Vous souvenez-vous de vos premiers émois amoureux ? La découverte de l’autre, l’initiation à l’autre. Filmé par le Bruxellois Fabrice du Welz, l’amour est vertigineux, destructeur, constructeur. Il le raconte dans « Adoration », fable poétique, intimiste et jusqu’au-boutiste, sur deux adolescents confrontés à leurs désirs, à leurs tourments. Du vrai cinéma, d’une beauté formelle envoûtante.
MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : KRIS DEWITTE
Un gamin candide qui traîne dans l’hôpital psychiatrique où travaille sa mère, tombe raide dingue d’une adolescente schizophrénique. Ensemble, ils prennent la fuite, s’enfonçant toujours plus loin, au cœur d’une nature sauvage, qui se fera l’écho de leur initiation à l’amour, de leurs souffrances, de leurs tourments, de leur délivrance aussi – le plan final, qui clôt la folle cavalcade des deux mômes, est d’une poésie extatique indicible. A l’issue d’ « Adoration », film projeté au Festival International du Film Francophone de Namur (le FIFF), on a rencontré Fabrice du Welz, réalisateur au parcours radical et à l’imagerie souvent violente (« Calvaire », « Alléluia ») …
« Adoration » est manifestement votre film le moins violent formellement… « Oui, car la caméra épouse le parcours d’un gamin, Paul, qui est bon, naïf, innocent, à l’instar de Mychkine chez Dostoïevski ou de Silence chez Comès. Paul est un ange poreux à la souffrance des autres. Son cheminement est doux, il n’y avait donc aucune raison d’être violent. Dans « Adoration », j’ai essayé de me mettre à nu, sans me cacher derrière ma capacité à faire de beaux plans (la photo signée Manu Dacosse est pourtant d’une beauté inouïe qui s’infiltre comme un doux poison, ndlr) ni derrière le grotesque ou la violence. J’ai épousé les contours de l’évolution de Paul : la caméra est d’abord fébrile, comme lui, puis plus posée quand Paul s’affirme dans sa conscience d’aimer et sa volonté de protéger Gloria. »
Comment Paul (Thomas Gioria) et Gloria (Fantine Harduin), qui affichent tous deux 15 printemps, ont-ils compris vos intentions ? « D’emblée, je ne leur ai rien expliqué, je les ai choisis ! Ensuite, il a fallu gagner leur confiance – et ce fut réciproque. On a travaillé en symbiose : je déteste infantiliser les gens, encore moins les enfants ! Je les ai donc placés face à leur respon- sabilité : le rôle. Ce sont des enfants, mais aussi, et surtout, des artistes. Par ailleurs, mes enfants, qui étaient sur le plateau, sont devenus amis avec Thomas et Fantine : le tournage d’ « Adoration » s’est très vite transformé en colonie de vacances. Ce fut le plus bel été de leur jeune vie. »
La sexualité naissante, les premiers émois, sont sujets à fascination… « Tomber en amour, être initié à l’amour, c’est fascinant. Et dévastateur, car souvent, on capitule devant l’amour, on finit, un jour ou l’autre, par quitter celui ou celle qu’on a aimé/e. Pas Paul. Paul ne capitulera pas. »
La souffrance psychologique que suscite l’abandon, et l’amour fou qui induit la passion destructrice, deux thèmes qui vous sont chers… « Oui, j’affectionne les personnages qui vivent avec l’absence de quelqu’un, d’un être aimé. Ce n’est pas forcément réfléchi, mais je suis toujours touché par les gens entourés de fantômes d’un parent, d’un ami… Je tends vers un certain mysticisme. J’ai grandi dans un collège catholique, et même si je ne suis pas croyant, je demeure fasciné par l’art religieux, qui me bouleverse. Je m’interroge d’ailleurs souvent sur le lien entre le mysticisme et l’extase. Dans l’absolu amoureux, il y a un chemin de souffrances mais il mène à l’extase… Cette extase, je la recherche constamment, et notamment dans ma vie amoureuse, qui est chaotique, passionnée, pleine de bruit et de fureur. Cette recherche extatique constante nourrit- elle, par substitution, l’écriture de mes personnages ? Peut-être… Particulièrement dans « Adoration » qui est le parcours d’un ange qui va jusqu’à une forme d’extase et donc d’apaisement… »
« Adoration est un acte de foi dans la bonté des hommes. »
Fabrice du Welz
La passion est-elle forcément destructrice ? « Oui. On est toujours tué par ce qu’on aime. C’est toujours le même schéma qui m’intéresse : l’intersection entre l’immanence, qui a son principe en soi-même, et la transcendance, qui va au-delà. Nous, les humains, tendons vers le sublime mais nous sommes également des êtres rattrapés par nos pulsions : cette dualité me passionne et je la creuse à ma manière, à travers mes films. »
Sommes-nous naturellement bons ? « Je ne sais pas ! « Adoration » est un acte de foi dans la bonté des hommes. Mais la bonté est-elle une forme de folie ? Je m’interroge. Dans mes films personnels (hormis ceux de commande, aux Etats-Unis, ndlr), il n’y a pas de personnages mauvais, il y a une bonté qui dégénère. C’est la volonté de vivre, d’exister, qui dégénère, car ces volontés-là peuvent nous amener à poser des actes extrêmes, mais le mal en soi, n’existe pas. »
« Adoration » risque de désarçonner votre public… « Mon cinéma a toujours revêtu une dimension poétique : « Calvaire » et « Alléluia » affichent une violence graphique certes, mais ils sont également empreints d’une poésie macabre. Mais, je vous l’accorde, personne ne s’attendait à ce que je signe un film tendre, nu et pur dans sa facture – tant mieux ! »
Dans nos salles
Sortie nationale d’ « Adoration » le 15 janvier. Bayard de la meilleure interprétation attribué à Thomas Gioria et Fantine Harduin, les deux jeunes interprètes, lors du FIFF à Namur.
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