. L’imaginaire est l’outil le plus précieux dans un récit ! On peut dire beaucoup de choses à travers le registre du fantastique, bien plus qu’avec l’hyper réalisme ! »
Le traumastisme transgénérationnel de la Shoah est également au cœur de votre nouveau roman… « Oui, mais je ne le ressens pas comme un traumatisme, qui pourrait être handicapant. Au contraire, cette mémoire transgénérationnelle m’a rendu plus fort. Aujourd’hui, je sais que je peux (presque) tout affronter. Je suis devenu un guerrier ! »
Enumérer des détails pour composer un personnage, fait partie de la touche Gunzig. Ce style s’est-il affiné avec le temps ? « Oui ! En tant que romancier, on est souvent dans une recherche stylistique pour imposer une sorte de signature. Avec le temps, j’ai l’impression d’aller davantage droit au but, adieu l’esbroufe et les images formelles pour épater… Je me sens mieux dans une forme d’économie de moyens. Moins, c’est mieux. »
Sans rien dévoiler de l’histoire, vous êtes devenu un auteur résolument optimiste – bravo ! « Oui, je suis beaucoup moins pessimiste qu’à mes débuts ! Peut-être qu’en vieillissant j’ai besoin de trouver un équilibre dans le déséquilibre… Ou à force de regarder mes enfants qui sont formidables dans ce monde qui ne l’est pas, suis-je devenu plus optimiste… Je n’en sais rien ! Ce roman est comme un geste d’amour envers le lecteur. Je souhaite qu’il se sente bien, une fois le livre refermé. Franchement, ça me rendrait infiniment heureux !
Le Sang des bêtes (Au diable vauvert éditions)
Tom, vendeur dans une boutique de protéines pour bodybuilders, est en pleine dépression. A 50 ans, qu’a-t-il fait de sa vie ? Témoin d’un acte de violence, il va sauver une inconnue qui prétend être une vache, la ramener chez lui et perturber le quotidien de tous, de sa femme qui ne le rend plus heureux, de son fils tout juste séparé de sa copine et de son père, juif marqué par la Shoah et malade d’un cancer.
Avec les membres de la famille de Tom, Thomas Gunzig fait une description lucide de son temps. Son roman bref et impeccable se dévore sur le corps, le couple, la vie, vieillir, aimer, durer, rester vivants, qui alterne avec un talent et un rythme parfait le rire, la lucidité, le désenchantement, le bonheur… Drôle et profond, le plus sensible et personnel des livres de l’auteur.
En librairie le 6 janvier, date de sortie également de « Feel Good » en format poche.
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