Les frères Dardenne et le Festival de Cannes, c’est une belle et longue histoire de cinéma couronnée par 2 Palmes d’or, pour Rosetta et L’Enfant. Une histoire qui se poursuit cette année encore avec Le jeune Ahmed, leur nouveau film, qui leur vaut une 8e nomination en compétition officielle.

A l’occasion de la sortie en salle ce mercredi et avant la proclamation du palmarès ce samedi 25 mai, rencontre avec deux réalisateurs, le social toujours chevillé à la caméra.

MOTS : FRÉDÉRIQUE MORIN
PHOTOS : CHRISTINE PLENU

Comment est née l’idée de ce film ?

Luc Dardenne : Le contexte est celui des attentats perpétrés en France et en Belgique… malheureusement.

Je pense que ça nous a déterminés… voir comment, nous, avec un film, notre cinéma, on pourrait, dire quelque chose de neuf, apporter quelque chose au débat, qui ne soit ni une thèse, ni une analyse…

Jean-Pierre Dardenne : On s’est dit que l’on allait tenter de raconter l’histoire d’un gamin que l’on va essayer de ramener à la vie. On ne va pas raconter comment il en est arrivé là (quand on le prend, il est en est là !) ; on va raconter dans notre film, dans notre mise en scène, dans les scènes que nous allons tourner, comment la vie pourra être présente ou pas, comment elle va petit à petit contaminer ou non ce gamin.

Est-ce qu’à un moment vous ne vous êtes pas dit que ce sujet était trop casse-gueule ?

Jean-Pierre Dardenne : Il l’est ! C’est politique ! Dès le départ – et vous pourriez me dire : c’est un peu prétentieux – on a essayé de se sentir le plus libre possible, dans la mesure où l’on ne voulait pas faire un film polémique (on n’était pas là pour stigmatiser qui que ce soit).

Notre pari cinématographique était de faire l’éloge de l’impureté face à ce prurit de pureté qui pousse un gamin, des gens, à tuer et à se tuer.

Il y a comme une constante dans vos films : la ténacité, l’urgence, l’énergie de vos personnages

Jean-Pierre Dardenne : Nous sommes intéressés par le mouvement. Nos personnages sont des personnages qui courent et qui éprouvent les choses à travers leur corps. 

Le jeune Ahmed, c’est un discours qu’il ressort : celui de l’imam. C’est aussi ses convictions.

Il y a aussi son corps, et jusqu’à la fin beaucoup de choses passeront par le corps… notamment la religion, parce que la religion c’est aussi ça : une maîtrise du corps, les ablutions, les attitudes pendant la prière, les rites et les rythmes de la prière, les frontières entre lui et le monde (ne pas serrer la main d’une femme, ne pas avoir de contact avec le chien…). 

Luc Dardenne : Le point de départ de notre film ce sont deux corps qui ne veulent pas se toucher : Ahmed refuse de serrer la main de son institutrice. C’est là que l’on a senti que l’on tenait quelque chose et que l’on pouvait commencer à écrire.

Ce film c’était la chronique d’une mort annoncée… ce que l’on ne voulait pas.

On voulait donner à voir et à entendre que ce gamin est porteur de mort violente donnée à un autre que lui… c’était évident, notre personnage n’étant pas un martyr (du moins pas encore). 

Mais en décidant que ce serait un enfant (nous avons écarté le choix d’un adolescent ou d’un adulte), nous voulions arriver, sans être angélique ni romantique, à ce que notre personnage se métamorphose et retrouve la vie. 

Chez ce gamin, il y a un hiatus entre la tête sous l’emprise de l’imam et ce corps d’enfant dont on se dit qu’il n’est pas fait pour tuer… ce gamin est forcément autre chose et l’on attend, on espère que cette autre chose se réveille.