« Feel good » c’est l’événementde la rentrée littéraire ! D’abord parce que le titre a de réelles vertus antidépressives, ensuite parce que la plume acérée de son auteur Thomas Gunzig, l’écrivain belge le plus primé de sa génération, pose question. Et vous, quel acte criminel seriez-vous capable de commettre si tous les moyens moraux et légaux ne suffisaient plus à assurer la vie de votre petite famille ?

MOTS : ARIANE DUFOURNY
PHOTOS : PIERRE-YVES JORTAY

 

 

Tom, écrivain moyen aspirant à la reconnaissance croise le parcours d’Alice, une mère célibataire dont la vie se résume à « ça va être juste ». Banal jusque-là puisque c’est la triste vie de Monsieur et Madame tout le monde. Leur idée pour se sortir de leur médiocrité ? Un braquage mais un braquage sans violence. Un braquage intellectuel, un Feel Good book.

Thomas Gunzig nous a fixé rendez-vous au Bar du Matin. Nous en profitons pour lui poser les questions que la morale pourrait réprouver.

Job alerte. Un auteur peut-il vivre de sa plume ?

Oui et non. La première donnée de l’équation est les droits d’auteur. On gagne, en moyenne, 1 euro par livre. Les ventes moyennes d’un roman vont de 300 exemplaires (dans le pire des cas) à 1.500 – 3.000 exemplaires. Excepté les best-sellers, un livre rapporte 5 à 10.000 euros. Si on sort un livre tous les deux ans, cela représente quelques centaines d’euros par mois. Si on a la capacité d’écrire d’autres choses, comme dans mon cas des scénarios de films, de BD, des spectacles, des chroniques radio, on peut en vivre en sachant que rien n’est assuré, que ça va être dur, stressant, angoissant.

Le vrai luxe n’est-il pas de faire ce qu’on aime ?

C’est évident. La liberté de l’esprit, d’aller et venir, de ne pas bosser un jour parce qu’on n’en a pas envie, de travailler pour soi. Je vois tellement de gens qui ne sont pas heureux, au bord du burn out, qui n’ont pas de sens à leur vie, qui attendent la pension. Quarante heures par semaine à faire quelque chose qu’on n’aime pas, c’est vraiment horrible. C’est vrai que je suis stressé, que je ne suis pas riche, un peu « juste » mais j’ai une super qualité de vie.

Un Feel Good, braquage intellectuel permettant à un auteur de s’enrichir. Pourquoi ne pas l’écrire ?

Il y a une quinzaine d’années, j’en ai commencé un et je me suis terriblement ennuyé. En plus, j’avais l’impression d’être malhonnête, d’essayer de manipuler le public, de me trahir moi-même.

Un Feel Good book ne remet pas en cause notre société. Comment notre monde peut-il être sauvé ?

On peut faire changer des choses individuellement. Un des grands pouvoirs de la fiction, de la littérature, de l’art en général est la capacité d’ouvrir les imaginaires. On vit dans un monde où les conditions d’incertitude sont tellement fortes, intenses par rapport à l’avenir, à ce qu’on va devenir, aux grands enjeux globaux et individuels que, sans imaginaire, on court à la catastrophe. L’imaginaire est un outil qui permet d’anticiper les problèmes, de s’adapter aux changements aléatoires et inattendus.

Tom le héros de Feel Good, un Thomas Gunzig en moins sexy, moins talentueux ?

J’ignore si je suis sexy ou talentueux. Je ne m’acharnerais pas comme je le fais à écrire depuis vingt-cinq ans si je doutais complètement de mon talent. Par contre, vu que mes romans n’ont jamais été des best-sellers à 100.000 tirages, l’absence de grandes reconnaissances (pas de prix Goncourt, Renaudot, Medicis et pas de grosses ventes) pourrait à terme me faire un peu douter.

Les prix littéraires sont importants pour les écrivains. Votre Graal serait… ?

Le prix Nobel et un million de lecteurs, évidemment. Les auteurs parlent très peu de leurs ambitions comme si c’était tabou, un peu sale. Il faut être humble alors qu’au cœur de tous les artistes, tous les créateurs, il y a une ambition dingue et un ego important. Tout le monde rêve d’une reconnaissance extraordinaire et d’être le roi du monde.

Tom est inspiré de Thomas. Alice ressemble-t-elle à une personne que vous fréquentez dans la vie réelle ?

Alice est inspirée de femmes que je vois, que je fréquente. Des femmes d’une cinquantaine d’années qui n’ont pas de formation particulière, cultivées, curieuses, intelligentes, pleines de jeunesse et de force mais déjà considérées « vieilles » dans le marché du travail et puis qui se retrouvent dans des situations très compliquées. J’ai eu l’envie d’ajouter l’idée de quelqu’un qui n’a pas rencontré son talent. Un talent de dingue, dans un domaine quelconque, qu’il/elle ignore parce qu’il/elle n’a pas essayé. Dans le cas d’Alice, c’est l’écriture.

Quel est le rapport entre un écrivain sans gloire, le rapt d’enfant et l’économie de la chaussure ?

Vous le saurez en lisant la nouvelle satire sociale de Thomas Gunzig.

Première partie de votre livre : L’odeur des riches. Êtes-vous allergique à leur parfum ?

Je n’aime pas le racisme en général et le racisme de classes. Ne pas aimer les gens parce qu’ils sont pauvres ou riches est complètement idiot. J’ai la chance d’avoir des amis qui sont dans une dèche complète et des amis extrêmement riches qui vivent dans des châteaux ; je les aime de la même manière. Chez mes amis riches, l’odeur est géniale : l’air sent l’ozone, le cuir neuf, le parquet lustré. Ça sent bon l’odeur des riches.

Tom prétend n’avoir jamais réussi à écrire une scène de cul dont il puisse être fier. Celle que vous avez décrite ferait céder la plus réfractaire à l’idée. Qu’en pensez-vous ?

J’ai toujours du mal à écrire ce genre de scène. Il y a souvent du sexe dans mes histoires mais elles sont plutôt sordides. A partir du moment où il y a du vrai désir, de l’émotion, de l’amour, c’est plus compliqué à écrire. Une première fois entre un homme et une femme, il y a tellement de choses qui traversent leur esprit.

J’ai essayé de décrire tout ce qui se passe dans la tête d’un homme.

Difficile pour un auteur de survivre de ses droits d’auteur. Quel acte seriez-vous capable de commettre si tous les moyens moraux et légaux ne suffisaient plus à assurer la vie de votre petite famille ?

Je deviens tueur à gages, je me prostitue… je serais prêt à tout !

Préface. Votre mère « Tout finit toujours par s’arranger ». Avait-elle raison ?

Quand j’étais dans des situations horribles, épouvantables où je me disais que je ne m’en sortirais plus jamais, ma mère me disait : « Tout finit toujours par s’arranger ». Elle a raison !

Un happy end. La fin justifie-t-elle les moyens ?

C’est un happy end un peu amoral. On dit souvent : « le crime ne paie pas », « l’argent ne fait pas le bonheur ». Oui, le crime paie. L’histoire du monde nous le prouve tous les jours et l’argent fait aussi le bonheur. Il y a plus de gens malheureux chez les pauvres que chez les riches. « Il vaut mieux pleurer dans sa Rolls qu’au bord du trottoir ».