David Martin s’est longtemps demandé si le client comprenait sa cuisine. Son récent doublé au Michelin devrait apaiser ses doutes. Hyperactif, le talentueux chef de La Paix poursuit sa quête de nouvelles saveurs et techniques, notamment au Japon dont il a intégré le laborieux et exigeant savoir-faire. Avec lui, on a évoqué la saveur umami, avant de s’enivrer de jouissance culinaire. Que de réjouissances, Chef !

MOTS : SERVANE CALMANT
PHOTOS : MORGANE BALL

Ô temps, suspends ton vol. De son dernier voyage au Japon, en février dernier, David Martin a ramené une remarquable collection de couteaux en acier Tamahagane damassé conçus selon des techniques séculaires. Le couteau bleu, dont le chef a posté une photo sur sa page Facebook, il le recevra dans… quelques mois. C’est que les maîtres forgerons de Nigara Forging qui fabriquent des lames de précision inspirées des sabres des samouraïs depuis plus de 350 ans, prennent leur temps… Toshihisa Yoshizawa, le propriétaire actuel, et son fils Go, se donnent deux mois pour fabriquer un couteau ! « Pour les Japonais, nous Occidentaux voulons toujours aller trop vite ! », s’emballe David Martin avec philosophie. C’est d’ailleurs cette réflexion sur le temps qui l’incite à revendiquer « l’authenticité de l’assiette » au détriment du « coup d’éclat culinaire ». « Ma cuisine, poursuit-il, se nourrit de mes racines françaises et de mes nombreux voyages, notamment au Japon. Mes périples sont autant de clés qui ouvrent de nouvelles perspectives culinaires. Si on peut retracer mon ADN dans mon plat, alors je suis un chef heureux ! »

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Un sacre résolument zen. Du Japon, David Martin a intégré la rigueur et un sens aigu de l’esthétisme poétique. Si les anciens guichets de banque et les pompes à bière reflètent bien les origines du restaurant anderlechtois, les 1000 colombes en papier mémoire reliés les unes aux autres et suspendues au plafond de La Paix renvoient quant à elles à la légende japonaise des milles grues. Cette sculpture d’origami créée par le designer belge Charles Kaisin est censée exaucer des vœux, notamment, de longévité et de bonheur. Une fable au réalisme éclatant: David Martin vient successivement de fêter les 125 ans de La Paix, de rafler une deuxième étoile au guide rouge et d’endosser le titre de Chef de l’Année décerné par le Gault&Millau. Comment gère-t-on pareille pression ? « Je me sens mieux depuis que j’ai obtenu ma deuxième étoile. Après la première, je me demandais si le client comprenait ma cuisine, s’il l’aimait. Cette deuxième récompense est un marqueur de satisfaction des convives et de Michelin ! »

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« Mes voyages sont autant de clés qui ouvrent de nouvelles perspectives culinaires. »

 

Umami et accords évidents. « Je n’ai pas chercher à ramener des recettes du Japon mais un savoir-faire, des techniques de découpe, de cuisson, de fermentation et de conservation, de nouvelles sensations culinaires aussi ». Ainsi le shio-koji, le riz fermenté indispensable au saké que le chef utilise pour enrober certains aliments et, évidemment, le fameux effet umami. Cette cinquième saveur qui n’est ni le sucré, ni le salé, ni l’acidité, ni l’amertume, et qui est propre à certains aliments (dont le parmesan et le bouillon japonais dashi, extraordinaire exhausteur de goût), apporte une sensation d’appétence et de gourmandise qui donne envie de pousser un grand waowwww de satisfaction. Et le moins que l’on puisse écrire c’est que David Martin est passé maître dans l’art de décupler l’effet umami, notamment à travers le mariage terre-mer et en séchant certains aliments pour en concentrer le goût, la saveur, et booster littéralement les papilles gustatives. C’est dans un même but avoué de décupler notre plaisir que le chef prône les accords évidents, ainsi l’association foie gras et poutargue de mulet prochainement à la carte. On a déjà hâte d’y retourner !

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L’esprit brasserie. Volontiers intarissable sur ce qui constitue désormais sa signature – l’intégration du savoir-faire japonais à la gastronomie française -, David Martin excelle également dans l’art de recevoir (l’élégance de la vaisselle méritant à elle seule un article !) en brisant le côté parfois intimidant de l’étoilé pour favoriser le contact avec l’hôte. Le mérite en revi- ent à la cuisine délibérément ouverte sur la salle, et au service dont l’élégance décontractée sied à merveille à l’esprit brasserie gastronomique de La Paix. D’ailleurs, on ne réserve pas à La Paix pour « s’offrir un étoilé » mais pour y découvrir une (forte) personnalité at- tachante : celle d’un chef à la cuisine insoumise (« ap- pliquer une cuisson unique à un homard est une aber- ration, on n’impose pas une même cuisson à un bœuf entier ! »), amoureux des légumes rôtis et des crustacés, et très respectueux des grands classiques qu’il revisite à sa manière. On n’est pas prête d’oublier cet extatique 1000 feuilles au feuilletage inversé vanille whisky (les années passées auprès d’Alain Passard ont marqué David Martin). Si la conclusion revient au chef, « ma cuisine est centrée sur elle-même, tout en étant ou- verte au monde », n’hésitez pas à faire le voyage jusqu’à Anderlecht pour en savourer les différentes escales.

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Une recette de tous les jours du chef David Martin

Poulet à l’étuvée en cocotte aux légumes râpés


INGRÉDIENTS POUR 4 PERSONNES

• 1 belle volaille (pattes noires des Landes, Malines, Bresse, de 1,6 kg) ;
• 500 gr de légumes à râper, suivant la saison, on choisira du céleri rave, du potimarron, des carottes ou même des pommes de terre ;
• 150 gr de beurre salé ;
• 1 branche de romarin ;
• 1 cuillère à café de piment doux fumé de la Vera ; • 10 cl de bouillon de volaille ;
• 2 belles tranches de pain de campagne.

L’ASTUCE !

La technique de cuisson est très simple, il s’agit de cuire une volaille (ou un rôti de porc, de veau…) enrobée dans les légumes râpés. Ce qui va humidifier la volaille à la cuisson et parfumer les légumes !

• Commencez par éplucher et râper vos légumes comme vous le faites pour des carottes ;
• ajoutez à ces légumes le beurre fondu ainsi que le piment doux ;
• assaisonnez de sel et poivre et mélangez convenablement ;
• disposez dans le fond de votre cocotte les tranches de pain tartinées de beurre ;
• posez dessus la volaille et recouvrez de légumes ;
• versez dessus le bouillon ;
• démarrez la cuisson sur la taque et, dès les premières volutes de fumée, enfournez à 170°C pour une heure avec le couvercle ;
• à la sortie du four, laissez reposer 15 minutes et servir la cocotte à même la table de façon à profiter de la vue et des parfums au moment de soulever le couvercle ;
• servir les légumes, la volaille et bien sûr le pain dans le fond de la cocotte qui sera imprégnée du jus des légumes et de la volaille.

Bon appétit !

LA PAIX 1892

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