En 1958, Warren Harding, Wayne Merry et George Whitmore mettaient 47 jours pour libérer le « Nose » et entrer dans l’Histoire. 61 ans plus tard, c’est au jeune Belge, Sébastien Berthe, de faire une entrée fracassante dans la cour des grands et des Bigs Walls : en novembre dernier il est devenu le septième grimpeur au monde à réaliser son ascension en libre. 900 mètres de dénivelé côté 8b+ remporté sur le fil à coup de persévérance et de solidarité inattendue sur la paroi.
MOTS : VANESSA SCHMITZ-GRUCKER
PHOTOS : SIMON CASTAGNE
Comme beaucoup de grimpeurs de haut-niveau, tu es tombé dans l’escalade tout petit. À quoi ont ressemblé tes débuts ?
Mon père était très actif en escalade et c’est quand il a ouvert sa salle, à Arlon, que je m’y suis moi-même mis à fond. Je lui dois beaucoup parce qu’il m’a aussi pas mal emmené en falaise à travers la Belgique et l’Europe. C’était mon entraîneur jusqu’à mes 17 ans. Aujourd’hui, je travaille avec Didier Mottard qui entraîne les grimpeurs de haut niveau en Belgique.
Le virus a bien pris puisque tu as aussi fait des études en sport. C’était une vraie volonté de te professionnaliser ?
J’ai fait un master en éducation physique mais le but était surtout de faire des études pour des études : je n’ai pas pensé carrière, je voulais simplement tout savoir sur le sport, sur l’entraînement. C’est un super bagage, on apprend une rigueur de recherche, beaucoup de théories physiologiques, une approche scientifique du sport. Ce n’est que plus tard que je me suis dit que deviendrais bien entraîneur et c’est ce que j’ai fait.
Qu’est-ce qui pousse un jour à s’attaquer à une voie aussi réputée que crainte, gravie alors par seulement 6 personnes depuis 1958 ?
Le « Nose » est une voie mythique, la plus connue des grandes parois, donc je l’avais en tête depuis tout petit et j’en rêvais sans que cela ne me paraisse réaliste. Et puis, je suis parti une première fois deux mois au Yosemite pour apprendre le style là-bas qui est assez particulier et différent de ce qu’on voit en Europe. C’était en 2017 et j’ai fait une belle performance sur la face d’El Capitan (où se trouve également The Nose, ndlr). Ça m’a ouvert les yeux sur mon potentiel dans ce type d’escalade qui est assez long, technique, engagé, celui qui me correspond le mieux en fait. J’y suis retourné en 2018, puis est venu ce séjour de trois semaines en novembre 2019. J’ai voulu faire quelque chose de fort et c’est le « Nose » qui s’est imposé.
Comment se prépare-t-on depuis le plat pays à une telle ascension ?
J’ai des facilités en endurance mais pas en force pure ni en puissance. J’ai donc surtout besoin de m’entrainer sur de petites voies, des bloc3s en falaise où faire de l’intensité, pour progresser ensuite sur des grandes parois. J’ai fait beaucoup d’efforts courts parce que les difficultés du « Nose » résident dans des petites sections dures pour les doigts et le gainage. Mais globalement, je suis endurant et résistant donc mes entraînements classiques suffisent à me préparer au Yosemite.
J’imagine que le souvenir de cet exploit est encore très frais dans ta mémoire. Peux-tu revenir sur les grands moments d’une ascension intense ?
On est parti avec six jours de vivres sur la paroi. Les autres descendent en rappel pour travailler, en amont, les longueurs dures et bien maîtriser les passages difficiles. Ce n’est pas mon approche : j’ai appris que l’escalade, c’est d’en bas vers le haut, question d’éthique. Quand on monte à pied et qu’on approche la paroi d’en haut pour faire connaissance, on perd aussi l’esprit d’aventure (ndlr : Sébastien est le septième à gravir le « Nose » en libre mais le premier à l’avoir gravi sans repérages). Les débuts se sont bien passés malgré la présence de nombreux autres grimpeurs sur la paroi qui nous ont quelque peu ralentis. Puis on est arrivé à la première difficulté, « The Great Roof », côté « seulement » 8b mais très exigeant pour les pieds et les doigts. Je l’ai enchainé plus vite que je ne l’aurais pensé, de sorte que le quatrième jour, j’étais au pied de la longueur dure, un angle tout lisse à remonter sur une dizaine de mètres. J’étais optimiste parce qu’il me restait trois jours pour l’enchaîner, sauf que c’était bien plus dur que prévu. Je me suis pris une claque, c’était très éprouvant mentalement. De là, on n’est plus qu’à trois heures du sommet mais comme je ne progressais pas, j’ai très vite eu envie d’abandonner. C’est au sixième jour et alors que je n’avais presque plus de vivres que les premiers progrès sur la longueur sont venus et que j’ai pour la première fois senti que je pouvais y arriver. Mes camarades ont partagé leurs vivres avec moi, ils se sont privés pour que je puisse rester un jour de plus. Le septième jour, j’approchais du but et il a fallu que Barbara Zangerl, une des meilleures grimpeuses dans ce style qui s’entraînait là, se serre la ceinture et partage ses vivres avec moi pour que je reste un huitième jour et atteigne le sommet.
Finalement, ce dont tu as surtout eu besoin, c’est de ressources mentales ?
Physiquement, on est vite à bout : la peau souffre sur le granit plusieurs jours d’affilé et surtout il faut hisser derrière nous un sac de 80 à 100 kilos pour rester sur le mur plusieurs jours. Mais oui, le vrai défi est mental : il faut rester dedans, gérer la peur parce que tu as quand même 800 mètres de vide en dessous de toi, tu ne peux pas te relâcher une seule minute. Le vrai enjeu c’est de ne pas céder à cette tentation d’abandonner qui ne te quitte pas, ou presque ! Pour travailler le mental, tu peux utiliser l’imagerie mentale ou d’autres outils de psychologie du sport mais la clef c’est d’être motivé. C’est l’envie qui fait tout !
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